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s'occupait d'élaborer le traité qui devait rétablir les relations pacifiques de la France avec l'Europe. Par l'effet de la déplorable convention du 23 avril, le rôle de notre diplomatie était, en cette conjoncture, aussi facile que triste : elle n'avait qu'à subir les volontés des alliés. M. de Talleyrand, l'inspirateur de la funeste convention, le plénipotentiaire de la France au traité de mai s'était, par avance, désarmé contre toute exigence et n'avait plus guère qu'à mettre sa signature à la suite de celle des autres diplomates.

Aux termes du traité, la France reprenait ses limites du 1° janvier 1792, sauf quelques parcelles de territoires pour rectifier sa frontière du nord-est, sauf aussi une partie de la Savoie, le comtat Venaissin, Montbéliard et Mulhouse. Elle recouvrait les petites colonies de Pondichery, la Guadeloupe, la Martinique, Cayenne, le Sénégal, Saint-Pierre et Miquelon, à la condition de n'y pas élever de fortifications et de n'y avoir qu'une force militaire suffisante pour le service de police. L'Angleterre rendait la Réunion (île Bourbon) et concédait le droit de pêche à Terre-Neuve, mais elle gardait notre grande et belle colonie de l'île de France, Sainte-Lucie et Tabago.

Le traité revenait un peu sur la cession, si étourdiment faite par le comte d'Artois de tout le matériel militaire et maritime existant dans les places et ports remis aux alliés. C'eût été une spoliation trop inique. Ils gardèrent tout ce qui se trouvait dans les places et ports rendus avant le 23 avril, y compris la flotte du Texel, entièrement construite sous le règne de Napoléon et aux frais de la France. Quant au matériel existant dans les places et forts rendus après le 23 avril, deux tiers devaient en être restitués à la France; l'autre tiers appartenait aux pays où les localités étaient situées. Sous une apparente générosité, il y avait là une perte immense pour la France.

Les parties contractantes renonçaient réciproquement à toutes répétitions pécuniaires et se rendaient leurs prisonniers.

Un congrès général des puissances était convoqué à Vienne, vers la fin de juillet, pour y régler l'organisation de l'Europe. La France devait y être représentée, mais elle s'engageait, par avance, à reconnaître les partages que se feraient les alliés des territoires enlevés à la France, et elle renonçait à toute espèce de réclamations pour dotations, donations, revenus de la Légion d'honneur et autres questions financières du même genre.

Les diplomates qui élaborèrent ce traité reçurent du Trésor français huit millions en gratifications.

Ce traité, signé le 30 mai, fut affiché dans Paris le 3 juin, veille du jour où Louis XVIII devait présider l'ouverture des Chambres. L'événement était trop prévu, trop inévitable pour surprendre personne. La population parisienne ne vit cependant pas sans une cruelle émotion ce monument officiel de l'abaissement de la patrie. La France subissait à son tour ce droit de la force que l'Empire avait si durement fait peser sur presque toute l'Europe; la nation, sans doute, n'avait pas souhaité cette domination européenne et c'était là surtout l'œuvre personnelle de Napoléon. Mais les peuples sont solidaires de leurs gouvernements et portent justement la peine des fautes et des crimes qu'ils laissent commettre en leur nom et avec leur puissance.

La perspective d'une longue paix semblait une sorte de compensation aux revers de la guerre. Cette paix alors, la France pouvait l'envisager sans rougir, car si les dernières armées avaient dû céder au nombre, du moins elles avaient glorieusement disputé, pied à pied, le territoire national et n'avaient reculé que de victoire en victoire. La France était tombée, mais tombée avec une grandeur digne d'elle.

§ X. LA CHARTEe. En même temps que le traité du 30 mai, se préparait l'acte constitutionnel promis par la déclaration de Saint-Ouen. Aux termes de la déclaration, « ce travail devait être fait par le roi avec une commission choisie dans le sein du Sénat et du Corps législatif. » On avait généralement compris que la commission serait nommée par les deux assemblées. Le roi ne l'entendit pas ainsi; après s'être concerté avec MM. de Montesquiou et Beugnot, il désigna lui-même, par un arrêté non rendu public, les membres de la commission qui furent :

Trois commissaires royaux, MM. de Montesquiou, Ferrand et Beugnot;

Neuf sénateurs, MM. Barbé-Marbois, Barthélemy, Boissy d'Anglas, de Fontanes, Garnier, de Pastoret, de Sémonville, maréchal Sérurier, Vimar;

Neuf députés, MM. Blanquart de Bailleul, Bois-Savary, ChabaudLatour, Clausel de Coussergues, Duchesne de Villevoisin, Duhamel, Faget de Baure, Félix Faucon, Lainė.

Le roi voulait, en outre, que le travail de la commission demeurât secret, qu'elle se réunît sous la présidence et à l'hôtel de

M. Dambray, chancelier, avec M. Beugnot pour secrétaire. En annonçant à ce dernier sa nomination, le roi lui recommanda le secret le plus absolu vis-à-vis de M. Talleyrand sur le travail de la commission.

Dans une réunion préliminaire des trois commissaires royaux, l'abbé de Montesquiou fit lecture d un projet, incomplet et incorrect, qu'il ne présenta que comme un simple programme.

Le 22 mai, la commission tint sa première séance générale. La discussion porta principalement sur le premier article du projet : « Le gouvernement français est monarchique et héréditaire de mâle en mâle, à l'exclusion perpétuelle des femmes. » M. de Montesquiou fit remarquer que cet article semblait nier le droit héréditaire du roi tout en le reconnaissant; or, ce droit antérieur et supérieur à l'acte en discussion, n'avait pas à être reconnu. Boissy d'Anglas répondit qu'il n'y avait pas d'inconvénient à proclamer en fait ce qui existait en droit. M. de Fontanes mit fin à cette casuistique par une harangue qui concluait ainsi : « Un pouvoir supérieur à celui des peuples et des monarques fit les sociétés et jeta sur la face du monde des gouvernements divers.. Le sage les respecte et baisse la tête devant cette auguste obscurité qui doit couvrir le mystère social comme le mystère religieux. »

De telles paroles fermèrent un débat où, au fond, il ne s'agissait de rien de moins que de la souveraineté royale et de la souveraineté nationale.

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Le projet des commissaires royaux portait : « Article 5 : La religion catholique, apostolique et romaine est la religion de << l'Etat. Article 6 Néanmoins, chacun professe sa religion « avec une égale liberté et obtient pour son culte une égale pro« tection. »><

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MM. Boissy d'Anglas et Chabaud-Latour, protestants l'un et l'autre, firent remarquer que cette disposition des articles n'accordait aux cultes dissidents qu'une simple tolérance. M. Garnier demanda que les mots Religion de l'État fussent effacés comme vides de sens.

La commission se borna à faire de l'article 6 l'article 5 et réciproquement, en conservant la religion de l'État.

Le roi ne fut pas satisfait de cette solution, mais ne voulut pas qu'on rouvrit le débat.

L'article relatif à la liberté de la presse passa sans grande difficulté. M. de Fontanes déclara, il est vrai, qu'il ne se sentirait

pas libre là où la presse le serait, » mais un des députés répondit que «< donner la liberté de la presse, c'est changer une pique en plume. »>

M. Beugnot affirme dans ses Mémoires qu'aucun membre de la commission ne songea que cet article pût concerner les journaux, tant était nulle alors l'importance de la presse quotidienne.

Il y eut aussi discussion sur l'article portant que : « Toutes les « propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales. » Quelques membres auraient voulu faire une distinction entre la vente des biens du clergé qui n'était plus contestée et celle des biens confisqués sur les émigrés. L'article fut néanmoins adopté.

Aucun débat ne s'éleva sur l'article 14 conférant au roi le droit de faire des «< ordonnances et règlements pour l'exécution des lois et pour la sûreté de l'État. » Il ne vint alors à l'idée de personne que ce droit pût aller jusqu'à suspendre les lois.

L'article réservant au roi l'initiative exclusive de la présentation des lois fut assez vivement discuté par quelques membres, qui réclamaient pour les deux assemblées le droit de proposer une loi qui leur paraîtrait utile. M. de Montesquiou objecta péremptoirement que le roi considérait l'initiative absolue comme une des attributions essentielles de la royauté. On transigea en déclarant, par voie d'amendement, que les Chambres auraient la faculté « de supplier le roi de présenter une loi; » encore cette faculté fut-elle entourée de précautions minutieuses.

Le Sénat fit place à une Chambre des pairs, nommée par le roi, sans limite de nombre, avec ou sans condition d'hérédité, au gré du monarque. Les délibérations de cette chambre devaient être sans publicité; elle pouvait se constituer en Cour de justice pour juger les crimes de haute trahison, les attentats contre la sûreté de l'État.

Le Corps législatif devint la Chambre des députés des départements. Cette dénomination avait, dit-on, pour objet, dans la pensée du roi, d'empêcher que les députés prissent jamais une résolution semblable à celle que prirent les représentants des communes lorsque, le 20 juin 1789, ils se constituèrent en Assemblée nationale au Jeu de paume.

Selon le projet présenté par les commissaires royaux, les députés devaient être désignés par le roi, sur une liste double proposée par les colléges électoraux. C'était le système de l'Empire, sauf que le

roi était substitué au Sénat. M. de Montesquiou le soutenait par cet argument que « personne n'étant plus intéressé que le roi à une bonne composition de la Chambre, le roi ne pourrait faire que de bons choix. »

Sans contester la justesse d'un tel raisonnement, on fit remarquer que si le roi, qui nommait déjà les pairs, choisissait aussi les députés, les deux Assemblées ne seraient que des commissions royales et que, dès lors, le régime représentatif n'existerait plus.

Le projet renvoyait à des lois ultérieures le soin de régler l'organisation des colléges électoraux. Plusieurs membres désirèrent que la question fût résolue dans l'acte constitutionnel. Mais on ne parvint pas à s'entendre, on décida d'en référer au roi. M. Dambray annonça, dans une séance suivante, que d'après les ordres du roi, la question devait être réglée par une loi future.

La commission eut à déterminer la durée du mandat des députés et à se prononcer entre le renouvellement intégral et le renouvellement partiel. M. Lainé fit triompher le second en démontrant que, par ce mode, on évitait les grandes secousses d'élections générales et que l'opinion publique modifierait graduellement les dispositions de l'Assemblée. Il fit remarquer, d'ailleurs, que c'était le moyen de conserver la Chambre actuelle. On décida donc que les députés seraient nommés pour cinq ans et que l'Assemblée se renouvellerait, chaque année, par cinquième.

On fixa le cens d'éligibilité à 1,000 francs de contribution directe et l'âge à 40 ans. Les électeurs durent avoir 30 ans et payer 500 francs.

Le chiffre du cens d'éligibilité amena un incident notable. Un des membres de la commission, M. Faucon, qui le combattit, dit, en terminant : « Moi-même, je ne crains pas de me produire en exemple. Membre de l'Assemblée constituante, je n'ai pas cessé, depuis ce temps, de donner mon temps à mon pays, tant que j'ai pu le faire avec honneur; je me trouve président du Corps législatif, et, parce que quelques souvenirs honorables et une pauvreté noble sont tout ce qui me reste, je ne suis plus éligible. Je juge, par la douleur que je ressens, de celle que vont éprouver tous ceux qui me ressemblent. »

Ces paroles causèrent une émotion pénible. Mais la majorité, loin d'incliner vers l'abolition du cens, était plus disposée à en trouver le chiffre trop modéré. Les mille francs furent votés.

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