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sans une autorisation du roi. Les cours royales pouvaient, en audience solennelle, suspendre ou supprimer tout journal ou écrit périodique « dont l'esprit et la tendance seraient de nature à porter atteinte à la paix publique, au respect dû à la religion de l'État et aux autres religions légalement reconnues, à l'autorité du roi et à la stabilité des institutions constitutionnelles. » Enfin, dans l'intervalle des sessions et en cas de circonstances graves dont le gouvernement était juge, la censure pouvait être établie par une ordonnance royale, contre-signée de trois ministres. Cette mesure cessait, de plein droit, un mois après la réunion des Chambres, si, dans cet intervalle, elle n'avait pas été convertie en loi. De toute façon, elle prenait fin, dès que des élections générales étaient convoquées.

Le rapporteur, M. de Martignac, député nouveau de la Gironde, établissait, en principe, que les journaux ne sont pas nécessaires, que ce sont, sauf de rares exceptions, des spéculations industrielles, satisfaisant à un besoin public et n'ayant en vue que le profit commercial. Or, pour y parvenir, il était plus commode de s'adresser aux passions, de les exciter, que de parler le langage de la raison.

Il concluait à l'adoption du projet du ministère, tout en déclarant que sa demande «< était oiseuse, inutile, surabondante, parce que l'article 14 de la Charte conférait au gouvernement le droit de suspendre les lois. >>

C'était la première fois qu'on entendait affirmer aussi hautement, aussi nettement cette interprétation de l'article 14.

La bataille ne fut pas moins chaude, moins furieuse que la précédente. Dans cette discussion comme dans l'autre, les ministres eurent à subir le désagrément de voir mettre leurs paroles d'hier en contradiction avec leurs actes d'aujourd'hui. M. de Girardin se donna le plaisir de lire un discours très-concluant en faveur de la liberté de la presse; interrompu par les cris de la droite, il referma son manuscrit, en déclarant que le mérite de ce qu'il venait de lire ne lui appartenait pas, attendu qu'il ne faisait que reproduire un discours prononcé, en 1817, par M. de Villèle.

Benjamin Constant signala le projet comme un des moyens par où l'on espérait pouvoir ramener l'ancien régime: «< Rappelezvous, s'écria-t-il en terminant, que tous ces moyens ont été employés en Angleterre, à la fin du dix-septième siècle, en Espagne, dans le siècle actuel, et qu'il n'ont point empêché la liberté de triompher. Il en sera de même en France. »

Répondant à ce discours et à M. Bignon qui s'était élevé contre l'interprétation donnée, par la commission, à l'article 14 de la Charte, M. de Peyronnet dit : « ....... Sans doute, on pourrait abuser de ce pouvoir institué par l'article 14. C'est pour cela qu'au lieu de le laisser dans l'ombre, le ministère l'a ouvertement et loyalement invoqué, en même temps qu'il proposait de l'expliquer, de le modifier, de le limiter... Vous prétendez (ceci s'adressait à Benjamin Constant) que la nation a été dépouillée depuis deux ans. Nos efforts, selon vous, seront vains et la crise ne sera que retardée. Ce seront les efforts de ceux dont je connais les actes, dont je surveille les démarches, dont je préviendrai les égarements, ce seront ces efforts, dis-je, qui seront vains. La crise ne sera pas retardée, car la crise n'aura pas lieu. La nation française ne veut plus de révolution. >>

Alors, en effet, la France ne voulait pas une révolution. Cependant la crise eut lieu, une révolution éclata, provoquée par un emploi abusif du pouvoir que contenait cet aricle 14, et M. de Peyronnet fut un de ceux qui, en conseillant cet abus de pouvoir, déterminèrent la révolution.

Si, en 1822, M. de Peyronnet voulait limiter la portée de l'article 14, le président du conseil, le vicomte de Montmorency, soutenait pleinement le pouvoir que cet article conférait à la royauté, ainsi que l'avait établi M. de Martignac. La théorie devait se réproduire huit ans plus tard.

Royer Collard démontra qu'en combinant l'obligation de l'autorisation préalable avec la faculté, pour les cours royales, de supprimer les journaux, le gouvernement pouvait faire disparaître les journaux existants et empêcher de paraître ceux qui voudraient se produire. Venant à l'article relatif aux délits de tendance, il dit «La loi actuelle ne suppose pas, ce serait une absurdité grossière, qu'on puisse être à la fois innocent et coupable, mais elle suppose qu'on puisse être à la fois innocent et dangereux, et qu'ainsi, pour la sûreté de l'État, il doit y avoir au delà de la justice une justice extraordinaire, un pouvoir arbitraire pour frapper ce qui est dangereux, quoique légalement irréprochable. Je n'ai rien à dire de cette maxime, si ce n'est que c'est elle qui a fait le tribunal révolutionnaire.

La majorité avait un parti pris, et, malgré tout, la loi fut votée par 219 voix contre 137, dans la séance du 15 février.

A la Chambre des pairs, la loi n'avait à redouter aucune opposi

tion libérale; elle y rencontra une coalition d'ambitieux méconten's, tels que le prince de Talleyrand, MM. Decazes, Roy, Molé, Pasquier, auxquels se joignit le duc de Richelieu, qui, tous, devenus les adversaires de la censure après l'avoir pratiquée à leur profit, firent triompher, par 112 voix contre 101, un amendement rétablissant dans le texte de la loi la qualification de constitutionnelle, ajoutée aux mots « l'autorité du roi. »

Cette modification ramena la loi au Palais-Bourbon, où elle fût adoptée avec l'addition des pairs par 245 voix contre 99.

§ III. CONSPIRATIONS. SAUMUR ET BELFORT. Au cours de la discussion des lois de presse, un ministre qui avait parlé de complots et de conspirateurs, sommé par des députés libéraux de s'expliquer, déclara n'avoir voulu faire allusion qu'à des factieux en dehors de la Chambre.

Qu'il y eût des complots, c'était hors de doute. Le gouvernement et le public avaient appris à la fin de décembre et au commencement de janvier, la découverte fortuite d'un mouvement concerté avec des sous-officiers de l'école de cavalerie de Saumur, puis la dénonciation d'un autre mouvement préparé à Belfort. A ce dernier devaient prendre part quelques députés, Lafayette, Voyer d'Argenson, Koechlin, Manuel, etc., mais c'est un point que le gouvernement ignorait et que ne connaissaient pas les collègues de ces députés.

Les deux projets avaient été organisés par les carbonari, se concertant dans l'ouest, avec les chevaliers de la liberté. A Saumur, il n'y eut même pas commencement d'exécution, par suite de la découverte accidentelle du complot, quelques jours avant le 25 décembre, date fixée pour l'explosion. La même date était fixée pour Belfort et il y eut là un commencement d'exécution, entravé, puis déjoué d'après une révélation, fortuite aussi, que confirmèrent ensuite des aveux de quelques conspirateurs arrêtés. Lafayette était parti de Paris pour aller prendre la direction d'un gouvernement provisoire qui devait se réunir à Colmar. Averti, en route, que le complot était éventé, il changea d'itinéraire. Cependant la voiture, portant ses armoiries, était restée aux mains de l'autorité et mise sous scellés; cette voiture fut détruite, la nuit, avant qu'on eût reconnu à qui elle appartenait. Le gouvernement ne connut pas davantage la participation de plusieurs membres de la Haute-Vente des carbonari, Joubert, Ary et Henry Scheffer, Guinard, Bazard, et d'un lieutenant encore inconnu, nommé

Armand Carrel. Quarante-quatre accusés, dont vingt et un contumax, furent traduits en cour d'assises, au mois de juillet suivant. Le 13 août, quatre d'entre eux furent condamnés à cinq ans de prison, dix-neuf furent acquittés.

A ce complot s'en rattacha un autre ayant pour but la délivrance des prisonniers de Belfort. La pensée en venait du lieutenant-colonel Caron, ami de quelques-uns des détenus. Malheureusement, un des individus à l'aide desquels il dut recourir dénonça le projet et fut autorisé à paraître en poursuivre la réalisation. Par les artifices de cet homme, appelé Delvaize, par la connivence de quelques sous-officiers d'un régiment de chasseurs, agissant sous l'inspiration de leurs chefs, Caron et un de ses amis, Roger, furent entraînés dans un simulacre de conspiration au nom de Napoléon II. Arrêtés et livrés par leurs complices apparents, ils furent traduits, le 18 septembre devant le conseil de guerre de Strasbourg, sous l'inculpation d'embauchage. Caron, déclaré coupable sur ce chef, fut condamné à mort; Roger fut envoyé en cour d'assises pour répondre à une accusation de conplot.

Caron se pourvut en cassation et son pourvoi fut appelé le 30 octobre. Mais, l'avant-veille, Caron avait été fusillé à Strasbourg.

Le 23 février suivant, Roger fut, à son tour, condamné à mort. La clémence royale commua cette peine en celle de vingt ans de travaux forcés avec exposition. Il subit cette dernière peine sur la place principale de Metz. Un habitant monta sur la plate-forme et posa sur la tête de Roger une couronne de chêne, d'autres jetèrent à ses pieds des fleurs et des branches de laurier. Roger fut ensuite transféré au bagne de Toulon. En 1824, Chateaubriand lui fit obtenir grâce entière.

Quant aux sous-officiers qui s'étaient prêtés à l'indigne comédie dont ces deux hommes furent victimes, ils avaient été nommés officiers et avaient reçu chacun une gratification de 1,500 francs qui leur fut remise par le colonel, devant le front de la troupe réunie sous les armes pour les reconnaitre en leur nouveau grade.

Quelques jours après l'avortement du complot de Belfort, le 9 janvier, la police arrêtait, à Toulon, plusieurs personnes prévenues de complot contre la sûreté de l'État. Le principal accusé était un ancien capitaine de la garde impériale, nommé Vallée, contre lequel on ne put relever qu'une assez vague proposition d'affilia

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tion à une société secrète. Il n'en fut pas moins condamné à mort et exécuté le 10 juin.

Tous ces insuccès ne découragèrent pas les carbonari; si le premier mouvement projeté à Saumur n'avait pu s'accomplir, les éléments principaux en subsistaient toujours. Le complot fut renoué et un nouveau plan concerté.

En ce moment même, du 20 au 28 février 1822, le conseil de guerre de Tours jugeait les sous-officiers compromis dans la tentative de Saumur. Ils étaient onze, dont un contumax, poursuivis comme auteurs, complices ou non-révélateurs de complot. Trois, Delors (contumax), Sirejean et Coudert, furent condamnés à mort; un à cinq ans de prison, cinq à deux ans, deux acquittés. Sirejean et Coudert, s'étant pourvus en révision, le jugement, en ce qui les concernait fut cassé et ils comparurent, le 20 avril, devant un nouveau conseil de guerre qui condamna, de rechef, Sirejean à la mort et Coudert, pour simple crime de non-révélation, à cinq ans de prison. Sirejean fut exécuté le 2 mai.

D'après le plan nouvellement adopté, le général Berton, qui avait commandé une brigade à Waterloo et publié un récit remarqué de cette bataille, investi de la direction du mouvement, par un conseil des chefs des carbonari de l'ouest, devait, le 23 février, soulever la garnison, l'école et la garde nationale de Saumur, y arborer le drapeau tricolore, annoncer la formation d'un gouvernement provisoire, puis insurger le pays environnant et marcher sur Angers pour s'en emparer et en faire une base d'opérations.

Au dernier moment, le comité d'exécution changea le plan et, au lieu de faire partir de Saumur le mouvement initial, résolut de le faire éclater autour de cette ville, en prenant Thouars pour point de départ; ce changement nécessita un retard de vingt-quatre heures et, à son tour, ce retard entraîna l'echec de l'entreprise. Berton arriva devant Saumur avec des forces insuffisantes, n'y trouva pas le concours qu'il attendait et dut se retirer avec sa troupe qui se dispersa. Le lendemain, 25 et jours suivants, 150 à 160 personnes furent arrêtées.

Berton échappa à toutes les recherches. Ni lui, ni les carbonari, ni les conjurés restés libres n'étaient découragés. Un troisième complot fut organisé vers la fin de mai, dont Berton restait le chef et dont le point central était encore Saumur avec un régiment de carabiniers qui avait remplacé l'École dissoute et sur

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