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guerre civile occupant une partie des provinces du Nord. L'empereur de Russie était déterminé à étouffer la révolution là comme ailleurs; l'Autriche y semblait disposée, et la Prusse marchait alors à la suite de l'Autriche. La seule Angleterre, où Canning venait de succéder à Castlereagh, qui s'était coupé la gorge, repoussait hautement toute intervention étrangère dans les affaires intérieures d'une nation indépendante. Louis XVIII, au contraire, se croyait en droit d'intervenir, ne voulant pas, disait-il, « laisser relever les Pyrénées, abaissées par Louis XIV,» mais il n'admettait que l'intervention de la France, et à l'heure qu'elle jugerait convenable. Dans le cabinet français, il y avait deux tendances: M. de Villèle était opposé à la guerre; tous les autres membres, et surtout le vicomte de Montmorency, ministre des affaires étrangères, étaient pour la guerre immédiate.

Avant d'ouvrir le congrès à Vérone, M. de Metternich proposa de tenir à Vienne des conférences préliminaires pour essayer d'établir une entente entre les puissances. Le gouvernement français y envoya M. de Montmorency. Il partit le 1er septembre; le 7, une ordonnance royale donna à M. de Villèle la présidence du conseil des ministres, mesure qui froissa le ministre des affaires étrangères.

Le duc de Wellington, plénipotentiaire anglais, traversant Paris pour se rendre à Vienne, eut avec M. de Villèle, le 22 septembre, une entrevue où il exprima la pensée que la France était décidée à intervenir, exposa les difficultés d'une pareille guerre, et demanda au chef du cabinet si son gouvernement accorderait le passage sur le territoire français d'une armée étrangère de secours. M. de Villèle répondit que la France ne ferait la guerre que pour la défense de sa sûreté et de son honneur, qu'elle ne donnerait point passage à des troupes étrangères, et qu'elle n'interviendrait ni sur l'invitation, ni, bien moins encore, sur l'injonction des autres puissances. Le ministre communiqua cette conversation à M. de Montmorency, qui avait déjà reçu des instructions en ce sens.

Les préliminaires de Vienne n'aboutirent pas, le congrès s'ouvrit à Vérone, le 15 octobre. A M. de Montmorency étaient adjoints Chateaubriand, M. de la Ferronnays et le duc de Caraman. Le 5 octobre, M. de Villèle avait adressé au chef de notre diplomatie des instructions très-détaillées et très-précises sur les diverses questions devant être traitées au congrès.

En première ligne, il recommandait aux plénipotentiaires fran

çais de ne pas se faire « rapporteurs des affaires d'Espagne, » c'està-dire de ne pas prendre l'initiative sur ces affaires, et de la laisser à une des autres puissances. Ils exposeront que la France, au moyen du cordon sanitaire établi sur la frontière des Pyrénées, à l'occasion de la fièvre jaune, et transformé, depuis, en corps d'observation, pour empêcher les violations de territoire, n'avait rien à craindre de l'Espagne; que si cette dernière lui déclarait la guerre, la France était en mesure d'y faire face sans secours étranger; qu'elle n'avait donc, comme les autres États, à s'occuper de l'Espagne que dans ses rapports avec la paix générale.

Sur la question du mode d'agir, relativement à l'Espagne, les plénipotentiaires devront indiquer, comme leur avis, que ce qu'il y aurait de plus sage et de plus utile serait que la France, étant la seule qui doive agir directement par ses troupes, sera seule juge de la nécessité de le faire, qu'en cas de guerre entre elle et l'Espagne, soit par suite d'atteintes à la sûreté du roi d'Espagne ou de sa famille, soit pour insulte au ministre français, ou enfin pour violation de territoire, les souverains étrangers déclareraient aussi la guerre à l'Espagne, et formeraient un corps d'observation destiné à venir au secours de la France, si elle le réclamait.

Dans les dernières années, les colonies espagnoles d'Amérique, et les colonies portugaises du Brésil, combattaient contre leurs métropoles, pour devenir ou demeurer indépendantes. Dans le cas où le congrès serait disposé à s'occuper de cette question, M. de Villèle voulait que l'Espagne et le Portugal fussent invités à faire connaître si et comment ils pourraient rétablir l'ordre, la paix et la sécurité de la navigation, compromise par une foule de pirates, d'offrir à ces deux pays la méditation des autres puissances pour y parvenir, et, en cas de refus, de reconnaître l'indépendance des États régulièrement constitués en Amérique, chaque puissance s'engageant à ne pas réclamer d'avantages particuliers. Cette prévision était dirigée contre l'Angleterre, que la France soupçonnait de vouloir prendre sous sa protection les nouveaux États, en assu rant à son commerce un traitement de faveur.

Quant à l'Italie, les négociateurs français devaient hâter le retrait des troupes autrichiennes à Naples et en Piémont, et tâcher d'obtenir la réconciliation de Charles-Félix, roi de ce dernier pays, avec le prince de Carignan (Charles-Albert), son héritier présomptif.

En ce qui touche l'Orient, il fallait travailler à renouer les relations diplomatiques, récemment rompues, entre la Russie et la

Porte, et appuyer le gouvement russe dans les demandes de garanties qu'il pourrait faire au profit des populations chrétiennes. M. de Montmorency était, lui, partisan de la guerre. Il crut met tre d'accord son avis personnel avec ses instructions officielles, au moyen d'une de ces subtilités qu'offre le langage diplomatique. Il fit juste ce qu'il devait ne pas faire, et prit l'initiative des ouvertures, exposa la question dans un écrit qu'il lut aux autres plénipotentiaires, dont il les laissa même prendre copie, et se crut en règle, parce que cet écrit, au lieu de s'appeler, soit memorandum, soit note verbale, s'appelait un dire. M. de Villèle ne cacha pas son mécontentement, mais la faute était faite.

Après un mois de négociations, où M. de Metternich montra la duplicité la plus perfide, parlant à la Russie contre la France, à la France contre la Russie, on parvint à signer, le 19 novembre, un procès-verbal dont les bases avaient été arrêtées le 31 octobre, et dont voici le texte :

« Les plénipotentiaires d'Autriche, de France, de Prusse et de Russie, ayant jugé nécessaire de déterminer les cas dans lesquels les engagements pris avec la cour de France, par les cours d'Autriche, de Prusse et de Russie, dans le cas d'une guerre déclarée ou provoquée par le gouvernement actuel de l'Espagne, deviendraient obligatoires pour les puissances qui y ont pris part, sont convenus de préciser l'application desdits engagements dans les termes suivants : « Art. 1er. Les trois cas dans lesquels les engagements éventuels entre les quatre puissances signataires du présent procès-verbal deviendraient immédiatement obligatoires, sont: 1° celui d'une attaque à main armée de la part de l'Espagne contre le territoire français, ou d'un acte officiel du gouvernement espagnol, provoquant directement à la rébellion les sujets de l'une ou de l'autre puissance; 2° celui de la déchéance prononcée contre S. M. le roi d'Espagne, d'un procès intenté à son auguste personne, ou d'un attentat de même nature contre les princes de sa famille; 3° celui d'un acte formel du gouvernement espagnol portant atteinte aux droits de succession légitime de la famille royale.

« Article 2. Attendu qu'indépendamment des cas ci-dessus spécifiés et définis, il peut s'en présenter que l'une ou l'autre des cours signataires du présent acte regarderait comme étant de la même valeur et comme devant emporter les mêmes effets que ceux qui sont désignés à l'article premier, il est arrêté que si tel cas non spécifié ou tout autre cas analogue venait à se réaliser, les ministres

des hautes cours alliées accrédités de S. M. T. C. se réuniraient avec le cabinet de France pour examiner et déterminer si le cas en question doit être considéré comme rentrant dans la classe des casus fœderis prévus et définis et exigeant, comme tel, l'application directe des engagements pris par les hautes puissances. »

M. de Villèle avait prévu le cas où la France pourrait avoir à réclamer le concours armé des trois autres cours, et, dans sa pensée, ce cas était celui d'une intervention de l'Angleterre, par les armes, en faveur de la révolution espagnole. Il ne lui était pas venu à l'idée que les autres puissances se trouvassent jamais dans le cas de réclamer de la France la réciprocité, c'est-à-dire d'entraîner la France dans une guerre de l'une d'elles contre l'Espagne, située si loin de leurs frontières. Cette idée fut produite, à la dernière heure, par les négociateurs des trois cours; Chateaubriand et M. de la Ferronnays la repoussèrent, MM. de Montmorency et de Caraman la trouvèrent très-juste; mais, comprenant le mauvais effet qu'elle ferait en France, ils demandèrent et obtinrent de la dissimuler par des artifices de rédaction. Elle est, effectivement, écrite assez obscurément dans le protocole et l'article premier du procès verbal, mais il ne devait pas être difficile de l'en faire jaillir au besoin.

Au procès verbal était jointe la substance des instructions que les quatre cours devaient envoyer à leurs représentants à Madrid. Le duc de Wellington était resté étranger à l'adoption du procès verbal. Quand, le 20, on présenta cet acte à sa signature, il répondit par une note, où le gouvernement anglais, déclarant que les résolutions du congrès étaient incompatibles avec les principes de l'Angleterre en ce qui touche les affaires intérieures des autres pays, et plus propres à compromettre qu'à assurer la sécurité des personnes que l'on voulait protéger. Il refusait donc son concours aux puissances alliées et s'abstiendrait, auprès de l'Espagne, de toute démarche pouvant le rendre solidaire de ce qui s'était fait à Vé

rone.

M. de Montmorency trouva très-violentes les notes préparées pour les ministres des trois cours à Madrid. On lui répondit qu'on avait voulu les faire telles, que chaque cour les adresserait à son ministre à Paris, que si le roi de France en voulait envoyer une semblable. à son représentant, l'envoi des autres serait retardé jusqu'à ce que celles de la France fussent prêtes. Dans le cas contraire, celles-ci seraient expédiées sur-le-champ et les trois ministres quitteraient immédiatement Madrid.

Il avait fallu adopter cette transmission par Paris parce que M. de Montmorency, n'ayant pas son souverain près de lui à Vérone, n'avait pu adhérer au procès verbal du 19 que sous réserve de l'approbation de Louis XVIII.

M. de Montmorency envoya ces nouvelles à M. de Vilièle et partit pour Paris le 22.

Le congrès résolut la question italienne selon les désirs de la France, écarta celle des colonies espagnoles d'Amérique, laissa celle de Grèce pendante et se sépara après avoir fulminé un manifeste contre toutes les révolutions passées, présentes et futures (13 décembre).

A Paris, M. de Montmorency fut très-bien accueilli du roi, qui en échange de son titre de vicomte lui conféra celui de duc, mais qui ne lui dit rien des affaires de Vérone. M. de Villèle laissa voir combien il regrettait la façon dont le ministre des affaires étrangères avait rempli sa mission. La conséquence de sa conduite, c'est que la France avait l'apparence d'avoir provoqué les mesures de rigueur contre l'Espagne, d'être l'instrument des cours d'Autriche, de Prusse et de Russie; que la guerre immédiate était rendue à peu près inévitable et qu'en outre la France pouvait, contre son gré, y être entraînée par les autres gouvernements. Le duc de Montmorency était un fort honnête homme, un parfait chrétien, mais un diplomate des plus inhabiles.

SII. GUERRE D'ESPAGNE. Si M. de Montmorency n'avait pas été un fidèle exécuteur des instructions du président du conseil, l avait agi selon les passions des royalistes; aussi, les trouva-t-il d'autant plus empressés pour lui qu'ils étaient dans la joie inespérée d'un triomphe éclatant. Les élections avaient eu lieu en novembre; les libéraux y avaient fait des pertes considérables et les royalistes avaient vu s'accroître leur nombre. Le langage de leurs journaux était plus belliqueux, plus injurieux que jamais, tandis que la presse libérale était accablée de procès, c'est-à-dire de condamnations.

Lorsque, dans un conseil tenu chez le roi, on examina les documents que, le duc avait rapportés de Vérone, le procès-verbal du 19 novembre fut accepté sans difficulté. Mais, à l'égard des notes à envoyer au gouvernement espagnol, M. de Villèle, sans les discuter au fond, fit remarquer qu'elles arriveraient mal à propos au lendemain d'un grand succès remporté par les troupes constitutionnelles. Les bandes dites armée de la foi avaient subi une déroute complète,

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