Page images
PDF
EPUB

La publicité fut établie pour les séances de la Chambre élective, avec cette réserve que cinq membres pouvaient réclamer et obtenir le comité secret. C'était une précaution inspirée par le souvenir de la pression exercée plusieurs fois par les tribunes publiques sur les assemblées de la Révolution. Une autre réminiscence du même temps porta M. de Sémonville à proposer qu'aucune pétition ne pût être présentée par les signataires en personne ; il rappela, à ce propos, l'invasion de la Convention nationale par les pétitionnaires du 2 prairial. Malgré ce souvenir, tout personnel, Boissy d'Anglas combattit la proposition, qui fut, néanmoins, adoptée.

Puisque l'initiative des lois était réservée au roi seul, il n'eût pas été logique de permettre aux députés de les altérer par voie d'amendement. Aussi, malgré l'opposition de plusieurs membres et de M. Beugnot lui-même, fut-il décidé qu'aucun amendement ne pourrait être discuté sans avoir été accepté ou, tout au moins, consenti par le roi.

Ce furent là, non pas toutes mais les principales questions débattues, et assez brièvement, dans les quatre premières séances de la commission. Il eût fallu plusieurs séances encore pour achever convenablement l'examen du projet apporté par M. de Montesquiou, de façon que l'acte constitutionnel pût être lu le jour de l'ouverture des Chambres.

Cette solennité avait été, par ordonnance royale, fixée au 4 juin, et l'on était au 26 mai. M. Beugnot désirait et espérait une prorogation de quatre jours. Mais, ce même jour, 26, le chancelier Dambray signifia à la commission qu'il fallait que tout fût terminé le lendemain 27.

C'était un ordre donné par l'empereur Alexandre, qui, voulant, ainsi que le roi de Prusse, partir aussitôt après la signature du traité de paix, exigeait que le travail constitutionnel fût fini avant son départ.

La commission hâta donc la conclusion de sa tâche et la compléta dans la séance du 27.

Il restait à régler deux points qui n'étaient pas du ressort de la commission.

Le premier était de savoir comment on appellerait le document constitutif. M. Dambray, partisan des vieilles formules, proposait Ordonnance de réformation. On lui démontra que, même suivant l'ancien droit monarchique, le mot n'était pas applicable au cas présent. M. Ferrand voulait dire Acte constitutionnel, M. Beugnot

objecta que le mot constitution impliquait le concours des représentants du peuple et qu'il s'agissait ici d'un acte émanant de la volonté seule du roi; remontant dans le passé, plus loin encore que M. Dambray, il proposa le nom de Charte, qui fut adopté par le

roi.

L'autre point était relatif à la date que devait recevoir la Charte. Si Louis XVIII était rappelé au trône par la nation, son règne venait seulement de commencer. S'il succédait héréditairement, en vertu de l'ancien droit royal, à Louis XVII, successeur lui-même de Louis XVI, le règne actuel en était à sa dix-neuvième année. Mais, pouvait-on ainsi considérer comme non avenu tout ce qui s'était passé en France, de 1792 à 1814?

Ces discussions avaient lieu dans le cabinet même et en présence du roi. Louis XVIII ne fit pas connaître sa résolution sur le second point débattu.

L'empereur de Russie quitta Paris le 2 juin; le roi de Prusse partit le 3. Les autres princes ou chefs militaires les avaient précédés. Louis XVIII était donc libre de la présence des étrangers dans sa capitale lorsqu'il ouvrit, le 4 juin, la session des Chambres législatives.

§ XI. OUVERTURE DES CHAMBREs. D'après un ancien usage monarchique, des lettres closes avaient été envoyées aux députés et aux anciens sénateurs qui devaient assister à la séance royale, dans la salle du Corps législatif, au palais Bourbon, où un trône avait été disposé pour cette cérémonie.

Louis XVIII entra, entouré des princes de sa famille, sauf le comte d'Artois, malade à Saint-Cloud; il fut accueilli par les acclamations usitées en pareil cas et en pareil lieu, s'assit sur le trône, et, d'une voix assurée, lut le discours suivant :

« Messieurs, lorsque, pour la première fois, je viens dans cette enceinte m'environner des grands corps de l'État, des représentants d'une nation qui ne cesse de me prodiguer les plus touchantes marques de son amour, je me félicite d'être devenu le dispensateur des bienfaits que la divine Providence daigne accorder à mon peuple.

« J'ai fait avec la Russie, l'Autriche, l'Angleterre et la Prusse une paix dans laquelle sont compris leurs alliés, c'est-à-dire tous les princes de la chrétienté. La guerre était universelle, la réconciliation l'est pareillement.

« Le rang que la France a toujours occupé parmi les nations n'a

été transféré à aucune autre et lui demeure sans partage. Tout ce que les autres États acquièrent de sécurité accroît également la sienne, et, par conséquent, ajoute à sa puissance véritable. Ce qu'elle ne conserve pas de ses conquêtes ne doit donc pas être regardé comme retranché de sa force réelle.

« La gloire des armées françaises n'a reçu aucune atteinte. Les monurnents de leur valeur subsistent et les chefs-d'œuvre des arts nous appartiennent désormais par des droits plus stables et plus sacrés que ceux de la victoire.

« Les routes du commerce, si longtemps fermées, vont être libres. Le marché de la France ne sera plus seul ouvert aux productions de son sol et de son industrie; celles dont l'habitude lui a fait un besoin, ou qui sont nécessaires aux arts qu'elle exerce, lui seront fournies par les possessions qu'elle recouvre. Elle ne sera plus réduite à s'en priver ou à ne les obtenir qu'à des conditions ruineuses. Nos manufactures vont refleurir, nos villes maritimes vont renaître et tout nous promet qu'un long calme au dehors et une félicité durable au dedans seront les heureux fruits de la paix.

« Un souvenir douloureux vient toutefois troubler ma joie. J'étais né, je me flattais de rester toute ma vie le sujet du meilleur des rois et j'occupe aujourd'hui sa place! Mais, du moins, il n'est pas mort tout entier, il revit dans ce testament qu'il destinait à l'instruction de l'auguste et malheureux enfant auquel je devais succéder. C'est les yeux fixés sur cet immortel ouvrage, c'est pénétré des sentiments qui le dictèrent, c'est guidé par l'expérience et secondé par les conseils de plusieurs d'entre vous que j'ai rédigé la Charte constitutionnelle dont vous allez entendre la lecture et qui assoit sur des bases solides la prospérité de l'État.

« Mon chancelier va vous faire connaître avec plus de détails mes intentions particulières. >>

Ce discours méritait et obtint un succès que M. Dambray amoindrit maladroitement dans une sorte de commentaire où il reprit le mot Ordonnance de réformation, et disait que les deux Assemblées n'avaient que des pouvoirs expirés et incertains, et où il injuriait læ Révolution.

Après lui, M. Ferrand donna lecture de la Charte, dont voici le texte :

Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre,

A tous ceux qui ces présentes verront, salut.

La divine Providence, en nous rappelant dans nos États après une longue absence, nous a imposé de grandes obligations. La paix était le premier besoin de nos sujets nous nous en sommes occupé sans relâche; et cette paix, si nécessaire à la France comme au reste de l'Europe, est signée. Une Charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume; nous l'avons promise, et nous la publions. Nous avons considéré que, bien que l'autorité tout entière résidât en France dans la personne du Roi, nos prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier l'exercice, suivant la différence des temps; que c'est ainsi que les communes ont dû leur affranchissement à Louis le Gros, la confirmation et l'extension de leurs droits à saint Louis et à Philippe le Bel; que l'ordre judiciaire a été établi et développé par les lois de Louis XI, de Henri II et de Charles IX; enfin que Louis XIV a réglé presque toutes les parties de l'administration publique par différentes ordonnances dont rien encore n'avait surpassé la sagesse.

Nous avons dû, à l'exemple des rois nos prédécesseurs, apprécier les effets des progrès toujours croissants des lumières, les rapports nouveaux que ces progrès ont introduits dans la société, la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, et les graves altérations qui en sont résultées : nous avons reconnu que le vœu de nos sujets pour une Charte constitutionnelle était l'expression d'un besoin réel; mais en cédant à ce vou, nous avons pris toutes les précautions pour que cette Charte fût digne de nous et du peuple auquel nous sommes fier de commander. Des hommes sages, pris dans les premiers corps de l'État, se sont réunis à des commissaires de notre conseil pour travailler à cet important ouvrage.

En même temps que nous reconnaissions qu'une Constitution libre et monarchique devait remplir l'attente de l'Europe éclairée, nous avons dû nous souvenir aussi que notre premier devoir envers nos peuples était de conserver, pour leur propre intérêt, les droits et les prérogatives de notre couronne. Nous avons espéré qu'instruits par l'expérience, ils seraient convaincus que l'autorité suprême peut seule donner aux institutions qu'elle établit la force, la permanence et la majesté dont elle est elle-même revêtue; qu'ainsi, lorsque la sagesse des rois s'accorde librement avec le vœu des peuples, une Charte constitutionnelle peut être de longue durée; mais que, quand la violence arrache des concessions à la faiblesse du gouvernement, la liberté publique n'est pas moins en danger que le trône même. Nous avons cherché les principes de la Charte constitutionnelle dans le caractère français et dans les monuments vénérables des siècles passés. Ainsi nous avons vu dans le renouvellement de la pairie une institution vraiment nationale, et qui doit lier tous les souvenirs à toutes les espérances en réunissant les temps anciens et les temps modernes.

Nous avons remplacé par la Chambre des députés ces anciennes assemblées des champs de Mars et de Mai, et ces Chambres du tiers état,

qui ont si souvent donné tout à la fois des preuves de zèle pour les intérêts du peuple, de fidélité et de respect pour l'autorité des rois. En cherchant ainsi à renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts avaient interrompue, nous avons effacé de notre souvenir, comme nous voudrions qu'on pût les effacer de l'Histoire, tous les maux qui ont affligé la patrie durant notre absence. Heureux de nous retrouver au sein de la grande famille, nous n'avons su répondre à l'amour dont nous recevons tant de témoignages qu'en prononçant des paroles de paix et de consolation. Le vou le plus cher à notre cœur, c'est que tous les Français vivent en frères, et que jamais aucun souvenir amer ne trouble la sécurité qui doit suivre l'acte solennel que nous leur accordons aujourd'hui.

Sûr de nos intentions, fort de notre conscience, nous nous engageons, devant l'assemblée qui nous écoute, à être fidèle à cette Charte constitutionnelle; nous réservant d'en jurer le maintien, avec une nouvelle solennité, devant les autels de celui qui pèse dans la même balance les rois et les nations.

A CES CAUSES,

NOUS AVONS Volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, ACCORDÉ ET ACCORDONS, FAIT CONCESSION ET OCTROI à nos sujets, tant pour nous que pour nos successeurs, et à toujours, de la Charte constitutionnelle qui suit :

Droit public des Français.

ART. 1. Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.

2. Ils contribuent indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l'Etat.

3. Ils sont tous également admissibles aux emplois civils et militaires.

4. Leur liberté individuelle est également garantie, personne ne pou→ vant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit1.

5. Chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection.

6. Cependant la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de l'État 2.

7. Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent seuls des traitements du trésor royal.

8. Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs

Lois sur la liberté individuelle.

12 fév. 1817.-26 mars 1820.

* Loi sur les donations et legs aux établissements ecclésiastiques. — 2 janv.

1817.

« PreviousContinue »