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petite troupe de réfugiés français qui agitaient le drapeau aux trois couleurs. Quelques-uns furent atteints par la mitraille, le reste s'éloigna sans avoir fait d'autre démonstration hostile.

Une proclamation, signée du duc d'Angoulême, fut adressée aux populations espagnoles pour leur annoncer que l'armée française venait non pas attenter à leur indépendance, mais délivrer le peuple et le roi, et que le territoire occupé par les troupes françaises serait administré par les autorités espagnoles. Afin d'appuyer d'une preuve cette dernière assertion, le duc composa une junte ou régence provisoire qui devait accompagner l'armée et représenter l'autorité royale.

Le 24 mai, le prince français entra à Madrid; il y fut accueilli aux cris de: « Vive le roi absolu (rey netto)! Meure la constitution! Meurent les negros (constitutionnels)! » et, joignant les actes aux paroles, la populace madrilène se mit à égorger les constitutionnels, à piller et dévaster leurs habitations. Il fallut que le duc employât la force pour réprimer ces manifestations d'enthousiasme légiti– miste.

Les mêmes scènes se renouvellent dans toutes les villes où entrent les Français et dans celles qui se soumettent aux autorités royales. Pour mettre fin à ces carnages, le duc d'Angoulême signe à Andujar (8 août) une ordonnance destinée à placer l'autorité entre les mains des commandants français, avec ordre à ceux-ci de rendre la liberté à tous les détenus politiques.

Cette mesure souleva des réclamations de la régence, qu'appuyėrent les ministres étrangers, revenus à Madrid. Sur des injonctions venues de Paris, le duc d'Angoulême fut obligé d'atténuer la portée de son ordonnance; dès lors, les arrestations, les exécutions, les assassinats, les pillages eurent libre carrière : l'ordre régna.

Le prince français connaissait la lâcheté, la mauvaise foi de Ferdinand. «Il me fera, écrivait-il en France, toutes les promesses que je voudrai, et n'en tiendra aucune. » Aussi le duc insistait constamment pour qu'une constitution, une amnistie, des garanties fussent imposées d'autorité, sous la sauvegarde de la France. Mais, plus l'armée pénétrait en Espagne, plus à Paris on se détachait des vues qui avaient présidé à l'expédition, plus on inclinait vers le rétablissement pur et simple de l'absolutisme. Le duc d'Angoulême, qui voyait et prévoyait où menait cette façon d'agir, se dégoûtait de plus en plus de la tâche qu'il accomplissait et ne demandait qu'à rentrer en France. Quand son gouvernement eut accrédité un di

plomate à Madrid, le duc lui laissa toute l'action politique et ne s'occupa plus qu'à achever l'œuvre militaire.

Les Cortès avaient emmené le roi de Madrid à Séville, puis de Séville à Cadix. Le duc d'Angoulême marcha sur cette ville. Deux généraux constitutionnels, Morillo et Ballesteros, capitulèrent sans grande résistance. Mina, inférieur en nombre, dut se retirer devant les Français. La prise du Trocadéro, position en avant de Cadix, fut la seule affaire sérieuse de la campagne. Le 1er octobre, les Cortés mirent Ferdinand en liberté. Cadix capitula quelques jours plus tard. Le duc d'Angoulême revint en France et, le 2 décembre, fit une entrée triomphale à Paris, en passant sous l'arc de l'Étoile, qu'une ordonnance royale venait de consacrer à l'armée d'Espagne et que, pour la circonstance, on avait achevé en toile peinte. La foule, encore avide de spectacles militaires, était venue, compacte et pressée, à cette cérémonie, malgré une pluie battante.

Le duc d'Angoulême, très-effacé à Paris, n'eut pas à faire preuve, en Espagne, de talents militaires, dont probablement il n'était pas doué; mais il y montra une grande modération, des intentions libérales qu'il ne fut pas toujours maître de réaliser; il vit bien la situation du pays, lui prédit de longues années de déchirement, et ne se fit, ne fit à personne illusion sur les atrocités qui suivraient le rétablissement du régime absolu. Dès le 27 novembre, Riègo, arrêté par ses compatriotes et que le duc ne put réclamer comme prisonnier de guerre, fut amené à Madrid, condamné à mort, traîné sur une claie tirée par un âne jusqu'au lieu du supplice, et mis à mort en présence du roi, mais aussi sous les yeux des troupes françaises.

Un corps de 54,000 hommes fut laissé en Espagne pour veiller à la sûreté de Ferdinand VII, mais sans avoir mission de faire obstacle à la terreur royaliste.

Ce n'était pas là le résultat que M. de Villèle avait eu en vue, ni celui qu'il aurait vraisemblablement obtenu, s'il avait eu sa pleine liberté d'allures. Mais il lui fallait lutter sans trêve contre les exigences des royalistes outrés qu'encourageait le succès de l'expédition d'Espagne, contre l'influence, occulte d'abord, puis publiquement affichée de madame du Cayla, contre les intrigues de Chateaubriand qui, de plus en plus, se séparait de lui. Les événements donnaient de cruels démentis à ses discours, confirmaient les prophéties de l'opposition et semblaient démontrer qu'en Espagne la France n'avait été que l'exécutrice des ordres de la Sainte-Al

liance. M. de Villèle n'avait pas voulu la guerre, il avait été prêt, pour l'éviter, à donner sa démission, et, quand elle eut été rendue inévitable, il resta au pouvoir. N'eût-il pas été plus digne de lui d'en descendre?

Menacé de tous côtés, M. de Villèle avisa à consolider sa situation. Une fournée de vingt-cinq pairs lui assura la majorité au Luxembourg. Puis, revenant à un projet déjà mis en question, celui d'assigner une durée de sept ans à la législature, sans renouvellement partiel, il résolut, pour y réussir, de profiter de l'enthousiasme causé par les succès d'Espagne pour convoquer les électeurs. La Chambre fut dissoute le 24 décembre.

Depuis l'émotion causée par l'expulsion de Manuel, la guerre d'Espagne avait été la grande préoccupation publique. Après les espérances des uns, les craintes des autres, au début même de l'expédition, il y avait eu une inquiétude générale, causée par les souvenirs de la guerre de 1808; on s'attendait à une résistance que rendait facile la nature même du pays envahi. On ne savait pas que, tandis que Napoléon avait eu contre lui toute la population rurale et montagnarde, fanatisée par le clergé, le duc d'Angoulême allait trouver pour auxiliaire cette même population, poussée vers lui par le même clergé auquel il venait de rendre le pouvoir. L'armée régulière d'Espagne, mal organisée, indisciplinée, conduite par des généraux presque tous enclins à la défection, ne sentant pas derrière elle un pouvoir énergique comme celui qui soulevait la France de 1792, n'était pas en état de résister à l'armée française. Elle fit cependant honorablement son devoir quand elle ne fut pas trahie. Le duc d'Angoulême ne se fit pas illusion sur les causes de la facilité de sa victoire; il les signala lui-même et reconnut que tout ce qu'il y avait d'intelligent en Espagne exécrait Ferdinand et l'absolutisme.

Ces causes échappèrent à la masse du public et le succès donna à la Restauration quelque chose de ce prestige militaire, toujours si puissant en France, et lui rallia bien des esprits indécis ou timides.

§ IV. GUERRE A LA PRESSE. A la campagne extérieure correspondait une campagne intérieure contre la presse libérale. On essayait les lois nouvelles et l'on suspendait ou supprimait des journaux. On employait aussi un autre moyen, moins bruyant; il s'était fondé une agence semi-officielle qui achetait les journaux dont la position était difficile; puis on les transformait ou bien on les

faisait disparaître. Tel fut le sort des Tablettes universelles, où s'étaient groupés un certain nombre d'écrivains libéraux, entre autres Rémusat, Thiers, Mignet, etc.

L'année 1823 était donc mauvaise pour la liberté dans toute l'Europe; pendant la guerre d'Espagne, le roi de Portugal avait renversé la constitution de 1812, introduite chez lui; il n'avait cependant pas rétabli l'absolutisme. Sur un seul point, à l'autre extrémité de l'Europe, dans la petite péninsule qui gardait le nom glorieux de Grèce, la liberté luttait victorieusement, avec un héroïsme digne du temps des guerres médiques. Malheureusement, des rivalités de personnes, des divisions intérieures compromettaient le succès. Marcos Botzaris renouvelait, à Missolonghi, le dévouement de Léonidas et mourait comme lui. Un grand poëte d'Angleterre, lord Byron, donnait à la Grèce renaissante, outre l'appui de sa voix, ce qui lui restait de fortune et allait combattre et mourir pour elle.

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SV. LETTRES, ARTS, SCIENCES. Un écrivain français, M. Amédée Pichot, au retour d'un voyage en Angleterre et en Écosse, révélait à la France ce grand poëte qu'elle ne connaissait pas encore, ce lord Byron, dont le sombre génie devait exercer une si puissante influence sur la littérature française.

Jamais peut-être l'éloquence ne brilla d'un plus vif éclat dans nos Assemblées parlementaires, où siégeaient les Royer-Collard, les Serre, les Manuel, les Broglie, les Foy, les Benjamin Constant, les Casimir Périer, les Chauvelin, etc., tous supérieurs en des genres différents. La politique, transportée devant les tribunaux, élevait l'éloquence du barreau et formait une pléiade d'orateurs qui devaient aborder, un jour, les tribunes législatives.

Les Augustin Thierry, les Guizot, les Barante commençaient ou continuaient les travaux de rénovation historique qui ont été l'honneur de ce temps.

M. Thiers faisait paraître le premier volume de l'Histoire de la Révolution française.

Victor Hugo publiait son premier roman, Han d'Islande.

En peinture, des voies nouvelles étaient tentées par Eugène Delacroix, Ary Scheffer, Paul Delaroche. Le premier, qui avait donné, l'année précédente, le tableau de Dante et Virgile, dont l'impres sion fut si grande, la continuait par le Massacre de Chio, épisode de l'insurrection grecque. Sous l'empire des mêmes préoccupations,

le second rappelait un fait antérieur d'héroïsme dans les Femmes souliotes.

Le capitaine de vaisseau Duperrey rentrait en France après un voyage de 25,000 lieues, ayant duré 51 mois, pendant lesquels il n'avait pas perdu un seul homme et d'où il rapportait de précieux travaux d'hydrographie et de nombreuses observations astronomiques.

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§ I. ÉLECTIONS DE 1824. L'année 1823 avait mal tourné pour la liberté ; l'année 1824 s'ouvrit sous de non moins tristes auspices. Les électeurs étaient convoqués pour le 25 février. On savait que le gouvernement devait présenter une loi pour étendre de cinq à sept années la durée des législatures, et que la chambre nouvelle profiterait de ce changement. Le ministère était résolu à employer tous les moyens possibles pour obtenir une majorité décisive; il ne faillit pas à ce dessein. Les rôles des contributions de 1824, devant servir à établir le droit électoral, n'étaient publiés qu'en janvier ou février, ce qui donnait toute latitude aux préfets pour inscrire ou rayer les électeurs et traîner les réclamations jusqu'au délà du jour du scrutin. Toutes les manœuvres habituelles furent mises en jeu ; l'exploitation des fonctionnaires fut entreprise avec plus d'audace que jamais. Des circulaires ministérielles, adressées à tous les chefs de services départementaux, signifièrent à tous les citoyens placés dans la dépendance directe ou indirecte du pouvoir qu'ils avaient à choisir entre perdre leur emploi et voter non pas seulement pour un candidat soutenant le gouvernement, mais pour le candidat désigné par celui-ci. L'insoumission à cet ordre était érigée en acte de forfaiture. Tous les chefs d'administration transmirent ces injonctions à leurs subordonnés et s'apprêtèrent à les faire rigoureusement exécuter. Ni la magistrature la plus élevée, ni l'épiscopat, ne se refusèrent à cet asservissement des consciences.

Les électeurs que n'atteignaient pas directement les menaces

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