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CHAPITRE II

Influence cléricale. Extérieur Haïti, Espagne,
Mort de Foy. - Procès de presse.

Grèce. Manifestations libérales.

Mort d'Alexandre. - Lettres.

§ I. SACRE DE CHARLES X. La cérémonie était fixée au 29 mai. On en faisait depuis cinq mois les préparatifs pour lesquels six millions avaient été ajoutés à la liste civile.

Aucune solennité de ce genre n'avait eu lieu depuis 1775, date du sacre de Louis XVI. Napoléon avait célébré son couronnement comme empereur; mais c'était une tout autre cérémonie, qui avait eu lieu à Paris, non à Reims. Louis XVIII avait eu l'intention de se faire sacrer; sa santé ne lui permit pas d'exécuter ce projet. Charles X n'avait pas les mêmes motifs d'y renoncer; il y tenait, au contraire, beaucoup, et l'avait annoncé dès l'ouverture des Chambres.

La vieille cathédrale de Reims, œuvre du treizième siècle (et qui, par conséquent, n'est pas l'église où fut baptisé Clovis) fut, à cette occasion, décorée comme elle l'avait été pour le sacre de Louis XIII, de Louis XIV, de Louis XV; le portail fut masqué par un porche en charpente et l'on en fit disparaître des statues du moyen âge pour y substituer des simulacres de statues d'un style plus moderne. On agit de même à l'intérieur.

Quant au cérémonial, ce fut celui de l'ancienne monarchie, amendé en quelques détails pour se conformer au régime constitutionnel.

La Sainte-Ampoule, que la tradition prétend avoir été apportée du ciel par une colombe pour le baptême de Clovis, était contenue dans une fiole que Ruhl, membre de la Convention, brisa publiquement en 1793. On raconte que les deux personnes chargées de porter la fiole à Ruhl purent, dans le trajet, détacher des parcelles du baume céleste qu'elles conservèrent et remirent plus tard à l'autorité ecclésiastique.

Si ce récit est exact, Charles X fut sacré avec la même substance qui avait servi aux sacres de ses nombreux prédécesseurs.

Le lendemain, 30 mai, le roi tint, dans la cathédrale, un chapitre de l'ordre du Saint-Esprit, fondé par Henri III et procéda à la réception de trente-huit chevaliers.

Conformément à la promesse du discours du trône, Charles X avait fait, aux pieds des autels, le serment de maintenir et d'observer la Charte. Conformément aussi à une coutume superstitieuse du moyen âge, on le conduisit à l'hôpital Saint-Marcoul, où il toucha 121 individus atteints d'écrouelles.

Toutes ces cérémonies, empreintes de l'esprit du passé, ces formules surannées qui ne répondaient plus à rien, ces vêtements, ces usages empruntés à des siècles oubliés, excitaient moins le respect que la raillerie. Si le sacre inspira à des poëtes royalistes des strophes harmonieuses, lues et relues dans les salons aristocratiques, le poëte populaire Béranger le chansonna dans des couplets ironiques, répétés dans les salons libéraux, dans les magasins, les cafés et les ateliers. La grande majorité de la nation ne voyait pas sans déplaisir le chef suprême du pouvoir politique et civil se prosterner humblement devant le représentant du pouvoir religieux et recevoir de ses mains la couronne royale.

§ II. INFLUENCE CLERICALE. Le cléricalisme, ou, comme disait alors, le parti prêtre, tira du sacre un encouragement à ses prétentions, au développement de son influence et de ses pratiques. Les cérémonies extérieures, missions, processions, plantations de croix, associations, confréries, ne lui suffisaient plus. Il envahissait la vie privée des citoyens, troublait le foyer domestique, détournait des jeunes filles de la maison paternelle pour les attirer dans des couvents d'où il ne les laissait plus sortir, arrachait des enfants à la religion des parents et les entraînait dans des établissements monastiques. Le prosélytisme pouvait avoir la part principale dans tous ses actes, mais la cupidité s'y mêlait assurément, et, quand il s'agissait de disparition de jeunes filles, la clameur publique supposait des motifs plus coupables encore.

Les refus de prières funéraires, les refus, illégaux cette fois, de sépulture en terre chrétienne se renouvelaient sur tous les points, atteignant des gens dont la vie avait été parfaitement honorable, et irritaient profondément des foules qui voyaient un outrage là où il n'y avait que l'application, maladroite peut-être, mais stricte de la loi ecclésiastique. L'Église catholique, persuadée qu'elle tient en dépôt la Vérité absolue, à elle révélée par Dieu lui-même, n'a pas le droit de faire fléchir la volonté divine et a le droit d'être intolérante vis-à-vis de ceux qui ne se conforment pas à ses préceptes. On ne le comprenait pas alors; on ne le comprend pas encore assez aujourd'hui.

Sous l'influence cléricale, la police ne se bornait pas à interdire aux libraires et aux marchands l'étalage, l'exhibition des œuvres et des portraits d'écrivains qui déplaisaient au clergé, comme Voltaire et Rousseau. Les agents pénétraient dans les boutiques, recherchaient, saisissaient les ouvrages condamnés par la censure ecclésiastique ou, tout au moins, en défendaient la vente et la communication. Dans beaucoup de villes, l'autorité interdisait la représentation de Tartufe, et il en résultait parfois, comme cela arriva à Rouen, des troubles qui persistaient plusieurs jours. Il est vrai qu'à Rouen le public faisait de la pièce de Molière une protestation contre un mandement du cardinal prince de Croï, archevêque de cette ville, enjoignant à tous les curés du diocèse d'afficher aux portes des églises les noms de ceux de leurs paroissiens qui n'accomplissaient pas leurs devoirs religieux, et les noms des concubinaires; il désignait ainsi les personnes ayant contracté le mariage civil sans accompagnement de cérémonie religieuse. L'archevêque dut donner de son mandement une interprétation qui équivalait à un désaveu.

« Il n'y a plus de Dominique », avait dit Royer-Collard en combattant la loi du sacrilége. L'illustre orateur se trompait : la France de 1825 avait un Dominique qui aurait, s'il l'avait pu, relevé l'inquisition, qui avait tout le fanatisme, toute la fougue, toute l'implacabilité du fondateur des Jacobins, et qui pouvait mettre au service de sa passion religieuse un talent supérieur d'écrivain: c'était l'abbé de Lamennais, déjà célèbre par son livre de l'Indifférence en matière de religion, ce même abbé, alors orthodoxe inflexible, qui devait, longtemps après, mourir hors du sein de l'Église. Il publiait, en ce moment, une brochure où, jetant l'a- ' nathème à toutes les institutions existant en France, montrait la société « envahie par le matérialisme le plus abject, » dans le gouvernement représentatif « un triste assemblage de toutes les conceptions possibles, » dans la législation « un mélange hideux d'impiété et d'anarchie; » reprochait au gouvernement royal d'être « hypocrite dans son langage, athée, dans ses actes, » à la majorité de mettre ses actes en contradiction avec ses paroles, qualifiait de lois athées et les lois sur les communautés religieuses et le sacrilége, et, pour caractériser l'état de la France, ne laissait le choix qu'entre la démence ou le crime.

Aux yeux de Lamennais, il fallait, pour tirer la France de l'abime, ou que l'État redevînt chrétien ou qu'il abolit le christia

nisme. Or, pour redevenir chrétien, l'État devait ne tolérer, et surtout ne payer aucun autre culte que le catholicisme, mettre l'Église au sommet des institutions, le clergé au sommet des autorités, rendre à l'Église les actes de l'état civil et lui remettre l'absolue direction de l'enseignement. Si l'on faisait observer que c'était là subordonner le temporel au spírituel, Lamennais répondait hautement qu'entre le temporel et le spirituel il y avait la distance de la terre au ciel et que la théocratie était préférable à la démocratie.

Dans sa correspondance de cette époque, publiée depuis, Lamennais est plus violent encore contre les hommes et contre les choses. Or, les amis à qui il adressait ses lettres les communiquaient volontiers, car cet écrivain était alors une autorité dans le monde religieux. Sa brochure n'était donc en disparate avec ce monde que par la forme. On lui donnait raison, tout en convenant que «c'était un peu fort. » Le Mémorial catholique, journal fort en crédit, remerciait Lamennais d'avoir dit tout haut ce que les « honnêtes gens » pensaient tout bas et d'avoir fait de la société un tableau exact; puis, il ajoutait : « Quand on voit l'avenir qui s'avance à grands pas, le cœur frémit, l'esprit se trouble, et l'homme épouvanté demande à Dieu en punition de quel crime il est condamné à assister, dans cette vie, aux triomphes et aux joies de l'enfer. >>

Comment s'étonner de l'énergique résistance de l'esprit moderne contre de telles attaques, de telles prétentions: jusqu'où donc voulait-on le faire reculer?

C'est dans ces dispositions que Charles X, revenant de Reims, trouva la population parisienne. L'affluence était grande sur son passage, mais grand aussi était le silence de la foule. Le roi en fut frappé et attristé. Adonné depuis longtemps à la dévotion, vivant dans un entourage exclusivement clérical, n'ayant jamais été en communication directe avec la nation qu'il était appelé à gouverner, il croyait naïvement que son peuple ne devait avoir plus rien à désirer parce qu'il avait reçu l'onction sainte et fait grâce à peu près à tout ce qui restait d'exilés ou de condamnés politiques.

Le 7 juin, la session des Chambres avait été déclarée close.

C'est pendant les mois de juin et de juillet que devait s'opérer la conversion des rentes votée par les deux assemblées législatives. Le résultat, sans répondre aux espérances primitives du gouverne

ment, fut moins défavorable que M. de Villèle ne l'avait craint dans les dernières semaines.

§ III. EXTÉRIEUR HAÏTI, ESPAGNE, GRÈCE. Le gouvernement eut, presque en même temps, une compensation. Le 11 août, une dépêche télégraphique annonça que le capitaine de vaisseau de Mackau était arrivé de Saint-Domingue à Brest, rapportant, avec l'acceptation du gouvernement haïtien, une ordonnance royale, datée du 17 avril, qui reconnaissait la pleine et complète indépendance de l'ancienne colonie française. La presse royaliste se montra satisfaite de la forme du document officiel; ce n'était pas, selon elle, le roi qui traitait avec des rebelles, c'était le roi qui, dans sa toute-puissance, voulait bien concéder certains droits. On pouvait se donner ce plaisir; mais, quant au fond, on ne pouvait pas ne pas y voir une consécration de la révolte, de la spoliation, de la république, enfin, une provocation au soulèvement des autres colonies, au massacre universel des blancs. Ce fut, au contraire, la forme que blâma et le fond qu'approuva l'opposition libérale, voyant dans l'ordonnance du 17 avril un progrès de la civilisation. La France avait fait de grands, de trop grands efforts pour retenir sa colonie; elle ne lui donna pas, elle en reconnut l'indépendance en 1825 ce n'est pas sa faute si les espérances que l'on eut alors ne se sont pas encore réalisées. Cet acte fut désapprouvé par les cabinets européens, sauf par l'Angleterre; le roi de Prusse, qui se trouvait à Paris, en témoigna son regret à M. de Villèle. Ce monarque et ses collègues en jugeaient un peu légèrement eussent-ils reconquis Saint-Domingue?

Si, de ce côté, le ministère faisait de sage politique, il en faisait de mauvaise en s'abstenant tout à fait dans les affaires d'Espagne. La plus effroyable anarchie régnait dans ce malheureux pays, livré à un roi qui ne respectait rien et ne savait rien faire respecter. C'était, à chaque instant, des scènes de révolte et de violences, réprimées par des effusions de sang que la justice ne commandait pas toujours. Une espèce d'aventurier, qui avait essayé un pronunciamento, était mis à mort, ce qui pouvait être mérité, mais, par compensation, on menait au supplice Martin l'Empecinado, un des plus fermes défenseurs de la légitimité de Ferdinand, pendant la grande guerre de l'indépendance, coupable d'avoir soutenu les Cortès en 1823. Malgré cela, Ferdinand n'était pas assez énergique aux yeux des « vrais » royalistes espagnols, qui complotaient de le déposer, pour le remplacer par son frère Carlos, en rétablissant

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