Page images
PDF
EPUB

l'Inquisition, en restituant au clergé ses biens et ses priviléges, en confisquant et donnant aux royalistes les propriétés des « révolu tionnaires, » enfin, en chassant de vive force les troupes françaises d'occupation.

M. de Villèle n'osait ni rappeler les troupes pour laisser l'Espagne à ses discordes intérieures, ni les employer à rétablir le calme matériel et l'ordre moral, tâche peut-être impossible et certainement périlleuse; il laissait le drapeau de la France assister à d'horribles cruautés et à l'abaissement, pour ne pas dire au mépris, de l'influence française en Espagne.

Le président du conseil ne fut pas plus habile ou plus heureux dans l'affaire de la Grèce qui commençait à devenir une question européenne. L'empereur de Russie, d'abord fort peu enclin à secourir les Grecs, en qui il ne voyait, avec les souverains d'Autriche et de Prusse, que des sujets en rébellion, avait été forcé de céder au courant de l'opinion publique en Russie, très-favorable, par communauté de religion, à l'insurrection grecque, et il avait entamé, à Constantinople, quelques négociations. Il y était secondé par l'Angleterre, dont le peuple et le gouvernement montraient beaucoup de sympathie pour les insurgés. La Grèce avait pu faire un emprunt en Angleterre, il lui en venait de l'argent, des armes, des munitions; lord Byron lui avait donné le prestige de sa gloire et de sa vie; les Grecs espéraient que l'Angleterre ferait pour eux ce qu'elle avait fait, tout récemment, pour les républiques de l'Amérique du Sud.

En France aussi, il y avait un puissant entraînement vers l'insurrection grecque. Les souscriptions abondaient, des armes, des munitions étaient expédiées, des volontaires partaient; un des plus distingués parmi les jeunes officiers supérieurs de l'Empire, le colonel Fabvier, allait mettre au service de la Grèce son épée et son expérience. Seul, le gonvernement semblait se tenir à l'écart de ce mouvement. Il est vrai que, si dans le parti royaliste quelques-uns soutenaient les Grecs chrétiens contre les Turcs mahométans, un plus grand nombre les blâmait, comme sujets révoltés contre leur souverain légitime quatre siècles de la plus dure tyrannie constituent-ils donc une légitimité?

Cependant, en 1824, quelques chefs grecs, cherchant pour leur patrie la protection d'une puissance européenne, avaient songé à offrir le trône de Grèce, les uns au prince de Leuchtenberg, les autres à un des fils du duc d'Orléans. Des démarches avaient été faites

de ce dernier côté, puis suspendues et reprises en 1825. D'autres chefs et membres du gouvernement grec, plus confiants dans l'alliance anglaise, firent prévaloir et adopter le parti de demander à Canning le protectorat de l'Angleterre et un roi désigné par elle, notamment le prince Léopold de Saxe-Cobourg.

Le duc d'Orléans était au courant des démarches concernant sa famille; il sollicita l'appui de M. de Villèle; celui-ci répondit que le gouvernement royal ne voyait aucune raison de repousser la combinaison indiquée, mais qu'il ne croyait pas devoir s'en mêler. Une telle réponse condamnait la combinaison.

Canning, de son côté, ne voulut pas charger l'Angleterre d'une tâche qui pouvait n'être pas sans difficulté; il conseilla aux Grecs de recourir à la médiation des grandes puissances européennes, leur donnant à comprendre qu'ils pouvaient compter que l'appui de l'Angleterre leur serait acquis dans le cas où l'Autriche, la France et la Prusse se montreraient malveillantes.

Les choses étaient en cet état, lorsque l'empereur Alexandre engagea Canning à prendre la direction de la question grecque, l'Angleterre étant la seule puissance qui pût amener une solution satisfaisante. Peu après, le chef du cabinet anglais recevait de l'Autriche et de la France une déclaration analogue, et l'Angleterre se trouvait constituée l'arbitre de l'Europe pour les affaires de Grèce. C'était un beau rôle que l'indifférence ou la timidité de M. de Villèle faisait perdre à la France.

§ IV. MANIFESTATIONS LIBÉRALES, MORT DE FOY, PROCÈS DE PRESSE. - Pour compenser les échecs ou les défaillances de sa politique en affaires étrangères, le ministère Villèle n'avait donc, outre l'affaire contestée d'Haïti, que le succès des lois sur les congrégations religieuses, le sacrilége, l'indemnité et la conversion des rentes. Encore, toutes les quatre avaient-elles également mécontenté l'opinion libérale, sans satisfaire pleinement les royalistes, qui n'étaient pas plus que les libéraux contents de la dernière (la seule pourtant qui fût bonne), et trouvaient les trois autres insuffisantes et incomplètes.

Est-ce pour faire une avance aux royalistes que, le 14 août, le ministère décida de poursuivre le Constitutionnel et le Courrier français, en vertu de la loi de 1822, pour attaques à la religion de l'État? Le 20, il faisait insérer au Moniteur un réquisitoire, où M. Bellart fulminait, avec sa violence accoutumée, contre les <«< modernes iconoclastes. » Le 21, la Cour royale renvoyait l'affaire

à trois mois, premier mécompte qui en présageait un beaucoup plus grave.

L'opposition libérale avait, pour manifester publiquement ses sentiments, d'autres occasions que les représentations, toujours très-applaudies, du Tartufe et de quelques autres pièces prêtant à des allusions toujours avidement saisies. M. Casimir Périer, se rendant à Grenoble pour assister au mariage de sa nièce avec M. de Rémusat, recevait, sur sa route et à Grenoble, un accueil enthousiaste. Le général Foy, traversant Bordeaux pour aller prendre les eaux aux Pyrénées, y était l'objet de véritables ovations. Le 5 octobre, Lafayette débarquait au Havre, revenant d'un voyage véritablement triomphal en Amérique, où les plus éclatants hommages avaient été rendus à sa personne et à la France. La police avait pris des mesures pour empêcher toute démonstration au Havre, où le général ne fut pas moins accueilli très-chaleureusement. Même chose arriva à Rouen: L'emploi de la force armée pour dissiper la foule, pressée sous les fenêtres de Lafayette, ne fit que rendre plus vif et plus ardent l'empressement du public.

Paris aussi eut ses démonstrations. La première fut la plus imposante de toutes, mais triste et sombre dans sa grandeur, car la mort en était le sujet, une mort cruelle pour la patrie et non pas seulement pour une opinion politique

Dans la soirée du 28 novembre 1825, se répandit rapidement, dans tout Paris, cette triste nouvelle : « Le général Foy est mort; »> et ces simples mots, murmurés presque à voix basse, avaient plus de retentissement que l'éloquente exclamation de Bossuet. Ce fut une consternation universelle. Peu de personnes savaient que le général était depuis longtemps souffrant d'une maladie qu'entretenaient et aggravaient les travaux parlementaires et l'exercice de la parole. Les médecins l'avaient tout récemment envoyé aux eaux des Pyrénées; il en était revenu dans un état qui ne laissait plus d'espoir, et il expira le 28 novembre; il succombait, âgé de 50 ans, à une hypertrophie du cœur, convertie en anévrisme : c'est la maladie qui emporta Mirabeau.

Le 30 novembre, jour fixé pour les funérailles, une foule compacte, comme au mois d'avril 1791, emplit la rue de la Chausséed'Antin, où le général Foy demeurait, au n° 62, à l'angle de la rue de la Victoire, dans une maison démolie depuis et rebâtie.

A midi, le char funèbre se dirigea, par la rue Saint-Lazare, vers la petite église Saint-Jean, aujourd'hui détruite, située rue du Fau

bourg-Montmartre, sur le parcours de la rue actuelle de Châteaudun. Après l'office funèbre, des jeunes gens prirent le cercueil sur leurs épaules, et, relayés de distance en distance par d'autres jeunes gens des écoles, des arts, du commerce, le portèrent ainsi jusqu'au cimetière du Père-La-Chaise, par la ligne des boulevards.

Malgré la pluie glaciale, une foule immense suivait sur la chaussée, foule où se confondaient tous les rangs, toutes les conditions, marchant calme et silencieuse, tandis qu'une autre foule, immobile et non moins épaisse, couvrait les contre-allées, triste et respectueuse aussi, regardant passer les grandes funérailles que Paris savait faire alors aux défenseurs de la liberté. Toutes les fenêtres étaient garnies de spectateurs; plusieurs maisons étaient tendues de deuil, et, dans le quatrième arrondissement, dont le général avait été le député, nombre de magasins et de boutiques demeurérent fermés.

Au cimetière, où l'on n'arriva qu'à la nuit close, le cerceuil fut descendu, à la lueur des torches, dans la fosse, puis des discours furent prononcés par le duc de Choiseul, au nom de la Chambre des pairs, par le général Miollis, au nom de l'armée, par M. Méchin, au nom du département de l'Aisne, que Foy représentait, par M. Ternaux, au nom du commerce. Casimir Périer prit ensuite la parole, raconta la vie militaire et politique de l'illustre mort : « Le général Foy, dit-il, ne rapporta des triomphes de la guerre que des couronnes de laurier, des triomphes de la tribune que des couronnes civiques. Mais ses enfants appartiennent à la France, qui les adoptera. » Une immense acclamation suivit cette parole et consacra l'adoption nationale.

Dès le lendemain, en effet, les journaux libéraux ouvrirent une souscription. Laffitte s'inscrivit pour 50,000 francs, Casimir Périer pour 10,000; le duc d'Orléans donna la même somme, ce qui lui valut à la cour des reproches, auxquels il répondit que la modestie même de la somme prouvait que l'offrande venait de l'ami personnel du général, non du prince du sang. En huit jours, la souscription atteignait quatre cent mille francs; en six mois, elle dépassait un million; les offrandes allaient depuis les 50,000 francs de Laffitte jusqu'aux cinquante centimes de l'ouvrier. Sur la tombe du général s'éleva sa statue en marbre, sculptée par David (d'Angers).

Maximilien Foy n'était peut-être pas tout à fait un grand orateur,

mais il possédait une éloquence entraînante, et surtout, de tous ceux qui alors ont jeté tant d'éclat sur la tribune française, il est peut-être celui dont l'âme fut toujours, et en toutes choses, en communication la plus intime avec l'âme de la patrie. C'est là ce qui le rendit si éminemment populaire, ce qui attira plus de cent mille personnes à ses funérailles, ce qui valut à sa famille une récompense nationale, plus magnifique par le sentiment dont elle fut le témoignage que par le chiffre de la somme réalisée; c'est là ce qui fait que son nom vit encore dans nos mémoires, devenues oublieuses, et que les visiteurs du Père-La-Chaise saluent encore sa tombe avec respect.

L'autre manifestation qui eut lieu à Paris fut un triomphe.

Par suite de l'ajournement, prononcé le 20 août, les procès du Constitutionnel et celui du Courrier français devaient revenir devant la Cour royale, en novembre. Les deux affaires furent appelées le 19 novembre; après avoir entendu le ministère public et les défenseurs, (c'était Dupin, pour le Constitutionnel, et Mérilhou, pour le Courrier), la Cour remit au 3 décembre pour les répliques et rendre l'arrêt. La Cour resta trois quarts d'heure en délibération, puis le premier président Séguier prononça l'arrêt suivant :

« Considérant que, si plusieurs des articles incriminés contiennent des expressions et mème des phrases inconvenantes et répréhensibles dans des matières aussi graves, l'esprit résultant de l'ensemble desdits articles n'est pas de nature à porter atteinte au respet dû à la religion de l'État;

« Considérant que ce n'est ni manquer de respect, ni abuser de la liberté de la presse, que de discuter ou combattre l'introduction et l'établissement, dans le royaume, de toutes associations non autorisées par les lois, que de signaler soit des actes notoirement constants qui offensent la religion et même les mœurs, soit les dangers et les excès, non moins certains, d'une doctrine qui menace tout à la fois l'indépendance de la monarchie, la souveraineté du roi et les libertés publiques garanties par la Charte constitutionnelle et par la déclaration du clergé de France, en 1682, déclaration reconnue et proclamée loi de l'État ;

« Dit qu'il n'y a lieu de prononcer la suspension requise, et néanmoins enjoint aux éditeurs et rédacteurs du Constitutionnel d'être plus circonspects à l'avenir. »

Le surlendemain, 5, un arrêt analogue renvoya le Courrier français. Le premier arrêt avait été accueilli du public par de longs

« PreviousContinue »