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avait siégé à la Constituante de 1789, avait défendu le clergé et Louis XVI. Le ministère de 1826 le punit de sa Dénonciation en supprimant une pension de 2,000 francs, dont il jouissait depuis plusieurs années.

Dans un ordre d'idées tout contraire, l'abbé de la Mennais, l'apôtre de l'ultramontanisme, soutenait la prédominance du pape sur tous les souverains. Son livre, écrit avec cet acre emportement qui fut le caractère distinctif de son talent, fit une grande sensation; l'autorité s'en émut; le gouvernement ordonna des poursuites et l'auteur fut condamné en police correctionnelle pour avoir provoqué à la désobéissance aux lois en soutenant des doctrines contraires à la Déclaration du clergé de France de 1682, qui, selon le tribunal, était encore loi de l'État. C'était donner beau jeu à un adversaire qui, en théologie, était plus fort que les juges de la correctionnelle. Il en profita et démontra que la Déclaration de 1682 n'avait plus rien de commun avec l'état social de la France en 1826. On essaya d'obtenir du clergé une sorte de renouvellement de cette Déclaration; quelques-uns préparèrent un projet que l'on soumit à l'approbation de tous les évêques du royaume; peu d'adhésions arrivèrent; encore la plupart étaient-elles accompagnées de réserves ou de réticences. La tentative ne réussit qu'à démontrer le progrès de l'ultramontanisme dans le clergé français.

Dans la discussion du budget des cultes et de l'instruction publique à la Chambre des députés, l'évêque d'llermopolis avoua l'existence de la congrégation, et, tout en faisant observer que si la loi interdit le sol de la France à la Compagnie de Jésus, elle ne l'interdit pas aux jésuites individuellement, il reconnut que sept petits séminaires étaient dirigés par des jésuites. A la Chambre des pairs, le ministre laissa échapper que le gouvernement tolérait les jésuites. M. Pasquier, relevant cette parole, s'étonna que ce qui était défendu par la loi pût être toléré par l'administration.

Outre les procès de la Mennais et du Journal du commerce, il y eut, en 1826, bon nombre de procès de presse qui tous ne se terminèrent pas par des condamnations. La magistrature commençait à se lasser de ces poursuites incessantes. Le clergé poussait à une loi contre la presse; le ministère n'y répugnait pas. Interrogé dans les derniers jours de la session sur le rétablissement de la censure, dont on répandait le bruit, il répondit que, si cette mesure lui semblait nécessaire, il n'hésiterait pas à la proposer.

§ III. CHUTE DE MISSOLONGHI. Au commencement de 1826, ce qui préoccupait par-dessus tout la France, l'Europe, tout le monde civilisé, c'était la Grèce et, dans la Grèce, la petite forteresse de Missolonghi. Depuis le commencement de la guerre, les Turcs l'avaient assiégée une première fois et avaient été forcés d'en lever le siége. Ils revinrent une seconde fois, au mois d'avril 1825, sous le commandement de Réchid-Pacha, qui avait reçu du sultan cette brève instruction : « Ou Missolonghi tombera, ou ta tête. » A la fin de décembre 1825, Ibrahim arriva, avec ses Égyptiens, devant Missolonghi, toujours debout, mais déjà fort maltraitée par l'artillerie turque, et ne recevant plus que par mer de rares et insuffisants secours. Réchid, offensé par de hautaines paroles d'lbrahim, retira ses troupes en arrière et laissa le soin du siége aux Égyptiens. Ibrahim s'était vanté de prendre << cet enclos » en quinze jours. Plus de trois mois après, Missolonghi tenait encore, mais « dévorée par la famine », comme le disait M. Lainé et « repoussant menaces et propositions », comme l'écrivait l'enfant grec à Chateaubriand.

Ceux qui n'ont pas vécu dans ce temps ne sauraient se faire une idée de l'anxiété avec laquelle tout le monde suivait les péripé ties de ce long siége, en apprenait les moindres incidents et en attendait l'issue que tous les cœurs souhaitaient favorables à l'héroïque cité.

Le 22 avril, les vivres étant épuisés, on décida que, dans la nuit, les 2,500 combattants valides, divisés en trois corps, emmenant les femmes et les enfants, tenteraient de traverser, de vive force, les lignes ennemies. Tout ce qui ne pouvait partir s'enferma dans un moulin où se trouvait un amas de poudre. Presque au sortir de la ville, les trois corps furent assaillis par les Égyptiens. Une partie des hommes armés, la plupart des femmes et des enfants rentrèrent dans la ville; le reste, d'un élan irrésistible, passa à travers l'ennemi. 1,300 seulement purent arriver à Salona. Ceux qui étaient restés ou rentrés dans la ville se défendirent partout où la défense fut possible; puis, se firent sauter. Ainsi fit le moulin, ayant tenu encore jusqu'au 24. L'évêque Joseph et le primat Kapsalis s'enfermèrent, avec d'autres habitants, dans la manufacture de cartouches et y mirent le feu. L'évêque, ramassé tout sanglant, fut décapité. Tous les hommes furent égorgés, les femmes et les enfants survivants emmenés pour être vendus. Un groupe de combattants, commandé par George Tsavelos, se fraya passage les armes à la

main et s'échappa. Quand il n'y eut plus rien à tuer, les vainqueurs se mirent à piller la ville et à se disputer le butin, jusqu'à ce que les Égyptiens parvinssent à chasser les Turcs.

La chute de Missolonghi produisit une immense impression, mêlée de douleur et d'indignation. Le mouvement des souscriptions redoubla pour racheter les prisonniers et les prisonnières que les Égyptiens mettaient en vente sur leurs marchés.

Quelques semaines après, on apprit, avec non moins de douleur, la chute d'une autre forteresse grecque, l'Acropole d'Athènes, qui, assiégée par Réchid-Pacha, capitula le 5 juin. La situation de la Grèce était alors des plus précaires. Ibrahim, avec ses Égyptiens organisés à l'européenne, avait reconquis presque toute la Morée, il proposait d'en enlever toute la population chrétienne, de la vendre en Asie et en Égypte et de la remplacer par une population mahométane. Réchid paraissait près de soumettre tout le pays au delà de l'isthme; enfin, les Philhellènes d'Europe, qui avaient fait, en 1825 et 1826, des efforts prodigieux, allaient se trouver hors d'état de faire face aux nécessités présentes.

Heureusement, la question grecque entrait, timidement encore, dans une phase nouvelle qui devait mener, quoique lentement, à l'indépendance. Le 4 avril, un peu avant la prise de Missolonghi, la Russie et l'Angleterre avaient signé, à Saint-Pétersbourg, un protocole ayant pour objet une médiation en faveur de la Grèce. Il ne s'agissait pas de détacher la Grèce de la Turquie, mais de l'y rattacher par un lien de suzeraineté avec certaines conditions d'autonomie. Ce protocole demeura ouvert pour que les autres États de l'Europe pussent y accéder. Canning, lors d'un voyage en France, vers la fin de 1826, en parla au roi et à M. de Villèle, qu'il trouva bien disposés, non pas à adhérer au protocole, mais à entrer, sur le même pied que les autres puissances, dans un véritable traité destiné à arrêter une guerre d'extermination. Ce traité fut signé en 1827.

§ IV. TURQUIE. Luttant avec peine contre l'insurrection grecque qui eût été déjà victorieuse sans l'invasion des Égyptiens, menacé d'une guerre avec la Russie à cause des Principautés Danubiennes, le sultan Mahmoud comprenait la nécessité d'opérer en Turquie les réformes que Méhémet-Ali accomplissait en Égypte. Le plus puissant obstacle à cette entreprise était le corps des janissaires, habitué depuis longtemps à gouverner le gouvernement. Mahmoud songeait à la supprimer. Un complot formé

par eux contre lui vint lui en donner l'occasion. Le 17 juin 1826, les janissaires furent attaqués dans leur caserne par les troupes impériales. Les portes furent enfoncées à coups de canon et les bâtiments incendiés. Tout ce qui ne périt pas dans le combat ou dans les flammes fut pris et exécuté. 20,000 individus (portefaix et autres), alliés aux janissaires et complices de leurs exactions, furent chassés de la ville. Peu de temps après un grand incendie éclata sur plusieurs points de Constantinople et fut suivi de nouvelles exécutions et expulsions.

Cette sanglante réforme accrut beaucoup l'autorité personnelle du sultan, sans rendre beaucoup de force à son empire déjà gravement compromis. En effet, le 6 octobre 1826, la Porte signait avec la Russie la convention d'Akermann qui, entre autres conditions, toutes défavorables à la Turquie, lui enlevait le monopole de la navigation dans la mer Noire.

§ V. ESPAGNE ET PORTUGAL. Le roi de Portugal, Jean VI, meurt le 10 mars 1826, laissant le trône à son frère don Pedro, déjà empereur du Brésil, qui donne une nouvelle constitution au Portugal. Puis, les deux couronnes ne pouvant être réunies sur la même tête, don Pedro abdique en faveur de sa fille dona Maria, alors âgée de sept ans, et la propose pour femme à don Miguel, second fils de Jean, qui avait plusieurs fois tenté de déposséder son père et vivait exilé à Vienne. Don Miguel accepte l'offre; la sœur des deux princes est déclarée régente.

Les absolutistes prennent les armes, proclament don Miguel roi de Portugal; battus, ils se réfugient en Espagne.

L'Espagne était livrée à la terreur qui en était le régime normal depuis la restauration de Ferdinand. Celui-ci avait porté à 60,000 le nombre des volontaires royaux, troupe indisciplinée, rapace et féroce. La France réduisit à 15,000 hommes son corps d'occupation, qui tint garnison à Cadix et à Pampelune.

Au mois de novembre, l'Espagne, violant le droit international et méprisant les conseils de la France et même ses menaces, favorisa la rentrée des miguélistes en armes sur le territoire portugais. La France rappela son ambassadeur de Madrid et l'Angleterre se prépara à une intervention militaire.

§ VI. LETTRES, ARTS, SCIENCES. A la fin de 1826, la France fit une perte cruelle dans un art essentiellement littéraire : le grand tragédien Talma mourut, le 19 octobre. Voulant éviter le scandale des funérailles de madame Raucourt et de Philippe, il

avait ordonné que son corps fût conduit directement au cimetière du Père-Lachaise. Son talent, sa popularité appelaient à son convoi une nombreuse assistance; mais, en outre, une foule de personnes s'y rendirent pour protester par une démonstration publique contre les envahissements incessants du parti clérical. On évalua à cent mille le nombre des personnes qui suivirent le cercueil de Talma.

Un jeune professeur de l'Université, ancien élève de l'École normale, dont le nom devait acquérir une haute renommée, M. Jules Michelet, préludait à ses beaux travaux par la publication de Tableaux synchroniques de l'histoire moderne.

Alfred de Vigny publie son roman de Cinq-Mars.

Alors commençait en France la grande popularité d'un écrivain, depuis longtemps célèbre dans son pays, mais dont la réputation eut quelque peine à s'étabtir en France, Walter Scott. Quelquesuns de ses romans avaient été traduits isolément et sans grand succès dans les dernières années; puis, le goût public s'était décidément tourné vers l'auteur écossais et, en 1826, fut publiée la première éditon, soignée et complète, de ses œuvres, par la librairie Gosselin, avec gravures des frères Johannot, déjà en possession de la faveur publique et qui trouvèrent dans les scènes des romans de Walter Scott les sujets de charmantes compositions.

Dans un autre ordre littéraire, Saint-Simon publiait le Nouveau Christianisme, où il réclamait l'amélioration du sort de la classe la plus pauvre et posait ce principe plus spécieux que juste, qui devait devenir une des formules de la doctrine saint-simonienne : A chacun selon sa capacité; à chaque capacité selon ses œuvres. Cette même année, deux savants français, MM. E. Burnoufet Lassan, publient l'Essai sur le pâli, langage sacré dont faisaient usage les bouddhistes dans la presqu'île au delà du Gange.

CHAPITRE V

Session de 1827. Loi contre la presse. Loi sur le jury. - Discussion de

la loi sur la presse.

Funérailles de la Rochefoucauld-Liancourt.

§ I. SESSION DE 1827. Le discours d'inauguration de la session de 1827 était attendu avec une certaine curiosité inquiète; on n'ignorait pas que la question d'une loi nouvelle sur la presse,

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