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elle ouvrit une enquête, à laquelle elle appela des représentants de toutes les industries intéressées dans la question; et, comme il s'agissait aussi des journaux, elle eut l'idée de consulter des journalistes. Le gouvernement trouva étrange cette façon de procéder ; il n'osa pas l'entraver. Mais, quand il vit la commission démolir sa loi, comme on avait fait de celle du jury, et rejeter toutes les mesures vexatoires, le ministère prit une résolution extrême. Le 17 avril, au début de la séance, M. de Peyronnet demanda la parole et donna lecture d'une ordonnance royale qui retirait le projet de loi.

C'était la première fois que le ministère faisait un acte agréable à la nation. Il causa une explosion de joie qui s'élança, comme une traînée de poudre, de Paris à toute la France, et se prolongea plusieurs jours, au milieu des acclamations, des promenades, que la police eut le bon sens de ne pas vouloir réprimer, des feux d'artifices et des manifestations de toute nature auxquelles se mêlaient des hommages à la Chambre des pairs. Déjà le ministère avait arrêté dans sa pensée le coup qui devait frapper cette Assemblée, coupable de libéralisme et de popularité.

§ IV. FUNÉRAILLES DU DUC DE LA Rochefoucauld. Le retrait de la loi d'amour avait été précédé et fut suivi de deux événements qui eurent, l'un et l'autre, une influence facheuse sur la destinée de la Restauration.

Le premier eut lieu le 3 mars. Ce jour-là on faisait les funérailles du duc de la Rochefoucauld-Liancourt, mort le 27. Pair de France, le duc était surtout connu par sa généreuse participation à un grand nombre d'œuvres philanthropiques. L'École des arts et métiers de Châlons-sur-Marne le considérait comme son bienfaiteur. Les anciens élèves de cette école, présents à Paris, sollicitèrent, comme hommage de reconnaissance, et obtinrent de la famille l'autorisation de porter à bras le corps du défunt. Ils le portèrent, en effet, de la maison mortuaire à l'église de l'Assomption, où se fit l'office religieux. Après l'office, ils voulurent le reprendre pour aller au cimetière. Un individu leur intima la défense de le faire, Les jeunes gens demandèrent aux fils du duc s'ils révoquaient l'autorisation. Ceux-ci répondirent qu'ils la maintenaient. Quand les jeunes gens revinrent vers le cercueil, le même individu renouvela ses injonctions, et, comme les élèves refusaient d'y obtempérer, il s'adressa à l'officier commandant l'escorte d'honneur, se déclara commissaire de police, et requit la force armée de faire replacer le cercueil dans le char. L'officier ordonne à la troupe de remettre

les baïonnettes aux fusils, d'où les soldats les avaient retirées, selon l'usage. Un conflit a lieu; les porteurs sont bousculés par les soldats; le cercueil tombe sur le pavé et s'entr'ouvre, les insignes du duc roulent dans la poussière, mais force reste à la force.

Cette brutalité policière fit grand scandale dans la population parisienne, qui a un profond respect des morts. Le lendemain, le duc de Choiseul porta le fait à la tribune de la Chambre des pairs, qui chargea son grand référendaire d'ouvrir une enquête. Il en résulta que, si les règlements de police prescrivent le transport des décédés dans des voitures, ce que personne ne contestait, de nombreuses exceptions étaient tolérées, que, dans le cas présent, la famille avait expressément consenti à laisser les élèves porter le corps du duc de la Rochefoucauld, et que le zèle intempestif d'un agent subalterne avait seul causé la scène lugubre de la rue SaintHonoré. La Chambre ajourna l'affaire jusqu'après l'issue d'une information judiciaire qui était commencée et qui n'eut pas de suite.

M. Pasquier blâma sévèrement la conduite du commissaire. Le duc de Broglie fut plus énergique encore; il déclara que tout homme honnête eût agi comme les élèves de Châlons-sur-Marne, et il ajouta ces paroles qui n'ont pas cessé d'être applicables dans notre pays : « Par quelle fatalité arrive-t-il que, toutes les fois que les volontés ou les amours-propres de l'administration se trouvent en jeu, l'emploi de la force est toujours précipité, violent, accompagné de désastres? Quant à moi, je ne puis contempler froidement ce mépris de l'humanité. Je ne puis contempler froidement ces procédés d'une administration à la fois insouciante et fantasque, qui traite des populations paisibles comme un bagne de forçats dont on ne peut rien obtenir que le sabre au poing ou la menace à la bouche. »>

Un peu plus tard, il fut question de ce scandale à la Chambre des députés. Le ministre de l'intérieur se retrancha, comme c'est l'habitude en pareil cas, derrière la lettre des règlements. Mais c'était la façon d'appliquer ces règlements qui était en question, et c'est sur quoi le ministre évita prudemment de s'expliquer.

CHAPITRE VI

Licenciement de la garde nationale de Paris.

Troubles à l'École de médecine. - Le budget. Élection de Lafayette. La censure. — Traité du 6 juillet. Mort et obsèques de Manuel.

L'événement

§ I. LICENCIEMENT DE LA GARDE NATIONALE DE PARIS. qui suivit le retrait de la loi sur la presse fut autrement grave que l'affaire des funérailles du duc de Liancourt, et par le fait en luimême et par les conséquences qu'il eut immédiatement, et plus encore par les suites lointaines qui devaient en dériver.

Le 12 avril était l'anniversaire de la rentrée du comte d'Artois, c'est-à-dire de la monarchie légitime, à Paris, en 1814. Ce jour-là, c'était la garde nationale qui occupait tous les postes des Tuileries, en souvenir du service qu'elle y avait fait en 1814.

Le 12 avril 1827 se trouvant être un jeudi saint, et le roi faisant ses dévotions, le service de la garde nationale fut remis au 16. Charles X assista à la parade de la garde montante, présidée par le maréchal Oudinot, commandant supérieur de la garde nationale. Accueilli par les cris de Vive le roi! il en témoigna sa satisfaction au maréchal, et comme celui-ci et d'autres officiers supérieurs l'assurèrent que toute la garde parisienne serait heureuse de voir le roi au milieu d'elle, il promit de la passer en revue le 29. En apprenant cette promesse, M. de Villèle ne cacha pas son déplaisir. Après deux années d'un règne commencé sous les plus favorables auspices, le ministère en était venu à craindre de voir le monarque en contact direct avec une partie nombreuse de la population, encore que la garde nationale ne se recrutât alors que dans ce qu'on appelait improprement la bourgeoisie. Cependant M. de Villèle ne voulut pas que la revue fût contre-mandée : c'eût été un mal certain à la place d'un mal incertain.

L'annonce de la revue coïncidait avec le retrait de la loi d'amour; la garde nationale applaudit à l'une comme à l'autre, et se prépara à la cérémonie du 29 comme à une fête. Beaucoup se firent équiper tout à neuf.

Au jour fixé, toute la milice fut sur pied de bonne heure; les légions arivèrent au champ de Mars, plus nombreuses qu'elles n'avaient jamais été. Une affluence énorme couvrait les talus de

la fédération. Lorsque le roi parut, entouré des princes de la famille royale et escorté d'un état major nombreux et brillant, il fut salué des plus vives acclamations.

Dans le parti libéral, comme dans le ministère, on avait redouté des cris désobligeants ou hostiles. Aussi, les journaux libéraux avaient-ils recommandé avec insistance de ne pas faire entendre d'autres cris que ceux de Vive le roi! vive la Charte! Des avis imprimés, renouvelant cette recommandation, circulèrent, sur le terrain même, dans les rangs de la garde nationale.

L'avis fut ponctuellement suivi. Seulement, dans quelques bataillons, on accentua le second d'une façon significative. On a raconté, depuis, qu'un garde, croyant voir sur le visage du roi, un air peu satisfait, lui aurait demandé : « Votre Majesté serait-elle mécontente de nous entendre crier : Vive la Charte! » A quoi le roi aurait répondu: « Je suis venu ici pour recevoir des hommages et non des leçons. » Sans être absolument invraisemblable, le fait peut être tenu pour douteux.

Les mêmes cris furent répétés durant le défilé devant le roi. Mais, en rentrant en ville, les gardes nationaux y ajoutèrent ceux de: Vive la liberté de la presse! à bas les ministres! Il arriva même que les bataillons que leur itinéraire conduisait rue de Rivoli, où était le ministère des finances, place Vendôme, où est le ministère de la justice, crièrent, en passant devant les hôtels ministériels: A bas Villèle! à bas Peyronnet! Les deux ministres étaient assez impopulaires pour que de tels cris ne dussent surprendre personne.

Les gouvernants et leurs agents n'avouent jamais leur impopularité, même, et peut-être surtout, quand ils affectent de la braver. Bien que Charles X eût témoigné sa satisfaction, en disant qu'il y avait eu quelques brouillons, mais que la masse était bonne, et qu'il eût autorisé le maréchal Oudinot à constater cette satisfaction dans un ordre du jour, que le roi voulait lire avant qu'il fût publié, des rapports de police, envoyés dans la soirée aux Tuileries et au ministère de l'intérieur, représentaient les choses sous un aspect tellement exagéré que Charles X fit appeler M. de Villėle, lui remit les rapports et l'invita à délibérer immédiatement sur ce qu'il convenait de faire.

Le président du conseil réunit ses collègues. A la majorité de cinq contre trois, on décida qu'il fallait dissoudre la garde natio. nale. L'ordonnance fut préparée immédiatement signée par le roi

et portée, vers minuit, au Moniteur. La composition du journal était faite, et, pour y insérer l'ordonnance, il fallut le faire paraître en une demi-feuille seulement. Dans la nuit même, tous les postes de la garde nationale aux Tuileries furent relevés par la garde royale. Dans la nuit aussi, avis du licenciement fut donné au maréchal Oudinot.

Les gardes nationaux avaient été, comme le roi, satisfaits de la journée du 29 avril; ils croyaient n'avoir rien fait de séditieux en proférant des cris hostiles à deux ministres impopulaires. Charles X lui-même, dans le premier moment, y avait attaché peu d'importance sans doute; il avait pu voir, en Angleterre, des manifestations autrement bruyantes et tumultueuses dont ni l'autorité, ni le public n'avaient l'habitude de s'émouvoir. En France, presque au sortir encore du régime impérial, les gouvernants n'avaient pas eu le temps de s'accoutumer à ces agitations d'un peuple libre; ils ne s'y sont jamais accoutumés. Les ministres montrèrent à Charles X la majesté royale outragée, sa prérogative menacée par des injonctions rebelles, les princesses de sa famille insultées par on ne sait quels cris, la Révolution prête à se déchaîner comme en 1792 et qu'il fallait museler. Le roi se laissa entraîner et signa.

Tous les journaux le lundi matin, même les plus royalistes, constataient le bon ordre et le bon effet de la revue. L'ordonnance de licenciement tomba donc comme un coup de foudre, au milieu du contentement général et y produisit d'abord une stupeur profonde, puis une irritation des plus intenses, mais qui n'éclata pas en démonstrations publiques. Le ministère s'y trompa et M. de Villèle put dire « Les bons sont enchantés et les mauvais condamnés. >>

Le mardi, M. de Villèle put voir, au ton des journaux, qu'il avait mal interprété le silence de la veille. Le Journal des Débats eut raison de dire que « la séparation était désormais consommée entre l'autorité royale et la population parisienne, et qu'un avenir nouveau s'ouvrait pour la monarchie. » La Quotidienne elle-même trouvait l'ordonnance injuste et impolitique.

Des gardes nationaux voulaient vendre leur uniforme et en envoyer le prix aux Grecs. Les journaux les en détournèrent. La garde nationale conserva donc ses habits aussi bien que ses fusils; elle eut l'occasion de reprendre les uns et les autres trois ans plus

tard.

La Restauration ne commit pas de plus grande faute, même en

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