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signant les ordonnances de 1850; celles-ci provoquèrent la Révolution, mais celle-là avait fait accepter à beaucoup d'esprits qu'une révolution était devenue la seule issue possible de la lutte engagée entre l'ancien régime et la France nouvelle, et à cette révolution future, le licenciement de la garde nationale préparait une armée officielle.

L'impression ne fut pas, dans les départements, moins profonde qu'à Paris; plusieurs gardes nationales se déclarèrent atteintes par l'acte qui dissolvait la garde parisienne. A l'étranger, le Moniteur arrivant en la forme insolite d'une demi-feuille et l'ordonnance inattendue de licenciement, sans commentaire ni explication, fit croire qu'un mouvement insurrectionnel venait d'éclater à Paris.

Ce fut seulement le 8 mai qu'incidemment et par voie d'allusion, Laffitte introduisit la question. M. de Villèle revendiqua hautement le mérite d'avoir conseillé la mesure attaquée, et, comme Laffitte avait parlé de mettre le ministère en accusation, le président du conseil déclara qu'il s'honorerait d'avoir mérité cette accusation. On crut que M. de Villèle avait pris l'initiative du licenciement, mais, un peu plus tard, il expliqua qu'il l'avait conseillé et non provoqué. La menace de mise en accusation n'eut pas de suite immédiate: elle devait atteindre d'autres ministres de Charles X.

Chateaubriand ne manqua pas l'occasion d'accabler son rival. A une brochure contenant le discours qu'il avait prononcé contre la loi d'amour, il ajouta une préface où il séparait le ministère de la personne du roi, affirmant qu'où l'on voulait voir un acte de sédition contre celle-ci, il n'y avait qu'une marque d'antipathie pour celui-là, puis, faisant allusion au contentement des ministres et des courtisans, il disait : « Les rodomontades amènent quelquefois des rixes, et lorsque, dans les troubles des empires, on en est venu à l'emploi de la force, il ne s'agit plus de la première attaque, mais de la dernière victoire... » La haine de Chateaubriand était clairvoyante, mais le pouvoir est souvent aveugle.

Trois membres, dans le conseil, avaient voté contre la dissolution de la garde nationale; un des trois refusa de s'associer à cet acte, et donna sa démission: ce fut le duc de la Rochefoucauld-Doudeauville. Un grand nombre de citoyens allèrent s'inscrire à son hôtel.

§ II. TROUBLES A L'ÉCOLE DE MÉDECINE.

A ces graves événe

ments s'ajouta un incident qui prolongea l'émotion publique. Le Collége de France et l'Académie des sciences avaient présenté le docteur Magendie pour la chaire devenue vacante au Collége de France, par la mort de Laennec. Le ministre nomma le docteur Récamier; c'était son droit strict, et le docteur Récamier était un homme de grand mérite scientifique; mais il passait pour appartenir à la congrégation. Les élèves en médecine, mécontents de cette nomination, se rendirent en foule aux premières leçons du nouveau professeur et couvrirent sa parole par leurs cris et des sifflets. L'autorité appela la police et la force armée; il en résulta ces scènes brutales que, peu de semaines auparavant, le duc de Broglie signalait avec tant d'indignation. Lorsque des députés de l'opposition s'en plaignirent à la tribune, le ministère excipa de son droit et du devoir de maintenir l'ordre. Les députés, d'ailleurs, s'employèrent à calmer par leurs conseils l'effervescence des élèves. Benjamin Constant leur dit que la jeunesse des écoles devait se réserver pour l'avenir. Cet incident devint un grief de plus contre le ministère; celui-ci venait de blesser l'Académie des sciences, comme il s'était déjà aliéné l'Académie française.

Cette dernière compagnie n'avait pas tardé à trouver l'occasion de témoigner son ressentiment du coup frappé sur MM. Villemain, Lacretelle et Michaud. Ayant une élection à faire, elle choisit Royer-Collard. Le choix était excellent de tout point: Royer-Collard était alors la plus haute personnification de l'éloquence parlementaire, et il ne mettait son éloquence qu'au service des causes les plus libérales.

§ III. LE BUDGET. - La session se continua, selon l'usage, par la discussion du budget. Cette année, le débat eut une importance particulière. Non-seulement l'opposition profita de la discussion générale pour traiter toutes les questions de politique intérieure et extérieure, mais la scission se manifesta avec éclat entre le ministère et la droite, dont plusieurs orateurs attaquèrent vivement, violemment même, l'administration de M. de Villèle. Laffitte avait déjà dit que, contrairement aux assurances données dans le discours du trône, la propriété publique était en décroissance; un député de la droite, M. Fouquier-Long, rapporteur de la commission du budget, dut avouer que les recettes du trésor public diminuaient progressivement, et qu'il y avait nécessité de ré. duire toutes les dépenses. M. de Villèle ne put nier le fait et dut avouer le déficit.

La discussion se prolongea au milieu d'incidents souvent orageux. C'est durant ces débats que sept députés de la gauche s'étant levés seuls contre un ordre du jour et la droite s'étant mise à rire, Casimir Périer s'écria: « Nous ne sommes ici que sept, mais la France entière est avec nous! >>

Le 22 juin, le budget étant voté, la session fut déclarée close. § IV. ÉLECTION DE Lafayette. La censure. Quelques jours après la clôture de la session, le général Lafayette, dont le récent et triomphal voyage en Amérique avait eu tant de retentissement en France, fut nommé député par les électeurs de l'arrondissement de Meaux. C'était une manifestation du sentiment public qui pouvait être désagréable au ministère; ce n'était assurément pas un acte inconstitutionnel ni qui pût mettre l'État en danger. Le ministère cependant en prit prétexte pour décider une mesure légale, il est vrai, mais réservée par la loi même, pour les circonstances extraordinaires, pour les jours de périls publics.

Une ordonnance royale du 24 juin, usant de la faculté écrite dans la loi de 1822, rétablit la censure contre les journaux et écrits périodiques. Un conseil de surveillance fut établi, composé de trois pairs de France, trois députés, et trois autres personnes parmi lesquelles on regrette de trouver Cuvier. A ce conseil un rapport devait être fait chaque semaine, par le bureau de censure, placé sous la direction de M. de Lourdoueix et composé de six membres. Deux d'entre eux, professeurs d'histoire, MM. Rio et Cayx, auxquels leurs études avaient appris que la censure n'est ni bonne pour les gouvernements qui l'instituent, ni honorable pour les gens qui l'exercent, refusèrent ces fonctions et furent remplacés. Dans les départements, les préfets nommaient les cen

seurs.

SV. TRAITÉ DU 6 JUILLET 1827. A côté d'une si longue série de fautes, le gouvernement de la Restauration sut accomplir l'acte qui sera, dans l'histoire, un de ses premiers, sinon le premier de ses titres d'honneur et qui efface presque les torts de l'expédition d'Espagne.

A la fin de l'année précédente, Canning, dans son voyage à Paris, avait offert à M. de Villèle d'adhérer au protocole du 4 avril 1826, par lequel la Russie et l'Angleterre offraient leur médiation pour résoudre la question grecque. M. de Villèle avait répondu que la France ne pouvait prendre part qu'à un traité où elle entrerait sur le pied d'égalité. Depuis, le gouvernement autrichien avait pressé

la Porte de répondre aux offres des deux puissances signataires du protocole. Après un long silence, le sultan repoussa catégoriquement, en juin 1827, les propositions anglo-russes. Alors, l'Angleterre, la Russie et la France prirent le protocole d'avril 1826 pour base d'un traité par lequel il fut signifié à la Porte que si, dans le délai d'un mois, elle n'acceptait pas la médiation des trois cabinets, ceux-ci s'opposeraient à la continuation des hostilités par tous les moyens, même par la force. Ce traité fut signé le 6 juillet.

C'était principalement l'œuvre de Canning; il put se féliciter d'avoir obtenu un tel résultat ; mais il ne lui fut pas donné d'en voir, cette année même, la plus éclatante conséquence: il mourut le 8 août.

§ VI. MORT ET OBSÈQUES DE MANUEL. Quelques jours après la mort du grand orateur anglais, mourait aussi, le 22 août, au château de Maisons, alors propriété de Lasfitte, un grand orateur français, Manuel, l'expulsé de 1823, qui s'était laissé oublier dans sa retraite, où, bientôt peut-être serait venue le chercher la reconnaissance publique; elle ne manqua pas du moins à ses funérailles.

L'autorité n'avait pas voulu que le corps de Manuel fùt rapporté à son domicile de Paris (rue des Martyrs, 23), elle avait seulement consenti qu'il fût conduit au cimetière du Père-Lachaise par la ligne des boulevards extérieurs; encore fallut-il que Laffitte s'engageât à faire personnellement respecter cet arrangement.

Le 24 août, le cercueil, parti de Maisons, dans une voiture funéraire de voyage, et accompagné de Lafayette, Laffitte, Béranger, Schonen et de MM. Thiers et Mignet, arriva, vers midi, à la barrière des Martyrs, où l'attendait le char funèbre. Les chevaux de ce char avaient été dételés et remisés dans le voisinage, afin qu'on ne pût empêcher que le cercueil fût porté à bras.

Une foule immense attendait le convoi. Quand des jeunes gens voulurent prendre le cercueil, la police s'y opposa; elle consentit cependant à une transaction : le cercueil fut placé sur le char dételé, que tirèrent des jeunes gens.

On arriva ainsi jusqu'à Belleville. Là, on aperçut un autre char attelé que gardait un fort détachement de gendarmerie à cheval, barrant le boulevard. Une collision fut sur le point d'éclater; mais, par l'intervention de Laffitte, on transigea encore : le premier char fut attelé de nouveau, et continua sa route jusqu'à la porte du cimetière, où le cercueil fut repris à bras et porté à la fosse qui l'at

tendait. Des discours furent prononcés sur la tombe de l'illustre mort par Lafayette, Béranger, Laffitte et Schonen.

Ni le souvenir de Manuel n'a été oublié, ni le chemin de sa tombe désappris; mais aucun monument public ne lui a été élevé : Paris n'a pas même donné à une de ses rues le nom de ce grand citoyen. Un récit des funérailles de Manuel, publié par M. Mignet, fut poursuivi et acquitté.

CHAPITRE VII

Agitation électorale. Voyage du roi. - Fournée de pairs. Dissolution de la Chambre des députés. Elections de 1827. Troubles à Paris. Bataille Lettres, sciences, industrie. Affaires

de Navarin.

extérieures.

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Affaire d'Alger.

§ I. AGITATION ÉLECTORALE.

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Le ministère n'avait plus dans le Chambres un appui assuré. La Chambre des pairs lui était décidément hostile. Dans l'autre Chambre, il rencontrait deux oppositions redoutables, et la majorité dont il avait été longtemps le maître se décomposait et menaçait de lui échapper. Il n'y avait à cette situation que deux issues possibles : la démission du ministère ou la dissolution de la Chambre élective. On ne doutait pas que ce dernier parti ne dût être adopté de préférence.

La question, en effet, s'agitait dans les conseils du gouvernement, mais l'indécision était grande encore, sauf en un point déjà arrêté et dont ne se préoccupait pas l'opinion publique parce que son action n'y pouvait rien le ministère était résolu à une fournée de pairs pour changer la majorité au Luxembourg.

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Cependant, la campagne électorale était ouverte dans la presse par des articles de journaux et la publication de brochures pour la propagation desquelles se forma une association appelée la Société Aide-toi, le ciel t'aidera. Une très-grande activité fut déployée pour stimuler ou entretenir le zèle des électeurs. La loi de 1822 exigeant que la censure des journaux fût levée à l'approche des élections générales, on prévoyait bien qu'en cas de dissolution, les colléges électoraux seraient convoqués à bref délai, afin que les journaux n'eussent pas le loisir d'user de leur complète liberté.

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§ II. VOYAGE DU ROI. Charles X devait aller, en septembre, visiter un camp établi près de Saint-Omer; il voulut, avant son départ, être fixé sur les mesures que ses ministres auraient à lui

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