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cours du trône. Elle contenait deux mots qui réprouvaient sévèrement l'administration de M. de Villèle : « Quelques parties de l'administration publique, disait-elle, ont soulevé de vifs mécontentements », et plus loin : « Ses vœux (de la France) ne demandent aux dépositaires de votre pouvoir que la vérité de vos bienfaits, ses plaintes n'accusent que le système déplorable qui les rendit trop souvent illusoires. » Les amis de l'ancien ministère s'oppotèrent énergiquement à l'insertion de ce dernier mot, qui ne fut adopté qu'au scrutin, par 187 voix contre 173.

Dans sa réponse à l'adresse, Charles X fit allusion à ce fait : « Mes paroles avaient été adressées à la Chambre entière; il m'aurait été doux que sa réponse eût pu être unanime. » Il rappela, en outre, aux députés, qu'ils étaient les gardiens de la majesté du trône, « la première et la plus noble des garanties de la France. › Cette insistance fut commentée d'une manière fâcheuse.

De doubles élections, des annulations d'opérations électorales, nécessitaient la nomination de quarante-cinq députés. Pour la première fois, les électeurs de Paris, au lieu d'accepter des journaux une liste toute faite, tinrent des réunions préparatoires et publiques où les candidats furent invités à venir s'expliquer et communiquer avec les électeurs. Cet exemple fut suivi en province. L'autorité se borna à refuser les endroits publics pour la tenue de ces réunions et n'y mit aucun obstacle dans les locaux particuliers. Fidèle à sa promesse, elle s'abstint de toute immixtion dans les opérations électorales. Sur les 45 nominations, l'opinion libérale en eut 35 (21 avril).

§ III. LOI ÉLECTORALE ET DU JURY. A ce moment, la Chambre était saisie, depuis le 25 mars, d'un projet de loi pour la révision des listes électorales et du jury, qui rectifiait, complétait améliorait dans un sens libéral la loi votée l'année précédente.

A la suite d'une discussion où l'on vit, chose nouvelle, le projet du gouvernement soutenu par l'ancienne opposition libérale et attaqué par d'anciens ministériels, la loi, encore amendée au profit des idées libérales, réunit 257 boules blanches contre 10 noires (12 mai).

Au Luxembourg, où le projet fut encore plus rudement combattu par quelques-uns des membres de la dernière promotion, il arriva que le scrutin donna 159 oui contre 83 non, ce qui faisait une majorité de 76, égale au chiffre de la fournée nouvelle.

§ IV. LE CABINET NOIR. Au cours de cette discussion, un

rapport de pétitions appela, le 3 mai, l'attention de la Chambre sur l'existence du cabinet noir à l'administration des postes, pour la violation du secret des lettres. Les différents ministères avaient nié la réalité de ce cabinet, renouvelé de l'ancienne monarchie. Les informations prises à ce sujet démontrèrent que cette dénégation était contraire à la vérité, car on eut la preuve que le ministère Martignac avait obtenu du roi, dès le 31 janvier, la suppression de ce service inique et immoral.

§ V. LOI SUR LA PRESSE.

Le 14 avril fut déposé un projet de loi sur la presse dont l'article 1er donnait à tout Français majeur et jouissant de ses droits civils, la faculté de publier, sans autorisation préalable, un journal ou écrit périodique. Le dernier article supprimait la censure et les procès de tendance. Mais, entre ces deux dispositions libérales s'en intercalaient d'autres qui en restreignaient singulièrement le bienfait. Ainsi, les journaux politiques et littéraires étaient soumis à un même cautionnement de 200,000 francs qui, en certains cas, pouvait être absorbé par une seule amende. Les tribunanx pouvaient frapper d'incapacité absolue un gérant et suspendre la publicalion du journal pendant trois mois.

Dans la discussion, qui dura six jours, le cautionnement fut réduit à 12,000 francs; quelques-unes des dispositions les plus rigourenses furent atténuées, malgré la résistance de l'ancienne droite qui trouvait le projet trop indulgent, et la loi fut votée, le 19 mai, par 266 voix contre 116. Portée, le 25 juin, à la Chambre des pairs, elle y fut adoptée, le 14 juillet.

§ VI. MISE EN ACCUSATION DU MINISTÈRE VILLÈLE. Le 11 juin, Labbey de Pompières avait déposé une demande de mise en accusation contre le ministère Villèle, pour crime de haute trahison et de concussion. Cette proposition, discutée le 14, modifiée le lendemain par l'auteur même, fut prise en considération le même jour, et, le lendemain, renvoyée à une commission spéciale de neuf membres.

Le 21 juillet, M. Girod (de l'Ain), rapporteur de la commission, rendit compte de ses travaux, et conclut à déclarer qu'il y avait lieu d'instruire sur l'accusation portée contre le dernier ministère. Le débat sur ces conclusions fut renvoyé après la discussion du budget. Cet ajournement fut adopté. Après le budget, la Chambre se sépara sans revenir sur cette affaire.

§ VII. ORDONNANCES DU 16 JUIN. - La commission nommée, le

22 janvier, à propos des petits séminaires dirigés par les Jésuites, fit, le 28 mai, un rapport où elle constatait que trois petits séminaires avaient pour chefs des Jésuites, mais que la présence de ces prétres << suivant, pour le régime intérieur, la règle de saint Ignace, n'est pas contraire aux lois du royaume. » Ces conclusions, adoptées à la majorité d'une seule voix, soulevèrent de vives clameurs dans le parti libéral. Le ministère se trouvait mis en présence de la solution immédiate d'une question qu'il croyait avoir détournée ou ajournée. De nombreuses pétitions arrivaient aux Chambres contre les Jésuites, et il n'était pas douteux qu'elles dussent être bien accueillies. Portalis, au ministère comme à la Chambre, soutenait l'illégalité de l'existence des Jésuites en France et faisait partager son opinion à ses collègues. Plusieurs tentatives furent faites inutilement auprès du roi, qui appuyait son refus sur l'avis de la commission.

Enfin, le 16 juin, il se détermina à signer deux ordonnances dont l'une exigeait de toute personne voulant diriger un établissement d'intruction secondaire ou y être employée, la déclaration écrite de n'appartenir à aucune congrégation religieuse non légalement établieen France. La seconde limitait le nombre des écoles secondaires ecclésiastiques et fixait à 20,000 le maximum des élèves qu'elles pouvaient recevoir, attribuait aux évêques et archevêques la nomination des directeurs et supérieurs, avec l'agrément du roi, et fondait dans ces écoles huit mille bourses de 150 francs chacune, ce qui faisait une subvention de 120,000 francs.

Il n'y avait, en tout cela, rien qui pût alarmer la conscience du prélat le plus méticuleux, car rien ne touchait aux dogmes, aux croyances; il ne s'agissait que de dispositions purement administratives. Cependant les cléricaux crièrent à la persécution. Plusieurs évêques, entre autres l'archevêque de Paris, signèrent une longue protestation, terminée par un refus d'obéissance, qu'ils adressèrent au ministre des cultes pour être mise sous les yeux du roi. L'archevêque de Toulouse, rédacteur de cette pièce, signifia directement son refus au ministre, en citant cette devise de sa famille (c'était un Clermont-Tonnerre): Etiamsi omnes, ego non (quand même tous, moi non). Toutes les chaires retentirent d'accusations d'impiété contre le ministère tout entier. Ce fut une véritable croisade.

Le gouvernement ne voulut pas entrer en lutte ouverte contre les prélats insurgés. Il envoya secrètement à Rome M. Lasagni,

conseiller à la cour de cassation, né Romain, naturalisé Français. qui avait conservé des relations avec le Vatican, et qui, le 25 septembre, rapporta une réponse du pape déclarant « que les évêques doivent se confier à la sagesse du roi pour l'exécution des ordonnances et marcher d'accord avec le trône. >>

Il fallut bien se soumettre. D'ailleurs, les consciences élastiques pouvaient trouver, dans la parole du pape, une ambiguïté qui leur rendit la soumission facile. Tous ceux des chefs ou maîtres d'établissements qui ne voulurent pas souscrire la déclaration obligatoire, vendirent leur matériel et quittèrent la France.

Les cléricaux se vengèrent des ordonnances en suscitant la question de la liberté de l'enseignement. La liberté, ils la réclamaient quand ils ne se croyaient plus les maîtres. Aussi longtemps qu'ils l'avaient été, ils la voulaient aussi, mais pour eux seuls.

La discussion du budget occupa les dernières semaines de la sessions, qui fut close le 18 août. Dans cette dernière partie fut autorisée une émission de quatre millions de rentes, destinée à mettre en état nos forces de terre et de mer.

§ VIII. EXPÉDITION DE MORÉE. — L'émission des rentes, ainsi motivée, avait, en réalité, pour objet une expédition militaire en Grèce.

Un article secret du traité du 6 juillet 1827 autorisait les représentants des trois cours à Londres à discuter et arrêter les moyens ultérieurs dont l'emploi pouvait devenir nécessaire. L'éventualité ainsi prévue se réalisait : ce n'était pas assez d'avoir détruit la flotte turco-égyptienne à Navarin, il fallait délivrer la Grèce des troupes turco-égyptiennes qui continuaient à la dévaster, sous les ordres d'Ibrahim.

Les trois représentants arrêtèrent l'envoi d'une force militaire; l'Angleterre et la Russie, pour s'exclure mutuellement, en confièrent le soin à la France par une convention signée le 19 juillet 1828.

Quinze jours après, les troupes françaises étaient prêtes à s'embarquer; elles se composaient de neuf régiments d'infanterie, un de chasseurs à cheval, deux compagnies du génie et quatre compagnies d'artillerie, avec pièces de siége et de campagne et deux batteries de montagne, le tout formant un effectif de quinze mille hommes, sous le commandement du général Maison.

L'expédition partit de Toulon le 17 août, arriva devant Navarin le 29, et débarqua, le même soir, dans le golfe de Coron.

Ibrahim essaya de traîner en longueur les préparatifs d'évacuation dont son père lui avait donné l'ordre. Le temps devenait mauvais; des pluies torrentielles incommodaient les troupes françaises campées sous la tente. Le général Maison mit Ibrahim en demeure de partir sur-le-champ ou d'être attaqué. L'embarquement commença le 9 septembre.

Pendant cette opération, Ibrahim eut avec les officiers français des relations où il prit à tâche d'effacer, par la courtoisie de ses manières et de son langage, l'impression qu'avait dû laisser le souvenir récent de la guerre sauvage et féroce qu'il avait faite aux Grecs. Il montra aussi qu'il était au courant des affaires européennes, et il demanda au général Maison « pourquoi la France, après avoir fait des esclaves en Espagne, en 1823, venait maintenant faire, en Grèce, des hommes libres. »

L'embarquement des Égyptiens fut achevé le 4 octobre. Ibrahim avait laissé dans les places fortes de la Morée des garnisons arabes avec des chefs turcs. Ceux-ci, sommés par les Français d'ouvrir leurs portes, s'y refusèrent, en déclarant que la Turquie n'était pas en guerre avec la France. Nos troupes brisèrent les portes ou escaladèrent les murailles, sans éprouver aucune résistance de la part des garnisons, qui remirent leurs armes aussitôt. Le seul château de Morée, qui domine Patras, fit une résistance effective et ne céda qu'après onze jours de siége et seulement quatre heures de feu, le 30 octobre. A la fin de décembre, une partie du corps français rentra en France, laissant la Grèce aux Grecs qui avaient vaillamment conquis le droit à leur patrie.

§ IX. VOYAGE DU roi. Pendant cette expédition, le roi faisait, dans les départements de l'est, un voyage où il recueillit partout des témoignages d'une satisfaction qui n'avait pas besoin d'être surexcitée par les artifices officiels, mais que faisaient spontanément éclater les populations.

Le roi était heureux de l'allégresse qu'il rencontrait partout. Un jour, entouré par une foule empressée de le voir, il dit avec effusion à Martignac : « Quel peuple! et que ne devons-nous pas faire pour lui! » Ce qu'il eût fallu faire alors eût été peu de chose encore que le roi eût sacrifié quelques idées personnelles, quelques intimités compromettantes, cela eût suffi; mais ce sont là les sacrifices les plus difficiles; Charles X ne les fit jamais.

Rentré à Paris, le roi y trouva plus ardente que jamais la lutte entre les libéraux et les cléricaux; les premiers applaudissaient à

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