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merce se mêlaient à cette foule et l'excitaient encore par des propos ardents. La mise de Paris en état de siége apporta un élément de plus à la fermentation. Entre quatre et cinq heures de l'après-midi, des détachements de la garde et de gendarmerie tirèrent les premiers coups de feu, à l'entour du Palais Royal. Il y eut des morts et des blessés; on fit des tentatives de barricades, on commença partout à enlever les insignes des Bourbons. Dans la soirée, des bandes, parmi lesquelles se trouvaient des hommes armés, parcoururent la ville, portant des cadavres, criant: Vengeance! aux armes! on dépavait les rues soit pour faire des barricades, soit pour se garantir de la cavalerie; on brisait les réverbères pour que l'obscurité gênât les mouvements de troupes.

Journée du 28. Le mercredi 28, l'insurrection est flagrante et gagne tous les quartiers; les armoiries royales disparaissent. Des gardes nationaux se montrent en uniforme aux barricades. Le drapeau tricolore, arboré à l'Hôtel de Ville, puis à Notre-Dame, apparaît bientôt en mille endroits, salué avec enthousiasme, ralliant, suscitant des combattants; le bourdon de Notre-Dame donne le signal du tocsin, d'autres églises y répondent.

Marmont envoie au roi, à 9 heures du matin, une dépêche où il dit: "... Ce n'est plus une émeute, c'est une révolution... L'honneur de la couronne peut encore être sauvé; demain peut être il ne serait plus temps... » Le maréchal lance trois colonnes, pourvues de cavalerie et d'artillerie pour balayer les boulevards, la rue Saint-Honoré, les quais, la rue Saint-Antoine, occuper le marché des Innocents, la place de Grève et celle de la Bastille. Ces colonnes n'avancent que sous un feu terrible, partant des barricades, des fenêtres, des toits, sous une grêle de projectiles de toute nature, et n'accomplissent leur mission qu'au prix de pertes considérables. En outre, les soldats manquent de vivres et souffrent d'une chaleur torride. Les points stratégiques désignés par Marmont étaient occupés; mais entre ces détachements et le maréchal les communications étaient coupées et ne se faisaient que difficilement par des officiers déguisés. Dans la soirée, le maréchal ordonna à ces troupes de revenir vers lui, ce qu'elles ne purent accomplir qu'avec des peines infinies, sous une grêle de balles, en perdant une notable partie de leur effectif. L'Hôtel de Ville resta au pouvoir de l'insurrection.

A Saint-Cloud, on persistait, malgré les messages peu rassurants du duc de Raguse, dans une confiance imperturbable. Le prince

de Polignac et les ministres, en permanence aux Tuileries, quartier général de Marmont, ne montraient pas moins de sécurité. Un aide de camp du maréchal, étant entré pour rendre compte au prince de l'état des choses, revint tout effaré, disant : « Nous avons un premier ministre qui n'entend même pas le français. » L'officier avait exprimé des doutes sur la fidélité d'une partie des troupes. « Hé bien ! avait répondu M. de Polignac, qu'on tire sur la troupe. » De longue date, il existait une rivalité jalouse entre la garde royale, corps privilégié, réservé aux meilleures garnisons, et la troupe de ligne, un peu dédaignée, reléguée à Paris dans les quartiers excentriques et exclue des services d'honneur, de la garde des Tuileries. Il y avait plus d'affinité entre ces soldats et la population ouvrière. Les insurgés avaient pour eux des ménagements auxquels ils répondaient par une inaction presque complète; plusieurs corps avaient livré leurs casernes, leurs armes, leurs munitions.

Journée du 29. Le 29 au matin, Marmont avait rappelé tous les détachements, tous les petits postes épars dans la ville et s'était concentré entre la rue Saint-Honoré, les quais et la rue du Louvre, occupant ce palais, celui des Tuileries, la place Vendôme et les Champs-Élysées, ayant ainsi ses communications libres avec SaintCloud, mais ne tenant plus rien dans le reste de Paris que la caserne de la rue de Babylone, gardée par des Suisses.

Dans la matinée, sur les instances de quelques maires de Paris, Marmont se montra disposé à une suspension d'armes pour attendre le résultat de démarches tentées à Saint-Cloud. Les magistrats municipaux s'étaient rendus vers les insurgés et avaient obtenu la cessation du feu. Un incident imprévu changea la situation.

Entraînée par les exhortations, la troupe stationnant place Vendôme abandonna sa position pour aller se mettre aux ordres des députés réunis chez Laffitte. Apprenant cette défection, Marmont envoie l'ordre à un des deux bataillons suisses qui défendent le Louvre d'aller place Vendôme et à l'autre bataillon de se concentrer. Le commandant, comprenant mal cet ordre, retire les soldats placés aux fenêtres et sous la colonnade et les rassemble dans la cour. Voyant la colonnade déserte, un gamin monte au moyen d'une trémie destinée à déverser des gravois et se montre hardiment à une fenêtre sur la cour. A son aspect, les Suisses croient que le peuple a escaladé la colonnade; ils se précipitent en désordre vers la voûte de l'horloge et fuient emportés par la panique

jusqu'aux Tuileries. Les défenseurs de ce palais, entraînés à leur tour, abandonnent l'intérieur et se sauvent par le jardin, où Marmont les rallie avec peine, se replie sur le bois de Boulogne et va annoncer à Saint Cloud que Paris est perdu.

Dans le même moment, la caserne de Babylone, attaquée par une colonne que commandait un élève de l'École polytechnique, Vaneau, qui y fut tué, était prise après une vigoureuse résistance. La bataille était gagnée. Paris tout entier s'était levé avec un élan unanime; jeunes gens, ouvriers, commerçants, industriels, bourgeois de toute condition avaient bravement payé de leurs personnes, chèrement acheté la victoire et pouvaient à bon droit appeler glorieuses, ces journées que l'on a essayé plus tard de rendre ridicules: ceux qui les ont décriées ne les ont pas vues. De tous les écrivains, de tous les députés de la droite, de tous les courtisans si fanfarons, si arrogants avant la lutte, pas un seul ne prit un fusil ou une épée et ne vint combattre aux côtés des soldats qui tombaient pour la défense de la royauté. Ce ne furent même pas eux qui allèrent recueillir et soignèrent leurs blessés; ils laissèrent cette tâche d'humanité aux insurgés, qui n'y faillirent pas les soldats du drapeau blanc trouvèrent dans les ambulances improvisées ou dans les logements particuliers les mêmes soins, la même sollicitude. que les défenseurs du drapeau tricolore.

La révolution était faite le 29 au soir. La lutte en fut le côté héroïque. A quoi devait-elle aboutir? Ce fut le côté peu brillant.

SV. RÉUNIONS DEs députés. Dans la journée du 26, des réunions de députés avaient eu lieu chez M. Bérard, chez M. Delaborde; on n'avait pu rien résoudre; le mot de protestation avait épouvanté, quand déjà la protestation signée des journalistes courait tout Paris. Dupin, surpris chez lui par quelques-uns de ses collègues, voulait bien donner une consultation juridique, mais non politique, n'étant plus député puisque la Chambre était dissoute. D'autres ne croyaient pas que, même en admettant l'illégalité des ordonnances et l'existence légale de la Chambre, les députés pussent agir valablement avant le 3 août, date de la convocation régulière. Chacun cherchait une raison de ne rien faire.

Le 27, on se réunit chez Casimir Périer, sans résultat, puis chez Audry de Puyraveau, où M. Guizot apporta un projet de protestation rédigé par lui, pâle et fade copie de celle de la presse. On voulut bien l'adopter, mais on ne voulait pas le signer. On eut recours à un expédient plus prudent que brave. On mit à la

suite du texte les mots : Étaient présents, que l'on fit suivre des noms. Il y avait une quarantaine de personnes; on en inscrivit plus de soixante.

Laffitte et Lafayette étaient absents. Avertis, ils se hâtèrent de revenir. Laffitte était à Paris le 27 au soir. Lafayette arriva dans la nuit. Laffitte ouvrit son hôtel aux réunions de députés. Tous ces tribuns, si hardis en paroles, étaient sans force quand il fallait passer à l'action. Une dizaine à peine se montrèrent résolus à pousser la lutte jusqu'au bout, entre autres Laffitte, Audry de Puyraveau, le général Gérard, Lafayette, Mauguin, de Schonen.

Dans la journée du 28, Laffitte, Gérard, le général Lobau, Mauguin et Casimir Périer, firent auprès de Marmont une démarche de conciliation qui resta sans effet.

Le 29, deux pairs de France, MM. d'Argout et de Sémonville eurent aussi une entrevue avec le maréchal et avec les ministres sans être plus heureux; ils se décidèrent à aller à Saint-Cloud; Marmont leur donna un billet d'introduction « dépourvu de toutes formules de respect,» auprès du roi. Ils y arrivèrent presque en même temps que le prince de Polignac et les ministres, qui les avaient suivis de près; M. de Vitrolles arriva de son côté.

Pendant ce temps, le général Lafayette prenait le commandement de la garde nationale et s'installait à l'Hôtel de Ville. Un peu plus tard, s'y installait aussi une commission municipale nommée par la réunion de l'hôtel Laffitte et composée de MM. Laffitte, Casimir Périer, Lobau, de Schonen, Audry de Puraveau et Mauguin. Le général Gérard reçut le commandement des opérations militaires actives. On n'avait pas osé constituer un gouvernement provisoire. Habitués aux formalités parlementaires, les députés voulaient mettre une apparence de légalité dans une situation absolument illégale. Si les citoyens de Paris eussent été aussi formalistes, les ordonnances auraient triomphé.

Les négociateurs de Saint-Cloud trouvèrent le roi n'ayant rien perdu de son obstination et de ses illusions. Il refusa de révoquer les ordonnances, mais chargea le duc de Mortemart de former un ministère dont le général Gérard ferait partie. MM. d'Argout et de Sémonville revinrent porter ces nouvelles à Paris avec M. de Vitrolles, qu'ils avaient trouvé à Saint-Cloud. Tous trois allèrent à l'Hôtel de Ville, où ils furent éconduits. M. de Sémonville, fatigué, rentra chez lui tandis que les deux autres se rendirent à l'hôtel Laffitte. Ils y furent mieux écoutés; il y avait là des députés que la

perspective d'une révolution effrayait et qui étaient prêts à entrer en composition avec Saint-Cloud. Mais les négociateurs n'avaient aucune pièce officielle; on rappela que M. de Forbin-Janson, beaufrère du duc de Mortemart, avait promis de venir le soir avec le duc. On résolut de les attendre pour prendre une résolution.

§ VI. LE DUC D'Orléans. - Jusqu'à ce moment, la population parisienne avait combattu aux cris de: Vive la Charte! à bas les Bourbons! Mais aucun nom n'avait encore été prononcé. Aucun acte n'avait poussé à la déchéance de Charles X ; rien n'était donc irrévocable.

Les rédacteurs du National, qui avaient eu l'initiative de la résistance, craignirent-ils un accommodement qui, en maintenant la branche aînée, eût tout remis en question et voulurent-ils provoquer un autre dénoûment pour ne pas perdre le fruit de la révolution accomplie? toujours est-il qu'ils prirent encore l'initiative de susciter la pensée d'un gouvernement nouveau. Le 30, ils firent imprimer, et répandre à profusion, un placard ainsi conçu :

Charles X ne peut plus rentrer dans Paris; il a fait couler le sang du peuple.

« La république nous exposerait à d'affreuses divisions; elle nous brouillerait avec l'Europe.

« Le duc d'Orléans est un prince dévoué à la cause de la Révolution.

« Le duc d'Orléans ne s'est jamais battu contre nous.

« Le duc d'Orléans était à Jemmapes.

« Le duc d'Orléans a porté au feu les couleurs tricolores; le duc d'Orléans peut seul les porter encore; nous n'en voulons pas d'autre.

« Le duc d'Orléans s'est prononcé; il accepte la Charte comme nous l'avons toujours voulue et entendue.

« C'est du peuple français qu'il tiendra sa couronne. »>

Les deux derniers paragraphes étaient un peu téméraires. On ne savait encore ni ce que ferait, ni même où se trouvait le duc d'Orléans. Laffitte avait, dans la matinée, chargé M. Édouard de Rigny d'aller s'en informer. Un peu plus tard, M. Thiers était parti pour Neuilly avec Ary Scheffer, qui avait donné des leçons de dessin aux filles du duc. Aussi, le placard fut-il modifié et des exemplaires portaient : « Le duc d'Orléans ne s'est pas prononcé; il attend notre vœu et acceptera la Charte... »

M. Thiers et Scheffer furent reçus par la duchesse d'Orléans et

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