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SECTION V

MONARCHIE DE JUILLET

(du 9 août 1830 au 24 février 1848)

CHAPITRE PREMIER

Élection du roi des Français. - Premier ministère.

Poursuites contre les ex-ministres. velles. Le Panthéon. Revue du roi..

-

tuation extérieure. Les rémonie du 22 septembre.

- Suspension du travail. La peine de mort. - Lois nouMort du prince de Condé.

Si

réfugiés espagnols. - Rappel des bannis. - CéClubs.

§ I. ÉLECTION DU ROI DES FRANÇAIS. Depuis sa visite à l'Hôtel de Ville le 31 juillet 1830, le duc d'Orléans était roi de fait, sous le titre de lieutenant général du royaume, titre qu'avait pris le comte d'Artois en 1814, et que, par une bizarre rencontre venaient de lui conférer, en même temps, la réunion insurrectionnelle des députés et le roi Charles X, jadis comte d'Artois, partant pour l'exil sans retour.

Un des premiers actes du lieutenant général fut de convoquer les Chambres pour le 3 aout. C'était la date fixée par Charles X au mois de mai précédent; mais, depuis, ce prince avait dissous la Chambre par une des ordonnances du 25 juillet et assigné une autre date d'ouverture. Ce n'est donc pas en conformité d'un acte du dernier gouvernement que la Chambre allait se réunir, mais sur l'appel du gouvernement révolutionnaire. L'ouverture des Chambres fut faite, en effet, le 3 août, par le lieutenant général, qui prononça une courte allocution, puis l'assemblée procéda à la vérification des pouvoirs. Quelques élections furent annulées pour violation du secret des votes. Le 7, la Chambre des députés discuta les modifications à introduire dans la Charte. Elle en supprima le préambule : la Charte n'était plus concédée par le roi à la nation; c'est la nation qui l'imposait au roi comme condition de règne. L'article 14 en fut modifié de manière à ne plus laisser place à de sophistiques interprétations. Les conditions d'âge pour l'entrée dans

les deux Chambres furent abaissées. On supprima la septennalité, la législature fut fixée à cinq ans avec renouvellement intégral. La religion de l'État disparut, mais on crut devoir constater que le catholicisme était la religion de la majorité des Français, fait de statistique dont la place n'était pas là. La censure fut abolie, avec mention qu'elle ne serait jamais rétablie. Le jury fut rendu à la presse. Les trois couleurs furent déclarées celles de la nation. L'organisation de la pairie, la liberté de l'enseignement et quelques autres questions furent remises à des lois ultérieures.

La Charte fut précédée d'une déclaration portant que « le trône est vacant, en fait et en droit et qu'il est indispensablement besoin d'y pourvoir. » Le texte amendé de la nouvelle Charte suivait ce préambule. Venait ensuite l'invitation au duc d'Orléans d'accepter et de jurer la Charte et les institutions qu'elle indiquait, et après cette acceptation et ce serment devant les Chambres assemblées, à prendre le titre de roi des Français,

Dans la discussion ouverte sur ces dipositions, plusieurs orateurs royalistes, entre autres MM. de la Bourdonnaye, Hyde de Neuville et Berryer, prirent la parole, déclarèrent être sans pouvoirs pour proclamer la vacance du trône et transférer la couronne. Au moment du vote, ces députés et une vingtaine d'autres se retirèrent. Plusieurs donnèrent leur démission après le vote.

La Chambre adopta l'ensemble par 219 voix contre 33, sur 252

votants.

A la Chambre des pairs, Chateaubriand seul prit la parole. Tout en rendant hommage à la légitimité et à l'énergie de la résistance des Parisiens, tout en condamnant les coupables conseillers qui avaient poussé Charles X à la violation de la Charte, il revendiqua les droits du jeune Henri V, en faveur duquel avaient abdiqué son aïeul et son oncle. Il déclara, d'ailleurs, que pour lui, il se retirait de la vie politique.

Après cet unique discours, la Chambre haute adopta par 89 voix contre 10 la déclaration des députés. Il y avait 114 votants; 15 déposèrent des bulletins blancs.

Ainsi fut officiellement accomplie la déchéance de la branche ainée. Quelques amis, en bien petit nombre, lui donnèrent de publics témoignages de regrets! Où étaient les nombreux fidèles qui avaient promis de combattre et de mourir pour elle?...

Le 9 août, les deux Chambres se réunissent dans la salle provisoire du palais Bourbon. A deux heures, arrive le lieutenant général

du royaume, annoncé par le canon, précédé de deux grandes députations des Chambres, qui sont allées le recevoir. Il prend place, avec ses deux fils aînés, sur des pliants placés en face du trône, derrière une table recouverte de velours et sur laquelle se trouve une écritoire.

Casimir Périer, président de la Chambre des députés, donne lecture de la déclaration votée le 7; le baron Pasquier, président de la Chambre des pairs, dépose l'acte d'adhésion de celle-ci. Le duc d'Orléans dit alors : « J'ai lu avec une grande attention la déclaration de la Chambre des députés et l'acte d'adhésion de la Chambre des pairs; j'en ai pesé et médité toutes les expressions.

« J'accepte, sans restriction ni réserve, les clauses et engagements que renferme cette déclaration et le titre de roi des Français qu'elle me confère, et je suis prêt à en jurer l'observation. »

Après avoir reçu de Dupont (de l'Eure), ministre provisoire de la justice, la formule écrite du serment, le duc se lève, et, la main haute, prononce ces paroles :

« En présence de Dieu, je jure d'observer fidèlement la Charte constitutionnelle, avec les changements et modifications exprimés dans la déclaration de la Chambre des députés; de ne gouverner que par les lois et selon les lois; de faire rendre bonne et entière justice à chacun, selon son droit, et d'agir en toutes choses dans les seules vues de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. >>

On aurait pu retrancher cette dernière ligne : quel est le gouvernement qui ne veut pas assurer les intérêts, le bonheur et la gloire de la nation?

Les maréchaux Mortier, Macdonald, Oudinot et Molitor lui remettent les insignes de la royauté, main de justice, glaive, sceptre et couronne. Puis, il signe les actes qui constituent son élection, et monte sur le trône aux cris de: Vive Louis-Philippe! vive le roi ! et adresse à l'assemblée une allocution, où il renouvelle l'assurance d'être fidèle au pacte qu'il vient d'accepter. Il descend alors, quitte le palais législatif et retourne à son Palais-Royal, au milieu de retentissantes acclamations.

On a contesté à la Chambre de 1830 la capacité légale de disposer du gouvernement de la France. En théorie absolue, elle ne l'avait certainement pas. En fait, il ne faut pas oublier que, devant les élections de juin 1850, se posait l'éventualité d'un coup d'État, et par conséquent celle d'une révolution. La Chambre avait morale

ment reçu mandat de pourvoir aux suites de cette double éventualité. La révolution accomplie, qui avait pouvoir de dissoudre la Chambre nouvellement élue et d'en convoquer une nouvelle? qui de changer la loi électorale? De nouvelles élections auraient, d'ailleurs, envoyé une Chambre composée comme celle de juin, avec des légitimistes en moins. Si Louis-Philippe eût soumis son élection à la ratification de la nation, il n'eût pu consulter que les électeurs censitaires, car personne alors ne voulait ou n'eût osé proposer le suffrage universel. Qui doute que ce plébiscite restreint eût répondu autrement que n'a répondu plus tard le plébiscite du suffrage universel en 1851, en 1852, en 1870? La Chambre de 1830 était issue d'un assez puissant mouvement de l'opinion publique pour croire qu'elle représentait fidèlement la France. Elle a peut-être excédé son droit devant l'abstraction des principes; elle fait ce qui était pratiquement possible devant la réalité et les exigences des circonstances.

On a reproché à Louis-Philippe d'être le roi de la bourgeoisie; il le fut, en effet, si l'on donne à ce mot de bourgeoisie la seule signification qu'il puisse avoir, en France, depuis 1789, c'est-à-dire si l'on désigne par là l'ensemble des fractions intelligentes, lettrées, industrieuses de la population, n'excluant personne et accessibles à tous. Dans les siècles antérieurs, n'était-ce pas la bourgeoisie, même privilégiée, qui depuis le temps d'Étienne Marcel avait lutte contre la royauté, la noblesse et le clergé? qui, en 1789, avait renversé tous les priviléges en proclamant l'égalité devant la loi? qui avait aboli la monarchie, défendu la révolution avec la plus terrible énergie, sauvé l'indépendance nationale et forcé tous les rois à traiter en vaincus avec la République? Sans doute, elle n'avait pas été seule dans cette lutte, et ce qu'on appelle encore « le peuple » l'y avait admirablement secondée; mais c'est elle qui fut l'initiatrice dans la Constituante, dans la Législative, dans la grande Convention nationale. Après la compression militaire de l'Empire, elle reprit son rôle d'initiatrice sous la Restauration, qu'elle accepta de bonne foi, avec la France entière, qu'elle essaya de maintenir ou de ramener dans la voie libérale. Quand elle dut reconnaître l'irréconciliabilité de l'esprit royaliste et de l'esprit libéral, quand il fallut reprendre la lutte de 1789, la « bourgeoisie française » se remit résolûment à la tâche, mena vivement la campagne, et quand elle en fut réduite à recourir aux armes du 14 juillet et du 10 août, elle fut la première à donner le signal de

la résistance et se montra partout aux premiers rangs devant le feu des troupes royales.

Au mois d'août 1830, cette « bourgeoisie » moderne représentait exactement l'immense majorité de la population française, et elle était fondée à croire que son règne était arrivé. Son erreur fut de croire que 1830 était le terme et non pas une simple station du progrès politique, de ne pas voir qu'il ne fallait s'y arrêter un moment que pour reprendre un nouvel élan, et que, si la possession pécuniaire est un signe, d'ailleurs incertain et discutable, de la capacité intellectuelle, il y a d'autres droits qu'elle ne représente pas, d'autres éléments sociaux devant qui 1789 a fait tomber les barrières légales, et devant lesquels il reste à faire tomber les barrières autrement redoutables de la misère et de l'ignorance qui la produit. Ce fut aussi l'erreur de « son roi. »>

Après tout, un grand progrès était réalisé. La vieille fable du droit divin était finie, et, avec elle, la théorie qui faisait d'un peuple la propriété héréditaire d'une famille privilégiée. La nation rentrait dans la plénitude de sa souveraineté, et c'est d'elle seule que relevait le gouvernement nouveau. A la vérité, cette souveraineté semblait s'abdiquer à l'instant même en restaurant une autre famille royale, avec transmission héréditaire de la couronne. Mais, qui ne sentait que c'était là une fiction légale, une vraie délégation, qu'une génération ne peut aliéner le droit et la liberté des générations futures, et que le jour où le peuple français ne serait plus d'accord avec le mandataire auquel il confiait la gestion de ses biens, le peuple ressaisirait sa souveraineté et le roi perdrait tous ses droits? Plus d'un, parmi les fondateurs de la royauté nouvelle, devait voir cet événement.

§ II. PREMIER MINISTÈRE. - Le 11 août, Louis-Philippe composa son premier cabinet: Dupont (de l'Eure) à la justice, Gérard à la guerre, Guizot à l'intérieur, Sébastiani à la marine, duc de Broglie à l'instruction publique et cultes, l'abbé Louis aux finances, Molé aux affaires étrangères. Le roi se réserva la présidence du conseil et donna le titre de ministres sans portefeuille à MM. Laffitte, Casimir Périer, Bignon et Dupin. M. Odilon Barrot fut nommé préfet de la Seine, M. Girod (de l'Ain) préfet de police, Dupin procureur général à la Cour de cassation, M. de Schonen procureur général à la Cour des comptes.

Le même jour, une ordonnance du roi licencia les régiments de la garde royale.

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