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avaient laissé le souvenir le plus vivant, le plus aimé ; c'est en eux que fut honorée la mémoire de tous.

Le 22 septembre, jour anniversaire du supplice de Bories, Pommier, Goubin et Raoux, les clubs, les sociétés populaires existant alors à Paris se réunirent à la place de Grève, au milieu d'un grand concours de spectateurs. Des discours furent prononcés, non pas pour réhabiliter, il n'en était pas besoin, mais pour célébrer la mémoire des hommes qui avaient donné leur vie à la cause de la liberté. On les honora d'une manière encore plus digne d'eux en faisant signer, sur le lieu même où ils étaient morts, une pétition demandant l'abolition de la peine de mort en matière politique. Il y avait quelque générosité à le faire quand cette peine menaçait directement quatre des hommes qui avaient, pendant trois jours, versé le sang du peuple de Paris.

A la suite de cette cérémonie exclusivement populaire, il fut officiellement décidé que l'échafaud ne serait plus jamais dressé sur la place de Grève, et il n'y a jamais reparu.

§ XIII. CLUBS.- La Restauration avait eu l'art de réunir en un seul faisceau tous les éléments d'opposition successivement soulevés contre elle. Cette union fit l'élan unanime qui renversa la branche aînée. Après la victoire, chacun retourna à ses doctrines de préférence. Si le gouvernement nouveau rallia autour de lui tous ceux qui n'aspiraient qu'à une monarchie constitutionnelle et quelques bonapartistes, il eut en face de lui les républicains, le plus grand nombre des bonapartistes, et à côté, mais en dehors d'eux, les légitimistes. Il s'y joignit un nouveau genre d'opposition, à peine remarqué sous la Restauration, mais qui prit alors un développement considérable, c'est ce qu'on a appelé un peu plus tard le socialisme, un de ces mots commodes pour l'attaque aussi bien que pour la défense, parce que, n'étant pas susceptibles de définition précise, ils laissent tout supposer, le mal comme le bien. A cette époque, le socialisme se composait surtout de deux doctrines principales le saint-simonisme et le fouriérisme. Les partisans de l'un et de l'autre se montraient assez indifférents à la forme politique pourvu qu'ils eussent la liberté d'association, de réunion, de la presse et de la parole, car ils n'entendaient faire qu'une propagande pacifique. Ils avaient des lieux de réunion où ils appelaient le public à venir, à des jours déterminés, écouter et discuter leurs principes. C'étaient pour la plupart des hommes instruits, d'anciens élèves de l'École polytechnique, animés de généreuses intentions, qui avaient

conçu un idéal de société fondée sur une communauté volontaire où chacun trouverait la faculté d'employer au profit de tous ses aptitudes personnelles.

A côté de ces prédications régulières d'évangiles nouveaux, s'étaient ouverts une certaine quantité de clubs dans quelques-uns desquels se produisaient d'autres théories sociales, plus ou moins utopiques, mais dont le plus grand nombre se livrait à la discussion des théories politiques, à la critique, presque toujours acerbe, passionnée, violente, des actes du gouvernement. Le principal de ces clubs était celui de la Société des amis du peuple, qui tenait ses séances dans un local situé rue Montmartre, où se faisaient entendre des hommes qui ne manquaient pas de talent oratoire et dont la parole ardente enflammait les imaginations populaires.

Pas plus que les flots de la mer après une grande tempête, le flot des esprits humains ne rentre soudainement dans le calme normal après une de ces vives commotions qu'on appelle des révolutions. C'est alors dans les clubs, dans les réunions publiques que viennent s'agiter les remous de la tempête politique. Ce sont naturellement les ardeurs inassouvies, les ambitions impatientes, mal réglées, malsaines même, les doctrines aventureuses, erronées, qu ont la parole à ces tribunes improvisées. Elles ont l'inconvénient d'entretenir une certaine agitation dans les esprits impétueux, une certaine inquiétude dans les esprits timorés. Le mal est que la contradiction n'ose ou ne sait pas s'y faire entendre, et que gouvernement et public intéressés trouvent plus facile d'imposer silence que de discuter. On ferme alors ces soupapes de sûreté au lieu d'en régler l'action; mais on ne supprime pas en même temps les idées et les passions qui, bonnes ou mauvaises, font leur chemin souterrainement, dans l'ombre, préparant d'imprévues et périlleuses explosions. En 1830, le droit de réunion n'existait pas plus que le droit d'association. Des lois édictées par Napoléon interdisaient l'un et l'autre ; il semble qu'un régime de liberté eût dû substituer à la prohibition absolue une législation plus libérale. On n'en fit rien. Un professeur à qui la Restauration n'avait pas laissé la liberté de sa chaire en Sorbonne, et à qui cet acte d'intolérance avait valu un instant de popularité, devenu ministre de l'intérieur, invoqua les lois de l'Empire contre les clubs. Des gardes nationaux, importunés par les discussions de la Société des amis du peuple, se réunirent extra-légalement, et de vive force firent arbitrairement évacuer la salle des séances. Le tribunal correctionnel condamna la Société et

en ordonna la dissolution. Les clubs disparurent; les sociétés secrètes reprirent. Était-ce un moindre mal?

Avant de se dissoudre, la Société des amis du peuple put encore lever, armer un bataillon et l'envoyer prendre part à l'affranchissement de la Belgique.

CHAPITRE II

Révolution belge. - Modifications ministérielles. - Mort de Benjamin Constant. Cour des pairs.

§ I. RÉVOLUTION belge. - Tandis, en effet, que le gouvernement français comprimait la fermentation intérieure, une révolution populaire, coïncidant avec celle de France, sans en être la conséquence, éclatait en Belgique.

En 1814, la Belgique, la Hollande même appartenaient à la France. La première y avait été annexée par la République, à la suite des événements de guerre contre l'Autriche; la seconde, par un acte arbitraire de Napoléon, après que son frère Louis, dont il avait fait un roi de Hollande, se fut enfui de sa royauté pour se soustraire à la tyrannie fraternelle. Les politiques de 1815, ne voulant pas laisser la Belgique à la France, n'osant pas la restituer à l'Autriche, eurent l'idée bizarre de l'accoupler au royaume des PaysBas, sous le sceptre de la maison de Nassau, qui jadis avait violemment séparé les provinces du Nord des provinces du Sud, au temps de la domination espagnole. L'union ne pouvait pas être cordiale entre populations différentes de caractère, d'esprit, de religion. Avant 1830, on en était déjà à des hostilités latentes, à des menaces de séparation. Au mois d'août 1830, une émeute éclata à Bruxelles; la garde civique resta maîtresse de la ville. Le prince Frédéric marcha sur cette ville à la tête de troupes hollandaises; mais, d'accord avec la garde civique, il y entra seul avec ses aides de camp. Les dispositions de la population étaient ouvertement hostiles; le prince se retira. Un mois plus tard, les troupes hollandaises reparurent, pénétrèrent dans la ville, n'osèrent pas s'engager dans l'intérieur et s'établirent dans le parc, au nord-est de Bruxelles. Elles y furent attaquées, et après trois jours d'une lutte sanglante (23, 24, 25 septembre), elles durent évacuer Bruxelles

et la Belgique, dont toutes les villes étaient soulevées contre la royauté hollandaise.

Cet événement constituait une violation des traités de 1815 bien autrement grave que la révolution de Juillet. Celle-ci, en effet, n'avait rien changé à l'organisation des États européens ; la révolution belge dėmembrait un des États formés par les traités de Vienne. La Prusse, signataire et garante de ces traités, limitrophe du royaume des Pays-Bas, se prépara à faire rentrer les Belges dans le devoir. Alors le gouvernement français signifia que, si l'armée prussienne mettait le pied sur le territoire de la Belgique, une armée française y entrerait de son côté. Cette menace arrêta court les dispositions des Prussiens. La question fut déférée à une conférence diplomatique, tenue à Londres, qui prononça la séparation de la Belgique et de la Hollande.

Dans cette circonstance, Louis-Philippe eut à lutter contre un vif entraînement d'opinion publique qui aurait voulu la réunion pure et simple de la Belgique à la France. Il eût fallu, d'abord, que la réunion fût provoquée par les Belges eux-mêmes; or ils n'y étaient pas disposés en majorité. Ce point résolu au profit de la France, il restait à savoir si les puissances signataires des traités de Vienne, qui consentirent à détacher la Belgique et la Hollande pour en faire un État indépendant et neutre, se seraient prêtées à une annexion qui eût augmenté l'étendue et la force de la France. En cas de refus, le bénéfice de la réunion valait-il les risques d'une guerre? Louis-Philippe ne le pensa pas; bien qu'on l'ait accusė d'avoir sacrifié l'intérêt public à la consolidation de sa dynastie, on peut croire qu'il servit ici le véritable intérêt de la France.

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§ II. MODIFICATIons ministérielles. Le premier ministère de la monarchie de Juillet avait été choisi dans les diverses nuances de l'ancienne opposition. Quand il fallut s'accorder sur la politique à suivre, la diversité devint antagonisme; il se fit dans le cabinet une scission marquée entre le parti de la résistance et celui du mouvement. Le premier était représenté surtout par M. Guizot et le duc de Broglie. M. Guizot, ancien serviteur zélé, trop zélé, de la Restauration, avait dû une facile popularité à la suppression de son cours en Sorbonne, sous le ministère Villèle. Dépossédé de sa chaire, il avait pris place dans l'opposition constitutionnelle et avait été nommé député aux premières élections générales de 1830. Absent de Paris au moment de la révolution, il y était revenu peu de jours après et avait été nommé ministre de l'intérieur. C'était un

écrivain remarquable, un orateur dogmatique, parfois éloquent, amer et presque violent quand la passion l'emportait, affectant de braver l'impopularité parce qu'un immense orgueil le mettait au-dessus de l'opinion des autres hommes, collègue incommode par son caractère altier et dominateur, esprit funeste comme chef du cabinet et bien fait pour mener un gouvernement à la ruine.

Le duc de Broglie avait été, on l'a vu, un des plus hardis libéraux de la Restauration; sa parole élevée et éloquente n'avait jamais manqué à la revendication d'aucune liberté publique, d'aucune franchise parlementaire. Pour lui, l'idéal politique, c'était la monarchie constitutionnelle, comme en Angleterre, avec les tempéraments que commandait l'état de la France après 1789, car il combattit la loi du droit d'aînesse. La révolution de Juillet lui parut avoir fondé définitivement en France cette monarchie, et n'éprouvant pas le besoin d'aller au delà, il se tourna résolûment contre ceux qui voulaient autre chose ou quelque chose de plus.

Lui et M. Guizot appartenaient à cette coterie qu'on appelait les doctrinaires, qui aimaient les théories abstraites et prétendaient y ployer tous les esprits, les imposer à toutes les opinions. Ils repoussaient par leur ton hautain et impérieux ceux même qu'aurait pu attirer l'élévation de certaines de leurs idées.

Ces deux hommes ralliaient souvent à eux Casimir Périer, le comte Molé, le baron Louis et Dupin, dont la timidité libérale prenait facilement l'épouvante.

Le mouvement était représenté par Dupont (de l'Eure) et Laffitte auxquels Lafayette apportait habituellement le concours de sa popularité et de son ascendant sur la population parisienne.

Avec des nuances diverses et des hommes parfois différents, cet antagonisme se prolongea pendant toute la durée de la monarchie de Juillet. Le roi avait une pente naturelle vers la résistance, bien qu'il supportât impatiemment la domination différemment, mais également désagréable de Casimir Périer et de M. Guizot. Mais au début du règne, en présence d'un peuple encore fier de sa victoire et de ses droits reconquis, Louis-Philippe sentait la nécessité de ménager le parti du mouvement.

La discordance s'accusa surtout à la suite d'une adresse présentée au roi par la Chambre des députés pour l'inviter à proposer l'abolition de la peine de mort, adresse à laquelle le roi répondit que son sentiment était conforme à celui de la Chambre et qu'il s'empresserait de déférer au vœu de celle-ci (9 octobre). Cette

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