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double manifestation avait pour objet de détourner des ex-ministres prisonniers une condamnation à mort qu'une fois prononcée, il eût été bien difficile de ne pas exécuter. Ce que souhaitait la Chambre, ce que promettait le roi, trois semaines auparavant était demandé dans une pétition signée publiquement à la Grève. Néanmoins, l'adresse et la réponse furent, de la part de la presse opposante, l'objet de réprobations virulentes qui produisirent une grande irritation populaire. Le 17, des attroupements se portèrent au PalaisRoyal, y pénétrèrent, en furent repoussés par la garde nationale; ils criaient A bas Polignac! mort aux ministres ! Refoulés sur la place et dans les rues adjacentes, ils s'y agitaient tumultueusement. Quelques voix ayant crié : A Vincennes! toute cette foule s'ébranla et se mit en marche vers la forteresse. La route était longue; beaucoup restèrent en chemin. A ceux qui arrivèrent jusqu'au château, le gouverneur Daumesnil déclara que les prisonniers appartenaient à la loi, qu'il ne les livrerait pas et que, si le château était envahi, lui, Daumesnil, mettrait le feu aux poudres. L'attroupement se tint pour satisfait et se retira en criant: Vive la Jambe de bois! On appelait ainsi populairement le général Daumesnil, qui avait perdu une jambe à Wagram.

Les rassemblements continuèrent, un ou deux soirs encore, autour de la résidence du roi, puis se dissipèrent.

M. Guizot et les membres du conseil qui l'appuyaient auraient voulu une répression vigoureuse; les autres ministres insistaient pour des mesures de modération et de conciliation. Ceux-ci l'emportèrent. MM. Guizot, de Broglie, Louis, Molé, Casimir Périer et Dupin donnèrent leur démission. Les quatre premiers qui, seuls, avaient des portefeuilles, furent remplacés, le 2 novembre, par le maréchal Maison aux affaires étrangères, MM. de Montalivet à l'intérieur, Mérilhou à l'instruction publique, Laffitte aux finances avec la présidence du conseil. Ce dernier fut remplacé, comme président de la Chambre des députés, par Casimir Périer.

Quelques jours après, le 17, le général Sébastiani passa aux affaires étrangères, laissant la marine au comte d'Argout, et le général Gérard quitta la guerre, qui fut donnée au maréchal Soult.

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§ III. MORT DE BENJAMIN CONSTANT. Le 3 décembre, Paris vit défiler sur ses boulevards un de ces immenses cortéges funèbres que sait improviser l'élan spontané du peuple d'une grande ville: c'étaient les funérailles de Benjamin Constant. Cette fois, l'émotion populaire n'en faisait pas seule les frais et les pompes officielles y

tenaient une grande place. Benjamin Constant n'avait ni la forte parole de Manuel, ni l'éloquence entraînante du général Foy : il lui manquait la flamme de passion qui échauffe le cœur et le langage. Mais, soit dans des discours élégants, ingénieux, spirituels, soit dans des livres et des brochures où la solidité du raisonnement était relevée par la vivacité du style, il avait traité avec succès les questions les plus élevées de la doctrine constitutionnelle. Mal vu sous l'Empire à cause de ses rapports d'intimité avec madame de Staël, il s'était laissé attirer par Napoléon pendant les Cent jours. L'opinion lui avait pardonné cette faiblesse parce qu'il était resté fidèle aux idées libérales en rédigeant l'Acte additionnel aux constitutions de l'Empire. Ce fut peut-être heureux pour lui que cette constitution ne dût jamais vivre sous celui qui l'avait jurée.

Benjamin Constant, lorsque éclata la révolution de Juillet, souffrait d'infirmités physiques auxquelles s'ajoutaient les souffrances morales d'une existence embarrassée. Ni le traitement considérable attaché à un emploi, créé pour lui, ni le don d'une importante somme d'argent fait par le roi ne suffirent à réparer le désordre de ses affaires; les cruelles angoisses de la gêne, presque de la misère, assombrirent ses derniers jours et hâtèrent sa mort.

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§ VI. COUR DES PAIRS. La Chambre des députés ayant décidé la mise en accusation des quatre ministres de Charles X arrêtés après la révolution, la Chambre des pairs s'était, le 1er octobre, constituée en cour de justice et avait délégué à quatre de ses membres, le baron Pasquier, le comte de Bastard, le baron Séguier et le comte de Pontécoulant, le soin de diriger l'instruction de cette grave affaire.

Tandis que se poursuivait l'information, la Cour des pairs eut occasion de siéger pour juger, un des siens, le comte Florian de Kergoray, prévenu d'avoir accusé la Chambre des députés d'usurpation de pouvoirs, Louis-Philippe de n'être qu'un souverain illégitime, et la Chambre des pairs d'avoir violé ses serments. Cette accumulation de délits ne valut à l'ancien pair, déclaré coupable, que six mois de prison et 500 francs d'amende. La Cour faisait un premier essai d'indulgence.

Le 10 décembre, à huit heures du matin, MM. de Polignac, de Peyronnet et de Guernon-Ranville furent transférés du château de Vincennes dans un bâtiment du Petit-Luxembourg, disposé à usage de geôle. Le quatrième prisonnier, M. de Chantelauze, très-souffrant, ne put être transporté que dans la soirée.

Le 15, s'ouvrirent les débats du procès. Le procureur général Persil remplissait les fonctions de ministère public; les accusés étaient défendus: M. de Polignac, par M. de Martignac, le chef du ministère qu'il avait remplacé; M. de Peyronnet par M. Hennequin; M. de Chantelauze par M. Sauzet, du barreau de Lyon; M. de Guernon-Ranville par M• Crémieux.

La contenance des accusés fut calme et digne, sans affectation comme sans faiblesse.

Le baron Pasquier, président de la Cour, fit, selon l'usage, subir à chacun d'eux un interrogatoire où l'on crut voir la pensée de les engager à rejeter la responsabilité des faits de l'accusation sur l'ancien roi. Si cela est vrai, ce fut une précaution inutile. Tous les quatre acceptèrent pleinement la responsabilité de leur participation aux ordonnances et à ce qui s'ensuivit.

Après les dépositions de nombreux témoins, le ministère public soutint avec énergie l'accusation et oublia quelquefois la modération que l'organe de la justice doit garder en présence des accusés.

Après lui, les défenseurs eurent la parole. La situation des accusés avait quelque chose de juridiquement étrange. La Charte qu'on leur reprochait d'avoir violée, ne les rendait responsables que des crimes de haute trahison et de concussion. Or, on ne relevait pas contre eux de tels chefs d'accusation. Pour tous autres crimes engageant la responsabilité ministérielle, la Charte renvoyait à des lois qui étaient encore à faire. D'autre part, la Charte déclarait le roi irresponsable, et, contrairement à la Charte, le roi Charles X avait payé pour la responsabilité de ses ministres. Les défenseurs discutèrent ces points de droit constitutionnel, puis la légalité des ordonnances et la légitimité de la résistance et, par conséquent, de la Révolution des trois jours. Ce procès fait à la révolution irrita et indigna beaucoup de gens. C'était pourtant le droit de la défense et c'est l'inconvénient des procès politiques que les accusés prennent le rôle d'accusateurs. Ainsi avaient fait les libéraux sous la Restauration, ainsi allaient faire les républicains sous Louis-Philippe.

M. de Peyronnet se défendit lui-même dans un langage dont la modération étonna.

Tandis que la Cour des pairs procédait avec un calme, au moins apparent, à ses devoirs judiciaires, une agitation menaçante enveloppait le palais que la garde nationale protégeait avec un zèle infatigable. Elle voulait que la loi seule disposât du sort des accusés,

mais beaucoup de gardes veillaient dans l'espoir que la justice frapperait sans pitié ceux qui avaient si cruellement versé le sang de la population parisienne. Lafayette employa toutes ses forces, toute son influence à calmer l'irritation populaire, à encourager la garde nationale, à éloigner tout danger de ce palais, qui faillit plus d'une fois être enlevé d'assaut par une multitude furieuse.

La dernière audience eut lieu le 21 décembre. Tous les abords du palais étaient gardés par des forces imposantes au delà desquelles stationnaient des foules avides de connaître le dénouement du drame.

Les débats étant terminés, la cour se retira en délibération secrète, tandis que les accusés étaient reconduits à leur prison. Ils n'y restèrent pas longtemps; une voiture les attendait où ils prirent place tous les quatre; puis, escortés par des détachements de cavalerie, protégés par la présence du ministre de l'intérieur, M. de Montalivet, et d'un officier supérieur de la garde nationale, tous deux à cheval aux côtés de la voiture, ils roulèrent, de nouveau, vers Vincennes. Un coup de canon tiré du château annonça qu'ils étaient arrivés sains et saufs. Rien, d'ailleurs, n'avait inquiété leur voyage.

Un de ces bruits, dont on ne sait jamais l'origine, avait répandu la nouvelle d'une condamnation capitale. La garde nationale n'en avait pas, non plus que la foule, dissimulé sa satisfaction. Lorsqu'on apprit le départ des accusés, ce fut une explosion générale de colère. La garde nationale, cependant, ne manqua pas à son devoir. L'arrêt, d'ailleurs, n'était pas rendu, personne ne savait encore quel il serait.

C'est seulement à dix heures du soir que le président Pasquier, rentré dans la salle d'audience, fit lecture de la sentence qui condamnait les quatre accusés à un emprisonnement perpétuel, en y ajoutant pour le prince de Polignac la mort civile.

La Cour des pairs reconnaissait dans les ordonnances du 25 juillet une violation de la Charte et déclarait que cette violation constituait le crime de trahison. La peine de la prison perpétuelle était substituée à celle de la déportation, à laquelle aucune localité n'était affectée ni en France ni au dehors.

Cet arrêt renouvela les scènes qu'avait provoquées le départ des prisonniers. Peu s'en fallut qu'une collision n'éclatât entre la garde nationale et la population ouvrière. L'autorité fit appel à la jeunesse des écoles qui, mêlée à des compagnies de garde nationale,

parcourut la ville en faisant entendre des paroles d'apaisement. Cette démonstration réussit, non toutefois sans compromettre la popularité des étudiants.

Le lendemain 23, la Chambre des députés vota des remerciements à la garde nationale. Laffitte proposa aussi de les adresser à la jeunesse des écoles; quelques députés, sans repousser la proposition, signalèrent et blâmèrent des proclamations où les étudiants exprimaient l'espoir que, l'ordre une fois rétabli, la liberté serait garantie. Les étudiants s'irritèrent de ce qu'on leur marchandait la liberté, qu'ils avaient, disaient-ils, payée comptant dans la bataille des trois jours, et ils rejetèrent dédaigneusement les félicitations officielles.

Démission de Lafayette.

CHAPITRE III

Algérie. Lettres, sciences. Étranger. Insurrection de Pologne.

§ I. DÉMISSION DE LAFAYETTE. En ce moment, la Chambre des députés discutait une loi sur la garde nationale, dont un article interdisait de concentrer en une seule main le commandement de toutes les gardes nationales et même de celles d'un département ou d'un arrondissement. Lafayette était alors investi de ce commandement suprême, par mesure temporaire, il est vrai. C'était là un pouvoir qu'on ne devait laisser à aucun personnage, quel qu'il fut, car il se trouvait plus puissant que toute autre autorité. Sous la Restauration, le comte d'Artois avait exercé ce commandement général et Louis XVIIl s'était trouvé dans la nécessité de le lui retirer et de l'abolir. Dès que Lafayette apprit le vote de l'article, il adressa sa démission au roi qui, après quelques refus, l'accepta. C'était raisonnable et juste, mais il l'eût été aussi de trouver une compensation pour un homme aussi considérable que Lafayette, qui aurait pu empêcher l'élévation du duc d'Orléans, qui, au contraire, y avait aidé en sacrifiant ses propres préférences et avait rendu de grands services à la nouvelle royauté. Celle-ci eut peut-être hâte de se débarrasser d'un auxiliaire qui pouvait devenir gênant. En l'écartant, elle en fit un des chefs d'une opposition qui, sans viser au renversement de la dynastie, voulant même la fortifier en la ramenant dans une voie plus conforme à son origine, la mit

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