Page images
PDF
EPUB

le mouvement aux seules provinces dépendant de la Russie. Une diète, réunie à Varsovie, décrète la levée d'une armée de 150,000 hommes.

La nouvelle de l'insurrection polonaise causa en France une profonde émotion. La Pologne avait dans notre pays de puissantes sympathies. Louis XV avait laissé s'accomplir le premier partage de ce malheureux pays. La Convention n'avait rien pu faire pour empêcher le second; Napoléon n'avait pas voulu la reconstituer. Des régiments polonais avaient longtemps et héroïquement combattu pour la France, pendant vingt ans, en Italie, en Allemagne, en Espagne. en Russie; ils avaient défendu notre sol comme celui de leur patrie elle-même.

Le sentiment public eût voulu que le gouvernement de LouisPhilippe prît en main la cause de la Pologne; la presse républicaine l'y poussait avec une ardeur généreuse qui ne tenait pas compte des difficultés de toute nature.

La France avait pu empêcher les Prussiens d'envahir la Belgique, qui ne leur appartenait pas et où il lui était facile de faire entrer sur-le-champ une armée. La France était séparée de la Pologne par toute l'étendue de l'Autriche et de la Prusse, avec qui elle n'était pas en état de guerre, et qui, de leur côté, n'attaquèrent pas la Pologne. Il est vrai que la Russie n'avait pas tenu envers ce pays les engagements pris au congrès de Vienne; la France était-elle en position de soulever une telle question? Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était de laisser partir des volontaires, comme Louis XVI l'avait fait pour l'Amérique et Louis XVIII pour la Grèce. Mais entre l'Amérique, la Grèce et la France, la mer était libre, tandis qu'on ne pouvait arriver en Pologne sans courir le risque d'être empêché par les polices d'Autriche ou de Prusse. La Pologne n'avait donc qu'à compter sur elle-même dans la lutte inégale qu'elle entreprenait; c'est dire qu'elle était « destinée à périr, » suivant une parole cruellement vraie, mais qui n'eût pas dû sortir de la bouche d'un ministre français.

CHAPITRE IV

- Minis

1831. Le duc de Nemours élu roi des Belges. - Sac de l'Archevêché. tère du 13 mars. Les Autrichiens en Italie. La colonne Vendôme. La reine Hortense. Procès des artilleurs. Vendée. Voyages du roi.

§ I. 1831. LE DUC de Nemours élu ROI DES BELGES. A la suite de la révolution de Belgique, avait été élu un congrès national qui proclama l'indépendance de la Belgique, prononça la déchéance de la maison de Nassau et décida que la Belgique serait une monarchie. Le 3 janvier 1831, le congrès résolut que le trône serait confié à un prince étranger, et parmi les nombreuses candidatures produites, il arrêta que le choix aurait lieu entre l'archiduc Charles d'Autriche, le duc de Nemours et le duc de Leuchtenberg, fils du prince Eugène de Beauharnais.

Le gouvernement de Louis-Philippe, en refusant l'annexion de la Belgique à la France, avait annoncé que le roi ne consentirait pas à ce qu'un de ses fils fût appelé au trône de Belgique. Après la résolution du congrès, le refus du roi fut renouvelé officiellement à la conférence de Londres; celle-ci y ajouta que l'élection du duc de Leuchtenberg ne serait reconnue par aucune des cinq puissances. C'était montrer peu de respect pour l'indépendance qu'on venait de reconnaître à la Belgique. Aussi le congrès n'en tint-il aucun compte. Le 7 février, il procéda à un scrutin qui ne donna à aucun des candidats le nombre voulu de suffrages. Il fallut un second tour, où la majorité relative était seule exigée. Le résultat fut celui-ci :

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors][ocr errors][merged small][merged small]

En conséquence, le congrès proclama le duc de Nemours roi des Belges.

Une députation fut envoyée à Paris pour annoncer au duc son élection. Le roi reçut les députés en audience solennelle, le 17 février au Palais-Royal.

Louis-Philippe se montra très-reconnaissant de l'offre faite à son

fils par le peuple belge, mais il renouvela son refus, fondé sur la crainte d'allumer en Europe une guerre générale dont on ne pourrait calculer ni l'étendue ni les désastres. Il rappela les maux que Louis XIV et Napoléon avaient attirés sur la France en voulant imposer des princes de leur famille aux peuples voisins. Il engagea les Belges à choisir un roi qui fût un gage pour la continuation de la paix générale, « qui ne perde jamais de vue que la liberté publique sera toujours la meilleure base de son trône, comme le respect de vos lois, le maintien de vos institutions et la fidélité à garder ses engagements seront les meilleurs moyens de le préserver de toute atteinte et de vous affranchir du danger de nouvelles secousses. >> Les Belges surent trouver le prince exceptionnel que leur indiquait Louis-Philippe, mais celui-ci ne sut pas suivre lui-même la voie qu'il traçait pour un autre. Ceux qui en 1831 blâmèrent la résolution de Louis-Philippe et qui ont vécu jusqu'ici doivent reconnaître que sa prudence fut de la sagesse.

§ II. SAC DE L'Archevêché.

Tandis que Louis-Philippe faisait des vœux pour la pacification de la Belgique, Paris était le théâtre de scènes grotesques à première vue, mais empreintes d'un déplorable vandalisme.

Les carlistes, disparus aux jours de combat, avaient reparu depuis. Ils étaient railleurs, acerbes, injurieux dans leurs journaux, attribuant toutes les difficultés à la révolution. Le 21 janvier, ils firent célébrer dans plusieurs églises de Paris des services funèbres pour l'anniversaire de la mort de Louis XVI; rien ne troubla ces offices faits silencieusement et discrètement. Encouragés par ce succès négatif, les partisans de l'ancien régime annoncèrent dans leurs journaux une démonstration publique à l'église Saint-Roch. Il s'agissait d'un service commémoratif de l'assassinat du duc de Berry, assassiné le 13 février 1820.

L'autorité informée interdit la cérémonie. Ceux qui l'avaient organisée y persistèrent et la transportèrent à Saint-Germain l'Auxerrois. En effet, le 13 février, il y eut grande affluence de voitures et de spectateurs à cette église. Des billets, distribués à la main, y renvoyaient ceux qui se présentaient à Saint-Roch. L'office terminé, un portrait du duc de Bordeaux, des immortelles, sont attachés au simulacre de catafalque, près duquel se tiennent des gardes nationaux non régulièrement commandés; une quête est faite au profit des blessés de la garde royale.

Cependant le bruit de cette cérémonie s'était répandu dans les

environs et avait attiré sur la place une foule qui voyait là un défi porté à la population parisienne par ce parti prêtre, si détesté sous la Restauration et que la révolution de Juillet n'avait pas inquiété. Comme toujours, le récit de ce qui s'est passé s'aggrave en passant d'un narrateur à un autre; la foule s'irrite, s'emporte, pénètre dans l'église, et là se livre à des dévastations aussi coupables qu'insensées. Tout est brisé, déchiré, abattu, foulé aux pieds, au milieu de plaisanteries ignobles. Près de l'église, dans la rue du Coq (rue de Marengo), la boutique d'un des gardes nationaux qui ont présidė au service est envahie, dévastée comme l'église. La garde nationale, tardivement appelée, ne peut que préserver l'église d'une complète destruction. Pour la protéger, on mit sur le portail cette inscription: Mairie du IVe arrondissement.

Les dévastateurs, mis en goût, ne s'en tinrent pas là; le soir et dans la nuit, ils se donnèrent rendez-vous, pour le lendemain 14, à l'Archevêché. M. de Quélen, alors archevêque de Paris, royaliste et clérical très-passionné sous la Restauration, était regardé comme un agent du parti légitimiste et n'était pas aimé dans Paris. Dans la matinée du 14, l'Archevêché fut envahi à son tour, sans que l'autorité eût pris aucune mesure pour empêcher le renouvellement des scènes de la veille. Les émeutiers y pénétrèrent donc sans obstacle. La grille qui l'entourait sur le quai fut arrachée et renversée comme un frêle treillage. Tout ce que contenaient les appartements fut brisé, lacéré, lancé par les fenêtres. On jeta dans la Seine les livres de la bibliothèque, les insignes épiscopaux, toute sorte d'objets précieux que le fleuve emportait jusqu'auprès du pont Neuf. Des bateaux cherchaient à sauver des épaves, mais ce qui était retiré de l'eau se trouvait irréparablement détérioré.

Les combles même de l'Archevêché furent détruits par des hommes qui, accroupis sous les angles, les soulevaient à coups d'épaules et en faisaient tomber les débris dans les cours.

Une croix de fer qui surmontait le faîte de Notre-Dame fut précipitée sur le pavé. Soit indifférence, soit ignorance bien invraisemblable, l'autorité avait laissé faire. Le colonel de la douzième légion ayant appris ce qui se passait, fit battre le rappel et marcha sur l'Archevêché. L'œuvre de destruction était accomplie, et comme il se trouvait que c'était jour de mardi gras, les dévastateurs se promenèrent dans Paris en costumes ecclésiastiques, et portant au bout d'un bâton le portrait déchiré de l'archevêque.

L'Archevêché de 1830 ne conservait rien de l'aspect féodal de

l'ancien Évêché; c'était une construction moderne, vulgaire, sans rien de monumental. Après le sac, il n'y eut pas autre chose à faire que de le démolir. Les pertes regrettables furent celle des livres de la bibliothèque et celle d'objets d'art qui se trouvaient dans les appartements.

A Saint-Germain l'Auxerrois furent brisés de magnifiques vitraux du moyen-âge.

Aussitôt après ces scènes sauvages et pour en prévenir le retour, l'autorité fit disparaître de toutes les églises les croix qui les surmontaient et de tous les édifices publics les emblèmes fleurdelisés. Le roi se soumit lui-même à cette exigence d'une partie turbulente de la population; il gratta les fleurs de lis qui figuraient dans les armoiries de sa famille, sur ses voitures et sur sa livrée. Plus tard, les fleurs de lis furent rétablies sur les monuments où on les avait effacées.

Ces événements eurent pour première conséquence la retraite de M. Odilon Barrot, préfet de la Seine, et de M. Baude, préfet de police, que remplacèrent MM. de Bondy et Vivien.

Le 10 mars, sur de mauvaises nouvelles venues de Pologne, des bandes tumultueuses parcoururent certains quartiers de Paris et brisèrent des vitres à l'ambassade de Russie, rue du Faubourg-SaintHonoré.

§ III. MINISTÈRE DU 15 MARS. - Le ministère Laffitte était travaillé par des dissentiments qui compromettaient son autorité, gênaient son action et le déconsidéraient devant la Chambre. Il avait cependant présidé à quelques lois qui amélioraient l'état ancien, sans être aussi libérales qu'on aurait pu les faire: lois sur la garde nationale, sur les déclarations du jury, loi municipale, loi électorale, qui abaissa le cens pour l'éligibilité et l'électorat sans augmenter assez le nombre des électeurs, lois de finances, etc. Plus d'une fois, dans les discussions, le ministère s'était trouvé en minorité ; il se retira.

Louis-Philippe chargea du soin de composer un nouveau cabinet Casimir Périer, dont il n'aimait cependant pas le caractère altier. Celui-ci ne voulut pour collègues que des hommes bien décidés à le suivre dans sa ligne de conduite. Le 13 mars, le ministère fut ainsi constitué intérieur, Casimir Périer, président du conseil ; finances, l'abbé Louis; justice, Barthe; instruction publique et cultes, Montalivet; guerre, Soult; marine, Rigny; commerce et travaux publics, le comte d'Argout.

Le cabinet Casimir Périer inaugurait ouvertement la politique

« PreviousContinue »