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En Angleterre, l'Irlande causait toujours des embarras au gouvernement. Lord Grey se retira du ministère et y fut remplacé par lord Melbourne (9 juillet). La situation des classes ouvrières préoccupa l'attention publique et amena de graves émeutes à Manchester et à Londres même. Robert Peel devint chef d'un nouveau cabinet (9 décembre) et fit dissoudre les Communes (30 décembre).

La Belgique commençait son réseau de chemins de fer.

En Espagne, Marie-Christine pratiqua une politique constitutionnelle. Les carlistes commencèrent une guerre civile qui devait durer longtemps et où, des deux côtés, on fit preuve de férocité. Le choléra éclata à Madrid (16 juillet); le peuple crut les fontaines empoisonnées par les moines et en massacra plusieurs. L'Espagne, le Portugal, firent alliance contre les carlistes; l'Angleterre accorda son intervention armée et la France promit la sienne; c'est ce qu'on nomma improprement le traité de la quadruple alliance.

En Portugal, la cause constitutionnelle était victorieuse. Le gouvernement s'organisa sous la régence de don Pedro. Dona Maria, arrivée à l'âge de quinze ans, fut déclarée majeure. Son père déposa la régence et mourut bientôt après (24 septembre). La jeune reine épousa, le 1er décembre, le duc de Leuchtenberg, fils d'Eugène de Beauharnais.

En Russie, des condamnations rigoureuses furent portées contre les principaux auteurs de l'insurrection polonaise. Tous les Polonais émigrés furent bannis à perpétuité. L'empereur interdit aux jeunes Russes d'aller faire leur éducation dans les autres États de l'Europe et restreignit pour les sujets russes la faculté de voyager et de résider hors de l'empire.

Schamyl, chef des Circassiens qui ne voulaient pas se soumettre à la domination de la Russie, luttait énergiquement contre les troupes russes.

SIV. INDUSTRIE.

Un homme qui a rendu les plus grands services à l'industrie des tissus de soie, Jacquart, l'inventeur du métier qui porte son nom, mourut à Oullins, près de Lyon, le 7 août. Lyon lui élèvera une statue en 1840.

Il y eut en 1834 une brillante exposition des produits de l'industrie nationale. C'est aussi en cette année que fut inventée la charrue Grangé.

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1834 a été une année de haine et de guerre, 1835 sera une année de haine et de vengeance. La discorde est partout.

§1. GOUVERNEMENT PERSONNEL. C'est pour se soustraire à la prédominance personnelle du roi que M. Thiers et M. Guizot s'étaient retirés, entraînant avec eux la presque totalité du cabinet du 11 octobre. C'est pour établir sa prépondérance que Louis-Philippe avait fait le ministère du 10 novembre, qui était son œuvre personnelle. Ce ministère de trois jours, tomba sous sa propre impuissance et sous la risée universelle; le roi dut s'avouer vaincu et reprendre, pour les subir, les ministres dont il avait cru pouvoir s'affranchir. Mais ceux-ci, tout en rentrant au pouvoir, n'enténdaient pas ne pas constater avec éclat leur triomphe.

L'occasion leur en fut fournie par des interpellations proposées, dès les premières semaines de la session ouverte le 29 décembre, et portant sur la fréquence des crises ministérielles. En effet, le cabinet réintégré le 13 novembre semblait déjà près de se dissoudre. Le maréchal Mortier, reconnaissant son insuffisance, avait donné sa démission. Le roi, au lieu de chercher simplement un nouveau président du conseil, cherchait à refaire le conseil tout entier; il appelait M. Dupin, il rappelait le maréchal Soult et n'aboutissait à rien. C'est au cours de ces tâtonnements qu'étaient venues les demandes d'interpellations qui, d'abord fixées au 7 mars, furent ajournées au 11. Ce jour-là, la crise était finie; le roi s'était décidé à accepter pour président du conseil un homme qu'il n'aimait pas, le duc de Broglie, qui reprit le portefeuille des affaires étrangères.

Le marquis de Sade, en développant les interpellations, se plaignit de la funeste impression causée par les dernières crises, qui attestaient l'anarchie au sein du gouvernement. La Chambre, selon l'orateur, devait en prévenir le retour en imprimant seule une direction générale aux affaires publiques. Le droit que la Charte conférait au roi de nommer les ministres n'avait rien de commun avec le même droit dont dispose un roi absolu. La royauté constitution

nelle doit tenir compte des exigences parlementaires, de la force respective des partis et de la valeur respective des hommes publics; elle doit aussi avoir une juste déférence pour l'opinion publique, qui plane sur tout.

M. Thiers définit le système du ministère en ces termes : « Dévoué profondément à la révolution de 1789, qui a été finie et complétée en 1830, nous avons eu le courage de résister à ses entrainements pour la conduire, car nous sommes convaincus que toutes les révolutions n'ont péri que pour avoir été dépassées. . Donc, résistance franche et sincère pour faire aboutir la Révolution à ses belles destinées. »

M. Odilon Barrot proposa une adresse au roi, M. Guizot répondit: « Toute occasion que saisira la Chambre, dans les formes constitutionnelles, pour manifester son opinion, pour exercer son influence légitime sur les affaires, je me hâte de dire que nous nous en féliciterons, quel que soit le résultat. »

La Chambre adopta un ordre du jour par lequel elle se déclarait satisfaite des explications du ministère, conformes à ses propres sentiments.

Le 12 mars, le Moniteur publia les ordonnances composant défi-. nitivement le ministère : le duc de Broglie, président du conseil ; ministre des affaires étrangères; les autres ministres conservaient leurs portefeuilles M. Guizot celui de l'instruction publique; M. Humann celui des finances; M. Duchâtel celui du commerce; M. Persil celui de la justice; M. de Rigny celui de la marine, avec l'intérim de la guerre. Ce dernier département fut confié, le 30, au maréchal Maison.

Dans les derniers mois de 1834, Talleyrand avait donné sa démission de l'ambassade de France à Londres. On avait différé de le remplacer, mais il avait persisté dans sa résolution. Le 7 janvier 1835, le gouvernement nomma, pour lui succéder, le général Sẻbastiani. Le préjugé est tel dans le monde diplomatique que le nouvel ambassadeur, quoique plus habile que son prédécesseur, fut assez médiocrement accueilli.

§ II. LA CRÉANCE AMÉRICAINE. La retraite de M. de Broglie, l'année précédente, avait été motivée par le rejet d'une loi destinée à solder une créance américaine de 25 millions.

Cette créance avait pour objet d'indemniser le commerce américain des dommages que lui avaient causés des saisies ou destructions de navires opérées en vertu de décrets de 1806 et 1807 rela

tifs au blocus continental. La réclamation américaine avait été présentée en 1810, et réduite de 70 millions à 18, par le gouvernement impérial, réduction que n'acceptèrent pas les États-Unis. Jusqu'en 1830, la Restauration avait éludé toute solution formelle. En 1831, après un nouvel examen, un traité, préparé par Sébastiani, fixa l'indemnité due par la France à 25 millions, desquels devaient être déduits 1,500,000 fr. dus par l'Amérique à la France. C'est pour exécuter ce traité qu'en 1834 fut présentée la demande de crédit ⚫ rejetée par la Chambre.

Quand le cabinet fut reconstitué, la question se représenta devant les Chambres, car il fallait la résoudre. Les dissentiments que soulèvent, même entre particuliers, des débats de ce genre, s'aggravèrent ici de paroles blessantes, de menaces imprudentes à l'égard de la France, contenues dans un message du président Jackson. Il est vrai que les messages d'un président américain n'engagent que lui, et que le congrès avait refusé de s'y associer, au moins avant que les résolutions de la France fussent connues. D'autre part, une dépêche du ministre américain en France, qui fut publiée, informait le gouvernement fédéral que le roi des Français était personnellement favorable aux réclamations américaines et qu'il ferait tous ses efforts pour en assurer le succès. Mais une lettre particulière du roi n'engageait aussi que lui et laissait entière la liberté du gouvernement. Celui-ci avait répondu aux intempérances de langage de Jackson en rappelant le ministre de France à Washington et en offrant les passe-ports au ministre américain à Paris. Ces incidents avaient mis de l'aigreur dans la polémique de la presse des deux pays et éveillé les susceptibilités de l'opinion publique. Le mot de guerre était prononcé d'un côté et de l'autre.

La discussion parlementaire se ressentit de la passion extérieure. L'opposition reprochait au ministère sa pusillanimité qui le faisait toujours reculer devant des menaces que ceux qui les faisaient n'avaient pas l'intention de réaliser. Les uns trouvaient l'indemnité singulièrement exagérée, d'autres en niaient la légitimité, d'autres encore jugeaient insuffisants les avantages commerciaux que l'Amé. rique accordait à la France et concluaient au refus de la somme. Le ministère parvint cependant à persuader la majorité, et les 25 millions furent votés, le 21 avril, sous la réserve que le payement n'aurait lieu qu'après des explications satisfaisantes données par le gouvernement américain. Ces explications furent données en bons termes; Jackson déclara que ses paroles n'avaient pas eu de signi

fication comminatoire. Il resta toutefois de ce débat l'impression générale que le gouvernement royal, par un amour exagéré de la paix, n'avait pas tenu le langage qui convient à la France.

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§ III. PROCES D'AVRIL. En déférant à la Cour des pairs le jugement des diverses affaires d'insurrection du mois d'avril 1834, le gouvernement avait imposé à la pairie une lourde charge. La mesure était légale. Toutefois, la loi étendant à ces faits la juridiction de la Cour des pairs était une loi toute récente, faite en vue de la circonstance présente et donnant ainsi à la Cour le caractère, au moins spécieux, d'un tribunal d'exception. D'autre part, ce procès, qu'on a appelé procès monstre, avait des dimensions encore inconnues dans les fastes judiciaires. Plus de 2,000 personnes avaient été arrêtées; plus de 4,000 témoins furent entendus. La commission d'instruction fonctionna pendant neuf mois, et déclara la prévention établie contre 440 personnes. Le procureur général réduisit ce nombre à 518, et la Cour n'en mit en accusation que 164, dont 45 contumaces.

Les principaux accusés voulaient intervertir les rôles, d'accusés devenir accusateurs, sinon juges, et, tant par eux-mêmes que par leurs défenseurs, faire le procès à toutes les institutions existantes. C'est là le fond de tous les procès politiques, et dans le procès d'Avril, la résolution des accusés pouvait produire un grand effet. Pour cela, il fallait que tous fussent d'accord et jusqu'au bout; ils se divisèrent dès le début, les uns acceptant la compétence et le débat, les autres repoussant l'une et l'autre.

Les accusés épuisèrent tous les moyens préjudiciels, tous les incidents de procédure qu'ils purent soulever.

Ils avaient fait choix de défenseurs pris dans tous les rangs de la société. La Cour décida qu'elle n'admettrait que des avocats inscrits au barreau. Cette décision provoqua dans divers barreaux des protestations qui furent annulées en Cour royale.

Les accusés n'ayant pu s'entendre pour adopter une même ligne de conduite, tout le procès fut plein de confusion. Les uns assistaient aux audiences sans vouloir dire une parole; d'autres protestaient énergiquement, avec violence même ; d'autres acceptaient le débat et répondaient aux interrogatoires; d'autres encore refusaient de comparaitre et on les traînait de vive force au prétoire, vociférant, les habits déchirés, quelquefois ensanglantés, spectacle peu digne de la justice; d'autres refusaient de se vêtir et il fallait les laisser dans leur lit pour ne pas les amener nus devant les

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