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La discussion dura du 20 au 30 janvier.

Deux points seulement séparaient la commission et le gouvernement; celle-là tenait à déterminer par la loi le nombre et l'emplacement des forts et à fixer un terme de trois ans pour l'achèvement de tous les travaux. Le gouvernement rejetait tout délai obligatoire et voulait garder toute latitude pour le nombre et la position des forts; il consentait toutefois à un minimum de distance; 2,200 mètres du mur d'octroi; c'était la distance de Vincennes.

Le général Schneider proposa, par voie d'amendement, la construction d'une série d'ouvrages permanents, à 1,000 mètres du mur d'octroi, lequel serait flanqué et renforcé où besoin serait.

C'était renverser le projet du gouvernement, mais c'était aussi renverser le ministère. Ce fut donc le point décisif de la bataille.

L'amendement fut soutenu avec plus d'éclat que de force par Lamartine, qui ne l'acceptait que comme pis-aller; avec plus de bon vouloir par MM. Dufaure et Passy, destinés à entrer dans le cabinet Molé. MM. Arago, Thiers et de Rémusat le combattirent victorieusement.

La Chambre était curieuse d'entendre le maréchal Soult, dont on connaissait le sentiment personnel. Il monta à la tribune et se perdit en propos incohérents, si bien que M. Guizot dut verir le tirer d'embarras en expliquant les paroles du maréchal dans un sens favorable au projet.

L'amendement fut rejeté par 236 voix contre 175. Le 1er février, l'ensemble de la loi fut adopté par 237 contre 162.

Au Luxembourg, la lutte fut tout aussi vive. M. Molé conduisait l'attaque, M. Guizot lui tenait tête, se trouvant, par hasard, d'accord avec la majorité de l'opinion libérale. Le duc de Broglie apporta au cabinet l'important appui de sa parole toujours écoutée.

La commission de la Chambre héréditaire substituait au projet officiel un projet imité, presque copié de l'amendement Schneider. La manœuvre ne réussit pas plus au Luxembourg qu'au palais Bourbon; la pairie repoussa l'amendement par 147 voix contre 91 et adopta la loi par 147 contre 88.

La loi des fortifications fut promulguée le 3 avril. L'exécution, déjà commencée, fut poursuivie avec une grande activité, sous la direction du génie militaire, qui se montra impitoyable contre les fraudes essayées dans la fourniture des matériaux. Aussi, plus d'un spéculateur, ayant soumissionné à bas prix dans l'espoir de bénéfices illicites, se trouvait-il évincé.

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§ II. LOIS DIVERSES. Après la question d'Orient et les fortifications de Paris, les débats parlementaires ne portèrent plus que sur ce qu'on appelle des lois d'affaires. Les deux Chambres voterent la loi sur le travail des enfants dans les manufactures, celles des fonds secrets, qui donna lieu aux banalités habituelles sur les manœuvres des partis; une loi sur les travaux publics, une loi de douanes. On discuta aussi un projet de loi sur la propriété littéraire, qui ne pouvait aboutir et qui fut rejeté. La session se termina le 25 juin.

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§ III. MORT DE GARNIER-PAGÈS. Deux jours auparavant, une mort prématurée frappait le principal orateur de l'opinion républicaine à la Chambre des députés, Garnier-Pagès, qui n'avait pas encore quarante ans. Il s'était, en peu d'années, acquis un grand renom par son remarquable talent de parole, par sa manière pratique et claire de discuter les questions de finances, par la fermeté de ses convictions et il avait conquis l'estime même de ses adversaires par la parfaite honnêteté de son caractère. C'était un véritable homme de gouvernement, chose rare alors parmi les républicains, plus inclinés aux théories qu'aux moyens d'application. Une foule immense se pressa aux funérailles du jeune tribun, qui rappelèrent celles de Foy et de Manuel.

§ IV. ÉLECTION DE Ledru-Rollin. La place laissée vacante par Garnier-Pagès dans l'Assemblée législative fut donnée par les électeurs du Mans à un jeune avocat, qui n'était connu encore que comme jurisconsulte et qui devait devenir un grand orateur politique, Ledru-Rollin.

La veille de son élection, le 23 juillet, il fit devant les électeurs une profession de foi ouvertement républicaine qui, fut reproduite dans le Courrier de la Sarthe. La Cour royale d'Angers ordonna de poursuivre le candidat et le journal; puis, sous prétexte de suspicion légitime, l'affaire fut enlevée à la Cour d'assises de la Sarthe et renvoyée à celle de Maine-et-Loire, siégeant à Angers.

Cette poursuite avait fort ému l'opposition parlementaire, qui assimilait la tribune des réunions électorales à celle de la Chambre même, au point de vue de la pleine liberté de la parole. Aussi, décida-t-on que quatre députés appartenant aux fractions différentes de l'opposition, Arago, Berryer, Marie et Odilon Barrot, iraient assister Ledru-Rollin, tandis qu'un représentant de la presse parisienne, Armand Marrast, assisterait M. Barthélemi Hauréau, rédacteur en chef du Courrier de la Sarthe.

L'affaire vint le 23 novembre 1841. Le jury écarta la culpabilité sur le chef d'avoir prononcé le discours et l'admit sur le fait de publication.

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En vertu de cette réponse, M. Hauréau, auteur du fait de publication, fut condamné à 3 mois de prison et 2,000 francs d'amende. Ledru-Rollin, pour sa part dans la publication, eut 4 mois de prison et 4,000 francs d'amende.

Sur le pourvoi de Ledru-Rollin, l'arrêt fut cassé et la cause envoyée devant la Cour d'assises de la Mayenne, dont le jury acquitta l'accusé. La condamnation prononcée à Angers resta entière contre M. Hauréau, non compris dans le pourvoi.

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SV. TROUBLES LOCAUX. Une circulaire du ministre des finances, relative au recensement pour la répartition des contributions personnelle, mobilière, et des portes et fenêtres, publiée avec un éclat inopportun, exécutée avec trop de zèle par les agents fiscaux, mal comprise par la plupart des conseils municipaux, que la presse opposante eut souvent le tort d'encourager dans une résistance illégale, amena des troubles sur plusieurs points, notamment à Toulouse (du 5 au 13 juillet), à Bordeaux (14 août), à Lille (26 août), à Mâcon (9 septembre), à Clermont-Ferrand (9 au 12 septembre), etc. A Clermont-Ferrand, il y eut des barricades et effusion de sang. A Toulouse, ce fut plus grave encore; la population tout entière se souleva et un combat terrible fut sur le point de s'engager. Il ne fut évité que par la fuite du préfet, M. Mahul, et du procureur général, M. Plougoulm. Le général qui commandait à Toulouse consentit à laisser la garde nationale partager les postes avec la troupe. Le gouvernement envoya des forces considérables à Toulouse, avec un autre préfet, un autre général, un autre procureur général; la garde nationale et le conseil municipal furent dissous, et le recensement s'acheva sous la protection de la force armée.

Les troubles de Toulouse donnèrent lieu à une instruction judiciaire, par suite de laquelle furent renvoyés devant les assises un certain nombre de citoyens, parmi lesquels plusieurs rédacteurs du journal républicain l'Emancipation. Tous les accusés furent renvoyés absous.

§ VI. ATTENTAT QUÉNISSET. En supprimant les associations pu bliques, on avait inévitablement provoqué la formation de sociétés secrètes et, par conséquent, la propagation souterraine de doctrines que le grand jour eût mises à néant. L'année 1841 en vit une triste révélation.

Le 13 septembre, le jeune duc d'Aumale, revenant d'Afrique, rentrait à Paris, à la tête du 17° régiment d'infanterie, dont il avait été fait, un peu prématurément, colonel. Ses frères, le duc de Nemours et le prince de Joinville, étaient allés au-devant de lui, avec un nombreux état-major. Le 17° combattait depuis sept ans en Afrique et avait bien mérité une réception honorable. Toutefois, la solennité de son entrée à Paris s'adressait plus au prince colonel qu'aux bons services du régiment.

La troupe défilait dans le faubourg Saint-Antoine, lorsque à l'angle d'une rue adjacente, un coup de feu retentit. Le cheval du lieutenant-colonel tomba frappé mortellement. L'assassin, arrêté, cria vainement : « A moi, les amis ! » Le régiment continua sa marche jusqu'aux Tuileries, où l'attendait le roi.

L'assassin, François Quénisset, était un scieur de long, plus connu sous le nom de Poppart, qu'il avait pris, afin de dissimuler une condamnation à trois ans de travaux publics, pour cause de rébellion, prononcée contre lui lorsqu'il se trouvait au service militaire.

L'affaire fut déférée à la Cour des pairs. A cette occasion, les fonctions de procureur général près la Cour d'appel de Paris furent rendues vacantes par la promotion, à la première présidence de Rouen, du titulaire, M. Franck-Carré, que le ministère trouvait un peu mou. Il fut remplacé par M. Hébert, dont on attendait plus de vigueur et qui fit ses premières armes dans l'affaire Quénisset.

On avait mis la main sur quelques amis ou compagnons de Quénisset. Tous ensemble se réunissaient habituellement chez un marchand de vins qui recevait le Journal du peuple. On fit de ces réunions une société secrète, et comme un des accusés eut l'idée d'écrire au rédacteur en chef du Journal du peuple pour réclamer son appui, ce rédacteur en chef, M. Dupoty, fut impliqué de complicité dans le complot ourdi par la société secrète.

M. Dupoty n'avait pas même reçu la lettre, interceptée par la police; il n'en connaissait pas l'auteur, qui ne l'avait jamais vu; il ne connaissait aucun des accusés et n'en était pas connu. Néanmoins le nouveau procureur général y mit un acharnement extrême.

L'Émancipation venait d'être acquittée par le jury de Toulouse. Le jury parisien avait, tout récemment, acquitté deux fois le National, poursuivi coup sur coup pour offense à la personne du roi. Il

allait faire flétrir par la justice exceptionnelle de la Cour des pairs cette presse qu'absolvait la justice nationale.

Toutes les subtilités juridiques de M. Hébert pour démontrer la complicité directe n'eussent peut-être pas suffi à entraîner une condamnation, s'il ne se fùt trouvé, dans la pairie même des hommes, entre lesquels on regrette de compter le duc de Broglie, qui inventèrent le crime nouveau de complicité morale. Cette étrange thèse fut énergiquement combattue par d'autres pairs, notamment par Victor Cousin. Sans choisir entre les deux genres de complicité, la Cour déclara Dupoty coupable et le condamna à cinq ans de détention.

Quénisset fut condamné à mort; trois de ses complices à la déportation; trois autres à dix ans de détention; un à cinq ans; cinq furent acquittés. La peine de Quénisset fut commuée.

La plupart des journaux de Paris firent une protestation collective contre la condamnation de Dupoty et résolurent de ne plus parler de la Cour ni de la Chambre des pairs.

§ VII. DROIT DE VISITE. Le 20 décembre, le ministère conclut avec l'Angleterre, la Russie, la Prusse et l'Autriche, un nouveau traité concernant la visite réciproque des navires pour assurer l'abolition de la traite des nègres.

En 1831 et 1833, un traité de cette nature avait été conclu entre la France et l'Angleterre. Depuis, la Russie, l'Autriche, et la Prusse ayant désiré y entrer, comme parties contractantes, la France avait, en 1838, proposé à l'Angleterre de faire un traité nouveau que signeraient les cinq puissances. La préparation de ce traité était achevée lorsque survint la convention du 15 juillet. Le cabinet du 29 octobre refusa de le signer avec les ministres anglais qui venaient d'user envers la France d'un mauvais procédé; mais, lorsqu'au mois de novembre 1841, le cabinet whig eut fait' place à un cabinet tory, M. Guizot se crut affranchi de ses précédents scrupules et signa, le 20 décembre, sauf ratification.

Ce traité n'aggravait pas sensiblement ceux de 1831 et 1833, qui avaient été acceptés sans objection. Mais, à ces deux époques, la France était en bonne intelligence complète avec l'Angleterre. En décembre 1841, on n'était pas en état de guerre, mais on s'y préparait; les esprits, en France, étaient irrités, blessés; la défiance avait remplacé la confiance et, bien que le droit de visite dùt être réciproque, l'opinion générale le considérait comme constituant une subordination de la France vis-à-vis de l'Angleterre.

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