Page images
PDF
EPUB

Quelques jours plus tard, M. Odilon Barrot parla de l'impopularité du prince, des tendances peu libérales qu'on lui attribuait et fit valoir que la duchesse d'Orléans, par son intelligence, son caractère et par sa qualité même de mère inspirait plus de confiance. La presse radicale soulevait, avant tout, une question de principes. La régence n'était ni prévue, ni réglée par la Charte; c'était un droit évidemment constitutionnel qu'une Chambre purement législative n'avait pas le pouvoir de régler ou d'établir: il fallait de nouvelles élections pour nommer une assemblée ayant mandat de statuer sur cette grave question.

On ne tint, naturellement, aucun compte de cette réclamation; la régence fut présentée le 9 août, jour anniversaire de l'avènement de Louis-Philippe.

La doctrine de la presse républicaine fut portée à la tribune par Ledru-Rollin, avec beaucoup de force et d'éclat; il termina par cette déclaration : « Au nom du peuple, je proteste contre votre loi, qui n'est à mes yeux qu'une usurpation. »

Lamartine soutint avec éloquence la régence maternelle et repoussa une loi qui « chasse la mère du berceau et y place le compétiteur et le rival. » Mais il voulait que la mère fût investie de la régence par un vote direct de la Chambre et non par une loi générale.

C'est aussi la thèse que soutint M. Odilon Barrot, sans toutefois restreindre le choix de l'assemblée à la mère du mineur : il demandait la régence élective.

Mais l'assemblée n'était de force ni à s'élever aux considérations supérieures invoquées par Ledru-Rollin, ni de courage à prendre la responsabilité que lui conseillaient Lamartine et M. Odilon Barrot. Docile aux exhortations du ministre et de M. Thiers, elle attribua, par 310 voix contre 94, au duc de Nemours une régence qu'il ne devait jamais avoir à exercer. Les dynasties, en France, ne vivent plus jusqu'à la seconde génération.

Les Chambres n'avaient été convoquées que pour cette loi de régence; aussitôt après le vote, elles furent prorogées, laissant le ministère affermi, mais la monarchie ébranlée.

§ X. UNION AVEC LA BELGIQUE. Le ministère du 29 octobre avait trouvé pendantes des négociations entamées par le cabinet précédent en vue d'établir une sorte d'union commerciale entre la France et la Belgique. Il en devait résulter de nouveaux débouchés pour les produits français et, en échange, l'introduc

tion sans droits ou à droits modérés, de produits belges sur le marché français. Les grands industriels qui avaient le monopole de la production et de la vente de ces objets formèrent une coalition, ouvrirent un congrès à Paris et exigèrent du ministère l'abandon des négociations. Ces industriels étaient tous électeurs ou éligibles, quelques-uns siégeaient au palais Bourbon; ils pouvaient, à un jour donné, faire subir au cabinet quelque grave échec parlementaire. Le ministère s'inclina devant cette ligue d'intérêts privés et lui sacrifia l'intérêt général : la masse des consommateurs n'avait pas part au scrutin.

§ XI. DROIT DE VISITE. Ainsi que la France, les États-Unis

avaient refusé de signer le traité de 1841 sur le droit de visite, mais tandis qu'en France le gouvernement l'eût signé volontiers sans l'opposition de la Chambre des députés, en Amérique c'était ce gouvernement qui, d'accord d'ailleurs, avec les Chambres et l'opinion, se refusait à laisser visiter les navires américains par une marine étrangère. Cependant, en 1842, à la suite de négociations relatives à d'autres questions, celle du droit de visite fut reprise et l'Amérique consentit à accéder au traité pour l'abolition de la traite. Mais il fut stipulé expressément que chaque marine visiterait seulement les bâtiments de sa propre nationalité. Le gouvernement français n'osa pas imiter cet exemple; il se borna à demander la clôture du protocole, ce qui fut fait, la France restant sous l'empire bien précaire des traités de 1831 et 1833.

[ocr errors]

§ XII. LES ILES MARQUISES. - Dans le courant de 1842, l'amiral Dupetit-Thomas établit le protectorat de la France sur les îles Marquises et les îles de la Société dans l'Océanie. Cette mesure avait pour objet d'assurer à la marine française des points de relâche dans ces parages pour les relations maritimes avec le centre de l'Amérique. C'est dans des vues analogues que la France avait pris possession, en 1841, de l'île de Nossi-Bé, à l'entrée du canal de Mozambique.

§ XIII. LETTRES. Mort de Théodore Jouffroy, qui fut un médiocre législateur, un philosophe discuté, mais un penseur hardi et qui reste un des remarquables écrivains de la France.

Victor Cousin publie une édition des Pensées de Pascal, revisées sur le manuscrit original, et Jacqueline Pascal.

L'Académie française élit Victor Hugo.

§ XIV. EXTÉRIEUR.

[ocr errors]

En Allemagne, le roi de Bavière inaugure le monument appelé Walhalla, dédié à tous les grands hommes alle

mands, et il préconise, à cette occasion, l'unité de l'Allemagne, qui semblait alors une chimère, et qui devint plus tard un fait trop réel pour l'indépendance de la Bavière.

En Angleterre, une misère effroyable pèse sur les classes inférieures; le déficit est dans les finances. Robert Peel modifie la législation sur les céréales et établit l'income tax, ou impôt sur le revenu. Des troubles éclatent dans différents districts manufacturiers. Deux attentats sont dirigés contre la reine. Une nouvelle expédition contre la Chine ouvre à l'Angleterre plusieurs ports chinois; l'île de Hong-Kong est cédée aux Anglais, qui se font, en outre, payer une indemnité de 120 millions. Dans l'Afghanistan, les Anglais évacuent le pays après la prise de Caboul et une grande victoire; en se retirant, ils commettent d'atroces cruautés et de sauvages dévastations. Ils établissent des relations diplomatiques et commerciales avec la Perse.

En Espagne, Barcelone, révoltée contre Espartero, est bombardée et réduite de vive force. Mécontentement général contre le régent.

A la suite d'une insurrection à Lisbonne, la Charte de don Pédro est rétablie.

Le roi de Prusse crée des états provinciaux élisant des commissaires qu'il consultera à sa fantaisie. Il prescrit l'usage exclusif de la langue polonaise dans les écoles des provinces polonaises et fait reprendre les travaux de la cathédrale de Cologne, qu'il veut achever.

[blocks in formation]

---

Indus

§ I. SESSION DE 1843. L'année 1843 fut une année de calme et de repos, on pourrait dire de stérilité. Elle fut cependant marquée, à ses débuts, par un effroyable désastre, le tremblement de terre, suivi d'incendie, qui dévasta une partie de l'île de la Guadeloupe, le 5 février.

La session s'ouvrit le 9 janvier. La discussion de l'adresse ramena la question du droit de visite. M. Guizot ne put, malgré les efforts les plus persévérants, empêcher que la Chambre, condam

A

nant les traités de 1831 et 1833, attaqués dans toutes les parties de l'Assemblée, exprimât le vœu que « notre commerce fût replacé sous la protection exclusive de notre pavillon. »

Lamartine se sépara avec éclat de la politique d'un gouvernement « qui se faisait de la modération des gens de bien un encouragement à des fautes nouvelles. >>

Dans un de ses plus éloquents discours, le grand orateur signala l'aveuglement et la folie de ceux qui prétendaient arrêter les idées du temps, faire reculer la démocratie.

« Ah! détrompez-vous, s'écria-t-il; sans doute, ces captations, ces faveurs personnelles, ces timidités du pays qu'on fomente au dedans, ont leur force, mais c'est une force d'un jour, une force précaire, avec laquelle on ne fonde pas pour longtemps...

«Derrière cette France qui semble s'assoupir un moment, derrière cet esprit public qui semble se perdre, et qui, s'il ne vous suit pas, du moins vous laisse passer en silence, sans vous résister, mais sans confiance; derrière cet esprit public qui s'amortit un instant, il y a une autre France et un autre esprit public; il y a une autre génération d'idées qui ne s'endort pas, qui ne vieillit pas avec ceux qui vieillissent, qui ne se repent pas avec ceux qui se repentent, qui ne trahit pas avec ceux qui se trahissent eux-mêmes, et qui, un jour, sera tout entier avec nous.

« Je sais que vous déclarez cela impossible. Savez-vous ce que cela veut dire ? Cela veut dire que vous croyez que les développements d'institutions sont des chimères. Non; ces hommes impossibles seront nécessaires un jour, et c'est pour cela que je m'éloigne, de jour en jour davantage, du gouvernement, et que je me rapproche complétement des oppositions constitutionnelles, où je vais me ranger pour toujours. »>

M. Guizot regardait en pitié, du haut de son orgueil, le pcëte prédisant ainsi l'avénement de nouvelles couches sociales. Lequel des deux voyait juste?

Un peu plus tard, dans la discussion des fonds secrets, M. Dufaure annonça que ses amis et lui, c'est-à-dire le centre gauche, cessaient d'appuyer un ministère qui se refusait à toute réforme.

Un assez grand nombre de lois, antérieurement présentées, furent retirées par le gouvernement, bien que touchant à des questions importantes. Une proposition pour substituer le scrutin de division, c'est-à-dire public, au scrutin secret, une autre sur les incompatibilités furent rejetées par la Chambre. Une loi fut

votée pour établir l'égalité d'impôt entre le sucre colonial et le sucre indigène.

[ocr errors]

§ II. MARIAGES ET VOYAGES PRINCIers. Le 20 avril, la troisième fille de Louis Philippe, la princesse Clémentine, épousa le prince Auguste de Saxe-Cobourg. Quelques jours après, le 7 mai, le prince de Joinville se mariait, Rio-Janeiro, avec une sœur de l'empereur

du Brésil.

Au mois de septembre, la reine Victoria vint faire visite à LouisPhilippe au château d'Eu.

Les ducs de Montpensier et de Nemours firent des excursions, l'un dans le midi, l'autre dans l'ouest de la France.

De son côté, le comte de Chambord alla tenir une cour plénière à Belgrave square, à Londres, où les légitimistes français se rendirent en pèlerinage.

§ III. SCANDALES POLITIQUES ET FINANCIERS. A propos des élections, plusieurs députés signalèrent des faits scandaleux de corruption électorale; la majorité les ratifia tous : que deviendraient sans cela les candidatures ministérielles?

Les concessions de chemins de fer amenèrent aussi de graves révélations sur la façon dont étaient traités les intérêts de l'État, sacrifiés à ceux de quelques spéculateurs.

Un procès, qui se déroulait en police correctionnelle, l'affaire Hourdequin, jeta un jour étrange sur les pratiques usitées à l'Hôtel de Ville de Paris en matière de travaux de grande voirie.

Tous ces faits amoindrissaient singulièrement la considération des autorités et portaient une atteinte profonde à la moralité publique.

-

SIV. L'UNIVERSITÉ ET L'ÉGLISE. Le 1er mai, à la réception de la fête du roi, l'archevêque de Paris avait, dans son discours de circonstance, demandé la liberté de l'enseignement secondaire. Le roi n'avait pas répondu et le discours épiscopal fut exclu du Moniteur. C'était puéril, car cette exclusion lui donna une importance qu'il n'eût pas trouvée sans cela; il fut imprimé dans les journaux religieux, et reproduit, comme document, dans beaucoup d'autres.

Ce fut là le signal d'une agitation extrême dans le monde clérical. L'existence des jésuites, en France, ayant été signalée comme un fait récent, l'Ami de la religion déclara que les jésuites étaient, en effet, en France et ne se cachaient pas.

Les établissements universitaires furent attaqués avec fureur

« PreviousContinue »