Page images
PDF
EPUB

l'adresse remit en question les mariages espagnols et l'affaire de Cracovie. Vigoureusement attaqué, sur le premier point, par M. Thiers, M. Guizot ne put nier qu'il eût joué, par un intérêt purement dynastique, le sort de l'alliance anglaise; sur le second point, il intimida la majorité par la perspective de complications que pouvait entraîner la protestation contre l'incorporation de Cracovie. La majorité vota docilement l'adresse.

Pendant la session, différents projets revinrent devant la Chambre, sur les incompatibilités, sur l'abaissement du cens et l'extension du droit électoral, sur la formation de la liste du jury, sur la réforme postale. Le gouvernement s'opposa à tout et la majorité repoussa tout. C'est dans une de ces discussions que M. Desmousseaux de Givré, député de la majorité, appartenant à la nuance des conservateurs qui se disaient progressistes, demanda ce que le ministère avait fait depuis son entrée en fonctions et répondit par ce mol: «Rien, rien, rien, » qui, depuis, fut si souvent rappelé au cabinet du 29 octobre.

Ainsi, les idées de réforme pénétraient même dans cette majorité massive qui avait fait jusque-là toute la force du gouvernement. Celui-ci ne voyait pas qu'en refusant les réformes nécessaires, possibles, faciles, appuyées par une partie de ses amis, il poussait ces derniers dans les rangs de l'opposition et forçait l'opposition dynastique, constitutionnelle à accepter l'alliance ou du moins la collaboration que lui offrait habilement l'opposition antidynastique, républicaine; il mettait la nation dans l'alternative de choisir, à un jour donné, entre la royauté refusant tout, et la république promettant ou laissant espérer tout, M. Guizot avait la majorité, cela lui suffisait; ce qu'il y avait au delà ne comptait pas pour lui.

§ III. MODIFICATIONS MINISTÉRIELLES. - Quelques changements eurent lieu dans le personnel du ministère. M. Moline Saint-Yon, M. de Mackau, tous deux insuffisants à la guerre et à la marine, furent remplacés par MM. le général Trézel et le duc de Montebello; M. LacaveLaplagne, peu docile, céda les finances à M. Dumon, qui laissa les travaux publics, à M. Jayr, préfet du Rhône M. Martin (du Nord), frappé par une mort mystérieuse, subite ou volontaire, eut pour successeur M. Hébert, le magistrat que l'opinion considérait comme l'inventeur de la complicité morale. Enfin, le maréchal Soult, fatigué par l'âge, abandonna la présidence nominale du conseil, emportant dans une riche retraite le titre, créé pour lui,

de maréchal général. La présidence titulaire passa à M. Guizot qui l'exerçait en fait depuis l'avénement du cabinet du 29 octobre.

[ocr errors]

§ IV. SCANDALES JUDICIAIRES. En 1846, un procès, jugé par les assises de la Vienne, avait montré des employés de la marine à Rochefort pratiquant cyniquement, presque naïvement les fraudes les plus coupables. Quelques-uns avaient été condamnés.

Vers la fin de la même année, une enquête parlementaire, faite à propos d'un déficit de 300,000 francs, découvert après la mort du nommé Bénier, directeur de la Manutention militaire de Paris, constata que ce fonctionnaire, complaisamment dispensé du cautionnement obligatoire, spéculait avec les fonds de l'État. Par suite de l'enquête, deux intendants militaires furent mis l'un à la réforme, l'autre à la retraite.

Un peu plus tard, les Cours d'assises du Finistère et de la Creuse eurent à juger celle-là un député, celle-ci un conseiller général accusés de vente et d'achat de suffrages.

Ils furent acquittés; mais le procureur général avait dû reconnaître, dans le second procès, que la corruption électorale était un mal réellement existant.

Pendant la session, un journaliste devenu député, et qui avait longtemps soutenu le gouvernement de sa plume et de son vote, vint accuser le cabinet d'avoir subventionné un journal officieux en lui donnant à vendre un privilége de théâtre, et d'avoir offert à prix d'argent un titre de pair de France; il prétendait aussi que le ministre de l'intérieur avait promis de présenter un projet de loi favorable aux maîtres de poste moyennant une somme de 1,200,000 francs versée entre les mains du rédacteur en chef de la même feuille officieuse.

Un membre de la Chambre des pairs proposa de citer à sa barre M. Émile de Girardin, le député révélateur, comme coupable d'offense envers la pairie. La Chambre adopta la proposition.

Mais il fallait l'autorisation de la Chambre des députés pour appeler en justice un de ses membres. Ce fut l'occasion d'un violent débat, où M. de Girardin reproduisit et maintint toutes ses allégations. Il ajouta que le ministère avait mis à sa disposition un siége de pair de France, à condition que son journal, la Presse, cessat d'attaquer le cabinet.

M. Guizot prouva, en produisant une lettre confidentielle, que ce marché avait été offert, accepté et tenu, en 1838, par M. Émile

de Girardin. C'était frapper à la fois le ministère de 1838 et M. de Girardin, mais c'était aussi constater le fait allégué.

Quant à la vente d'un titre de pair, M. Guizot somma l'accusateur de fournir des preuves. M. de Girardin se borna à affirmer la vérité du fait, ne pouvant aller au delà sans compromettre une tierce personne.

M. Duchâtel donna, relativement au privilége de théâtre, des explications embarrassées qui ne le justifièrent pas.

L'autorisation de poursuites fut accordée. Devant la Cour des pairs, M. de Girardin répéta ce qu'il avait dit au palais Bourbon. Il fut acquitté dans la séance du 17 juin.

M. Émile de Girardin somma le ministère de faire une enquête sur toutes ses allégations. Deux cent vingt-trois députés repoussèrent cette demande par un ordre du jour où ils se déclarèrent satisfaits des explications du ministère. Le nom de satisfaits en resta aux députés de la majorité.

§ V. PROCÈS TESTE ET CUBIÈRES. Quelques jours après M. Émile de Girardin, le 26 juin, deux anciens ministres, M. Teste et le général Despans-Cubières, comparurent devant la Cour des pairs, avec le sieur Parmentier, pour répondre à une accusation de corruption et d'escroquerie.

Il résulta des débats que le général Cubières, actionnaire des mines de Gouhenans, avait offert des dons et présents à M. Teste, ministre des travaux publics, qui les avait acceptés, pour faire obtenir à la Société de Gouhenans l'exploitation d'une mine de sel gemme.

Le général fut condamné à la dégradation civique et à 40,000 fr. d'amende; Parmentier, pour complicité, à la même peine, et Teste à la dégradation, à 9,400 francs d'amende et trois ans de prison. Un quatrième accusé, Pellapra, était contumax.

C'est dans l'audience du 14 juillet que la culpabilité de Teste avait été établie. Le lendemain, il tenta de se brûler la cervelle, mais ne se fit qu'une blessure qui n'était pas mortelle.

§ VI. AFFAIRE PRASLIN. La Cour des pairs venait à peine de se séparer lorsqu'elle fut appelée à se réunir, de nouveau, pour juger un autre de ses membres, le duc de Choiseul-Praslin, accusé d'avoir, le 16 août, coupé la gorge à sa femme, fille du géneral Sébastiani.

Par le rang de la victime et du meurtrier, par les circonstances du crime, cette affaire eut un retentissement immense. Mais l'in

struction fut arrêtée dès le début par le suicide de l'accusé, suicide que révoqua longtemps en doute l'opinion populaire.

[blocks in formation]

sinistres de l'intérieur, venaient s'ajouter les mauvais effets de la politique extérieure. Les mariages espagnols avaient singulièrement refroidi l'entente cordiale avec l'Angleterre; M. Guizot y cherchait une compensation dans un rapprochement avec l'Autriche et les autres puissances absolutistes. Les affaires de Suisse lui parurent en offrir l'occasion favorable.

Depuis 1815, surtout depuis 1850, la Confédération helvétique cherchait à se délivrer de l'influence aristocratique qui, là comme partout, faisait cause commune avec l'influence cléricale. Des révolutions en ce sens avaient eu lieu dans plusieurs cantons. En 1846, sept des vingt-deux cantons, où les catholiques étaient en majorité, formèrent une ligue particulière, ou Sonderbund, pour résister au mouvement libéral; le principal d'entre eux, le canton de Lucerne, en signe d'opposition, avait appelé les jésuites pour leur livrer ses écoles.La Diète, voyant dans la présence de cet ordre trop fameux, une menace pour la paix publique de la Confédération, décida l'expulsion des jésuites de tout le territoire helvétique et ordonna que l'exécution de ce décret serait assurée par les armes. Le Sonderbund répondit en proclamant une levée de 50,000 hommes. La Diète mit sur pied une partie de l'armée fédérale sous les ordres du général Dufour.

Dès l'origine du conflit, M. Guizot avait pris parti pour le Sonderbund. Il provoqua une intervention pacifique des États signataires des traités de 1815, se fondant sur ce que le traité qui assurait la neutralité de la Suisse impliquait que la constitution intérieure de la république ne pouvait être modifiée sans l'assentiment des puissances ayant pris part à ce traité. C'était une étrange prétention venant du ministre d'un gouvernement qui n'existait qu'en vertu d'une violation des traités de 1815, car ces traités impliquaient bien plus explicitement le règne des Bourbons en France.

La thèse de M. Guizot devait plaire à M. de Metternich. Le ministre autrichien l'accueillit avec empressement, et, comme le mouvement suisse inquiétait l'Autriche qui en redoutait la jonction avec le mouvement italien, Metternich proposa une intervention prompte et armée. M. Guizot ne voulait aller ni aussi vite ni aussi loin; il ne voulait pas non plus se brouiller tout à fait avec l'Angleterre ; il modéra donc le zèle de son confrère de Vienne et lui fit comprendre la nécessité d'entraîner l'Angleterre dans l'alliance commune, car on avait l'assentiment de la Prusse et de la Russie. Mais lord Palmerston, obligé de compter plus que M. Guizot avec une opinion publique qui savait se faire écouter et un Parlement que le gouvernement ne menait pas à sa guise, éleva objections sur objections, traîna l'affaire en longueur et engagea secrètement la Diète helvétique à se håter. Celle-ci, en effet, pressa l'exécution de ses ordres. En dix-neuf jours, du 10 au 30 novemvre, l'armée fédérale réduisit les sept cantons insurgés, qui ne firent pas la longue résistance à laquelle s'attendait M. Guizot, sur la foi d'un ambassadeur trop catholique, M. Bois Le Comte. Quand les cabinets européens furent d'accord pour la présentation d'une note collective en faveur du Sonderbund, il n'y avait plus de Sonderbund. M. Guizot n'avait réussi qu'à conquérir pour la royauté de 1850 une cause de plus d'impopularité.

§ II. AFFAIRES D'ITALIE. « L'Italie, avait dit Metternich, n'est qu'une expression géographique. » La nation italienne n'acceptait pas cette sentence de la diplomatie. En 1820, en 1831, pour ne citer que les dates les plus mémorables, elle avait protesté par ses soulèvements partiels, que les armes autrichiennes avaient cruellement comprimés. L'avènement du pape Pie IX et de libérales intentions manifestées, en partie même réalisées, par ce pontife, dans ses États, semblèrent promettre une ère nouvelle à l'Italie, qui se prit à croire que le chef de l'Église immuable allait devenir le chef de la révolution italienne, illusion trop excusable chez un peuple opprimé qui cherchait partout la liberté. Quelques autres princes italiens ayant plus ou moins imité Pie IX, on crut, d'un bout à l'autre de la péninsule, que l'Italie allait enfin devenir ou redevenir une nation.

En vertu d'un article des traités de 1815, l'Autriche avait droit d'occuper la citadelle et certaines casernes de Ferrare. A la nouvelle du mouvement italien et sous prétexte de soutenir les efforts du pape, des troupes autrichiennes arrivèrent à Ferrare, le 16 août 1847, et

« PreviousContinue »