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s'emparèrent de tous les postes de la ville, menaçant de mort quiconque résisterait.

En même temps, d'autres troupes autrichiennes se massaient sur la rive nord du Pô, prêtes à envahir l'Italie.

Le cardinal légat, gouverneur de Ferrare, protesta hautement contre la prise de possession de cette ville; l'Angleterre protesta aussi contre la violation des traités, et M. Guizot suivit cet exemple, mais sans éclat, par simple note diplomatique envoyée à Vienne. Toute l'Italie était frémissante; un long cri d'indignation s'y élevait contre l'Autriche, et, de toutes parts, les volontaires s'offraient pour combattre au nom de la patrie italienne.

M. Guizot regardait avec un superbe dédain cet élan de tout un peuple vers la régénération. Il avait, pour la commodité de sa politique, imaginé l'existence d'une classe moyenne sur laquelle devaient s'appuyer les princes italiens pour organiser chez eux un gouvernement à l'instar du gouvernement modèle que dirigeait en France M. Guizot. En dehors de ce cercle restreint, le ministre de Louis-Philippe ne voyait que révolutionnaires et démagogues, que, d'accord avec Metternich, il recommandait à toute la colère des princes d'Italie. Le défaut de cette conception, c'est que la classe moyenne, dont parlait si bien M. Guizot, n'existait pas. En 1847, tout le monde en Italie était révolutionnaire, comme tout le monde l'était en France en 1789 M. Guizot ne voulait pas ou ne savait pas voir l'évidence.

Tandis que la politique française agissait en Italie au rebours de l'esprit public et y perdait toute influence, l'Angleterre y expédiait un envoyé, lord Minto, qui en parcourait les diverses provinces, en étudiant les réclamations, les besoins, applaudissait au mouvement libéral, témoignait partout des sympathies de l'Angleterre, sans promettre toutefois aucun secours efficace : mais l'Italie croyait n'en avoir pas besoin. En même temps, le pavillon anglais se montrait sur les côtes italiennes et y apparaissait comme un encouragement. Le pavillon français s'y promenait aussi, mais, hélas! l'Italie savait bien qu'on n'était plus au temps de Casimir Périer.

Le 2 novembre 1847, le comte Bresson, ambassadeur de France à Naples, se coupa la gorge, désespéré, a-t-on dit, de la politique que lui imposait le ministère et ne voulant oui n'osant pas la servir plus longtemps. Cette nouvelle, bientôt connue, produisit un effet défavorable : le sang de cet homme criait contre M. Guizot et non contre lui seul.

Quelques jours après, le 7 novembre, le prince de Joinville, qui traînait inutilement dans l'Adriatique son pavillon d'amiral, écrivait à son frère Nemours une lettre qu'on a publiée depuis. « La mort de Bresson, disait-il, m'a funesté. » Puis il traçait avec amertume le tableau de la situation faite à la France, à l'intérieur comme à l'extérieur, par la politique pusillanime et caduque du roi LouisPhilippe.

Dans le courant de décembre, l'Autriche retira les troupes qu'elle avait indûment envoyées à Ferrare; elle obéissait en cela à des nécessités intérieures plus qu'aux protestations diplomatiques et à l'irritation des Italiens.

§ III. MORT DE MADAME ADÉLAÏDE. L'année 1847 se ferme par un deuil pour la famille d'Orléans. La sœur de Louis-Philippe, Madame Adélaïde, mourut dans la nuit du 31 décembre. C'était une perte réelle pour le roi à qui cette femme, d'un esprit résolu, avait plus d'une fois donné de bons conseils. L'imagination populaire vit dans cette mort un sinistre présage.

Madame Adélaïde possédait une très-grande fortune, qu'elle partagea entre ses neveux et petits-neveux, à l'exclusion de ceux qui, ayant des éventualités d'accéder au trône, auraient fait rentrer leur part d'héritage dans le domaine de l'État. Elle imitait en cela l'exemple que son frère lui avait donné au mois d'août 1830; la famille d'Orléans n'a jamais tenu à augmenter la fortune publique par les sacrifices personnels.

§ IV. SOUMISSION d'Abd-el-Kader. Dans les derniers jours de cette année si tristement marquée, la fortune eut cependant comme un dernier sourire pour la monarchie de Louis-Philippe : après une lutte acharnée poursuivie pendant près de quinze ans, notre implacable adversaire en Algérie, Abd-el-Kader, fit sa soumission.

C'est sous l'administration du duc d'Aumale qu'eut lieu cet événement. Le duc avait, en septembre 1847, succédé, comme gouverneur général, au maréchal Bugeaud, qui, après une expédition victorieuse dans la petite Kabylie (mai 1847), se retirait, laissant la colonie pacifiée. Abd-el-Kader, dépouillé de presque tout son ancien prestige, n'ayant plus qu'une faible troupe de compagnons fanatiques, tenta de fomenter la révolte dans le Maroc, dont il entraîna quelques tribus: Mais, celles-ci l'abandonnèrent à l'approche d'une armée marocaine commandée par Ab-el-Rhaman en personne. Abd-el-Kader n'eut d'autre ressource que d'entrer sur le territoire français, espérant pouvoir gagner les montagnes et le

désert. Cerné près du village de Nemours (l'ancien Djemma-Ghazahouat) par les généraux Lamoricière et Cavaignac, il envoya vers le premier un de ses officiers chargé d'offrir sa soumission; comprenant bien qu'il ne pouvait plus résider ni sur le sol ni dans le voisinage de l'Algérie, l'émir demandait à être conduit soit à SaintJean-d'Acre, soit à Alexandrie. Lamoricière promit que ce vœu serait accompli. Le 23 novembre, près du marabout de Sidi-Ibrahim, Abd-el-Kader, suivi de sa déira et de ses derniers compagnons, vint se remettre entre les mains du général français. Deux jours après, le 25, conduit à Nemours, où s'était rendu le duc d'Aumale, Abd-el-Kader dit au prince : « J'aurais voulu faire plus tôt ce que je fais aujourd'hui; j'ai attendu l'heure marquée par Dieu. Le général m'a donné une parole à laquelle je me suis fié. Je ne crains pas qu'elle soit violée par le fils d'un grand roi comme le roi des Français. » Puis, en signe de soumission, il offrit au duc le cheval sur lequel il était arrivé, le dernier qu'il possédât.

Le prince ratifia les engagements pris par Lamoricière. Celui-ci les avait-il pris témérairement? La demande du chef arabe était très-admissible. Puis, Lamoricière ne pouvait, ne devait pas manquer l'occasion de délivrer définitivement l'Algérie d'un ennemi qui, sans être désormais en état de la reconquérir, eût encore pu lui causer de grands dommages. Abd-el-Kader n'était pas si complétement enveloppé par les troupes françaises qu'il lui fût impossible de s'échapper avec ses cavaliers; mais il lui eût fallu abandonner sa mère, ses femmes, ses enfants, les malades, les vieillards. Il aima mieux s'en remettre à la parole d'un général et d'un prince français, en s'engageant, de son côté, à une expatriation perpétuelle.

Par une ironie de la fortune, sa carrière militaire et politique venait finir près de ce marabout de Sidi-Ibrahim, au village de Djemma Ghazaouat, là même où, deux ans auparavant, ses armes avaient eu une de leurs plus éclatantes victoires, tristement souillée, depuis, par le massacre d'une grande partie des prisonniers faits en ce jour.

Conduit d'abord à Mers-el-Kébir, Abd-el-Kader fut embarqué, le 25 décembre, pour Toulon, où il arriva le 27. Il fut installé au fort Lamalgue, pour attendre les ordres de transport à Alexandrie. Le même navire apportait en France et la nouvelle de la soumission de l'émir et sa personne. Le gouvernement déclara ne pouvoir envoyer Abd-el-Kader à Saint-Jean-d'Acre, la Turquie n'ayant pas

reconnu la conquête de l'Algérie. Pour Alexandrie, il fallait demander à l'Égypte si elle consentirait à accueillir et à surveiller cet hôte qu'on ne pouvait lui imposer. Avant que la question fût faite au Caire, la monarchie de Louis-Philippe était renversée. Le gouvernement provisoire ne crut pas pouvoir prendre une décision. L'Assemblée nationale, saisie, en 1849, d'une demande pour la mise en liberté de l'émir, passa à l'ordre du jour, se fondant sur ce que, par le massacre des prisonniers français, Abd-el-Kader s'était mis hors du droit des gens, comme si ce massacre, quelque horrible qu'il fût, n'était pas couvert par la parole de Lamoricière et la ratification du duc d'Aumale, stipulant au nom de la France.

Transféré tour à tour au château de Pau, puis au château d'Amboise, Abd-el-Kader ne quitta la France qu'en décembre 1852, après cinq années d'injuste captivité, pour aller établir sa résidence à Brousse, sur les côtes de la Syrie.

§ V. LETTRES. Indépendamment de l'Histoire des Girondins par Lamartine, l'année 1847 vit commencer la publication de deux grandes et sérieuses œuvres, les deux Histoire de la Révolution française, l'une, par Michelet, l'autre par Louis Blanc. Chacune contient des recherches curieuses, des études remarquables. Il est à regretter que certaines divergences d'appréciation aient amené entre les deux éminents écrivains une polémique d'un caractère trop agressif.

En 1847, Alexandre Dumas fit représenter, au Théâtre-Historique, le Chevalier de Maison-Rouge, qui, remettant en relief, comme le livre de Lamartine, des choses et des hommes de la Révolution, contribua à exciter l'opinion publique. Ce drame contenait un chant patriotique (Mourir pour la patrie), qui devint, au 24 février, aussi populaire que la Marseillaise.

Frédéric Soulié meurt en 1847.

§ VI. INDUSTRIE. Plusieurs lignes de chemin de fer ont été ouvertes en 1847: Amiens à Boulogne et Rouen au Havre (13 et 20 mars); chemin atmosphérique de Saint-Germain (24 avril); ligne d'Orléans à Vierzon et à Bourges (27 juillet); Creil à Compiègne (21 octobre).

CHAPITRE XXVI

Les banquets.

Session de 1848. Le 24 février. Lettres.

Industrie.

§ I. LES BANQUETS. Tandis que de lamentables scandales mettaient à nu sous les yeux du pays le triste état moral de la société sous le gouvernement de Juillet, de graves incidents se multipliaient qui menaçaient sérieusement la situation politique de la royauté constitutionnelle.

Reconnaissant l'impossibilité d'obtenir d'une majorité servile la réforme la plus inoffensive, les députés de l'opposition résolurent de poser la question en dehors du Parlement, devant l'opinion publique qui, dans les pays libres, doit faire prévaloir sa pensée, devant les électeurs qui font les députés. Ils s'arrêtèrent à l'idée de banquets organisés sur un aussi grand nombre de points que possible, auxquels, sous la présidence de députés, assisteraient et d'autres députés et des citoyens invités ou ayant souscrit à ces réunions. Ce n'était pas une innovation. Les assemblées de ce genre étaient tout à fait dans les habitudes nationales; en 1846, M. Guizot lui-même n'avait pas dédaigné de s'asseoir à un banquet, à Lisieux, et d'y haranguer les électeurs.

Le chef de l'opposition constitutionnelle, M. Odilon Barrot, convoqua chez lui tous les députés adversaires du ministère pour s'assurer de leur concours dans la campagne qu'on allait ouvrir. Les légitimistes refusèrent de s'associer à la conquête d'une réforme qui pouvait consolider la dynastie qu'ils combattaient. Les radicaux (on appelait ainsi les républicains depuis que les lois de septembre avaient rayé de la langue française le mot républicain), les radicaux consentirent à seconder une tentative qui n'exigeait d'eux aucun sacrifice de doctrine et dont le succès même pouvait être un pas de plus vers l'avènement de leurs idées. Les opposants dynastiques déclarèrent que, si l'expérience échouait, si les fautes du gouvernement conduisaient, dans un avenir prochain, à la république, nul d'entre eux n'était inféodé à la monarchie et que la république ne les aurait pas pour ennemis.

Dans une réunion subséquente, où prirent part des députés du centre gauche, on résolut de libeller une pétition pour la réforme électorale et parlementaire, but commun vers lequel tendaient

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