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(les conscrits). C'était, du reste, un temps de merveilleux exploits : les entrées triomphales dans les métropoles, les promenades victorieuses sur les champs de l'Europe, éblouissaient les nations; les soldats, marchant des sables lybiques aux steppes de la Moscovie, voyaient des généraux passer rois comme des caporaux passent sergens; le chef accorder à ses officiers, pour fiefs héréditaires, des batailles, et, en bon camarade, partager la ration de gloire avec ses moindres compagnons. Mais, quand le nouveau Cyrus,accapareur de royaumes, au lieu d'honorer le grand-prêtre, à l'exemple de son devancier, eut outragé le père commun des fidèles, le vicaire du Christ, singulière coïncidence! soudain son étoile pâlit. Des revers inconnus se montrèrent, et, de victoire en déroute, amenèrent un désastre final : l'invasion par toutes les portes de la France.

§ III.

L'antique famille des Bourbons remonta sur le trône héréditaire. Ses conseillers estimèrent la consolider en lui donnant l'autel pour escabeau. Ils ne comprirent point qu'attribuer une existence presque civile au clergé, lui ouvrir la chambre des pairs, les conseils d'administration

publique, l'associer en partie au pouvoir humain, c'était le rendre responsable des erreurs et des crimes de ce pouvoir.

Le gouvernement de la restauration étant véhémentement soupçonné d'un amour mal éteint du passé, ses ennemis ne manquèrent pas de représenter le clergé comme le secret moteur d'un système rétrograde. On se plut à montrer dans le prêtre un satellite en soutane, apôtre du privilége, hostile à l'éducation des classes laborieuses. La crédulité populaire explique le succès de ces déclamations. Jamais, sous la convention et l'empire, les éditions de Voltaire, de Rousseau n'avaient été autant multipliées; les Ruines deVolney, l'Origine des cultes de Dupuis, les chansons irréligieuses, l'Évangile-Touquet, étaient colportées comme l'antidote au poison jésuitique. Après l'impiété de luxe en grand format et papier satiné vint l'impiété économique des in-32 qui se logeait dans le gousset comme une tabatière. Un contrôle amer des mandemens, une inquisition malveillante des actes de l'épiscopat s'exerçait sans relâche; les classes ignorantes redoutaient sérieusement une influence occulte, une faction insaisissable sous le nom de parti-prêtre ; il y avait une sourde fermentation; l'irritation montait vers son comble, quand soudain, outré d'un imprudent défi, le peuple, ce grand enfant, se

levant conime un seul homme, chassa à coups de pierre la monarchie aveuglée.

Aussitôt la maison du Seigneur envahie retentit de rugissemens sanguinaires. La mort est vociférée contre les princes de l'Église; l'asile de l'indigence et de la douleur, l'hospice de la Pitié, recueille, comme un mendiant, sa Grandeur M de Paris, qu'on recherche pour l'égorger.

L'archevêque de Besançon, l'archevêque de Rheims sont en fuite.

L'évêque de Chartres s'abrite sous un toit étranger, celui de Châlons se cache à l'hôpital.

Les évêques de Perpignan, de Marseille n'évitent la mort qu'en quittant précipitamment leur siége.

A Saint-Sauvant, le curé est brutalement arraché de l'autel pendant qu'il célèbre la messe; à Villeneuve, on le jette en prison.

A Bourbon-Vendée, le vicaire est lapidé dans son lit; à Matha, on l'assomme à coups de bâ

ton.

A la fois se multiplient dans chaque département de semblables violences.

Dans un seul diocèse, seize curés, dans un autre quarante, sont en péril de mort, évincés de leur presbytère.

Et d'où partent ces clameurs sinistres? Qui pousse ainsi ces hordes implacables? - Nulle

autorité. C'est la voix du peuple qui retentit; c'est le peuple qui brise ses fers imaginaires. Cependant, au lieu des réactions terribles qui d'ordinaire ensanglantent la première scène d'un règne violemment établi, il y a pardon pour les ambitions trompées. Le peuple se déclare clément. Il épargne la richesse, il épargne l'aristocratie, il absout toute opinion, il proclame une amnistie générale, et n'en excepte que le prêtre. A lui seul l'humiliation et l'outrage; car en lui surtout le peuple long-temps crut voir le soutien d'un régime abhorré, le conseiller d'un système de domination et d'absolutisme, l'agent direct du gouvernement vaincu la veille.

L'antipathie religieuse s'accrut donc de toute l'animosité politique.

Des personnes la haine s'étend aux édifices. L'église de Blois est violée. Les maisons du S.-Esprit, de S.-Lazare, du Mont-Valérien, les séminaires de Perpignan, de Metz, de Nancy, de Pont-à-Mousson, de Verdun, etc., sont vidés par la force.

A Strasbourg, à Cahors, Nancy, Autun, Narbonne, Saintes, Chartres, Dijon, etc., des forcenés abattent le signe de notre libération.

Suivant les localités, les outrages varient. A Blois, à Niort, le Christ enlevé est traîné comme un malfaiteur à l'hôtel-de-ville. A la Ferté

sous-Jouarre, on l'arrache de l'église au milieu des huées, on le scie et le foule aux pieds. A Sarcelles, on le mutile sur sa croix. A Beaune, après l'avoir outragé, on le brûle; tandis qu'à Montargis on le noie dans la rivière.

Dans quelques villes, à Poitiers, Toulon, Riom, Nîmes, Toulouse, etc., l'autorité procède officiellement au sacrilége. En d'autres lieux, on semble redouter la lumière. A Bourges, Trévoux, Rhodez, Grenoble, etc., c'est la nuit qu'on choisit pour ces abattemens. A Carpentras, à Noyon, les ouvriers indigènes refusant leur aide, il faut appeler l'incrédulité foraine, ou bien, comme à Besançon, employer la main militaire.

Par la même cause, les hostilités municipales, la tendance à l'usurpation des pouvoirs ecclésiastiques n'ont pas été moins manifestes. Ici, un maire enfonce les portes de l'église; là il prescrit au curé à quelle heure il dira la messe; ailleurs, il fait chanter, par les siens, un office de sa façon, psaumes patriotiques à versets sanguinaires. A Beru, le fils du maire lit dans la paroisse le recueil des actes administratifs, et empêche le catéchisme. A Poilly (Yonne), la garde nationale prend l'église pour place d'armes, et supprime les vêpres. Dans les grandes villes surtout, le souffle de l'impiété attise le foyer des haines populaires.

La calomnie s'adosse aux murs de la capitale,

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