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réalité, à croire que l'eau ait surpassé de quinze coudées les plus hautes montagnes, prétention que l'immensité de la forme sphérique de la terre rend absurde, dit-il, et qui épuiserait en vain dix Océans. L'Eglise n'impose à personne des commentaires de physique. Isaac Vossius ayant écrit que le déluge n'était pas d'une universalité absolue, son opinion fut déférée à la congrégation de l'index, au moment où le célèbre Dom Jean Mabillon se trouvait à Rome, en 1685. Ce religieux, consulteur honoraire de la congrégation, y fut appelé. Il excusa le sentiment d'Isaac Vossius sur ce que, dans l'Écriture, l'expression de toute la terre ne se prend pas toujours à la rigueur, mais souvent s'entend seulement d'une grande partie du monde; et que, pour reconnaître la fidélité du récit de la Genèse, il suffisait d'admettre que presque toute la terre avait été engloutie. L'assemblée, composée de neuf cardinaux, outre le maître du sacré palais, se rangea de son avis', modération non moins pleine de sagesse que de savoir. L'Eglise eût-elle déclaré que le terme de l'historien n'avait qu'une acception rigoureuse, nulle autorité scientifique n'aurait pu lui être opposée.

« La grande révolution qui a produit le terrain diluvien a été générale, dit la géognosie *.

Vit. D. Joh. Mabillon. præfat. in tom. annal. bened. a Rozet. Cours élément, de géognosie, no 37.

« Les différentes parties du terrain diluvien se trouvent indistinctement sur le sommet des montagnes, sur les plateaux, dans les plaines et le fond des vallées. Des quadrupèdes terrestres sont répandus en grande abondance dans ce terrain..... On y touve encore beaucoup de végétaux dont plusieurs appartiennent à la famille des palmiers et à d'autres qui n'habitent plus aujourd'hui que les pays chauds..... Ou y trouve même des forêts entières. Le terrain diluvien, observé en Russie par Pallas, contient des os d'éléphans et d'autres animaux étrangers au climat, mêlés avec des coquilles marines..... Dans l'empire des Birmans, des os de mastodontes ont été trouvés dans une alluvion ancienne avec des coquilles marines, des bois pétrifiés et une quantité considérable d'arbres ayant encore conservé leurs plus petites branches..... Le terrain diluvien se retrouve, avec tous les caractères qui lui sont propres, dans les contrées les plus éloignées, en France, en Angleterre, en Sibérie, aux Indes orientales et en Amérique '. Amérique.» Cuvier

l'a formellement déclaré.

« Le grand et terrible événement dont il s'agit est clairement empreint partout pour l'œil qui sait lire l'histoire des monumens (géologiques).» Que ces témoignages visibles, précis et

Cours élém. de géognosie.

2 Cuvier, Discours sur les rév. de la surf. du globe, p. 16

imposans ne vous séduisent pas lecteur; l'eau n'a pu couvrir les montagnes, et si vous trouvez à leur sommet des coquilles, c'est que sans doute de gais pèlerins y grimpant avant vous, pour exercer votre sagacité, se sont plu à les enfouir: voyez plutôt Voltaire, risum teneatis amici? Pareillement, comment croire au rameau d'olivier rapporté par la colombe, quand elle rentra dans l'arche, près des montagnes d'Arménie; puisque l'olivier ne vient point dans cette région? Il n'y vient pas, puisque dans son voyage, Tournefort ne l'a pas rencontré : raison péremptoire ! Après une telle preuve, les demisavans ne manqueront pas d'ajouter une nouvelle bévue au compte de l'ignorant Moïse; mais le jeune homme studieux lira dans Strabon, né en Cappadoce, limitrophe de l'Arménie: << Toute cette région est abondante en fruits et en arbres cultivés; on y en voit aussi de ceux qui conservent toujours leur verdure; de ce nombre sont les oliviers. » Il verra dans Pline', que Fabien assigne à la culture de l'olivier une zone tempérée, précisément celle de l'Arménie, et il comprendra sans peine que depuis ce temps des changemens ont dû survenir en Arménie, semblables à ceux du pays de Canaan, autrefois si fertile, aujourd'hui si ingrat; que l'olivier a dis

Pline, lib. XV, c. 1.

paru en Arménie comme le cèdre sur le Liban; comme le sycomore, autrefois si commun en Judée, y devient si rare; comme le châtaignier, jadis abondant en Bourgogne, ainsi que l'attestent d'anciennes charpentes, y est presque in. connu aujourd'hui; comme la campagne de Rome, si fertile en moissons, est aride et inféconde.-Quant au principal argument contre l'existence de l'arche, tiré de sa construction et de sa contenance, il est devenu le moindre. On a aussi opposé des chiffres aux chiffres, et l'évidence mathématique s'est trouvée en faveur de la Bible. Depuis le 16° siècle où l'habile mathématicien Jean Buteo donna une démonstration de la rationnalité de l'arche, M. le Pelletier de Rouen et plusieurs savans avaient publié des dissertations sur ce sujet, mais on les récusait; on ne voulait s'en référer qu'à l'opinion d'un navigateur. M. le vice-amiral Thévenard a décidé la question. Il est dit dans les Mémoires relatifs à la marine : « On n'atteste pas ici la vérité du déluge universel et que l'arche ait existé, malgré les Écritures et les traditions vulgaires; mais si le fait a eu lieu avec une arche dont les dimensions sont exprimées dans la Genèse, chapitre 7, le simple calcul qu'on vient de voir atteste contre Porphyre, Appelles, disciple de Marcion, et contre un sceptique moderne, que ce vaisseau était d'un tiers plus vaste qu'il ne fal

lait pour contenir très aisément la famille de Noé, les animaux et les vivres '. »

S IV.

- La population du globe prouve par son chiffre qu'elle n'a pu sortir de l'unique famille de Noé, dit-on encore. Avec le même chiffre, un savant chrétien, qui, de l'aveu de Condorcet, était «< un des hommes les plus grands et les plus extraordinaires que la nature ait jamais produits,» a démontré le contraire. La population va toujours croissant, donc, en remontant à des époques reculées, elle a toujours été moindre; en suivant ce calcul, Euler est arrivé, sans dépasser les temps marqués dans la chronologie sacrée 2, au nombre exact des individus qui ont repeuplé la terre..

-

Quels furent les premiers auteurs des races mongoles et éthiopiques? demande-t-on; car jamais le Coréen ne naîtra du nègre, pas plus que le Mandigue du Géorgien. - Et cette assertion tranchante, qui l'appuie? demanderons-nous à notre tour. La couleur noire de la peau n'est pas plus surprenante que la couleur blanche. Le tissu muqueux sous-cutané, commun à tous,

'Mémoires relat. à la marine, t. IV, P. 253.-1800.
Euler. Lettres à une princesse d'Allemagne. Édit. de 1 812,

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