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Lutrin de Boileau, eut un succès prodigieux. C'est une bataille entre les médecins et les apothicaires. La satire n'est pas toujours fine, mais elle est très-piquante: on y trouve de l'imagination, de la vivacité, de la naïvelé et du savoir; il y est même trop prodigué. L'auteur a traduit mot à mot la fable de Lafontaine qui met en scène le médecin Tant pis et le médecin Tant mieux (fable 12, liv. V). Les descriptions de Garth sont toujours riantes et pittoresques, souvent neuves, mais trop chargées à la manière anglaise. Voltaire a imité l'exorde du Dispensary, de la manière suivante :

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Muse, raconte-moi les débats salutaires

Des médecins de Londres et des apothicaires,
Contre le genre humain si long-tems réunis.
Quel dieu pour nous sauver les rendit ennemis?
Comment laissèrent-ils respirer leurs malades

Pour frapper à grands coups sur leurs chers camarades?
Comment changèrent-ils leur coiffure en armet,

La seringue en canon, la pilule en boulet?

Ils connurent la gloire; acharnés l'un sur l'autre,
fls prodiguaient leur vie et nous laissaient la nôtre.

Cette ingénieuse épigramme rappelle un mot très-heureux du président Molé. Dans le tems de la grande dispute entre la médecine et la chirurgie, on sollicita ce magistrat

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d'élever un mur entre ces deux professions. Je le veux bien, répondit-il, mais de quel côté mettrez-vous le malade?

Samuel Garth, dont Pope fait un très-grand éloge, mourut le 18 janvier 1719; il fut membre de la fameuse Société de Kic-cat-Klub, composée d'environ trente gentilshommes distingués par leur dévouement à la maison d'Hanovre. Comme Garth avait montré beaucoup de zèlo pour la succession de la couronne dans cette maison, roi Georges Ier le fit chevalier et lui donna les titres de son médecin ordinaire et de premier médecin de ses armées.

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Le journal anglais, au lieu de donner ces détails histo riques ou de présenter une analyse du poëme, se contente

d'observer que les pharmaciens du tems n'ont point répondu aux plaisanteries de Garth. « Eh! qu'auraient-ils » répondu, s'écrie-t-il? qui peut et doit être plus étranger à » la littérature qu'un apothicaire? Quoique son art tienne » à la médecine, et que les médecins se disent enfans » d'Apollon, le pharmacopole doit se borner à la manipu»lation, et se renfermer dans son officine, où les objets qui » l'entourent ne sont nullement propres à réveiller l'imagi» nation. Le beau sujet poétique que la description des » drogues ou des opérations d'un laboratoire ! Médecins, >> faites des ordonnances; apothicaires, exécutez-les scru» puleusement, et laissez la plume littéraire à ceux qui » n'ont pas des fonctions aussi graves, aussi froides que » les vôtres. Garth a réussi une fois : heureusement il n'a » pas eu d'imitateur.>>

N'en déplaise au sévère journaliste de Londres, les médecins et les pharmaciens ont toujours été regardés comme faisant partie de la famille d'Apollon. En parodiant la fable de Daphné, le poëte Dassoucy fait dire à Phébus:

Je suis le dieu qui tout éclaire,

Bon chantre, bon apothicaire,

Bon médecin.

Dans le même sujet Dumoustier fait parler Apollon de la même manière.

Je suis le bâtard de Jupin;
Je suis poëte, médecin,
Apothicaire et botaniste.

Si le journaliste de la Tamise ne faisait pas sa feuille comme on fait les feuilletons à Paris, il saurait que les poëtes de l'antiquité n'ont pas dédaigné la description des remèdes. L'aveugle de Méonie et le Cygne de Mantoue ont admis dans leurs immortels ouvrages des détails pharmaceutiques; Andromaque a fait un poëme élégiaque sur son électuaire, et l'a dédié à Néron; Nicandre a chanté les poisons que la médecine peut convertir en remèdes. S'il est vrai que Garth n'ait pas eu d'imitateur en satire, il a eu

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des émules en poésie, et il est impossible qu'on ne connaisse pas à Londres la Pedotrophia de Scevole de Sainte-Marthe, la Callipédie de Claude Quillet; l'Hygienæ poema de Geof froy, et le poëme célèbre de Fracastor. Sans doute on peut trouver des sujets plus inspirateurs que la matière médicale; cependant notre illustre Lafontaine a fait un poëme sur le quinquina, et Gilles de Corbeil, médecin du roi Phi lippe-Auguste, est auteur d'un grand ouvrage en vers Sur la vertu des médicamens composés. Faut-il rappeler OEmilius Macer, poëte latin, natif de Véronne, ami d'Ovide et de Tibulle, et qui publia des poëmes sur les vertus des plantes des serpens et des oiseaux; Martianus Mineus Felix Capella, né à Carthage vers l'an 490, dont le poëmé intitulé De nuptiis physologiæ et mercurii, et de septem artibus liberatibus est rempli de détails de matière médicale; l'anglais Jean Clement, qui vivait au seizième siècle, professa la médecine et la pharmacie, et composa diverses poésies fort estimées en Angleterre ? Faut-il rappeler Marcellus Empyricus, dont les écrits sont si connus;. Louis Nonius, Médecin d'Anvers au dix-septième siècle, qui, dans ses vers sur la géographie, n'oublie pas les applications à la pharmacie; Jules-César Scaliger, né en 1484, d'une imagination si féconde et tout-à-la-fois médecin, philosophe et poëte? Aurait-on oublié ce fameux Jean, milanais, qui, vers l'an 1100, composa au nom des médecins du collège de Salerne l'ouvrage connu sous le nom de l'École de Salerne, dont il ne nous reste que trois cent soixante-douze vers sur douze cent trente-neuf qu'il renfermait? Ne se souviendrait-on plus d'un poëme sur les eaux minérales, composé par Guillaume Ségaud, célèbre prédi cateur jésuite, né à Paris en 1674? enfin, les bibliothèques de médecine ne nous offrent-elles pas le poëme que Quintus Sérénus Sammonicus publia sur les bienfaits de son art sous le règne de Sévère et de Caracalla? On trouve encore beaucoup de détails thérapeutiques dans les vers de Sulpitia,

dame romaine qui vivait du tems de Domitien: on en trouvè dans le Prædium rusticum du P. Vanière et dans le poëme sur les vers à soie, de Marc Jérôme Vida, évêque d'Albe, qui florissait en 1566. On peut objecter à tant de citations que tous ces fruits de la lyre médico-pharmaceutique ne sont ni bons ni gais : cela peut être ; mais, si l'on veut de la gaieté, on peut lire la Theriacade et la Diabotanogamie de Girault, poëmes qui parurent en 1769 et qu'on a réimprimés il y a peu d'années. Ces deux ouvrages sont, il est vrai, en prose, mais en prose très-poétique divisée en chants.

Dans la salle des exercices de l'école de pharmacie de Paris, on remarque parmi les portraits des apothicaires qui ont été dans les charges celui de Juliot, qui porte pour inscription, Juliot pharmaco-poeta. Ses vers ne sont pas parvenus jusqu'à nous; ceux de Demachy sont dans la mémoire et dans la bibliothèque des gens de goût, quoiquè Demachy soit beaucoup plus connu comme excellent phar macien que comme littérateur. Le collége de pharmacie de Paris possède encore parmi ses professeurs le vénérable et lyrique Guiart, qui charme sa vieillesse par le commerce des Muses latines: tantôt rival de Santeuil, tantôt émule d'Ausone, il chante dans un hymne religieux la gloire de nos armées, ou célèbre dans un centon ingénieux les bienfaits du grand homme qui nous gouverne.

Après avoir prouvé que l'Aristarque anglais a été trop loin en prétendant que les médecins et les pharmaciens sont étrangers aux Muses, nous pensons comme lui que les talens littéraires doivent être pour eux secondaires et purement accessoires. Les grandes vérités de la physique et de la chimie, les phénomènes si intéressans de la physiologie peuvent enflammer leur imagination; et pour les retracer, leur style doit prendre quelqu'élévation. Heureux ceux qui, comme les Fourcroy, les Lavoisier, les Cuvier, savent joindre l'élégance à la correction et répandre quelques fleurs sur des matières arides! mais il

faut espérer pour l'honneur des lettres et des sciences que les médecins et pharmaciens littérateurs, se contentant de donner, par une diction noble et pure, du charme aux sujets instructifs qu'ils traiteront, laisseront désormais la versification aux poëtes de profession, ou ne cultiveront les Muses que par délassement. Montesquieu, Buffon et Bailly ont fait des vers spirituels : on ne les cite que comme objets de curiosité, et l'on parlera toujours de l'Esprit des lois, des Epoques de la nature, et des Lettres sur les sciences et sur l'Atlantide.

C. L. C.

SUR L'EAU MINÉRALE

GAZEUSE ARTIFICIELLE;'

PAR M. CADET.

DEPUIS que Paul de Genève est parvenu à imiter parfaiment les eaux de Selz, de Chateldon, et à dissoudre dans lean par la force de la pression une quantité de gaz plus considérable que celle qu'on était parvenu jusqu'à ce jour ày combiner; beaucoup de pharmaciens ont renoncé aux procédés coûteux usités jusqu'ici dans les laboratoires, et se fournissent d'eaux gazeuses au bel établissement que MM. Tryaire et Jurine possèdent à Tivoli. L'appareil de M. Paul n'est pas connu en Autriche, personne du moins n'a tenté de le mettre en usage; cependant on y prépare des eaux minérales gazeuses artificielles qui peuvent entrer en comparaison avec les eaux naturelles. M. Fierlinger, médecin de Vienne, est parvenu à saturer l'eau de gaz acide carbonique, par un moyen fort simple et fort économique. Je n'ai point vu son établissement, mais j'ai goûté son eau gazeuse qui mousse, et dans les tems chauds fait sauter le bouchon. Il la prépare de la manière suivante : A l'époque des vendanges, qui se font fort tard en Au

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