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qu'elle signale ont été trop rapidement observés, il reste sans doute trop de découvertes à constater (tout en acceptant quelques suppositions ingénieuses), pour que l'on puisse établir ainsi les migrations du plus grand peuple de l'Amérique.

Il y a longtemps que de Guignes plaçait dans ces régions le lieu où avait dû s'opérer le passage des Chinois allant à la recherche de contrées nouvelles, qu'ils devaient fertiliser par leur industrie (1). Plus tard on a fait honneur de cette émigration conquérante au génie belliqueux des Japonais”, et l'on a amené de ces contrées un grand pontife civilisateur, Bochica, destiné à répandre les bienfaits d'une antique civilisation sur le plateau de Cundinamarca, où on le regardait jadis comme l'embleme du soleil. Mais depuis le docte Hornius jusqu'au célèbre éditeur des Antiquités du Mexique (2) les systèmes ont été presque aussi nombreux que les peuples navigateurs de l'ancien monde, et nous ne croyons pas que le temps soit encore arrivé d'en adopter un exclusivement. Toutefois, si un jour l'Europe savante tente de nouveaux efforts pour constater des faits jusqu'à présent restés douteux; si, mettant à part le systeme incertain des étymologies hasardées, les archéologues vont étudier les monuments de l'Amérique sur les lieux; s'ils vont faire des pèlerinages féconds pour l'histoire des origines à Palenqué, à Uxmal, si bien décrits naguère par l'infatigable Waldeck, il n'y a nul doute que les rives du Gila et d'autres régions encore moins connues de la Californie ne doivent être l'objet d'une exploration attentive et dégagée d'idées préconçues. Alors peut-être le grand

(1) On sait qu'un écrivain récent n'a pas craint d'établir dans un livre prétendu sérieux la suite non interrompue des souverains mongols, qui fondèrent jadis leur empire dans l'Amérique. La parole spontanée et naïve du jeune Botocudo, qui regardait les Chinois établis à Rio de Janeiro comme ses oncles, en dit plus à ce sujet, peut-être, que les dissertations des savants (Voy. Aug. de Saint-Hilaire, Voyage au Brésil); mais il est difficile de baser un système historique sur de pareilles indications.

(2) Lord Kingsborough, Antiquities of Mexico, 7 vol. in-fol. Un artiste dévoué à la science, M. Aglio, est le véritable auteur des grands travaux d'iconographie, qui peuvent rendre utile ce vaste ouvrage.

problème s'éclairera-t-il d'un jour tout nouveau et pourra-t-on agrandir sans danger le cercle des conjectures (1).

Cependant il faut se hâter, ces antiques monuments peuvent disparaître devant la civilisation importée d'Europe, comme ont déjà disparu tant de tribus indiennes, que rencontrèrent les anciens conquistadores. Les traditions des aborigènes se modifient; elles s'éteindront insensiblement devant les efforts si louables des missionnaires, qui substituent les idées chrétiennes aux légendes primitives nées d'un état de barbarie. Qui nous dira aujourd'hui ce que sont devenus les souvenirs traditionnels de tant de peuplades anéanties que rencontra durant ses travaux évangéliques l'infatigable Ugarte? qui a pris soin de relier entre elles les idées confuses de ces tribus, laissant périr insensiblement les notions historiques de leurs pères, en même temps qu'elles abandonnaient leurs usages? Les Bernardino de Sahagun, les Heckewelder, les Moerenhout, tous ces voyageurs, qui savent recueillir les récits des nations expirantes sont rares dans tous les temps; bientôt même ceux qui les égaleraient en zèle et en charité ardente ne trouveront personne à interroger parmi ces peuples errants, qui n'ont plus ni la volonté ni le désir d'instituer quelques-uns d'entre eux, pour conserver des traditions, sujet de honte ou de douleur. Dispersés ou vaincus, ils n'ont rien à faire de ces souvenirs.

(1) Peut-être sera-t-on bien aise de voir ici avec quelle circonspection le voyageur le plus éminent de notre époque a cru devoir traiter de pareilles questions. « Une idole découverte à Natchez, dit M. de Humboldt, a été comparée avec raison par M. Malte-Brun aux images des esprits célestes que Pallas a rencontrées chez les peuples mongols. Si les tribus qui habitaient des villes sur les bords du Mississipi sont sorties de ce même pays d'Aztlan qu'ont habité les Toltèques, les Chichimèques et les Aztèques, il faut admettre, du moins d'aprés l'inspection de leurs idoles et leurs essais de sculpture, qu'ils étaient beaucoup moins avancés dans les arts que les tribus mexicaines, qui, sans dévier vers l'est, ont suivi la grande route des peuples du nouveau monde dirigée du nord au sud, des rives du Gila vers le lac de Nicaragua. D'une autre part, un voyageur récent et qui fait autorité, M. Siebold, admet l'immigration des peuples du Japon dans l'Amérique vers le point que nous indiquons. Voy. le Nippon, ou Matériaux pour servir à la description du Japon et des contrées voisines (en allemand), grand in-4°.

Peut-être ceux de la Californie conservaient-ils, comme les puissants Leni Lenape du Canada, comme les Araucans du Chili (1), des traditions antiques attestant les migrations des peuples ou les guerres des grandes nations. Qui pourrait nous dire aujourd'hui quelle a été la réelle origine de ces Bagiopas, de ces Coanopas, de ces Cutguates, de ces Quiquimas, qui formaient en Californie des tribus assez nombreuses pour que l'une d'elles fournit à elle seule dix mille individus? Que sont devenus ces Tubutamas, ces Cochimies, ces Pericuès improprement appelés Guaycuros (2) par les Espagnols et dont les noms mêmes aussi bien que ceux des Uchilies, des Coras, des Cutguanes, ne nous sont pas parvenus probablement sans altération? Ces nations se sont confondues dans les missions, et il serait peut-être impossible de constater leur individualité nous nous contenterons donc de signaler les tribus qui restent encore dans les deux Californies et de faire ressortir les faits saillants que l'on remarque dans leur organisation.

Ceux des lecteurs qui ont lu la savante dissertation dont Fleurieu a enrichi le Voyage du capitaine Marchand, se rappellent sans doute la théorie fort simple qu'il établit à l'égard des peuplades qui errent sur toute l'étendue de la côte (3).

(1) Dans son Histoire du Chili, Ovalle définit fort exactement les fonctions d'un de ces hommes archives, comme les appelle ingénieusement un vieux voyageur à eux appartenait la conservation de tous les grands faits historiques, et l'on retrouve leur institution chez un grand nombre de peuplades américaines; la mémoire si exercée de ces sortes de bardes était réellement prodigieuse.

(2) On est frappé, au premier abord, de l'analogie de cette dénomination avec celle des Guaycurus, nation belliqueuse du Brésil, qui a fixé sa demeure aux environs du fort de NovaCoimbra; mais Warden, sans remarquer cette conformité, fait observer avec raison que les Espagnols ayant entendu ces peuples s'appeler entre eux Guaxoro, ou amis, finirent par allérer le nom de ces Indiens, les plus terribles adversaires des Européens le long des cótes. Voy. l'Art de vérifier les dates, depuis l'année 1770 jusqu'à nos jours; édit. de Fortia d'Urban, t. IX. (3)« Il ne serait donc pas hors de vraisemblance que la côte du nord-ouest complat trois espèces d'habitants en première date les hommes qui appartiendraient originairement au sol même de l'Amérique, si toutefois on doit adopter l'opinion que cette grande terre avait ses hommes propres ou aborigènes, comme elle a ses animaux et ses plantes; en

:

Un voyageur plein de sagacité, qui a naguère observé ces Indiens sur les lieux et qui n'ignore aucun des systèmes que l'on a émis sur leur migration, M. Duflot de Mofras, établit mieux que tout autre les caractères physiologiques qui les distinguent et que doivent prendre en considération les savants; mais il n'admet que deux divisions. « On trouve parmi les Indiens de la côte nord-ouest deux races distinctes, dit-il, celle du nord, qui habite depuis le détroit de Behring jusqu'aux rives du Rio Colombia, et celle du sud, qui occupe la région méridionale de l'Orégon et la Californie jusqu'au Rio-Colorado et au haut Sonora. La première affecte plus spécialement le type asiatique; les Indiens qui la composent sont de taille

seconde date, les Asiatiques du Nord, dont

l'ancienne chronique du Nord atteste la transmigration; enfin et en troisieme date les Mexicains réfugiés. » Plus loin le Voyage du capitaine Marchand renferme quelques details archeologiques fournis par Fleurieu qui se rattachent trop bien à la question traitée ici pour que nous ne les indiquions pas; il s'agit d'un monument indien trouvé dans le canal de Cox, et qui est réellement le produit des Arts de l'Amérique occidentale au nord. Des peintures effacées désignées sous le nom de cañiak rappelèrent aux navigateurs français, ces peintures, ces grands tableaux du Mexique, dont

les historiens espagnols nous ont transmis les descriptions et les dessins: et les peuplades qui habitent les iles qui dans ce moment fixaient l'attention de nos voyageurs pourraient bien ne pas avoir été dans tous les temps aussi étrangères aux Mexicains qu'elles ont pu le devenir depuis la destructioù de l'empire » (t. I, p. 296). A quelque distance, aux iles de la Reine Charlotte, nos voyageurs virent de grands edifices ornés de sculptures, bien superieures a ce que l'on peut attendre d'un peuple purement sauvage, et qui suggèrent les réflexions suivantes au rédacteur: « Si nous retrouvons ainsi dans les iles attenant à la côte nord-ouest et å l'Asie, et les maisons de l'Asie septentrionale et les tableaux du Mexique, serait ce une conjecture trop hasardée de supposer que les babitants de cette côte du nord-ouest, transplantés originairement d'Asie en Amérique et parvenus au Mexique, où ils fondèrent un empire, ont abandonné leur nouvelle patrie à l'arrivée des Européens, et ont reflué sur ces mêmes côtes qu'ils avaient occupées après leur transmigration d'Asie. » Le chirurgien Roblet, qui appartenait à cette même expédition, présuma également par l'inspection de ces sculptures, que les Américains dont nous nous occupons ont connu un instrument semblable à la harpe. mais après une longue digression le rédacteur des Voyages fait observer que si cet instrument compliqué a été porté a l'Amérique par les Tartares émigrés, il a eu un immense espace à parcourir avant de pouvoir figurer parmi ces basreliefs indiens.

moyenne, ils ont la face large, le front déprimé, les pommettes saillantes, les yeux très-écartés et fendus en amande, le nez aquilin, la bouche grande et le menton terminé en pointe. La seconde se rapproche davantage du type européen. La taille de ces Indiens est plus élevée, ils ont le front plus droit et l'angle facial plus ouvert; chez un petit nombre seulement les lèvres et le nez sont légèrement épatés. La race méridionale est plus noire encore que celle du nord; mais sa nuance, quoique trèsfoncée, n'a rien du brillant qui distingue les nations africaines, et l'on ne saurait mieux la comparer qu'aux teintes mates produites par la sepia. »

Roquefeuille (1), Choris, Langsdorff, tous les voyageurs qui ont observé ces peuples constatent l'exactitude d'une peinture qui ne renferme cependant que les traits généraux. M. de Mofras spécifie également les différences physiologiques que produit chez ces Indiens le genre de vie et la nature des occupations. Mais ce qu'il établit d'une maniere incontestable, c'est la destruction rapide des Californiens. Mines sourdement par une maladie fatale, qui semble avoir

(1) Ce voyageur, essentiellement judicieux, qui nous a tracé un tableau peu flatteur des Indiens de la Californie, indiquait déja, il y a vingtcinq ans, cette tendance deplorable a une entiere destruction: « Les individus de cette race, ditil, s'élèvent rarement au delà de la taille médio

cre; leur corps n'a ni grace ni vigueur, et leur physionomie porte l'empreinte de l'apathie et de la stupidite. Leur personne et tout ce qui les entoure est de la saleté la plus horrible. Dans aucune mission les naissances ne compensent les mortalités; leur population ne s'entretient que par les renforts qu'elle reçoit des Indiens indépendants: mais la plupart de ces recrues sont des vieillards qui, n'ayant plus la force de pourvoir à leur subsistance, viennent chercher auprès des missionnaires un asile con

son origine dans le nouveau monde, ils semblent plus accessibles que d'autres hommes aux ravages de certaines épidémies; pour n'en citer que quelques exemples, nous rappellerons que douze mille individus ont péri, en 1834, dans la vallée de los Tulares, à la suite d'une affection qui présentait de l'analogie avec le cholera, tandis que deux ans plus tard les fièvres enlevèrent huit mille habitants des plaines arrò sées par le Rio del Sacramento. Il est juste de dire que les précautions hygiéniques prises dans les missions preservent souvent les Indiens qui y résident de cette effrayante mortalité."

Un trait caractéristique de quelquesunes de ces nations, un fait étrange què l'ethnographie enregistre toujours avec surprise dans ses annales, c'est l'usage où sont plusieurs tribus de se percer la lèvre inférieure et d'y introduire, ou un disque de bois léger, ou un os arrondi. Cet ornement bizarre, que l'on trouve chez plusieurs insulaires de la mer du Sud, est surtout fort répandu dans l'Amérique méridionale ou dans les contrées qui avoisinent cette région. Les tribus les plus étrangères les unes aux autres par certains caractères physiques ou bien par les dissemblances qu'amène un commencement de civilisation se trouvent avoir un point de contact dans le nouveau continent, grâce à cet ornement qui donne à la physionomie ou un caractère terrible ou un aspect hideux. Au Mexique il était fréquem ment en or; les Cayabavas de l'Amérique du Sud le portaient également fabriqué avec le métal pur que leur fournissaient leurs sables auriferes; le jade vert artistement taillé avait été spécialement

tre la faim. Voy. Camille Roquefeuille, Journal adopté par les Tupis du Brésil, qui en

d'un voyage autour du monde pendant les années 1816, 1817, 1818 et 1819; Paris, 1823, 2 vol. in-8°. Nous rappellerons aussi qu'au point de vue ethnographique on trouvera des renseignements fort naifs et réellement précieux, sur les aborigènes de la Californie dans le Voyage de l'infortune Choris. Il a dessiné d'après nature plusieurs individus, et a donné la représentation exacte de leurs armes et de leurs ustensiles; plusieurs exemplaires de ce livre ayant été coloriés sous les yeux de l'artiste, les variétés de teinte que présente la peau des indiens ont pu être fidèlement reproduites, Voy. Voyage autour du monde accompagné de descriptions par Cuvier et 4. de Chamisso, et d'observations sur les cranes humains; Paris. F. Didot, 1821, 1 vol. in-fol.

chassaient même ce disque poli dans leurs joues transpercées. Un coquillage blanc, bien connu des nations brésiliennes, avait été choisi par les femmes Tupinambas pour servir d'ornement à leur levre inférieure et à leurs oreilles (1). Aujourd'hui encore les Gamellas, qui errent dans les campagnes du Maranham, aiment à remplacer le métal, la pierre ou les plumes éclatantes en usage

(1) Voy. Jean de Léry, le Montaigne des vieux voyageurs, comme l'appelle spirituellement l'un de nos plus savants botanistes.

chez d'autres peuples, par de petites coloquintes évidées intérieurement, et dont, chose répugnante à dire! ils se servent quelquefois pour conserver quelques débris de leurs aliments (1). Les Californiens font usage d'un disque de bois arrondi, et sous ce rapport ils se trouvent avoir une analogie absolue avec ces tribus nomades de Botocudos jadis connus sous le nom d'Aymorès, et que nous avons rencontrés plus d'une fois au sein des grandes forêts de la côte orientale du Brésil, dans le voisinage du Belmonte et du rio Doce, d'où ils disparaîtront insensiblement. Sans attacher une trop grande valeur à ce fait ethnographique, bien connu d'ailleurs, il n'est peut-être pas hors de propos de faire remarquer que le caractère mongol apparaît beaucoup plus chez cette race qu'il n'est sensible chez les tribus du voisinage. Si la Californie a servi de passage à des hordes asiatiques (aux Tchouktchis, par exemple) (2), il devient curieux d'examiner attentivement comment un usage parfaitement identique se trouve adopté à une distance si considérable par deux peuplades restées à peu de chose près au même degré de barbarie (3).

Lorsqu'on examine les derniers dénombrements qui nous aient été fournis sur la population indienne des deux Californies, on est frappé du petit nombre d'individus qui la composent maintenant. Selon un auteur qui a eu à sa disposition les documents que les États-Unis ont été à même de se procurer, il faudrait faire monter cette population aborigène à quatre mille âmes pour la Vieille Californie, à quinze mille pour les vastes régions qui forment la Nouvelle (4). Ce

(1) Ayres de Cazal, Corografia Brasilica. (2) Faisons-le remarquer ici en passant, un dieu célèbre de la théogonie mexicaine, le dieu Necauciautl, offre sur une antique statue l'étrange parure signalée plus haut. La principale idole de cette divinité était faite de teotet!, ou, si on l'aime mieux, de pierre divine, espèce de marbre noir poli. Elle avait des pendants d'oreille en or et à la lèvre inférieure un tube de cristal, à l'extrémité duquel se trouvait une plume verte ou une turquoise.» TernauxCompans, Essai sur la théogonie mexicaine, p. 7.

(3) Voy. l'Amérique Russe et ce que dit à ce sujet F. Lutké.

(4) La dépopulation a dû être rapide. En 1744 le P. Sedelmayer trouvait 6,000 Papagos seulement sur les bords du rio Gila; y avait le même nombre à peu près de Pimas et de Coco

pendant, pour réduire ce calcul à sa juste valeur, il est nécessaire de ne pas oublier que presque toute la partie centrale de ce pays, qui n'a pas moins de quatre cents à cinq cents milles du nord au sud, sur une largeur à peu près égale de l'est à l'ouest, est restée inexplorée, et que des tribus peu considérables, il est vrai, mais assez multipliées, habitent ces régions inconnues. Quelques-unes, telles que les Pah-Utah, qui ont été visitées récemment, doivent accroître le chiffre reproduit dans cette notice; c'est dire assez qu'il nous semble impossible d'établir à ce sujet rien de positif sur la population indienne.

Si l'on s'en rapportait au P. Lasuen, dix-sept langues auraient été parlées de son temps sur les côtes de la Californie, en embrassant une étendue de territoire qui ne comprendrait pas plus de cent quatre-vingts lieues, depuis SanDiego jusqu'à San-Francisco; mais d'un autre côté, et si l'on veut adopter l'opinion d'un autre missionnaire, il n'existerait que trois idiomes essentiellement différents sur toute l'étendue de la côte.

Ce qu'il y a de bien certain, c'est qu'un grand mystère se lie à l'ethnographie de ces contrées, et que quant à la linguistique jamais peut-être la science moderne ne pourra trouver la solution des problèmes qui lui sont offerts. Si l'on eût jadis obéi à la pensée philosophique de Fleurieu, et si en essayant, comme on l'a fait, de construire quelques rudiments de vocabulaires, on eût tenté de recueillir les chants traditionnels conservés le long de la côte, peut-être eûton découvert quelques traces de l'origine des peuples qui les conservaient encore, à l'époque où le livre de Marchand fut publié (1). Nous n'ignorons pas qu'il s'agit d'un peuple voisin de la Californie plutôt que des Californiens eux-mêmes; mais souvent la tradition

maricopas. Voy. Art de vérifier les dates, t. IX, p. 488, édit. in-8°.

(1) Cet écrivain insiste beaucoup sur les chants, dont quelques-uns sont notés et que les Indiens répètent en partie. « Ces chants peuvent être une tradition orale, comme leurs hieroglyphes une tradition écrite; un peuple qui chante est un peuple poëte, et l'on sait que dans tous les pays les poètes furent les premiers historiens. » En ce qui touche spécialement les chants des Californiens, nous dirons que l'un deux a été noté par Choris.

d'une tribu explique l'origine d'une tribu voisine, et rien en ethnographie ne saurait être négligé. Aujourd'hui ce sont les peuplades errantes sur les bords des lacs Intérieurs qu'il s'agit de soumettre à une observation attentive, et malheu reusement tout nous prouve qu'elles sont à un degré de barbarie plus grand encore peut-être que les tribus de la côte.

Les Pah-Utah, que le colonel Fremont visitait il y a peu de temps à l'extrémité sud du grand bassin, restent dans un état presque absolu de nudité: ils vont armés de grands arcs, et leurs flèches sont garnies de pierres d'une dureté extraordinaire; ces armes, dans leurs mains, sont presque aussi redoutables que les armes à feu. Durant leurs déprédations sur les établissements de la côte et même sur les voyageurs, ils s'efforcent d'enlever surtout les chevaux et les mules, et dès qu'ils ont pu regagner leurs demeures dans les montagnes, ces animaux sont abattus immédiatement pour servir à leur nourriture.

Aux bords du grand lac Salé et sur les bords du Colorado, on rencontre les Indiens Utah, qui sont moins sauvages dans leurs coutumes et qui ont même quelques rapports avec les traitants de l'intérieur et avec les habitants du Nouveau-Mexique. Un observateur recent dit que plusieurs d'entre eux sont fort bien montés et munis d'armes redoutables; si bien que les blancs eux-mêmes ne sont pas à l'abri de leurs courses. La caravane qui part annuellement de la Californie pour se rendre à Santa-Fé n'a pas d'ennemis plus formidables (1). Ces Indiens trouvent du reste une nourriture abondante dans le gibier que produisent certaines régions de la haute Californie; le colonel Fremont dit même avoir rencontré sur les bords du S. Joaquin des bandes considérables de che vaux sauvages et d'antilopes, qui pourront durant longtemps encore alimenter ces tríbus si peu connues, et dont le nombre ne peut être indiqué que par un chiffre très-approximatif. Quel que soit cependant leur degré de barbarie, ces Indiens ne sont pas dépourvus complétement d'idées religieuses, comme

(1) Voy. Mitchell, Texas, Oregon and California, 1846. Il s'agit sans doute ici des Youtas cités par un autre écrivain.

l'ont affirmé plusieurs écrivains; et s'il est presque impossible d'envisager aujourd'hui sous leur jour réel les croyan ces mythologiques appartenant spécialement à chaque tribu, on peut essayer de retracer ce qui a été dit à ce sujet par les premiers voyageurs. IDÉES RELIGIEUSES DE QUELQUES ABORIGÈNES DE LA CALIFORNIE.

Tous les observateurs sérieux, nous l'avons déjà dit, nous représentent cette région comme étant dominée à l'époque des premières conquêtes par des peuplades indépendantes parlant des langues particulières, ce qui semblerait indiquer une grande variété dans les croyances religieuses. Il paraît néanmoins que depuis le nord du Sacramento, jusqu'au cap San-Lucas, il existe parmi les Californiens une grande conformité de mœurs, de coutumes, d'idées, malgré la variété des idiomes, et que les chants traditionnels y conservent d'âge en âge les faits principaux d'une théogonie sauvage. Un voyageur, cité déjà plusieurs fois, dit même, « que ces chants sont rédigés dans une langue dont les chefs et les sorciers seuls ont l'intelligence et qui n'a point le moindre rapport avec le dialectè en usage de nos jours. >> Ce fait est d'autant plus facile à accepter qu'il se reproduit chez plusieurs peuplades de la mer du Sud et même de l'Amérique.

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S'il faut en croire la tradition reproduite par M. de Mofras, le monde aurait eu deux âges bien distincts; dans le premier deux êtres préexistants, le frère et la sœur, auraient vécu dans une obscurité complète; la découverte de la lumière serait devenue le signal de leur union; un être mystérieux nommé Olot, procé dant de ce couple divin, aurait peuplé la terre d'êtres différents par leur nature de celle des Indiens, et la terre se serait agrandie du nord au sud avec cette population nouvelle; puis Oïot aurait été mis à mort par ceux-là mêmes qu'il avait créés. Dans la seconde période l'esprit divin, Chinigchinig, apparaît au-dessus du bûcher de la victime, déclare à ces êtres vivants quelle est sa puissance, crée plusieurs hommes et plusieurs femmes avec un peu de fange et leur donne des lois en leur faisant craindre son châtiment. Alors la création d'Oîot se confond

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