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L'ORÉGON.

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Il n'y a peut-être point dans l'Amérique de contrée qui porte des noms si divers que le vaste territoire désigné aujourd'hui sous le nom d'Orégon; dénomination qui semble prévaloir. Les Anglais l'ont appelé, selon les localités, territoire du Rio-Colombia, Nouvelle Albion, Nouvelle Géorgie, Nouveau Hanovre, Nouvelle Calédonie, Nouveau Cornouailles et Nouveau Norfolk (1). Il est compris vers l'ouest entre les montagnes Rocheuses et l'océan Pacifique, et il s'étend du sud au nord entre les 42° et 54° 40′ de latitude Nord; il a peu près 880 milles de longueur, sur une largeur moyenne de 550 milles, et son area est d'environ 450,000 milles

carrés.

Pour prendre une idée à peu près exacte de la configuration du littoral, il est bon de se rappeler qu'à partir du cap Flattery, environ par les 47° de latitude Nord, en inclinant au sud jusqu'aux 42° Nord, la côte est à peu près semblable à celle de la haute et de la basse Californie; c'est-à-dire qu'elle est haute et abrupte, et qu'on la voit bordée à peu de distance par une rangée de montagnes s'élevant comme des remparts entre la mer et l'intérieur. Ainsi que le fait remarquer un géographe moderne, les havres sont peu nombreux et de l'accès le plus difficile: on ne peut excepter, à bien dire, de cette observation générale que la vaste baie de SanFrancisco (2), qui fait partie de la haute

(1) Voyez Duflot de Mofras. Ce voyageur n'accepte pas le nom d'Orégon ou d'Orégan comme nom indien, ainsi que l'ont fait plusieurs historiens.

(2) Voyez le Voyage de la Vénus. L'hydrographie de cette magnifique baie a été faite avec tous les soins désirables, en 1842, par M. Dortet de Tessan.

Californie. A partir du cap Flattery vers le nord, la côte prend un aspect différent; le continent aussi bien que les grandes îles qui le bordent sont comme dentelés par une innombrable quantité de golfes, de baies, de détroits; divers passages assez étroits, qu'on peut désigner sous le nom de canaux, se frayent une issue dans l'intérieur des terres, et en y créant de nombreuses iles y forment aussi plusieurs havres excellents, destinés sans aucun doute, et dans une courte période, à devenir le siége d'un commerce plein d'activité (1).

Pour que l'on puisse saisir au milieu de ces détails géographiques, si arides, les données générales qui doivent faire pressentir dès à présent ce que deviendra ce pays désert, nous emprunterons à un historien voyageur son exposé, vraiment lucide, de la configuration du territoire. « En allant de l'ouest à l'est, dit-il, le pays présente trois grandes vallées, séparées par des chaînes de montagnes. Chacune d'elles a un sol et un climat distincts; la première commence au bord de la mer, et s'étend jusqu'à la chaîne qui court nord-ouest et sud-est; sa largeur est de vingt-cinq à quarante lieues. Son climat est trèschaud en été, mais on y éprouve des nuits très-fraîches; depuis octobre jusqu'en avril il pleut presque sans interruption; le reste de l'année est géné ralement très-beau; la neige séjourne rarement dans les plaines, et les rivières, telles que le Rio-Colombia, ne se gèlent pas tous les ans. Le sol est plus fertile dans cette vallée que dans l'intérieur des terres; les pluies d'hiver favorisent la végétation, et produisent des amas de détritus qui se transforment en couches épaisses de terre végétale.

(1) Augustus Mitchell.

Cependant les terrains situés au bord de la mer sont moins propres à la culture que ceux des vallées, et les basfonds bordant les fleuves présentent l'inconvénient d'être sujets aux inondations. Les meilleures régions sont celles qu'on trouve vers le nord, autour de la baie de Puget, près de la rivière Kaoulis et au sud sur les bords du Ouallamet; leur étendue est de cent cinquante lieues nord et sud, sur trente à quarante de large; le reste du sol au nord et à l'est est montagneux et souvent inaccessible. La grande vallée est bien arrosée, et possède des forêts superbes; son aspect ne diffère pas de celui des plus belles plaines de la Californie; et c'est à sa possession que les Anglais et les Américains attachent tant de prix.

« La seconde vallée prend naissance aux cascades du Rio-Colombia; elle est comprise entre la chaîne dont nous venons de parler et les montagnes Bleues d'origine volcanique, situées à cinquante lieues à l'est. Les pluies y sont moins fréquentes que dans la précédente, les cours d'eau moins abondants, les couches d'humus moins épaisses; enfin le pays, quoique boisé et propre à la culture, n'a pas la même fertilité.

« La troisième vallée est située entre les versants occidentaux des montagnes Rocheuses; elle présente un plateau fort élevé, d'une largeur de quatre-vingt-dix à cent lieues, et remarquable par son extrême sécheresse et la différence de la température entre les jours et les nuits. La pureté de l'atmosphère y est admirable; on y voit rarement un nuage, et les pluies, qui sont toujours légères, n'arrivent qu'au printemps. Dans l'hiver la neige a si peu d'épaisseur, que les chevaux trouvent toujours de l'herbe dans les gorges traversées par les rivières. Cette région, qui fait partie du grand désert américain, est occupée par de vastes plaines sablonneuses presque sans eau. On y trouve peu de terre végétale; et sur des espaces peu considérables le sol offre des surfaces blanches couvertes de sulfate de soude et de magnésie sublimée. L'aspect de cette contrée est aride; des débris d'origine volcanique s'y rencontrent à chaque pas. Cependant au bord des cours d'eau, sur les versants orientaux des monta

gnes Bleues, au bord de la rivière Brulée et de celle de la Poudre, ainsi qu'à la naissance de la rivière du Saumon et de la branche nord de celle des Indiens Serpents, on remarque des étendues de terrain très-fertiles et couvertes d'arbres et d'un gazon épais (1). »

Tel est, dans son ensemble, l'exposé de ces grandes zones géographiques, dont nul ne saurait contester l'intérêt, et que nous avons reproduit avec d'autant plus de confiance qu'en lui faisant subir le contrôle de plusieurs autres autorités il met sous leur jour réel les divisions de ce vaste territoire. En parcourant avec l'habile observateur ces grandes lignes agricoles, si l'on peut se servir de cette expression, nous sommes parvenus aux bornes imposantes qui ferment le pays à l'est. Les montagnes Rocheuses ont été déjà décrites, et nous n'entrerons pas dans de nouveaux détails sur cette chaîne aux pics gigantesques, dont le sommet principal n'a pas moins de seize mille pieds; mais trop spécial dans son but peut-être pour nous rappellerons qu'un voyage récent, être consulté par les savants de profession, trace le tableau le plus vrai et le plus animé de ces gorges immenses formées de blocs amoncelés, qu'il a parcourues en sens divers et qu'il a caractérisées par une expression bien juste en les appelant les limites des terres Atlantiques. « Ce ne sont, dit-il, que rochers entassés sur rochers; on dirait qu'on a sous les yeux les ruines d'un monde... recouvertes comme d'un linceul par des neiges éternelles (2). »

α

(1) Duflot de Mofras, Description de l'Orégon, etc.

(2) Le R. P. Pierre de Smet, Voyage aux montagnes rocheuses et dans le territoire de l'Orégon. On trouvera dans cette relation mille détails curieux sur plusieurs localités de ces montagnes, à peine connues; telle est, entre autres, la description que donne le courageux explorateur du fameux rocher Indépendance. « Il est composé de granits in situ d'une grosseur prodigieuse, et couvre une surface de plusieurs milles d'étendue; il est entièrement découvert de la cime jusqu'a la base. C'est le grand registre du désert; car on y lit en gros caractères le nom de tous les voyageurs qui y ont passé. » Celui du P. Smet y figure, comme il nous le dit luimême, en qualité de premier prêtre qui ait parcouru ees régions lointaines. L'une des curiosités les plus originales des plaines qui s'étendent à la base des montagnes est décrite en ces termes : « C'est un monticule, en forme de cône, de

Ce sont ces montagnes, si variées d'aspect dans leur composition uniforme, qui donnent naissance à deux grands fleuves destinés à porter la fertilité et la vie aux deux portions inégales par l'étendue, mais fécondes toutes les deux, d'une florissante république. L'écrivain qui parmi nous a tracé avec le plus d'habileté les lois présidant à la distribution des richesses, Jean-Baptiste Say, aime à rappeler dans un livre ingénieux qu'il existe entre le lac de Neufchâtel et celui de Genève une fontaine (c'est celle de Bonpaple), dont l'eau se sépare et coule partie au nord partie au sud. « L'eau du nord, dit-il, joint un ruisseau qui se rend dans le lac de Neufchâtel, dont les eaux vont se perdre dans le Rhin et dans la mer d'Allemagne; l'eau du sud gagne le lac de Genève, c'est-à-dire le Rhone qui court vers la Méditerranée. » Quelque chose d'analogue, mais de plus grandiose encore a lieu sur les sommités imposantes des montagnes Rocheuses. Tout le monde sait aujourd'hui où sont situées les sources du Missouri et de la Colombia. Parvenu au sein des montagnes, le missionnaire se plait à raconter qu'il se vit un jour sur un plateau couvert de neiges où s'alimentaient les sources de ces fleuves puissants. Le lac Henri et le lac des Maringoins ne sont, dit-il, séparés que par une distance de huit milles. L'un, comme on sait, est l'une des sources importantes de la Colombia; l'autre donne naissance à l'une des principales branches de la fourche du nord dù Missouri. « Je me dirigeai vers le sommet d'une haute montagne, pour examiner mieux la distance des fontaines qui donnent naissance à ces deux

près d'une lieue de circonférence, entrecoupé de beaucoup de ravins, et placé sur une plaine unie. Du sommet du monticule s'élève une coJonne carrée de trente à quarante pieds de largeur, sur cent vingt de haut; la forme de cette Colonne lui a fait donner le nom de cheminée, elle a cent soixante-quinze verges au-dessus de la plaine; on l'aperçoit à trente milles de distance. La cheminée est composée d'argile dans un état de pétrification, avec des couches entremêlées de pierres à sable blanches et grisatres. Il semble que c'est le reste d'une haute montagne que les vents et les orages auront aplanie peu à peu depuis plusieurs siècles. Encore quelques années, et cette grande curiosité naturelle s'écroulera et ne formera qu'un petit monticule dans la plaine; car lorsqu'on l'examine de près on aperçoit à sa cime une énorme crevasse.» Ibid., voy. p. 14

4° Livraison. (L'Orégon.)

grandes rivières; je les vis descendre en cascade d'une hauteur immense, se jetant avec fracas de roc en roc; même. à leur source, ils formaient déjà deux gros torrents, qui n'étaient guère qu'à une centaine de pas l'un de l'autre (1). »

Le cours du fleuve a été déjà décrit dans ce volume, et nous ne reviendrons pas sur ces détails: nous tenons néanmoins à constater les difficultés prodigieuses que présente son embouchure, et nous essayerons de les rendre présentes à l'esprit du lecteur, parce que nous avons sous les yeux un témoignage précieux : c'est celui d'un observateur qui a vu et qui a su décrire. La vaste entrée de la Colombia se reconnaît à cinq ou six milles en mer (2); au sud on remarque une pointe basse, allongée, que recouvrent des pins, c'est la pointe Adams; au nord une élévation de deux cent vingt mètres ressemblant à une île arrondie détachée de la côte forme la rive opposée; c'est le cap Désappointement. Non-seulement des bancs de sable mouvants obstruent le passage; mais il est indispensable pour franchir la barre avec sécurité de choisir les vents que l'expérience a reconnus comme étant seuls favorables. Ceux qui permettent l'entrée sont margués entre le sud-ouest et le nord-ouest. Le nord-est et le sud-est, au contraire, sont choisis par les navires qui quittent le port. L'espace de temps compris entre octobre et avril est l'époque la plus redoutée de ceux qui viennent hiverner; il est arrivé à cette époque

(1) Balbi dit simplement que la Colombia prend naissance dans la Cordillère MissouriColombienne; Greenhow, qu'elle est formée par la réunion de deux torrents, le Sahaptin ou Snake (rivière Lewis) et la rivière du nord-est; il place les sources les plus nord dans les montagnes Rocheuses, vers les 53o de lat. M. Duflot de Mofras adopte cette latitude (Voy. t. II, p. 110). M. Aug. Mitchell se contente de dire, This noble stream has its head waters near those of Missouri. » M. Fédix indique l'origine du fleuve dans le voisinage du mont Brown, qui fait partie des montagnes Rocheuses et est situé « entre les 62° et 53° degrés parallèles sur la limite des possessions anglaises. » On voit que nulle part les sources ne se trouvent en réalité décrites comme elles le sont par le missionnaire voyageur dont l'exploration date de 1842. Nous avons tenu à mettre en présence pour la première fois ces opinions quelque peu divergentes sur un point géographique dont on ne saurait contester l'importance.

(2) Par 46° 19' de lat. nord et 126° 14′ 24′′ de long. ouest.

que des navires de la Compagnie aient couru des bordées durant deux mois devant la côte sans pouvoir saisir l'instant favorable pour atteindre le mouillage, et de nombreux sinistres, dont le souvenir n'est que trop présent, attestent la vérité de la description qui nous est offerte. « Que l'on se figure en effet une immense ligne de brisants s'é tendant pendant trois lieues du cap Désappointement à la pointe Adams et formant devant la bouche du fleuve une espèce de croissant. Au moment où la marée descend, le courant de la rivière a une rapidité de cinq à six milles par heure, et lorsque les vents venant de la mer, tels que le nord-ouest, poussent les flots vers l'embouchure, il résulte de ce choc des eaux, arrivant dans des directions contraires, d'énormes montagnes de vagues qui atteignent une élévation de plus de soixante pieds. Quand on est mouillé dans l'intérieur du fleuve dont les bords sont couverts de la plus riche végétation et de forêts magnifiques, on ne saurait imaginer le spectacle terrible qu'offre la barre, dont le bruit se fait entendre à plusieurs lieues, et dont les lames en déferlant dérobent l'horizon de la mer et semblent former une barrière insurmontable à la sortie comme à l'entrée du fleuve. Au-dessus des crêtes écumeuses des vagues, on voit planer des bandes d'oiseaux pêcheurs de cormorans et d'albatros (1). » Après ce fleuve aux abords redoutables, mais dont le cours devient si utile au commerce, le seul fleuve du territoire digne d'être cité prend aussi ses sources au sein des montagnes Rocheuses. Désigné, dit-on, jadis par les Indiens sous la dénomination de Tacoutchi, il a échangé ce nom au commencement du siècle contre celui d'un des associés les plus actifs de la compagnie du Nord-Ouest. Le Fraser arrose le territoire montueux qu'une analogie d'aspect a fait appeler la Nouvelle-Calédonie. Ce fleuve, qui facilitera d'importantes communications, n'a pas moins de sept cents milles de cours; malheureusement il ne traverse qu'une région dépourvue de fertilité; car, ou l'a dit avec raison, « ce pays ressemble en tout au nord de l'Écosse, dont il porte le

(1) Duflot de Mofras, Description de l'Orégon.

nom. Il en a les montagnes escarpées, les lacs profonds et le sol stérile (1). Ce serait une chose inexacte que d'étendre cette comparaison à tout le territoire baigné par le Fraser; la partie méridionale de son cours rappelle la nature des terrains arrosés par la Colombia, et peut être soumise à des entreprises agricoles: jusqu'à présent, l'industrie persévérante de la compagnie n'a demandé aux rives sauvages du Fraser que les peaux magnifiques de castors qu'elles nourrissent en abondance. Après les deux fleuves qui nous ont fourni quelques particularités peu connues plutôt qu'une description complète, nous citerons les rivières des TêtesPlates, des Serpents, celle d'Okanagam, des Chutes, le Walamet, ou Quallamet et la Kaoulis ou Kowlitz, puis la Toutounis, la rivière aux l'aches et 'Umqua. La Chekilis, la Nesqually, la rivière Simpson et la Skitine appartiennent à la region du nord, et sont d'une découverte plus récente.

Le territoire de l'Orégon renferme des lacs nombreux; ceux qui ont une communication avec la Colombia et ses affluents sont le Flathead, le Kellespel (2) ou lac des Pends' Oreilles, le Flatbou ou lac de la tribu des Arcs plats, et l'Okanagam ou Okonagan; ceux qui ont une communication avec le Fraser sont le Stuart, le Quaw, le Saint-Francois, le Quesnell, le Kamloop et le Soushwap; ces lacs sont d'une faible étendue si on les compare à ceux des États de l'Union. Celui des Pends'Oreilles, qui traverse le pays des Indiens TêtesPlates et qu'a récemment visité le P.Smet, a dix lieues environ de long, sur deux de large; comme ceux que nous avons

(1) Fédix, l'Oregon et les côtes de l'océan Pacifique du Nord, p. 49. Cet écrivain fail observer avec justesse que l'embouchure du Fraser se trouve a peu près sur le point ou arriverait, si elle était continuée jusqu'à la mer, la prolongation de la ligne qui sert de limite aux possessions anglaises et américaines, entre le lac des Bois et les montagnes Rocheuses, conformement au traité de Londres signé en 1818 par les plenipotentiaires des deux nations; en sorte que si cette ligne était prise pour limite le Fraser et ses affluents appartiendraient en entier à l'Angleterre.

(2) Nous adoptons ici l'orthographe du P. Smet, qui a vécu parmi les Pends Oreilles et qui parle leur langue. M. de Mofras écrit Kellespem; M. Aug. Mitchell, Kulluspelm.

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