C'est ce que nous demandons. Je vous prie, en conséquence, de présenter ces réflexions à Lord Salisbury; elle ne peuvent que frapper la loyauté de son esprit. Sauf correction dans les termes, le dernier paragraphe du texte qui nous est soumis pourrait être rédigé comme il suit : « Il est entendu que les dispositions ci-dessus relatées ne sauraient préjudicier aux mesures prises par le Gouvernement khédivial et par la Porte suzeraine pour la défense et la sécurité du territoire égyptien, en dehors de la zone d'application de la présente Convention.. FLOURENS. J'ai l'honneur de vous envoyer sous ce pli copie de la note que je viens d'adresser à Lord Salisbury au sujet du Canal de Suez et qui reproduit en grande partie les termes de votre télégramme du 14 mai dernier. Lord Salisbury ne reviendra à Londres que mardi prochain. WADDINGTON. ANNEXE A LA DÉPÊCHE DE LONDRES EN DATE DU 3 JUIN 1887. M. Waddington, Ambassadeur de la République française à Londres, au Marquis de Salisbury, Secrétaire d'Etat pour les affaires étrangères. Londres, le 2 juin 1887, Monsieur le Marquis, j'ai rendu compte à M. Flourens de la conversation que j'ai eu l'honneur d'avoir avec Votre Seigneurie le 11 mai dernier, au sujet du Canal de Suez, et je lui ai fait connaître le sens précis que vous attachez au dernier paragraphe du projet de convention que vous m'aviez communiqué. Vous m'aviez déclaré que, dans la pensée du Gouvernement anglais, le Khédive devrait être seul juge de la nécessité de prendre des mesures pour la sécurité du Canal, et que ces mesures devraient être exécutées per ses propres forces et par celles de ses alliés. Aux yeux de mon Gouvernement, cette interprétation soulève de sérieuses difficultés. En effet, elle est en contradiction avec les clauses précédentes du projet et elle annulerait en pratique les garanties que le Gouvernement de la République a toujours voulu assurer à la neutralité du Canal. Il n'échappera pas à Votre Seigneurie que cette neutralité deviendrait une fiction, si, dans le cas où il lui serait porté atteinte dans des conditions qui restent indéterminées, elle pouvait être défendue non seulement par la Porte et par l'Egypte, mais par des alliés innommés. Il est évident que, si l'Egypte et la Porte faisaient intervenir une puissance quelconque sur le Canal, les autres puissances ne se sentiraient plus liées par les termes d'une convention qu'on pourrait regarder comme violée et qui deviendrait aussitôt lettre morte. Aucune puissance européenne directement intéressée à la liberté et à la neutralité du Canal ne consentirait à remettre, en toute circonstance, la défense de cet intérêt aux alliés éventuels que l'Egypte ou la Porte pourraient se donner. L'Angleterre elle-même, à ce qu'il nous semble, pourrait hésiter à accepter pour son propre compte les hasards d'un avenir aussi incertain. Le Gouvernement de Sa Majesté Britannique s'est toujours montré préoccupé de laisser au Khédive et à la Porte, suzeraine du pays, la liberté de leurs alliances pour la défense du territoire de l'Egypte. De notre côté, nous avons admis la légitimité de cette préoccupation en dehors du Canal. Mais la négo ciation actuelle repose sur le principe que le Canal peut être distingué du reste de l'Egypte et être garanti par une neutralité spéciale. Il faudra, sans doute, déterminer la « région du Canal » sur terre, comme elle l'a déjà été du côté de la mer, mais il n'y a là aucune difficulté sérieuse, et j'ai l'honneur d'attirer particulièrement sur ce point l'attention de Votre Seigneurie. Selon nous, le dernier paragraphe du projet pourrait être rédigé à peu près en ces termes : «H est entendu que les dispositions ci-dessus relatées ne sauraient préjudicier aux mesures prises par le Gouvernement khédivial et par «la Porte pour la défense et la sécurité du territoire égytien, en dehors de la «<zone d'application de la présente convention. »> WADDINGTON. N° 40. M. Waddington à M. Flourens. (Télégramme) Londres, le 7 juin 1887. J'ai eu une longue conversation avec lord Salisbury sur la question du Canal de Suez et notamment sur les deux points visés dans ma note du 3 juin les limites de la région du canal au côté de la terre, et la défense du canal par le Khédive et la Porte. Je lui ai développé les arguments contenus dans votre télégramme du 14 mai. Mais, me dit lord Salisbury, que feriez-vous si l'Autriche, par exemple, menaçait le canal pendant que la Porte serait engagée dans une guerre avec la Russie et ne pourrait envoyer des troupes en Egypte?» Je lui répondis que l'hypothèse de l'Autriche attaquant le Canal était peu vraisemblable; puis, allant au fond des choses: La difficulté n'est pas là, lui dis-je : elle est dans la défiance réciproque de la France et de l'Angleterre; chacune est persuadé que l'autre veut accaparer le Canal. Eh bien, en ce qui nous touche, je puis vous affirmer de la façon la plus positive que tous ceux qui s'occupent chez nous des affaires d'Egypte désirent assurer la neutralité vraie du Canal. Une convention qui atteindrait ce but et qui serait sanctionnée par les puissances serait un engagement qu'il ne serait pas aisé de violer et que tous seraient intéressés à faire respecter. Il me semble donc qu'il n'y a pas à faire intervenir ici des alliés éventuels du Khédive. Le respect de la convention par la France et par l'Angleterre, voilà la vraie garantie de la neutralité du Canal, et ce respect, je vous le répète, est dans nos plus fermes intentions; s'il en est de même de votre côté, je ne vois pas qui serait assez insensé pour chercher à intervenir. Ce serait un honneur pour les deux pays d'établir, dans l'affaire du Canal, un grand principe et d'en assurer le respect par toutes les puissances en le respectant eux-mêmes. >> Lord Salisbury ne m'a pas contredit. Puis il m'a dit qu'il désirait vivement arriver à un accord et qu'il allait lui-même étudier, d'un côté, l'étendue qu'il convenait de donner à la région du Canal, de l'autre, la question de la défense de cette région. WADDINGTON. No 41. M. Waddington à M. Flourens. (Télégramme) Londres, le 25 juin 1887. Sur la demande de Sir J. Pauncefote, j'ai eu aujourd'hui avec lui un long entretien officieux sur les différents points en litige, relatifs au Canal de Suez. Je lui ai dit très nettement qu'il n'y aurait pas d'accord possible sans le maintien sous une forme quelconque des mots par leurs propres forces dans la clause relative à la défense du Canal. Il n'y a pas fait d'objection absolue et je lui ai promis de le revoir dans quelques jours afin de reconnaitre si nous pouvons nous mettre d'accord sur un texte précis. Dès que les fêtes du Jubilé seront terminées, je chercherai à formuler des articles que j'aurai soin de vous soumettre avant de les communiquer au Foreign Office. WADDINGTON. No 42. M. Waddington, Ambassadeur de la République française à Londres, à M. Flourens, Ministre des Affaires étrangères. Londres, le 22 juillet 1887. J'ai l'honneur de vous envoyer, sous ce pli, copie d'une note de lord Salisbury, en date du 18, ainsi que la réponse que je me propose de lui faire. Je n'enverrai ma note à lord Salisbury qu'après qu'elle aura reçu votre approbation. Je vous prie donc de me faire part le plus tôt possible des observations qu'elle vous suggèrera. Quant à la définition de a la région du Canal du côté de terre, je vous serai obligé de me dire votre sentiment. Il me semble qu'il faudra se contenter d'indiquer une zone d'un certain nombre de kilomètres de chaque côté du Canal. WADDINGTON. ANNEXE I A LA DÉPÊCHE DE LONDRES EN DATE DU 22 JUILLET 1887. Le marquis de Salisbury, Secrétaire d'Etat pour les Affaires étangères, à M. Waddington, Ambassadeur de France à Loudres. (Traduction). Foreign Office, le 18 juillet 1887. J'ai eu l'honneur de recevoir la note de Votre Excellence du 2 du mois dernier et j'y ai prêté toute mon attention. Cette note contient les observations de votre Gouvernement sur un projet que je vous avais montré en vue d'une convention internationale pour assurer la libre navigation du Canal de Suez. On proposait dans ce projet que les représentants en Egypte des puissances signataires fussent chargés de veiller à l'exécution de la convention, dans toutes les circonstances qui pourraient survenir et menacer la sécurité ou la liberté de passage du Canal; qu'ils se réunissent sur la convocation d'un des leurs, sous la présidence d'un Egyptien, pour vérifier et constater les circonstances du danger et qu'ils en informassent le Gouvernement égyptien pour qu'il pût prendre les mesures propres à assurer la protection et le libre passage du Canal. On proposait, en outre, qu'il fût stipulé que la convention ne doit gêner aucune des mesures qui seraient nécessaires pour la défense de l'Egypte et la sécurité du Canal. Pour expliquer cette dernière disposition, j'ai déclaré à Votre Excellence que, dans l'opinion du Gouvernement britannique, le Khédive devait être le seul juge de la nécessité de prendre des mesures pour la sécurité du Canal, et que ces mesures devaient être exécutées par ses propres forces et par celles de ses alliés. Le Gouvernement français à des objections contre cette proposition et désire que le Canal soit distingué du reste de l'Egypte et garanti par une neutralité spéciale. Votre Excellence appelle mon attention sur la nécessité de définir à cet effet la région du Canal sur terre, comme on propose de le faire pour les limites dans lesquelles, du côté de la mer, la convention sera applicable. Toutefois la note de Votre Excellence n'explique pas par qui votre Gouvernement propose que les mesures nécessaires à la sécurité et à la libre navigation du Canal soient prises, si elles ne le sont pas par le Khédive et la Porte, ou leurs alllés; or la question des limites dans lesquelles de pareilles mesures pourront être prises doit dépendre en grande partie de la nature de ces mesures et de la méthode de procédure que l'on entend employer. Tant que les forces qui menaceraient le Canal seraient de celles dont le Sultan et le Khédive pourraient venir à bout, les mots et ceux de ses alliés, pourraient être retirés de la définition des moyens par lesquels le Canal doit ètre défendu. Mais si Votre Excellence soutient qu'ils doivent être retirés, en tout cas, on doit en conclure que vous prévoyez qu'une attaque supérieure en force à la puissance défensive des souverains territoriaux ne peut venir que d'une des parties à la convention, que, dans ce cas, la convention sera brisée et annulée, et que toutes les parties reprendront leur liberté nationale. Est-ce là une définition correcte des vues adoptées par le Gouvernement français ? ANNEXE II A LA DÉPÊCHE DE LONDRES EN DATE DU 22 JUILLET 1887. Projet de réponse à la Note de Lord Salisbury en date du 18 juillet 1887 (1). Monsieur le Marquis, permettez-moi, en réponse à votre Note du 18 courant, de bien préciser les différentes éventualités qui peuvent menacer la sécurité du Canal de Suez et les moyens qui devraient, dans la pensée du Gouvernement de la République, être employés pour y faire face. 1o La sécurité du Canal peut être compromise par une attaque des tribus ou des populations qui l'avoisinent. Il est évident que, dans ce cas, les forces militaires et de police du Khédive suffiraient largement pour rétablir l'ordre. 2o La sécurité du Canal peut être mise en péril par un mouvement insurrectionnel en Egypte, analogue à celui qui a été dirigé par Arabi. Un mouvement de ce genre ne se fait pas du jour au lendemain et il s'écoulera toujours un temps assez considérable, en mettant les choses au pis, pour qu'il devienne une menace sérieuse au Canal. Qu'arrivera-t-il dans ce cas? Les représentants des puissances en Egypte se réunissent à la première apparence du danger et la signalent sans délai, à la fois au Gouvernement égyptien et à leurs Gouvernements respectifs; ils indiquent les mesures qui leur paraissent propres à assurer la liberté du Canal. Cette action des représentants des puissances en Egypte est maintenant admise, bien qu'avec des formules de rédaction un peu différentes, par le Gouvernement de Sa Majesté la Reine, aussi bien que par les autres Gouvernements qui ont pris part à la commission inter nationale à Paris. " » Si le danger devient sérieux et si le Khédive ne dispose pas de moyens « suffisants, il devra faire appel à la Sublime Porte, laquelle se concertera avec <«<les autres puissances signataires de la Déclaration de Londres du 17 mars « 1885, en vue d'arrêter d'un commun accord les mesures à prendre pour « répondre à cet appel. » Tels sont les termes de l'art. 10 du projet de traité qui a été accepté par toutes les puissances. Il en résulte que, si la sécurité du Canal était menacée par un événement analogue à l'insurrection d'Arabi, les mesures de défense seraient prises d'un commun accord par la Porte et les grandes puissances. Il me semble que, dans la note du 18 juillet, Votre Seigneurie n'a peut-être pas tenu un compte suffisant des garanties internationales édictées dans l'art. 10 que je viens de rappeler. 39 La liberté et la sécurité du Canal peuvent être menacées par une guerre (1) Cette pièce a été remise, le 28 juillet, par M. Waddington au Foreign Office. maritime éclatant entre telles ou telles puissances signataires du Traité, ou par le fait d'une d'entre elles. Ce dernier cas est celui auquel Votre Seigneurie fait allusion à la fin de sa Note. Je ne m'explique pas bien comment une pareille éventualité peut préoccuper les signataires du Projet de Traité dont l'art. 1er porte: « Les Hautes «Parties contractantes conviennent de ne porter aucune atteinte au libre usage « du Canal en temps de guerre comme en temps de paix. » C'est précisément pour assurer la liberté du Canal en temps de guerre que la Commission internationale s'est réunie à Paris et qu'elle a préparé une série d'articles édictant les précautions minutieuses à prendre dans ce but. Voilà pourquoi mon Gouvernement n'admet pas que le Sultan ou le Khédive puissent faire appel, en vertu d'un article du Traité, à des alliés innommés et dans des conditions indéterminées, pour la défense du Canal contre des dangers que nous considérons comme imaginaires. De deux choses l'une ou bien le Traité sera exécuté loyalement par toutes les puissances, et alors il n'y a pas lieu de se préoccuper du danger qui pourrait menacer le Canal par le fait de l'une d'elles; ou bien le Traité ne sera pas loyalement exécuté, et alors il n'est plus qu'une feuille de papier sans valeur. Ainsi que je l'ai montré plus haut, il n'existe qu'un seul danger sérieux pour la sécurité du Canal, c'est celui qui résulterait d'un état insurrectionnel en Egypte. Or, les articles 9 et 10 du Projet de Traité stipulent, précisément en vue de ce danger, que les moyens d'y faire face seront déterminés d'un commun accord par la Porte et par les grandes puissances. Il ne faut donc introduire aucune stipulation qui puisse affaiblir cet accord; et il saute aux yeux qu'en prévoyant dans le Traité un cas où il serait pourvu en dehors de cet accord à la sécurité du Canal, on introduit dans l'acte officiel un germe de méfiance qui l'affaiblit singulièrement. La liberté et la sécurité du Canal seront infiniment mieux garanties par l'action commune ou l'abstention désintéressée des puissances que par l'action indépendante d'une d'entre elles, même agissant au nom de la Porte ou du Khédive, et comme leur alliée. Par toutes ces raisons, mon Gouvernement ne peut admettre que la Porte et le Khédive aient besoin d'alliés spéciaux pour la défense du Canal. En cette matière, ils ont pour alliés toutes les puissances signataires du Traité sans exception, et il n'y a pas lieu de faire de distinction entre elles. Dans tout ce qui précède, je n'ai parlé que du Canal, ou plutôt de la région du Canal, c'est-à-dire du Canal avec ses approches maritimes et terrestres. C'est qu'en effet mon Gouvernement estime que le Projet de Traité ne s'applique absolument qu'à la région du Canal et non pas à l'Egypte dans son ensemble. Nous n'avons pas à nous occuper aujourd'hui de la défense de l'Egypte ni des alliances que la Porte et le Khédive pourront rechercher à un moment donné dans ce but. Nous espérons sans doute vivement que la liberté du Canal sera complétée un jour par la neutralité de l'Egypte tout entière; mais, pour le moment, nous ne poursuivons qu'un but restreint, celui de garantir la sécurité de la région du Canal. Il y aura donc à définir les limites de cette région du côté de la terre, comme cela a déjà été fait du côté de la mer. J'ai déjà appelé l'attention de Votre Seigneurie sur ce point dans ma Note du 2 juin dernier. Après les explications que je viens de vous donner au sujet des questions soulevées par votre note du 10 courant, il nous sera peut-être plus facile d'arriver à une définition, et je serais heureux que Votre Seigneurie voulût bien me communiquer ses vues à ce sujet. N° 43. M. Flourens à M. Waddington. Paris, le 28 juillet 1887. Vous m'avez fait l'honneur de me transmettre, le 22 de ce mois, avec une copie de la réponse du Marquis de Salisbury à votre note du 2 juin |