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No 49. M. Gérard, Chargé d'Affaires de France près le Gouvernement italien à M. Flourens, Ministre des Affaires étran gères.

(Télégramme.)

Rome, le 24 septembre 1887.

J'ai laissé copie au Président du Conseil de la dépêche de Votre Excellence dont je lui avais donné lecture.

Le Président du Conseil, en me renouvelant les assurances les plus conciliantes, a ajouté qu'il allait examiner sans retard les diverses rédactions proposées. Avant toutefois de rien entamer, il désire savoir si le Gouvernement anglais est averti des communications faites à Rome par Votre Excellence et si Lord Salisbury s'attend à ce que le Gouvernement italien appuie auprès de lui telle ou telle solution; non que M. Crispi ne soit très disposé à prêter ses bons offices; il demande seulement si le terrain est préparé à Londres ou s'il doit prendre lui-même toute l'initiative. GÉRARD.

N° 50.

Pièce remise, le 24 octobre 1887, à M. Flourens, Ministre des Affaires étrangères, par M. Egerton, Ministre d'Angleterre à Paris.

(Traduction.)

Foreign Office, le 21 octobre 1887. Monsieur, plus de deux années se sont écoulées depuis la dernière réunion de la Commission nommée, en vertu de la déclaration de Londres de mars 1885, pour préparer un Traité destiné à garantir le libre usage du Canal de Suez, pour toutes les Puissances en tout temps. La Commission s'est séparée le 13 juin 1885, sans arriver, probablement en conséquence du changement de Gouvernement en Angleterre, à aucune conclusion. Depuis cette époque, l'Ambassadeur de France a fait auprès du Gouvernement de Sa Majesté des démarches réitérées pour faire ressortir l'importance d'une reprise de la discussion en vue d'amener les négociations à une conclusion. Le 13 janvier 1886, M. Waddington me fit savoir que « le Gouvernement français avait consulté les autres Puissances au sujet de la reprise des négociations relatives au Canal de Suez, et que ces Puissances s'étaient déclarées prêtes à adhérer à toute solution des questions laissées en suspens à l'époque des séances de la dernière conférence de Paris, qui pourrait être acceptable à la fois par la Grande-Bretagne et par la France ». Je me refusai, à cette époque, à rouvrir la discussion à cause de la situation incertaine des affaires politiques en Angleterre. Peu de temps après le changement de Ministère, M. Waddington insistă auprès de Lord Rosebery pour une reprise des négociations; il lui fut de nouveau fait observer que le moment n'était pas favorable, bien que Lord Rosebery exprimât le sérieux désir du Gouvernement de Sa Majesté d'être d'accord avec le Gouvernement français sur cette importante question.

Sous l'administration de Lord Iddesleigh, cette affaire a été longuement discutée et a fait l'objet de plusieurs communications entre M. Waddington et moi. Le Gouvernement français insiste aujourd'hui sérieusement auprès de nous sur la grande importance qu'il y aurait à mener à terme, s'il est possible, cette longue négociation. Nous ne sommes pas en position de contester cette manière de voir; nous avons déclaré de la façon la plus formelle, d'abord au Gouvernement français, puis aux autres Puissances, dans la déclaration de Londres du 17 mars 1885, que « nous reconnaissions avec elles l'urgente nécessité de négociations destinées à sanctionner par un acte conventionnel l'établissement d'un règlement définitif, en vue de garantir en tout temps et pour toutes les Puissances la liberté du Canal ». C'est donc là une question de bonne foi, et nous

sommes dans l'obligation de n'épargner aucun effort pour arriver à un accord sur les termes d'un Acte conventionnel qui devra donner satisfaction à la déclaralion ci-dessus, en même temps qu'aux devoirs et aux intérêts que le Gouvernement de Sa Majesté est tenu de prendre en considération.

Il est possible que la République française insiste sur des conditions qui, dans notre pensée, soulèveraient des objections insurmontables; mais le ton de ses communications me semble indiquer une disposition à tenir compte dans une mesure considérable des objections de détail présentées par les Délégués britanniques, à Paris. Aussi me semble-t-il juste, en vue de la politique à laquelle s'est lié le Gouvernement de Sa Majesté par la déclaration de Londres, d'examiner de nouveau si les divergences sur les questions de fond, qui ont rendu stériles les négociations de 1885, sont de nature à faire perdre définitivement l'espoir d'arriver à un accord. Je joins à cette dépêche des propositions pour une Convention suivant, dans leur forme et leurs dispositions, le projet discuté en 1885 et contenant les stipulations sur lesquelles, dans la pensée du Gouvernement de Sa Majesté, les deux Gouvernements peuvent convenablement arriver à un accord. Sur quelques-uns des points qu'il y a deux ans nous ne pouvions concéder, nous avons offert des suggestions alternatives qui permettent de tourner la difficulté; sur d'autres, nous sommes fondés à espérer que le Gou vernement de la République ne sera pas disposé à insister.

Il faut se rappeler que les deux Gouvernements ont été conviés par les autres Puissances, représentées à la Commission internationale, à entrer en négocia tions spéciales et à arriver, s'il était possible, à une entente préliminaire pour faciliter un accord européen; mais l'instrument auquel ils apposeront leurs signatures ne peut avoir de valeur pratique tant qu'il n'aura pas reçu l'assentiment du Suzerain et celui des autres Puissances intéressées.

Eu présentant ces propositions à M. Flourens, il est de mon devoir de répéter les termes d'une réserve faite, sans opposition d'aucun côté, par Sir Julian Pauncefote à la clôture des séances de la Commission de 1885. Cette réserve était ainsi conçue :

« Les Délégués de la Grande Bretagne, en présentant ce texte de Traité comme le régime définitif destiné à garantir le libre usage du Canal de Suez, pensent qu'il est de leur devoir de formuler une réserve générale, quant à l'application de ces dispositions en tant qu'elles ne seraient pas compatibles aveo l'état transitoire et exceptionnel où se trouve actuellement l'Egypte et qu'elles pourraient entraver la liberté d'action de leur Gouvernement, pendant la période de l'occupation de l'Egypte par les forces de Sa Majesté britannique. »>

En terminant, je vous prie de remettre à M. Flourens une copie de cette dépêche, en même temps que le projet de convention qui y est joint.

SALISBURY.

N° 50 bis. ANNEXE A LA DÉPÊCHE DE LORD SALISBURY A M. EGERTON, EN DATE
DU 21 OCTOBRE 1887.
Projet de Convention.

Les Gouvernements de

voulant consa

crer par un acte conventionnel l'établissement d'un régime définitif destiné▲ garantir en tout temps et à toutes les Puissances le libre usage du Canal mari. time de Suez et compléter ainsi le régime sous lequel la navigation par ce Canal a été placée par le Firman de S. M. I. le Sultan en date du 22 février 1806 (2 zikadé 1282) sanctionnant les concessions de S. A. le Khédive, ont nommé pour leurs Plénipotentiaires, savoir :

Lesquels, s'étant communiqué leurs pleins pouvoirs respectifs, trouvés en bonne et due forme, sont convenus des articles suivants :

Article premier. Le Canal maritime de Suez sera toujours libre et ouvert, en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon.

En conséquence, les Hautes Parties contractantes conviennent de ne porter aucune atteinte au libre usage du Canal, en temps de guerre comme en temps de paix.

Le Canal ne sera jamais assujetti à l'exercice du droit de blocus.

-

Art. 2. Les Hautes Parties contractantes, reconnaissant que le Canal d'eau douce est indispensable au Canal maritime, prennent acte des engagements de Son Altesse le Khédive envers la Compagnie universelle du Canal de Suez en ce qui concerne le Canal d'eau douce.

Elles s'engagent à ne porter aucune atteinte à la sécurité de co Canal et de ses dérivations, dont le fonctionnement ne pourra être l'objet d'aucune tentative d'obstruction.

Art. 3. Les Hautes Parties contractantes s'engagent de même à respecter le matériel, les établissements, constructions et travaux du Canal maritime et du Canal d'eau douce.

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Art. 4. Le Canal maritime restant ouvert en temps de guerre comme passage libre, même aux navires de guerre des belligérants, aux termes de l'article 1er du présent Traité, les Hautes Parties contractantes conviennent qu'aucun droit de guerre, aucun acte d'hostilité ou aucun acte ayant pour but d'entraver la libre navigation du Canal ne pourra être exercé dans le Canal et ses ports d'accès, ainsi que dans un rayon de trois milles marins de ces ports, alors même que la Porte serait l'une des Puissances belligérantes.

Les bâtiments de guerre des belligérants ne pourront, dans le Canal et ses ports d'accès, se ravitailler ou s'approvisionner que dans la limite strictement nécessaire. Le transit desdits bâtiments par le Canal s'effectuera dans le plus bref délai, d'après les règlements en vigueur et sans autre arrêt que celui qui résulterait des nécessités du service. Leur séjour à Port-Saïd et dans la rade de Suez ne pourra dépasser vingt-quatre heures, sauf le cas de relâche forcée. En pareil cas, ils seront tenus de partir le plus tôt possible. Un intervalle de vingt-quatre heures devra toujours s'écouler entre la sortie d'un port d'accès d'un navire belligérant et le départ d'un navire appartenant à la Puissance

ennemie.

Art. 5. En temps de guerre, les Puissances belligérantes ne débarqueront et ne prendront dans le Canal et ses ports d'accès ni troupes, ni munitions, ni matériel de guerre. Mais dans le cas d'un empêchement accidentel dans le Canal, on pourra embarquer ou débarquer, dans les ports d'accès, des troupes fractionnées par groupes n'excédant pas 1,000 hommes, avec le matériel de guerre correspondant.

Art. 6. Les prises seront soumises sous tous les rapports au même régime que les navires de guerre belligérants.

Art. 7. Les Puissances ne maintiendront dans les eaux du Canal (y compris le lac Timsah et les lacs Amers) aucun bâtiment de guerre.

Toutefois, dans les ports d'accès de Port-Saïd et de Suez, elles pourront faire stationner des bâtiments de guerre, dont le nombre ne devra pas excéder deux pour chaque Puissance.

Ce droit ne pourra être exercé par les belligérants.

Art. 8. Les Représentants en Egypte des Puissances signataires du présent Traité seront chargés de veiller à son exécution. En toute circonstance qui menacerait la sécurité ou le libre passage du Canal, ils se réuniront, sur la convocation de trois d'entre eux et sous la présidence de leur doyen, pour procéder aux constatations nécessaires. Ils feront connaître au Gouvernement khédivial le danger qu'ils auront reconnu, afin que celui-ci prenne les mesures propres à assurer la protection et le libre usage du Canal.`

En tout état de cause, ils se réuniront une fois par an pour constater la bonne exécution du Traité.

Ils réclameront notamment la suppression de tout ouvrage ou la dispersion de tout rassemblement qui, sur l'une ou l'autre rive du Canal, pourrait avoir pour but ou pour effet de porter atteinte à la liberté et à l'entière sécurité de la navigation.

Art. 9.

Le Gouvernement égyptien prendra, dans la limite de ses pouvoirs, tels qu'ils résultent des Firmans, et dans les conditions prévues par le présent Traité, les mesures nécessaires pour faire respecter l'exécution dudit Traité.

Dans le cas où le Gouvernement égyptien ne disposerait pas de moyens suffisants, il devra faire appel à la Sublime-Porte, laquelle se concertera avec les autres Puissances signataires de la Déclaration de Londres du 17 mars 1885, en vue d'arrêter d'un commun accord les mesures à prendre pour répondre à cet appel.

Les prescriptions des articles 4, 5, 7 et 8 ne feront pas obstacle aux mesures qui seront prises en vertu du présent article.

Art. 10. De même, les prescriptions des articles 4, 5, 7 et 8 ne feront pas obstacle aux mesures que S. M. 1. le Sultan et S. A. le Khédive, au nom de Sa Majesté Impériale et dans les limites des Firmans concédés, seraient dans la nécessité de prendre pour assurer, par leurs propres forces, la défense de l'Egypte et le maintien de l'ordre public.

Dans le cas où S. M. I. le Sultan et Son Altesse le Khédive se trouveraient dans la nécessité de se prévaloir des exceptions prévues par le présent article, les Puissances signataires de la Déclaration de Londres en seraient avisées.

Art. 11. Les mesures qui seront prises dans les cas prévus par les articles 9 et 10 du présent Traité ne devront pas faire obstacle au libre usage du Canal.

Dans ces mêmes cas, l'érection de fortifications permanentes élevées contrairement aux dispositions de l'article 8 demeure interdite.

Art. 12.

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Les Hautes Parties contractantes conviennent, par application du principe d'égalité en ce qui concerne le libre usage du Canal, principe qui forme l'une des bases du présent Traité, qu'aucune d'elles ne recherchera, par rapport au Canal, d'avantages territoriaux ou commerciaux, ni de privilėges dans les Arrangements internationaux qui pourront intervenir. Sont d'ailleurs réservés les droits de la Turquie comme Puissance territoriale.

Art. 13. En dehors des obligations prévues expressément par les clauses du présent Traité, il n'est porté aucune atteinte aux droits souverains de Sa Majesté Impériale le Sultan et aux droits et immunités de Son Altesse le Kkédive, tels qu'ils résultent des Firmans.

Art. 14. Les Hautes Parties contractantes conviennent que les engagements résultant du Présent Traité ne seront pas limités par la durée des actes de concession de la Compagnie universelle du Canal de Suez.

Art. 15. Les stipulations du présent Traité ne feront pas obstacle aux mesures sanitaires en vigueur en Egypte.

Art. 16. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à porter le présent Traité à la connaissance des Etats qui ne l'ont pas signé, en les invitant à y accéder.

En foi de quoi les Plénipotentiaires respectifs ont signé le présent Traité et y apposé le sceau de leurs armes.

Fait à....

No 51.

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M. Flourens, Ministre des Affaires étrangères, à M. Gérard, Chargé d'Affaires de France près le Gouvernement italien.

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Veuillez annoncer au Président du Conseil qu'un accord vient de s'établir entre la France et l'Angleterre, relativement à la neutralisation du Canal de Suez. La présence de Lord Salisbury en France nous a permis de nous entendre directement avec Sa Seigneurie pour faire disparaitre les légères difficultés qui existaient encore.

Le Projet dont les termes viennent d'être arrêtés doit être soumis à la Porte suzeraine et aux Puissances qui étaient représentées à la Commission de Paris en 1885. L'adhésion de ces Puissances y est nécessaire. Vous serez donc chargé très prochainement de remettre ce projet de convention à M. Crispi.

En même temps, je vous prierai de le remercier du concours qu'il avait bien voulu me promettre pour faciliter le dénouement des négociations, et de lui demander de témoigner des excellentes dispositions qu'il nous avait fait espérer en håtant l'adhésion de l'Italie à une Convention dont elle est appelée à bénéficier au même degré que le Gouvernement de la République. FLOURENS.

No 52. M. Flourens au Comte d'Aubigny, Chargé d'Affaires de France à Londres. (Télégramme,)

Paris, le 25 octobre 1887.

Le récent séjour de Lord Salisbury en France nous a permis de régler les derniers points laissés en suspens dans les projets d'accord relatifs au Canal de Suez, aux Nouvelles-Hébrides et aux les sous le vent de Taïti. Les termes de cette entente préparée par l'Ambassade de la République à Londres ont été arrêtés hier entre M. Egerton et moi. Je vous en ferai parvenir le texte prochainement. FLOURENS.

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M. Flourens à M. Imbert, Chargé d'affaires de France
à Constantinople.
(Télégramme.)

Paris, le 25 octobre 1887.

Le récent séjour de Lord Salisbury en France nous a permis de régler heureusement les derniers points laissés en suspens dans le projet de neutralisation du Canal de Suez, dont la France et l'Angleterre doivent soumettre la rédaction à la Porte ottomane et aux Puissances représentées à la Commission de Paris en 1885. Le Comte de Montebello sera très prochainement en mesure de présenter au Gouvernement du Sultan les termes de ce projet, dont la rédaction arrêtée hier paraitra, j'en suis convaincu, conforme aux prérogatives de Sa Majesté Impériale et aux intérêts généraux que, dans toutes les questions relatives à l'Egypte, le Gouvernement de la République considère comme aisément conciliables. FLOURENS.

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