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qu'une jeune femme accompagnée d'un enfant de quatre ou cinq ans ayant débarqué mystérieusement le 1er septembre dans la baie de Marciana et étant restée deux jours enfermée à la Madone avec l'empereur, personne ne douta que ce ne fût Marie-Louise. Les habitants préparèrent des illuminations, les canonniers attendaient l'ordre de tirer une salve. « Ce fut un rêve, dit Peyrusse. L'empereur revint seul de Porto-Ferrajo. Il avait reçu la visite de la comtesse Walewska1. >>

A Fontainebleau, l'empereur, se plaignant aux commissaires alliés de n'avoir pas déjà Marie-Louise auprès de lui, disait qu'il était sûr qu'elle aussi désirait le rejoindre. C'était vrai. A ce moment Marie-Louise comptait suivre la destinée de Napoléon. « — Ma place est auprès de l'empereur, disait-elle. Je veux le rejoindre. Je me trouverai bien partout où je serai avec lui 3. » Mais déjà les puissances avaient disposé d'elle et de son fils. Napoléon était encore trop populaire en France pour qu'on ne voulût pas supprimer sa dynastie. A l'île d'Elbe, le fils de Marie-Louise serait le prince impérial; à Vienne, on ferait de lui, s'il vivait, un duc autrichien ou un évêque*. Dès le 8 avril, le comte Schouvaloff, commissaire des Alliés, fut envoyé à Blois bien moins pour protéger l'impératrice que pour s'assurer de sa personne". Par un reste de respect humain, l'empereur d'Autriche, c'est-à-dire Metternich, son tout-puissant

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1. Peyrusse, 259. Campbell, 302-303. Rapport de Mariotti, Livourne, 13 sept. (Arch. Aff. étr., 1800.) Le 29 septembre, l'amiral Lhermitte annonçait gravement au ministre de la marine que l'archiduchesse Marie-Louise, accompagnée de son fils, avait débarqué incognito à l'ile d'Elbe. (Arch. de la Marine, Bb 415.)

2. Campbell, Napoléon at Elba, 178.

3. Relation du colonel Galbois (citée par Bausset, Mém., II, 276-277.) Cf Meneval, Souv., II, 93-94.

4. C'était l'idée de l'impératrice d'Autriche en 1814. (Meneval, II, 209., 5. Rapport de Meneval (Arch. Aff. étr., 1802). Cf. Bausset, Mém., II, 284-285.

conseiller, recula devant le scandale d'une séparation ou d'un divorce imposés. Il préférait amener Marie-Louise à abandonner Napoléon d'elle-même. Afin d'éviter une première révolte de sa part, qui eût traversé ce beau projet, on prit garde de ne point lui signifier tout de suite qu'elle ne reverrait pas son mari. On temporisa, on mit en avant divers prétextes, on usa graduellement le peu de volonté qui pouvait être en elle. Corvisart lui avait conseillé les eaux d'Aix. Quand il vint la voir à Rambouillet, l'empereur d'Autriche lui persuada qu'au lieu d'aller directement à Parme ou à l'île d'Elbe, elle ferait bien de se rendre d'abord à Vienne, près de sa famille, et d'y attendre la saison des eaux'. Après avoir beaucoup pleuré, MarieLouise partit pour l'Autriche. Mais pendant ce voyage et pendant son premier séjour à Schönbrunn, elle écrivit plusieurs fois à Napoléon 2, et dès la fin de mai elle réclama l'exécution de la promesse qui lui avait été faite d'aller aux eaux d'Aix, et, de là, à Parme et à l'île. d'Elbe. On l'invita à différer son départ jusqu'au retour de l'empereur d'Autriche. La reine Caroline des Deux-Siciles, la grand'mère de Marie-Louise, se trouvait alors à Vienne. Bien qu'elle eût voué une haine ardente à Napoléon, elle était indignée de ces mancuvres : « Quand on est mariée, c'est pour la vie, disait-elle. Si j'étais à la place de Marie-Louise, j'atta

1. Rapport de Meneval à Napoléon (Arch. Aff. étr., 1802). Meneval II, 118119. Cf. 72. Voir aussi les Mémoires de la générale Durand, 211-212, et la lettre de Bausset à Mounier. Rambouillet, 14 avril 1814 (citée par d'Hérisson, Le Cabinet noir, 297-300), où il est question de la niaiserie sentimentale de l'impératrice ».

2. Meneval, II, 129, 153. Lettres de Bertrand à Meneval, Porto-Ferrajo, 25 juin et 3 juillet (citées par Meneval, II, 158-160).

3. Rapport de Meneval à Napoléon. (Arch. Aff. étr., 1802.) Cf. Bailli de Ferrette au grand-duc de Bade, Paris, 23 juin : « La duchesse de Montebello de retour à Paris a laissé à Vienne Marie-Louise plus entichée et plus amoureuse que jamais de Bonaparte, qu'elle prétend aller rejoindre cet été, après avoir été aux eaux d'Aix. (Arch. Aff. étr., 675.)

cherais les draps de mon lit à une fenêtre et je m'échapperais1. >> Mais Marie-Louise ne savait que pleu

rer.

Au mois de juin, l'empereur d'Autriche ne crut pas pouvoir refuser plus longtemps le voyage à Aix. Toutefois, comme on se défiait encore des sentiments de Marie-Louise, il fut décidé qu'elle laisserait son fils à Schönbrunn et qu'elle aurait auprès d'elle un chambellan autrichien pour lui servir de conscil. François Ier, qui ne pensait pas à mal, avait désigné le vieux prince Esterhazzy; mais Metternich, mieux avisé, choisit le général comte Neipperg.

«Neipperg, dit Meneval, avait pour mission de faire oublier à l'Impératrice la France, et par conséquent l'Empereur ». Il y réussit bien, prenant à la lettre, sans nul scrupule, ses instructions secrètes « de pousser les choses jusqu'où elles pourraient aller ».

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- Et que m'ordonnez-vous, seigneur, présentement?
De plaire à cette femme et d'être son amant.

Ce n'était pas cependant que Neipperg parût destiné à ce rôle par ses avantages physiques. Agé de quarante-deux ans, d'une taille moyenne, les cheveux blonds et rares, le visage sillonné de rides, le teint rouge et hâlé, il avait eu l'œil crevé par un coup de feu et portait sur le front un bandeau noir pour cacher cette cicatrice. Mais ce soldat qui ne s'était pas épargné à la guerre cette blessure et trois ou quatre autres l'attestaient — était en même temps un di1. Rapport de Meneval, à Napoléon. (Arch. Aff. étr., 1802.)

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2. Meneval, Souvenirs, II, 151, 433.

3. Meneval, II, 216.

4. Meneval, II, 442. Meneval dit encore (365): « L'empereur d'Autriche qui, dans des circonstances ordinaires, aurait recommandé à Marie-Louise de garder la fidélité à son époux, lui conseilla l'oubli de ses liens. Selon l'auteur de Maria Luise und der Herzog von Reichstadt (144, 154 155, 189), Metternich aurait pensé dès le lendemain de l'abdication à faire de Neipperg l'amant de Marie-Louise.

plomate et un homme de cour. Ministre à Naples en 1813, c'était lui qui avait entraîné Murat à s'allier avec l'Autriche. Dans le monde, qu'il aimait et dont il avait l'usage, il comptait de nombreuses bonnes fortunes. Soigné de sa personne, fort élégant dans son uniforme de hussard hongrois, il possédait au suprême degré la distinction et le charme des manières. Il composait son attitude de gravité et de bienveillance, parlait avec grâce, d'une voix mâle, chaude, caressante, et se montrait empressé à plaire. Il était cavalier remarquable et excellent musicien'.

Quand Neipperg se présenta à Marie-Louise, à deux postes d'Aix, il lui fit une impression déplaisante qu'elle ne dissimula pas. Pendant les premiers temps elle ne le vit qu'en audience officielle, réservant son intimité pour Meneval, Bausset, mesdames de Brignoles et Hurault de Sorbée, qui faisaient partie de sa suite, et pour les Français qui venaient en assez grand nombre lui rendre visite dans cette ville restée française. Elle reçut la duchesse de Montebello, Corvisart, Isabey, Talma, le comte de Cussy, d'autres encore, et très vraisemblablement on lui fit des ouvertures pour une restauration de Napoléon II avec elle comme régente. Ces propositions ne pouvaient qu'effrayer Marie-Louise, qui, sans aucun doute, répondit aux émissaires de Paris de façon à leur ôter tout espoir. Elle n'envisageait plus qu'avec effroi les grandeurs, les émotions et les dangers du trône impérial. Tous

1. Meneval, Souvenirs, II, 166-167, 420, 432-435. Maria-Luise und der Herzog von Reichstadt, 149 155, 156.

2. Rapport de Meneval à Napoléon (Arch. Aff. étr., 1802). Meneval, II, 167168, 192. Bausset, II, 46-47. Lettres au duc de Maillé et autres personnages, Aix et Chambéry, 20, 25 juillet, 17 août, 8 sept. (Arch. Aff. étr., 675.) Cf. les paroles du duc de Berry au conseil des ministres du 5 août : « MarieLouise se conduit à Aix de la manière la plus ridicule. Elle ne prend pas les eaux et est entourée d'officiers français. Il faut écrire à l'empereur d'Autriche pour la rappeler.» (Arch. nat., AF* V2.) Sur les propositions d'une régence faites à Marie-Louise, voir 1815, I, 114-115

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ses désirs tendaient maintenant à la modeste souveraineté de Parme où elle vivrait bourgeoisement, selon ses goûts, élevant son fils et allant chaque année passer plusieurs mois avec son mari. Le 15 août, elle écrivit à Meneval: « Comment puis-je être gaie, quand je suis obligée de passer cette fête, si solennelle pour moi, loin des deux personnes qui me sont les plus chères 1? » Pendant le séjour à Aix, plusieurs lettres furent échangées entre Marie-Louise et l'empereur, et elle reçut même un envoyé de lui, Hurault de Sorbée, capitaine au Bataillon Napoléon et mari d'une de ses dames d'annonce. Elle espérait bien ne pas retourner dans << son exil de Schönbrunn », selon son expression, et sa saison d'eaux s'avançant, elle écrivit à l'empereur d'Autriche de l'autoriser à se rendre à Parme. Metternich, puis François Ier répondirent que les circonstances politiques ne permettant pas encore qu'elle prît possession du duché, elle devait revenir à Schönbrunn pour y attendre la clôture du congrès. Marie-Louise se résigna3.

D'ailleurs, en l'absence de Meneval, Neipperg était parvenu à faire revenir l'impératrice de ses préventions et avait peu à peu gagné sa confiance et son amitié. Les nouveaux sentiments de Marie-Louise prirent plus de force encore pendant son voyage d'Aix à Vienne, que Neipperg sut faire durer tout le mois de septembre et dont il profita pour se trouver sans cesse auprès de la jeune femme. Si en arrivant à Schönbrunn, Neipperg n'était pas encore l'amant de

1. Lettre de Marie-Louise, Aix, 15 août 1814 (citée par Meneval, li, 82). 2. Napoléon, Corresp., 21.611. Meneval, II, 192, 199-200. D'après Meneval, le capitaine Hurault était chargé par Napoléon d'amener Marie-Louise à l'ile d'Elbe. Celle-ci refusa de partir de peur de mécontenter l'empereur d'Autriche.

3. Rapport de Meneval à Napoléon. (Arch. Aff. étr., 1802.) Lettres de Marie-Louise et de Metternich, 4, 7, 15, 20 août, citées par Meneval, II, 178-188. Mme H. à l'abbé de Gordin, Chambéry, 8 sept. (Arch. Aff. étr., 675.)

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