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Au nom de Dieu, s'écria-t-il, ne me parlez jamais de cet homme-là!

Puis, d'un coup de poing, il repoussa le curé.

Ce furent ses dernières paroles, ce fut son dernier geste il retomba, et mourut.

Toute la philosophie fut enchantée cette fois, elle n'en avait pas eu le démenti, et Voltaire, ce roi du néant, était bien mort comme il devait mourir.

Quant au curé, il sortit avec son coup de poing, suivi par l'abbé Gauthier, et criant tout haut qu'il n'enterrerait pas Voltaire.

La plupart des curés de Paris blâmèrent leur confrère de s'être laissé aller à cet excès de zèle.

Ce n'était pas une conversion à faire, dit le curé de Saint-Roch, c'était une conversion à escamoter.

Les curés de Saint-Roch ont toujours eu de l'esprit.

Quoi qu'il en soit et quoique la famille pût forcer le curé à inhumer l'illustre mort, aucune censure ne le séparant du giron de l'Église, on craignit le scandale que demandait le clergé et l'on prévint le zèle des prêtres. On embauma donc le corps, on le fit sortir à la dérobée, et on alla l'enterrer à Sellières, dont le neveu de Voltaire était abbé.

Nous verrons un arrêté de l'Assemblée nationale aller chercher ce pauvre cadavre exilé pour lui faire, douze ans plus tard, les honneurs du Panthéon.

Un instant il avait été question de brûler le corps de Voltaire, et de conserver ses cendres dans une urne à la manière antique. Cette urne eût été pour toute la secte une manière d'étendard éternellement déployé contre le fanatisme.

L'avis fut rejeté, et Voltaire, comme nous l'avons dit, fut enterré à Sellières.

Maintenant que nous avons vu vivre et mourir le philosophe et le poëte, disons un mot de l'homme privé. Après le dieu, l'idole; après la statue, la momie.

Voltaire conserva jusqu'à la fin de sa vie cette pétulance de jeune homme qui, chez le vieillard, fut plus d'une fois une ridicule excentricité, même à l'endroit des rois et des reines. Si tout hommage ne

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lui était pas rendu, Voltaire s'irritait comme un enfant. «Pardonnez-moi, disait-il, en revenant d'une de ses colères : ce n'est pas du sang qui coule dans mes veines, c'est du vitriol; mes entrailles sont des serpents. »

C'était en ces moments-là que le philosophe descendait au-dessous de l'homme, prenait le journal de Fréron, le déchirait à belles dents; prenait le portrait de Richelieu, et le brisait en mille pièces; prenait la réputation de Frédéric, et la foulait sous ses pieds.

Cependant au milieu de ces folies de l'homme insensé, il avait de ces retours d'homme d'esprit qui n'appartenaient qu'à lui.

Il s'emporte contre un domestique et lui jette un encrier de plomb à la tête; il le manque, saisit sa canne et court après lui.

Le domestique se sauve en criant:

Ah! Monsieur, il faut que vous ayez le diable au corps.

Alors Voltaire s'arrête, et parfaitement calme, presque mélancolique :

— Hélas! mon ami, dit-il, j'ai bien pis que le diable au corps. J'ai dans la tête un tyran abominable, appelé Polyphonte, lequel veut de force épouser une princesse très-honnête qu'on appelle Mérope! Je veux le poignarder et n'en puis venir à bout. C'est ce qui me met en fureur.

Dans un moment de mauvaise humeur il reçoit une lettre des religieuses de Beaune, lesquelles commencent par lui dire qu'elles se feraient pulvériser pour sa gloire, et finissent par lui demander un prologue pour allonger la Mort de César, qu'elles vont représenter,

-Mordieu! s'écrie Voltaire en déchirant la lettre, c'est bien à de saintes filles comme ces drôlesses-là de vouloir représenter une conjuration de ces fiers républicains; le sac de leur couvent leur conviendrait mieux et leur ferait certainement plus de plaisir.

Puis, reprenant :

Au bout du compte, ajoute-t-il, ce sont de bonnes filles; elles ne sont pas raisonnables de vouloir un prologue pour cette tragédie, mais je suis bien moins raisonnable encore, moi, de me fàcher parce qu'elles le demandent,

Voltaire était un assemblage de passions opposées. Prodigue comme

le marquis de Brunoy, avare comme Harpagon, nous l'avons vu se fàcher avec un marchand de couvertures à propos de quarante sous. Une autre fois, il apprend qu'un honnête homme est dans l'embarras : Prenez une voiture, vingt-cinq louis, et courez vite chez M. Pilot. C'est un homme de lettres malheureux. Faire le bien,

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Tout cela est maniéré, tout cela est fait pour qu'on le répète, tout cela est panaché d'un bon mot; mais au bout du compte l'action est derrière, et l'action est bonne.

Les nombreux créanciers du père de M. d'Estaing font saisir ses terres et en poursuivent la vente. Voltaire, à qui il est dû quarante mille livres, non-seulement refuse de se joindre à eux, mais encore rachète toutes les créances, puis il se présente chez M. d'Estaing.

Monsieur, lui dit-il, vous n'avez plus qu'un seul créancier, qui vous prie de jouir paisiblement de vos biens, et ce créancier, c'est moi. Un jeune officier passe quelques jours à Ferney, et, faute d'argent, ne sait plus comment rejoindre son régiment. Voltaire apprend son embarras.

– Monsieur, lui dit-il, j'ai dans mon écurie un cheval jeune et qui a besoin d'être formé. Faites-moi le plaisir de le prendre pour faire votre route.

Puis, lui mettant une bourse dans la main.

En même temps, ajoute-t-il, je vous charge de sa nourriture. C'étaient surtout les amis que Voltaire craignait. Chacun voulait être l'ami de l'homme illustre, non pas pour lui, mais pour soi. Aussi, la plupart du temps était-il compromis ou ridiculisé par ses amis; alors il s'écriait avec ce désespoir comique que sa figure de singe rendait si bien :

- Seigneur, mon Dieu! délivrez-moi de mes amis; mes ennemis, je m'en charge,

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Un des sentiments que l'on devait croire le plus étranger à l'orga nisation de Voltaire, c'est l'amour. Cependant Voltaire fut sérieusement amoureux une fois dans sa vie. L'objet de son amour était la fameuse Émilie de Breteuil, dame du Châtelet.

Ils commencèrent par être amis et finirent par être amant et maî

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