Page images
PDF
EPUB

Ce n'était pas d'ailleurs la seule désillusion qu'elle dût éprouver. L'impératrice Marie-Thérèse lui avait recommandé M. de Choiseul, comme un ami particulier à elle, comme le négociateur de son mariage, et quelques mois après le mariage accompli, sinon consommé, elle avait été témoin de la chute de ce ministre, renversé par la faction Richelieu et du Barry; puis de la chute du Parlement, qui avait suivi celle de M. de Choiseul; puis enfin de l'élévation de M. d'Aiguillon, qui avait suivi la chute du Parlement.

Toutes ces humiliations avaient été au plus profond du cœur de la dauphine un écho qu'elle avait dû assourdir. Cette Vaubernier, cette demoiselle Lange, cette fille du trottoir, devenue comtesse, favorite, toute-puissante, il lui fallait, elle, la fille de la plus vieille maison régnante d'Europe, il lui fallait compter avec elle, la traiter en égale, la recevoir à sa table, lui toucher la main, l'embrasser!

Quelle est donc la fonction de madame du Barry à la cour? demanda naïvement la dauphine à madame de Noailles, lorsque Louis XV lui présenta la comtesse.

Elle amuse le roi, répondit madame de Noailles. -En ce cas, je veux être sa rivale, répondit la princesse.

Et, en effet, à partir de ce moment, la fière archiduchesse assouplit son caractère, comprima sa jalousie, sourit à la comtesse, sourit au roi; mais le jour où elle fut reine, elle inaugura sa royauté par la lettre de cachet qui exilait la favorite.

Elle avait à venger quatre ans d'éclipse et de dissimulation. Mais, en éloignant madame du Barry, inoffensive rivale, la reine gardait à la cour ses plus cruelles ennemies, les princesses.

D'abord, Mesdames, tantes du roi, qui, depuis la mort de la reine, avaient fait les honneurs de la cour, et qui se trouvaient rejetées au second rang par l'avénement au trône de leur nièce, et qui se retirèrent à Bellevue et à Meudon, dans leur orgueil de princesses et dans leur isolement de vieilles filles.

Madame, comtesse de Provence, qui avait trouvé le soir de ses noces un mari plus impuissant encore que le roi, et qui ne pouvait oublier qu'avant de passer à M. de Provence elle avait été destinée à devenir la femme de Louis XVI, projet qui se fût accompli si M. de

Choiseul ne l'eût, par le choix qu'il fit d'une archiduchesse, éloignée du trône de France, qu'elle ne savait pas encore, à cette époque, être le premier degré de l'échafaud.

Madame la comtesse d'Artois, Marie-Thérèse de Savoie, s'était, de son côté, déclarée contre la princesse d'Autriche, dont la maison, vieille ennemie de sa maison, était toujours avec elle en jalousie de terres et de noblesse.

Il en résultait que les cinq princesses, les trois tantes et les deux belles-sœurs étaient déclarées contre la reine et la détestaient si passionnément, que ce fut de cette petite camarilla que sortirent peu à peu, les unes après les autres, les médisances et même les calomnies qui pesèrent sur la vie privée de Marie-Antoinette.

De son côté, la reine rendait haine pour haine, fiel pour fiel, injure pour injure. La première, elle renvoya les soupçons dont on

avait voulu la flétrir à madame de Provence et à la comtesse d'Artois. Ce qu'elle ne pouvait faire par la médisance, elle le faisait par la moquerie; quand elle ne mordait pas, elle raillait, ce qui parfois était bien pis. Il en résulta que devenue reine, séparée de ses deux belles-sœurs et de ses trois tantes, jeune et sans expérience, elle se fit une cour jeune, folle et légère comme elle, tout occupée de plaisirs frivoles et de modes exagérées.

Au nombre de ces modes il faut mettre celle des plumes et des hautes coiffures.

La mode des plumes prit la première, imposée qu'elle fut par la reine. Mesdames, qui ne pouvaient se résoudre à porter des panaches d'un pied de hauteur qui les rendaient parfaitement ridicules, appelaient cette mode la mode des chevaux. Louis XVI se plaignit mais inutilement de ce goût fantasque qu'il désapprouvait; mais Marie-Antoinette n'ent tint compte, elle fit faire son portrait dans cette étrange parure et l'envoya à Marie-Thérèse, laquelle lui répondit en le lui renvoyant :

« J'eusse bien volontiers accepté le portrait de la reine de France; mais comme vous vous êtes trompée et m'avez envoyé celui de quelque comédienne, je vous le retourne par le même courrier.»> Cette réponse fit réfléchir la reine. Elle abandonna les plumes,

P

mais pour adopter à leur place ces fameuses coiffures qui représentaient des parterres, des forêts, des montagnes, des jardins anglais,

et

que échelle.

le coiffeur ne pouvait dresser littéralement qu'à l'aide d'une

Ce fut un nouveau désespoir pour Louis XVI, qui prit le parti de faire cadeau à la reine des diamants qu'il avait comme dauphin, en lui disant qu'il désirait qu'elle s'en tint à cette parure-là, qui du moins étant achetée ne coûterait plus rien.

Au reste, il existe à Versailles trois portraits de Marie-Antoinette, portraits curieux à étudier, non-seulement sous le point de vue de l'art, mais sous l'aspect physiologique.

Le premier appartient à l'époque où nous sommes arrivés, c'està-dire à son avénement au trône. La reine est vêtue de satin blanc : son visage est doux et charmant avec une légère teinte de coquetterie. C'est l'époque où elle est aimée.

Le second est un peu postérieur au collier. La reine est vêtue d'une robe de velours rouge ornée de fourrures; ses enfants l'entourent, sa fille, Madame Royale, s'appuie sur elle : le visage est dédaigneux, hautain, presque menaçant.

C'est l'époque où on la raille.

Le troisième est de 1788. La reine est vêtue de bleu; elle est

seule, elle tient un livre à la main, elle ne lit

regard est sombre, fixe, plein de terreur.

C'est l'époque où on la hait.

pas, elle pense : le

Le 11 mai 1774, Louis XVI se réveilla roi de France et de Navarre, c'est-à-dire ayant au front la plus belle et la plus lourde couronne du monde.

Vers l'heure où le roi se réveillait, les ministres s'assemblaient. Les ministres, qui sentaient leur disgrâce prochaine, résolurent de s'assurer immédiatement des dispositions du roi à leur égard, en lui adressant une série de questions auxquelles il était supplié de répondre.

Ce travail existe encore aujourd'hui aux Archives du royaume; il est écrit par le roi, à Versailles, le 11 mai 1774. Il a pour pendant le testament du captif, écrit au Temple le 25 décembre 1792.

1

Voici les questions et les réponses. Les réponses sont tracées de la main du roi.

D. 1° L'intention de Sa Majesté est-elle qu'on se conforme à ce qui s'est pratiqué à la mort de Louis XIV, par rapport aux cours souveraines, à la ville de Paris, aux gouverneurs des provinces, aux évêques et aux intendants, pour leur donner avis de la mort dų feu roi et leur or donner de continuer leurs fonctions?

R. Oui.

D. 2o La volonté du roi est-elle que l'on commande aux évêques, aux gouverneurs de province et intendants de se rendre chacun au lieu de leur résidence?

R. Après que je les aurai vus.

D. 3° Les ministres, ayant vu le feu roi, peuvent-ils se présenter devant Sa Majesté avant les quatre jours? Il paraîtrait nécessaire qu'en prenant les plus grandes précautions et après avoir changé toute espèce de vêtements, ils pussent approcher de la personne de Sa Majesté.

R. Après les neuf jours.

D. 4° Tous les grands officiers et les chefs du corps de la Maison du roi étant dans le même cas, pourront-ils recevoir les ordres de Sa Majesté ou les leur fera-t-elle passer?

R. De même.

D. 5° Tous les ministres ayant vu le feu roi, Sa Majesté assemblera-t-elle son Conseil ?

R. Quand j'aurai vu les ministres.

D. 6° Sa Majesté ordonne-t-elle de prendre les clefs des bureaux, cassettes et armoires qui sont dans l'intérieur de l'appartement du roi, où il peut y avoir des papiers importants pour l'État et des effets précieux?

R. Je crois que ma tante m'a fait demander si je voulais qu'elle les prit et j'ai répondu ovi; mais s'il en restait encore, oui, il fau̟drait mettre les scellés.

D.7° La famille royale quittera Versailles; en ce cas, où Sa Majesté jugera-t-elle à propos d'aller?

R. Je vais à Choisy.

D. 8° Mesdames, ayant été chez le roi pendant toute sa maladie, iront-elles dans le même endroit que Sa Majesté?

R. Au petit château.

D. 9° Les expéditions ou commandements seront-ils signés Louis seulement, ou Louis-Auguste ?

R. Louis.

D. 10° Si Sa Majesté ne voit pas ses ministres, comme il y a lieu de le supposer, ne jugerait-elle pas à propos d'ordonner qu'ils s'assemblassent, soit pour affaires du dehors, soit pour celles de l'intérieur du royaume. On cachetterait ensuite les délibérations, qui seraient remises aux mains de Sa Majesté.

R. S'il y avait quelque affaire importante, on cachetterait les délibérations et j'y répondrais.

Il était impossible de formuler des réponses plus nettes, plus précises et présageant mieux un changement de ministère.

Comme le roi l'avait dit, il se retira à l'instant même à Choisy, et les princesses ses tantes au petit château.

Il y avait trois partis à la cour.

Le parti de Mesdames, tantes du roi; elles étaient pour M. de Maurepas.

Le parti de la reine; elle était pour M. de Choiseul.

Enfin le parti du roi; il était pour M. de Machault.

Le roi, arrivé à Choisy, écrivit aussitôt à M. de Machault la lettre suivante :

Choisy, 14 mai 1774.

« Dans la juste douleur qui m'accable et que je partage avec tout « le royaume, j'ai de grands devoirs à remplir: je suis roi, et ce « mot renferme toutes mes obligations; mais je n'ai que vingt ans << et je n'ai pas toutes les connaissances qui me sont nécessaires. « De plus, je ne puis voir aucun ministre, tous ayant vụ le roi « dans sa dernière maladie. La certitude que j'ai de votre probité « et de votre connaissance profonde des affaires m'engage à vous « prier de m'aider de vos conseils; venez donc le plus tôt qu'il vous « sera possible, et vous me ferez le plus grand plaisir. «Louis. »

« PreviousContinue »