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d'État. Mais chaque fois qu'il se hasardait ainsi, le roi lui imposait laconiquement silence. On eût dit qu'il prévoyait d'avance les malheurs amassés par lui sur la tête de son successeur, et qu'il se réjouissait au bruit lointain de cet orage à venir.

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Quand je n'y serai plus, disait-il parfois avec un rire sinistre, je voudrais bien savoir comment Berry s'en tirera.

Une fois dauphin de France, les trois sentiments qui faisaient le fond du caractère de Louis XVI, c'est-à-dire la timidité, la bienfaisance et la modestie, apparurent encore plus clairement. Autant il était gêné et presque défiant avec son grand-père, ses tantes, ses frères et les princes du sang, autant il était communicatif avec les inférieurs. Si les malheureux ne venaient point à lui, il allait à eux, se faisait raconter les chagrins qu'ils le priaient de soulager jusqu'à ce qu'il fût entré dans leurs moindres détails. Rencontrait-il des ouvriers dans les cours et dans les jardins, oh! alors il était à son aise il causait pavage, jardinage, charpente, chaux et mortier, se mettait à l'œuvre pour écarter une poutre embarrassante ou soulever une lourde pierre. A force de limer et de forger, il devint serrurier habile et mécanicien passable, et la dauphine, en le voyant venir à elle, à elle și propre, si élégante, si aristocratique, si soignée, avec ses mains noires, disait en riant:

si

-Ah! voilà mon dieu Vulcain.

Souvent on lui demandait, en lui rappelant les différents surnoms des rois de France, comment il désirait être nommé, lui.

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La seule passion réelle du dauphin était la chasse. En montant l'escalier qui conduisait aux petits appartements de son roi, le peuple put voir à Versailles, après le 10 août, six tableaux qui représentaient l'état des chasses de Sa Majesté. Ces tableaux portaient le nombre, l'espèce et la qualité du gibier à chaque partie de chasse, avec des récapitulations pour chaque mois, chaque saison et chaque année de règne.

Ces petits appartements peuvent donner une idée de celui qui les habitait.

En voici la description. Le théâtre avant les personnages.

Un salon orné de dorures présentait une espèce d'exposition des gravures faites sous son règne, et qui lui avaient été dédiées, des dessins des canaux qu'il avait fait creuser, du relief de celui de Bourgogne et des plans des cônes employés aux travaux du port de Cherbourg.

Une salle renfermant un magasin de cartes géographiques, des sphères, des globes, des cartes faites par lui, les unes achevées, les autres commencées seulement, toutes lavées avec une grande habileté.

Une salle de menuiserie contenant, outre un tour, une foule d'instruments ingénieux pour travailler le bois; il avait hérité tous ces instruments de Louis XV, dont les deux fantaisies excentriques étaient, l'une de faire la cuisine, l'autre de tourner. C'était Louis XVI qui faisait lui-même le ménage de cette chambre, et qui maintenait ces divers ustensiles propres et luisants.

Au-dessus était la bibliothèque des livres publiés sous son règne. La bibliothèque de Louis XV, les Heures et les livres manuscrits d'Anne de Bretagne, de François I", de Charles IX, de Henri III, de Louis XIV et du dauphin formaient la grande bibliothèque héréditaire du château. Deux cabinets séparés, mais qui communiquaient l'un à l'autre, contenaient, entre autres éditions remarquables, une édition complète de Didot en vélin, dont chaque volume était renfermé dans un étui de maroquin. Un de ses orgueils, et les orgueils du pauvre roi étaient rares, était à l'endroit des frères Didot, qui, disait-il, avaient, de son temps, porté l'imprimerie au plus haut degré de perfection où elle pût atteindre. Cette bibliothèque renfermait, en outre, beaucoup d'ouvrages anglais que le roi lisait dans la langue originale, et entre autres la collection des débats du Parlement britannique et une histoire manuscrite de tous les projets de descente médités contre l'Angleterre. L'Angleterre et l'Autriche étaient les deux haines de Louis XVI.

Aussi une des armoires de ce cabinet était-elle pleine de papiers relatifs à la maison d'Autriche, avec cette étiquette écrite de sa main: << Papiers secrets de ma famille sur la maison d'Autriche. »

<< Papiers secrets de ma famille sur les maisons de Stuart et de Hanovre. »

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Dans une autre armoire voisine de celle-ci étaient renfermés les papiers relatifs à la Russie. Au nombre de ces papiers était un paquet cacheté du petit sceau de Louis XVI, et qui contenait un recueil des anecdotes scandaleuses de Catherine II.

Au-dessus de la bibliothèque particulière était placé son retruit de prédilection, comme eût dit Louis XI. C'était un atelier où se trouvaient une forge, deux enclumes, toutes sortes d'outils en fer, différents genres de serrures, toutes parfaitement achevées. C'est là que Gamin, le même qui, plus tard, accusa Louis XVI de l'avoir empoisonné, donnait au roi ces leçons de serrurerie dont l'héritier de Louis XIV profita si bien, et pendant lesquelles le maître traitait son royal élève en simple apprenti.

Enfin, au-dessus des enclumes du roi et de Gamin était un belvédère établi sur une plate-forme couverte de plomb. C'est de ce belvedère, qu'assis dans un bon fauteuil, et l'œil fixé au verre d'un immense télescope, le roi observait ce qui se passait dans les cours de Versailles, dans l'avenue qui conduisait à Paris, et dans les jardins de la ville que ce belvédère dominait. Un domestique nommé Duret faisait d'habitude à lui seul tout le service particulier du roi. C'était lui qui l'aidait à nettoyer la chambre du tour; c'était lui qui affilait ses outils, qui nettoyait l'enclume, collait les cartes; c'était lui enfin qui, connaissant le point de vue du roi, qui était myope, préparait les lunettes et les télescopes, qui livraient parfois à Louis XVI des secrets non moins curieux que ceux qu'Asmodée révélait à son jeune compagnon.

Né avec une santé faible, les travaux manuels et les exercices de corps auxquels le roi se livrait assidûment fortifièrent sa santé au point qu'il était devenu d'un tempérament très-robuste, et qu'on citait de lui des traits de force qui eussent fait honneur aux princes de la maison de Saxe, dont il descendait par sa mère.

Le roi avait une mémoire merveilleuse. Dans cette mémoire était classée une infinité de noms et de localités. Les chiffres surtout et leur emploi demeuraient fixés dans son cerveau d'une manière remarquable. Un jour, on lui présenta un compte-rendu dans lequel se trouvait, à l'article dépense, un objet porté dans le compte de l'autre année.

- Voici un double emploi, dit le roi. Apportez-moi le compte de l'année dernière, et je vous montrerai qu'il s'y trouve.

On lui apporta le compte, et, en effet, le double emploi fut constaté.

Louis XVI avait des notions très-exactes de justice et d'honnêteté : quand il avait affaire à un prévaricateur ou à un malhonnête homme, il devenait dur jusqu'à la brutalité. Alors il voulait être obéi surle-champ, élevait la voix, frappait du pied et entrait dans une colère toute bourgeoise.

Le roi avait certains registres de dépenses écrits tout entiers de sa main, et dans lesquels étaient insérés des articles de dix et quinze sous; ses chiffres et ses caractères étaient d'ordinaire lisibles. Les lettres de cette écriture étaient même parfois mignonnes et bien formées. Mais parfois aussi, quand le roi était pressé ou impatient, cette écriture devenait indéchiffrable. Une de ses économies familières était celle du papier. Suivant la longueur de ce qu'il avait à écrire, il en subdivisait une feuille en quatre, six, huit, dix morceaux. Sa préoccupation pendant qu'il écrivait semblait être de perdre le moins de papier possible. Au fur et à mesure qu'il s'avançait vers la fin de la page, il serrait les lettres, supprimait les interlignes, gagnait sur les marges, les derniers mots s'écornaient d'eux-mêmes à la coupure du papier, et, comme s'il avait eu regret de commencer une page, il ne retournait celle qu'il avait sous la plume que lorsqu'il lui était matériellement impossible d'y trouver le moindre point blanc. Son esprit était plein de méthode et d'analyse. Il écrivait parfois, et lorsqu'il écrivait, il divisait ses compositions en sections, en paragraphes, en chapitres. Des œuvres de Fénelon et de Nicolle, ses auteurs de prédilection, il avait tiré trois ou quatre cents phrases concises et sentencieuses, qu'il avait classées par ordre de matières et auxquelles il avait donné le titre de monarchie tempérée, avec des chapitres intitulés : de la Personne du Prince; de l'Autorité des Corps dans l'État; du caractère de l'Exécution dans la monarchie. Son intention bien positive était d'appliquer à la réalité tout ce qu'il avait remarqué de bon dans les utopistes, mais il n'était pas en harmonie avec son époque. Il eut les événements et les

hommes contre lui. Dieu ne l'avait pas fait pour la lutte, il succomba. Rien ne lui était douloureux comme une fausse accusation, qu'elle portât sur un vivant ou sur un mort. Il crut que la postérité avait été injuste pour Richard III, et traduisit lui-même, de Walpole, la défense de Richard III.

Nous avons parlé de l'économie de Louis XVI. Ses projets sur ce point étaient superbes. Il comprenait que le grand malheur de l'époque c'était la pauvreté du peuple et les besoins de la royauté. Aussi, dans ses dépenses sur le château de Rambouillet, qu'il avait acheté du duc de Penthièvre, lisait-on des articles comme celui-ci : « Je retirerai tant de la vente du bois de charpente, devenu inutile. » Et plus bas :

« Les décombres doivent être vendus telle somme à peu près. » Le prix de ces décombres et de ces bois montait à un total de cent louis, que le roi destinait à ouvrir une avenue.

Le comte d'Artois était joueur et jouait gros jeu. Souvent il essayait de tenter son frère.

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Voulez-vous parier mille doubles louis? demanda-t-il un jour. Un écu; si vous voulez, répondit le roi, je ne joue pas davantage.

Et comme le comte d'Artois souriait de la parcimonie royale : Mon frère, ajouta Louis XVI, vous êtes trop riche pour jouer

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avec moi.

Un jour, M. d'Angevilliers, pendant un voyage du roi, fit réparer une des pièces obscures des petits appartements. La réparation coûta trente mille francs. Lorsqu'on mit sous les yeux du roi cette dépense inattendue, il poussa de grands cris, parcourant ses galeries, disant à chacun :

Comprenez-vous d'Angevilliers, qui me dépense inutilement trente mille livres! Avee cette somme, j'aurais fait trente familles heureuses.

Louis XVI ne faisait aucune attention aux femmes; non-seulement son tempérament, mais encore une infirmité naturelle, qui ne disparut qu'à la suite d'une opération à laquelle il se décida en 1777, l'éloignait de tous rapports physiques avec elles. S'il en aima

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