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Kléber, Jourdan, Victor, Joubert.

Augereau, était sous-officier; Hoche et Soult, sergents; Marceau et mon père, soldats.

Mais quelques-uns ne se rebutaient pas : Hoche, pour acheter des livres, brodait des gilets d'officier, et les faisait vendre dans un café.

Ils se trompaient donc, ceux-là qui, ainsi que nous l'avons dit, croyaient l'ordre rétabli, qui à tous ces mouvements ne voyaient que leurs petites causes, et qui, ces petites causes détruites, s'endormaient dans la sécurité de l'ignorance.

Tous ces mouvements, c'était l'aspiration d'une nation vers la liberté; c'étaient les mouvements partiels de cet océan immense qu'on appelle le peuple, calme ici, là tempétueux : les troubles du Dauphiné, les troubles de Rennes; les troubles de Paris, les troubles de Versailles, les troubles de la place Dauphine, les troubles de l'Abbaye; c'était toujours le même vent qui soufflait, faisant un orage partout où il rencontrait la résistance.

Or, la résistance en ce moment-là, - la cause ou plutôt le prétexte de l'orage qui allait éclater, c'était cette agglomération de troupes que la cour avait faite entre Versailles et Paris.

Trente régiments marchaient sur Paris, dit le marquis de Ferrières dans ses Mémoires.

Le prétexte était la tranquillité publique; l'objet réel, la dissolution des états généraux.

L'Assemblée nationale sentait instinctivement que tout ce grand déploiement de forces se faisait contre elle. Le 27 juin Mirabeau avait lu, au milieu du tumulte et sans être écouté, une adresse en faveur de la paix; le 9 juillet, il en lut une pour l'éloignement des troupes. Cette adresse, admirablement faite, fut fort goûtée de l'Assemblée, qui, néanmoins, ne la vota qu'après en avoir effacé la demande d'une garde bourgeoise qu'elle contenait.

Qui avait poussé Mirabeau à parler? le duc d'Orléans, dit-on; selon M. Droz, du commencement de juillet 1789 daterait le premier argent que Mirabeau aurait reçu de Laclos, l'homme du prince.

C'est que le prince voyait avec effroi le peu qu'il était devenu depuis quelque temps; le prince, était à peine un homme, un chiffre,

une unité au milieu de cette Assemblée où commençaient à s'inscrire les génies révolutionnaires de 91, 92 et 93.

Le duc d'Orléans était avare: « Je donnerais l'opinion publique pour un écu», avait-il dit : pour un écu de six livres bien entendu, ajouta-t-il :- on sait qu'il y en avait de trois; aussi, pour faire face à tout l'or qu'il devait dépenser, des charlatans essayaient-ils de lui faire de l'or dans ses greniers; on a déjà vu qu'aucun moyen d'arriver à son but ne répugnait au prince, même la magie. Eh bien, pour faire de l'or, il lui fallait un squelette humain; non-seulement un squelette humain, mais nominativement celui de Pascal.

Les gardiens de Saint-Étienne-du-Mont avaient été gagnés, et les os calcinés de l'auteur des Provinciales servaient de poudre magique, pour convertir le vif-argent en or.

Le jour où les communes avaient pris le titre d'Assemblée nationale, les partisans du prince l'avaient poussé à faire un discours qui provoquât la réunion de la noblesse au tiers; le duc d'Orléans avait fait ce discours; mais à la quatrième ligne, il s'était trouvé mal: alors on déboutonna son habit, on ouvrit sa chemise, et sous sa chemise on trouva cinq ou six gilets cousus en plastron.

Si vous doutez, lisez Ferrières.

Le duc d'Orléans avait donc compris que ce n'était pas le moment de lésiner, et il achetait Mirabeau, en attendant qu'il achetât Danton. Revenons à l'adresse de l'Assemblée, qui demandait l'éloignement des troupes.

Elle fut présentée au roi le 10 juillet, et lue par M. de ClermontTonnerre.

Mais le roi était trop puissamment circonvenu pour céder; il répondit :

« Personne n'ignore les désordres et les scènes scandaleuses qui se sont passées et renouvelées à Paris et à Versailles, sous mes yeux et sous ceux des états généraux. Il est nécessaire que je fasse usage des moyens qui sont en ma puissance pour remettre et maintenir l'ordre dans la capitale et les environs; c'est un de mes devoirs principaux de veiller à la sûreté publique. Ce sont ces motifs qui m'ont engagé à faire un rassemblement de troupes autour de Paris. Vous

pouvez assurer à l'Assemblée des états généraux, qu'elles ne sont destinées qu'à réprimer ou plutôt à prévenir de nouveaux désordres, à maintenir le bon ordre et l'exercice des lois, à assurer et à protéger même la liberté qui doit régner dans vos délibérations; toute espèce de contrainte doit en être bannie, de même que toute appréhension de tumulte et de violence doit en être écartée. Ce ne pourraient être que des gens mal intentionnés qui pourraient égarer mes peuples sur les vrais motifs des mesures de précaution que je prends; j'ai constamment cherché à faire tout ce qui pourrait tendre à leur bonheur, et j'ai toujours eu lieu d'être assuré de leur amour et de leur fidélité.

« Si pourtant la présence nécessaire des troupes dans les environs de Paris causait encore de l'ombrage, je me porterais, sur la demande de l'Assemblée, à transférer les états généraux à Noyon ou à Soissons, et alors je me rendrais à Compiègne, pour maintenir la communication qui doit avoir lieu entre l'Assemblée et moi. »

C'était une triste réponse pour l'Assemblée. La proposition faite par le roi de la transporter à Noyon ou à Soissons rappelait les anciens exils des Parlements. Où voulait-on en venir? jusqu'où se proposaiton d'aller?

Écoutez M. Necker, alors ministre. Il n'en savait rien lui-même, et peut-être le roi n'en savait-il pas plus que lui.

« Je n'ai jamais connu d'une manière certaine, dit-il dans son ouvrage sur la révolution, le but où l'on voulait aller: il y eut des secrets et des arrière-secrets, et je crois que le roi lui-même n'était pas de tous. On se proposait peut-être, selon les circonstances, d'entraîner le monarque à des mesures dont on n'osait lui parler. »

Foulon, dont le nom allait bientôt recevoir la consécration d'une sanglante célébrité, Foulon proposait deux plans au roi : le premier était de diriger la révolution en la secondant; le roi se faisait le premier révolutionnaire de son époque; il prenait communication des cahiers afin de connaître les vœux du peuple, et sacrifiait tout pour y satisfaire.

L'autre moyen, au contraire, donnait tout à la violence: on arrêtait le duc d'Orléans, à qui l'on faisait faire son procès; on chas

sait Necker, on renversait l'Assemblée, on envoyait à la Bastille les quarante-sept députés de la noblesse qui avaient passé dans le camp ennemi; on leur adjoignait Mirabeau, Target, une centaine de députés du tiers, les plus entreprenants, bien entendu, et l'on faisait entrer dans Paris le maréchal de Broglie avec trente mille hommes. Plusieurs députés connaissaient le complot, ils le disaient tout haut; mais l'Assemblée semblait s'être épuisée dans ses délibérations précédentes.

Cependant les préparatifs étaient patents.

Il y avait même plus, on savait qu'il y avait dissidence entre les deux chefs Broglie et Bezenval; Broglie feignait de ne pas savoir contre qui il était appelé.

Je vois bien mon armée, disait-il, mais je ne vois pas mes ennemis.

Bezenval est plus franc, lui; ouvrez ses Mémoires et lisez :

« Mes arrangements tendaient à garnir le pont de Neuilly, SaintCloud, les Moulineaux, d'infanterie et canon, et à porter le régiment des chasseurs de Lorraine sur les hauteurs de Clamart, afin de barrer la plaine d'en haut. » M. de Broglie prit un système différent, en accumulant les troupes autour de Versailles et à Versailles même, conduite bien mal calculée.

Que faisait l'Assemblée pendant ce temps-là? elle discutait la déclaration des droits de l'homme que lui présentait La Fayette, ce grand endosseur de révolutions.

Ce n'est pas le tout. - Elle était si tranquille qu'elle s'occupait à tranquilliser les autres. Le docteur Guillotin, le même qui avait proposé le Jeu de Paume, le docteur Guillotin venait exprès à Paris pour assurer aux électeurs que tout allait bien, et que M. Necker, ce palladium de la liberté, était plus solide que jamais.

Ce jour-là même, et tandis que le docteur Guillotin faisait sur M. Necker un discours fort applaudi, M. Necker venait de recevoir son congé et était déjà à vingt lieues sur le chemin de Bruxelles.

Tout cela se faisait contre l'avis des véritables amis de la monarchie, contre l'avis du maréchal de Broglie, qui ne voulait point qu'on renvoyât Necker; contre l'avis de M. de Breteuil, qui voulait bien

T. I.

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qu'on le renvoyat, mais qui demandait alors cent mille hommes et cent millions.

- Eh bien! soit, avait répondu la reine, qui ne doutait de rien : vous les aurez.

Et comme la cour n'avait point, comme M. le duc d'Orléans, la prétention de faire de l'or, elle se mit à faire du papier.

« Plusieurs de mes collègues m'ont affirmé avoir vu de ce papier imprimé, » dit Bailly.

Pauvre M. Necker! on avait de lui une idée terrible, et qu'il était bien loin de mériter; on craignait qu'il ne se jetàt dans Paris, et ne renouvelât les scènes du coadjuteur. Il était à table quand on lui signifia l'ordre du roi; il se contraignit devant ses convivės, mais tout pleurant son ministère il partit après le diner, tout seul avec sa femme, sans même avertir sa fille.

Au reste, qu'avait-on à craindre? n'était-ce pas une espèce d'invasion autrichienne, et Marie-Antoinette n'était-elle point parfaitement tranquille quand elle savait que Royal-Cravate était à Charenton, Reinach et Diesbach à Sèvres, Nassau à Versailles, Salis-Samade à Issy, les hussards de Bercheny à l'École-Militaire, Estherazy et Roemer aux environs?

Ce n'était pas le tout: la Bastille, cette reine de Paris, venait de recevoir un renfort de Suisses, elle avait de la poudre à faire sauter la moitié de la ville, et depuis le 30 juin les canons allongeaient le cou entre les créneaux pour regarder ce qui se passait sur les boulevards et dans le faubourg.

Le 12 juillet au matin, tout le monde ignorait encore à Paris le renvoi de Necker; seulement on eût dit que le temps était à l'orage: on respirait un air lourd et tout chargé d'électricité. Des cris d'alarme retentissaient tout à coup aujourd'hui : c'était Bonneville qui criait aux armes! Demain, c'était un jeune médecin philanthrope, nommé Marat, qui écrivait : Prenez garde!

Aux armes, contre qui? Prenez garde, à quoi?

Aux armes contre une armée! - Preñez garde à la cour.

Dès le matin on avait affiché au coin de chaque rue de grands placards avec ces mots : De par le roi, en grosses lettres, pour

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