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quitté, le meurtre s'était accompli; vingt sabres, vingt baïonnettes s'étaient plongés, altérés, dans la poitrine du gouverneur, et sa tête coupéc s'élevait déjà au bout d'une pique.

Le massacre ne s'arrêta point là; de pareilles journées seraient trop resplendissantes dans l'histoire des peuples, si elles n'étaient pas souillées de quelques taches de sang.

Outre Flesselles assassiné sur le quai, outre les deux invalides Asselin et Requart, pris pour des canonniers et pendus au réverbère, outre M. de Launay décapité à l'arcade Saint-Jean, le major, M. Sorblay de Losmes, fut tué à la Grève; M. de Miray, aidemajor, fut tué rue des Tournelles; M. Person, lieutenant de la compagnie, fut tué sur le Port-au-Blé; le nommé Dumour, invalide, fut massacré dans le château; enfin M. Caron, lieutenant, fut blessé en quatre endroits, et conduit à l'Hôtel-Dieu où il guérit de ses blessures.

Au milieu des noms de tous les morts, on a remarqué celui de Béquart. Béquart était l'invalide qui avait arraché la mèche des mains de M. de Launay, et empêché le baril de sauter.

Pendant ce temps, l'intérieur de l'Hôtel-de-Ville n'était guère moins agité, moins tumultueux que ne l'était la place de Grève. Les électeurs, qui apprenaient à chaque instant quelque nouvel assassinat, demeuraient dans la salle Saint-Jean, ne sachant eux-mêmes ce qui allait advenir d'eux : chacun criait, hurlait, proposait un avis, demandait une chose, menaçait si elle n'était point accordée; puis, de temps en temps, par les fenêtres, non pas ouvertes, mais brisées, on voyait tourbillonner un grand flot, puis du centre jaillir des cris et du sang, puis monter une tête pâle, sanglante, coupée, qui dominait toute cette multitude et à laquelle toute cette multitude battait des mains.

Tout à coup le cri retentit: La Bastille est prise! La dernière tête que l'on venait de voir apparaitre était celle de de Launay.

Au même moment, dans cette salle où l'on aurait cru impossible de faire entrer dix personnes, mille personnes entrent poussées par dix mille; les barrières craquent et sont jetées sur le bureau ; le bureau est poussé sur les électeurs, on se retourne, on regarde, on cût

T. I.

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dit, aux armes de tous ces hommes empruntées aux divers mus es de Paris, une invasion des siècles passés.

Un homme était porté sur les épaules, couronné de lauriers, applaudi, triomphant, sans esclave derrière lui qui lui criàt: Souvienstoi que tu es mortel! C'était Élie le vainqueur, celui qui, avec Hullin, méritait les honneurs de la journée. Quant à Hullin, on sait où il était maltraité, broyé, foulé aux pieds pour avoir tenté de sauver son ennemi.

Devant Élie, marchait un homme portant les clés de la Bastille, ces clés forgées en 1383, clés grossières, informes, rougies par la rouille, comme si les larmes des prisonniers avaient coulé sur elles pendant cinq siècles. C'était un prisonnier qui les portait; il les remit à l'Assemblée nationale, qui les plaça dans l'armoire de fer des Archives de France, où elles sont encore.

A côté de celui qui portait les clés, marchait un jeune homme portant au bout de sa baïonnette le règlement de la Bastille. Celui-là aussi, on le conserve comme une chose trois fois impie; il avait été trouvé dans le corps de garde intérieur du château, avait été en partie rédigé par Phelippeaux de Saint-Florentin, et avait été imprimé en 1761, pendant qu'il était ministre de Paris (1).

En ce moment même et au milieu de l'enthousiasme produit par cette nouvelle, on amène ou plutôt l'on apporte, car leurs pieds ne touchent pas la terre, M. de Montbarrey et sa femme. Ils ont été

(1) Voici le règlement :

CONSIGNE DU CORPS DE GARDE AU CHATEAU.

I. Le commandant du poste ne laissera entrer l'épée au côté que le roi, monseigneur le dauphin, les princes du sang et légitimés, les ministres de Sa Majesté qui sont secrétaires d'État, MM. les maréchaux de France, les capitaines des gardes du corps, les dues, l'état-major, le directeur du génie ou ingénieur, l'officier d'ar tillerie et les gardes des archives.

II. On aura soin de faire entrer sans retard M. le commissaire de Rochebrune toutes les fois qu'il se présentera.

III. Les bas-officiers doivent s'appliquer à connaître la figure et le nom de tous les domestiques et autres personnes qui entrent et sortent journellement dans le château.

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IV. Ils doivent aussi savoir le nom des tours pour pouvoir, quand ils sont de faction dans la nuit, dire ponctuellement dans laquelle ils auront remarqué quelque chose de nouveau.

arrêtés à la barrière: on le croit encore ministre, tandis que depuis longtemps il ne l'est plus; c'est ce qu'il explique, courbé sur le bureau, essayant de résister à l'effort de douze hommes qui le tiennent plié en deux.

Quant à sa femme, elle est évanouie.

Le commandant de La Salle parle pour lui, le prend sous sa protection, explique son innocence; puis, saisissant un instant où un incident nouveau attire les regards de la foule, il enlève M. de Montbarrey dans ses bras, et l'emporte dans une autre chambre.

Au même moment, Élie, debout sur une table, la tête couverte d'un casque du moyen âge, tenant à la main son épée faussée en trois endroits, tout entouré d'ennemis qu'il a vaincus, pour lesquels il implore, Élie aperçoit au milieu des prisonniers les enfants de service à la Bastille.

Grâce, crie-t-il, grâce pour les enfants!

Ce cri parti du cœur eut un écho dans tous les cœurs; le cri de grâce répété à l'intérieur, fut répété par dix mille à l'extérieur, et pour ce jour-là, du moins, le massacre cessa.

On avait trouvé en tout sept prisonniers à la Bastille; c'étaient : Les nommés Béchade, Lacaurège, Laroche et Pujade;

Le comte de Solages;

Tavernier;

Un Irlandais, nommé de Wythe.

V. La sentinelle de la porte de la cage du côté du corps de garde ouvre et ferme la porte. Il ne doit laisser entrer ni sortir personne qu'il ne connaisse parfaitement; il arrêtera tous ceux et celles qu'il ne connaîtra pas.

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VI. - La sentinelle de dedans la cage qui est dans la cour intérieure doit en user de même et surtout bien s'assurer des personnes qui sortent de l'intérieur, et, au moindre doute, arrêter ceux qui se présenteront et faire venir un officier de l'état-major pour lever la difficulté; de plus, il sonnera l'heure à tous les quarts pendant la nuit depuis dix heures du soir jusqu'à six heures du matin, et trois coups de cloche seulement à chaque heure du jour depuis sept heures du matin jusqu'à neuf heures du soir. De plus, la sentinelle sonnera pour la messe, et après avoir sonné la messe, il se retirera au corps de garde, en fermera la fenêtre et attendra qu'on l'avertisse pour aller en faction à la porte du cabinet de la chapelle, où il demeurera jusqu'à ce que la messe soit finie. VII. Après la messe, il entrera dans le corps de garde jusqu'à ce qu'on l'avertisse pour retourner en faction à la porte du devant de ladite cage.

-

VIII. Il ne doit point perdre de vue les prisonniers qui se promènent dans la cour. Il faut qu'il ait une attention continuelle à remarquer s'ils jettent ou laissent

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