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« La libre communication des pensées et des opinions est un droit des plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre librement de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi.

« La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique: cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité de ceux à qui elle est confiée.

<< Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses de l'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

<< Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

« La société a droit de demander compte à tout agent public de son administration.

« Toute société dans laquelle la garantie du droit n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

« Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »

Cette déclaration avait fort monté tous les esprits: on en était au degré suprême du sacrifice et du dévouement dans le club breton, un des premiers qui eût été fondé. Le jeune duc d'Aiguillon, un des plus riches seigneurs après le roi, avait fait la proposition d'offrir aux paysans de racheter les droits féodaux à des conditions modérées.

La nouvelle de cette proposition arriva au vicomte de Noailles. Le vicomte de Noailles était un cadet de famille, et par conséquent n'avait rien à perdre : aussi proposa-t-il non-seulement l'autorisation du rachat des droits, mais encore l'abolition sans rachat.

C'était trop, le but était dépassé : il fallut y revenir.

Ce fut un député inconnu, qui n'avait jamais parlé, qui parla cette fois, puis se tut, qui tira à lui la clé de la voûte féodale, et qui fit écrouler l'édifice.

Il se nommait Le Quen de Kerengal.

Il demandait qu'on dressât un bûcher et qu'on y brûlât les infâmes parchemins, monuments de la barbarie, qui par la corvée ravalaient l'homme à la hauteur de la bête, et qui attelaient à la même charrette le paysan et le bœuf.

Alors on cita tous ces droits étranges: droit de corvée et droit de cuissage. Un seigneur breton entre autres avait celui, au retour de la chasse, d'ouvrir le ventre à deux de ses vassaux et de s'y réchauffer les pieds.

Alors M. de Foucault se lève. C'est un gentilhomme de province presque aussi inconnu que M. Le Quen de Kerengal. Il demande qu'on frappe sans ménagement sur les pensions et les places de la cour, presque toujours accordées aux basses intrigues.

M. de Beauharnais propose qu'à l'avenir, non-seulement tout Français, tout citoyen puisse arriver aux emplois, mais encore que les peines soient pareilles pour tous les coupables, quelle que soit la classe à laquelle ils appartiennent.

M. de Montmorency demande que l'on arrête sur-le-champ toutes ces dispositions afin qu'elles aient force de loi.

M. de Mortemart s'écrie qu'il n'y a qu'un vœu de la part de la noblesse, c'est de hâter le décret qui consomme tous les sacrifices. Alors le dévouement devient de l'enthousiasme, l'enthousiasme devient presque de la folie. Comme les joueurs jetteraient leur or dans un gouffre, chacun s'avance à son tour et jette dans l'abîme révolutionnaire, qu'il croit fermer par ce sacrifice, rang, parchemins, droits, priviléges. M. de Virieu, député de la noblesse du Dauphiné, est ruiné; il n'a rien que son colombier dont les pigeons vivent aux dépens des terres des paysans: il offre le moineau de Catulle, et demande la destruction du colombier féodal.

On pressait le président Chapelier de faire voter l'Assemblée, tant chacun semblait craindre que son voisin et lui-même ne revint sur

ses pas.

Pardon, répondit le malicieux président, mais aucun de ces messieurs du clergé n'a encore pu se faire entendre, et je me reprocherais de leur fermer la tribune.

En effet, au milieu de cet abandon de ces prérogatives, de ces droits de la fortune, le clergé reste égoïste. L'évêque de Nancy, par exemple, demande que le prix du rachat du droit ne revienne point au propriétaire, mais profite au bénéficier.

L'évêque de Chartres fait mieux, il demande l'abolition du droit de chasse.

-Ah! s'écrie le duc du Châtelet, l'évêque nous ôte nos chasses; eh bien, moi je vais lui ôter ses dimes.

Et il propose que les dimes en nature soient converties en redevances pécuniaires, rachetables à volonté.

Puis, après les évêques, vint le tour des pauvres ecclésiastiques; ils furent généreux comme tout ce qui est pauvre. Les uns déclarèrent que leur conscience leur défendait d'avoir plus d'un bénéfice. Les autres offrirent leur casuel.

Pour le coup, l'Assemblée refusa.

Ce fut peut-être le spectacle le plus curieux qu'offrit pendant toute sa durée l'Assemblée nationale.

La séance, commencée à huit heures du soir, ne fut close qu'à une heure du matin. Mille ans de féodalité avaient disparu en cinq heures.

Les étrangers qui assistaient à la séance n'y comprenaient rien, et demandaient à leurs voisins ce que cela voulait dire; et leurs voisins répondaient :

Regardez et écoutez vous verrez ce que c'est qu'un peuple qui se fait libre.

Voici le sommaire des sacrifices faits par la noblesse et le clergé, pendant la nuit du 4 août, depuis huit heures du soir jusqu'à une heure après minuit :

1° Suppression de tous les droits féodaux, consentie unanimement; 2o Renonciation par les privilégiés à tous leurs droits et priviléges pécuniaires;

3o Acquiescement par le clergé et la noblesse de supporter tous les impôts généralement quelconques, chacun suivant sa fortune;

4° Suppression des justices seigneuriales, etc. : la justice sera rendue gratuitement dans tout le royaume;

5° Renonciation générale et suppression de toutes les capitaineries

et droits de chasse;

6° Abolition des droits de francs-fiefs et de mainmorte;

7° Suppression du cens et rentes féodales, de telles natures qu'elles soient, garennes ou colombiers;

8° Abolition des droits d'annates en cour de Rome et près les évêchés pour les curés;

9° Chaque ecclésiastique ne pourra posséder qu'un seul bénéfice ou rente sur icelui;

10° Suppression du cumul des curés;

11° Suppression des jurats et maîtrises des villes;

12° Renonciation faite par Lyon, Bordeaux, Marseille, Paris et autres, à leurs droits et priviléges pécuniaires;

13° La vénalité des charges supprimée;

14° Les citoyens de tous les ordres admis dans tous les emplois civils ou militaires;

15° Le parlement de Besançon supprimé ;

16° Renonciation faite par les grands seigneurs à leurs titres de premiers barons et autres. Ils en font hommage à la nation, ainsi que d'une partie de leurs pensions;

17° Pour manifester un si grand bienfait pour la France, l'Assemblée a permis à M. le duc de Noailles de faire frapper une médaille qui représentera la destruction de la féodalité et la réunion de toute la France;

18° L'Assemblée va annoncer au roi qu'elle lui a donné le titre de Restaurateur de la liberté en France;

19° Le Te Deum sera chanté à Versailles, en présence du roi, par tous les députés, au son de toutes les cloches et de toute l'artillerie.

Cette nuit fut jugée fort différemment, selon les intérêts qu'elle lésait ou favorisait. A la cour, on l'appela la nuit des dupes, la Saint Barthélemy des propriétés ; chez le peuple, on l'appela la nuit du dévouement et de la délivrance.

A partir de ce moment la vieille France a disparu et l'on entre dans une France nouvelle. Necker, parti le 11 juillet, ne reconnaît plus la France le 6 août, et Dussault, le vieux Dussault, écrit :

« Tout est changé : la démarche, le costume, l'aspect des rues, les enseignes. Les couvents sont pleins de soldats, les échoppes sont des corps de garde; partout des jeunes gens qui s'exercent aux armes; les enfants tâchent d'imiter, ils suivent et se mettent au pas; des octogénaires montent la garde avec leurs petits-fils. « Qui l'aurait cru, disent-ils, que nous aurions le bonheur de mourir libres! >>

Les troubles qui se manifestèrent par toute la France à cette époque sont encore aujourd'hui un mystère, non-seulement pour l'historien, mais pour les rares contemporains qui ont survécu.

A plusieurs des hommes de cette époque nous avons demandé: qu'étaient-ce que ces brigands? D'où venaient-ils? Pour qui agissaient-ils? Détruisaient-ils pour leur propre compte? Étaient-ils des agents de la vengeance princière?

Était-ce un moyen providentiel de mettre à chacun les armes à la main au moment où il fallait que tout le monde fût armé. Nul n'a pu répondre.

Disons donc le fait purement et simplement, et les malheurs qui en furent la suite.

Nous l'avons dit, il y avait une grande défiance du peuple contre la cour; nous disons contre la cour, parce que cette défiance existait moins contre le roi que contre ses conseillers, ses anciens ministres, la reine surtout.

D'abord il y eut émeute à Saint-Denis, dans la nuit du samedi 1" août. Le prétexte fut la cherté du pain, la cause réelle une de ces émotions aux sources inconnues. M. Chatel était lieutenant de maire; soit qu'il fût trompé, soit qu'il trompât, il assurait que depuis deux jours le blé manquait à Paris, et que l'on y mangeait du pain semblable à celui que les boulangers allaient cuire. Ce pain, fait avec un

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