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Laquelle, Monsieur? répondit le spectateur en se rapprochant du théâtre.

Monsieur, reprit Carlin, si vous rencontrez par hasard quelqu'un en sortant de notre salle, faites-moi le plaisir de dire à ce quelqu'un-là que nous jouons demain les Vingt-six Infortunes d'Arlequin.

Pendant que la reine s'amuse à Trianon, tandis que le roi renouvelle ses miniştres à Versailles, tandis que Paris attend la poule au pot et se console de ne pas la voir venir, en écrivant sur les murailles :

Grâce au bon roi qui règne en France,

Nous allons voir la poule au pot;

Cette poule, c'est la finance,
Que plumera le bon Turgot.
Pour cuire cette chair maudite
Il faut la Grève pour marmite,
Es l'abbé Terray pour fagot.

Pendant tout cela la province s'émeut et se soulève.
A quel propos? Nous allons le dire.

Le 17 septembre 1774, le roi, comprenant tout ce qu'avait perdu de dignité et gagné de haine, en faisant le commerce des grains, le gouvernement auquel il succédait, avait proclamé la liberté de ce commerce. Or, cette liberté, c'était la ruine du monopole, et rien n'a la vie dure et la défense terrible comme le monopole.

Les monopoliseurs se défendirent. Les partisans de M. Turgot, dont la devise était : liberté, liberté tout entière, crièrent haro sur eux.

L'émeute commença le 20 avril 1775 et se manifesta dans les environs de Dijon. Les paysans débutèrent par abattre un moulin qui appartenait à un monopoliseur, et s'en allèrent de là chez un autre monopoliseur, conseiller au parlement Maupeou, où ils brisèrent et saccagèrent tout.

Tout ce grand bruit avait commencé par ces humbles plaintes comme en pousse le peuple quand il ne connait pas encore sa force; mais à ces plaintes M. de La Tour du Pin, commandant de la ville, avait répondu :

-Allez brouter l'herbe, elle commence à pousser.

En effet, comme nous l'avons dit, on était aux premiers jours d'avril.

De Dijon, l'émeute gagna Pontoise, et de Pontoise, où elle éclata le 1er mai, elle gagna Versailles.

Le roi parût à son balcon, mais ne put se faire écouter. Aussitôt le prince de Beauvau, capitaine des gardes, et le prince de Poix, gouverneur, montèrent à cheval avec les gardes-du-corps, et proposèrent de faire partir le roi pour Chambord.

Mais le roi refusa, déclarant qu'il avait un moyen plus sûr que la fuite c'était de publier le pain à deux sous.

Cette publication fut faite, et à Versailles, du moins, l'émeute se calma.

Les agitateurs, car il était bien évident que tout ce bruit n'était pas produit par le véritable peuple, les agitateurs menaçaient Paris, et, en effet, malgré les gardes suisses, les gardes françaises et les mousquetaires, malgré le guet lui-même, ils entrèrent à Paris par différentes portes, où ils se présentèrent à la même heure, et se mirent incontinent à piller les boutiques des boulangers.

Il est vrai que le roi avait défendu de faire feu sur ces hommes; aussi, les mousquetaires et les autres troupes, ne sachant quels moyens de répression employer, causaient-ils avec eux au lieu de les sabrer, ce qui leur donnait grande confiance. M. Turgot écrivait au roi que l'intendant, au lieu de chercher à pacifier ces troubles, les animait, et à cette dépêche il joignait une lettre de M. de SaintSauveur, son ami, laquelle disait que MM. Lenoir et de Sartine préparaient pour le lendemain des troubles à Paris.

En effet, le 3, dès sept heures du matin, le pillage des boulangers recommença; à onze heures le pillage fut achevé; à midi M. de Biron s'empara des carrefours et des différents postes à l'aide desquels on pouvait combattre l'émeute; à une heure on la chercha partout sans pouvoir la rencontrer.

Le 4, le prix du pain fut rétabli comme il était avant la diminution royale. On rassura les boulangers et on leur donna des factionnaires pour garder leurs boutiques.

Puis les mousquetaires furent envoyés pour couvrir la route de

Versailles. Les émeutiers reçurent les soldats du roi à coups de pierres; ceux-ci répondirent à coups de fusil : vingt-trois paysans restèrent sur le champ de bataille.

Les bourgeois de Paris, qui ne savaient pas encore ce que c'était qu'une véritable émeute, ne prirent pas celle-là au sérieux et en plaisantèrent. La mode s'empara de la circonstance, on porta des bonnets à la révolte.

Disparue à Paris, où elle ne laissait d'autres souvenirs que les bonnets portant son nom, l'émeute continua dans les provinces, à Lille, à Amiens, à Auxerre; puis, ainsi qu'un orage qui gronde, elle s'éteignit dans l'éloignement.

L'avis qu'on avait donné à M. Turgot à l'endroit de M. Lenoir ne fut pas perdu. Le ministre déclara à Louis XVI qu'il ne répondait de rien si on laissait M. Lenoir à la police, et l'ordonnance que ce lieutenant fit afficher le 3 mai, et qui laissait aux boulangers la faculté de vendre selon le taux du blé, fut le dernier acte signé de ce fonctionnaire.

Le fameux économiste Albert lui succéda.

M. de Biron, qui avait été chargé de disperser les émeutiers, y attrapa un pont-neuf.

Lé voici :

Biron, tes glorieux travaux,

En dépit des cabales,

Te font passer pour un héros
Sous le pilier des halles.
De ruc en rue, au petit trot,
Tu chasses la famine;

Général digne de Turgot,
Tu n'es qu'un Jean farine.

Ce fut à propos de cette émeute que le nom de Necker apparut pour la première fois dans les affaires politiques de la France. M. Necker, dont nous parlerons plus longuement ailleurs, fit paraître, en opposition avec le système de M. Turgot, un livre sur le commerce des blés. Ce livre, écrit avec la touche sentimentale et les ornements de style familiers à son auteur et surtout à sa célèbre fille, fut énormément lû par la cour et par la ville, et même par les femmes de la ville

T. I.

et de la cour. M. Turgot avait voulu s'opposer à la publication de ce livre, et le livre n'en avait paru qu'avec plus d'éclat..

A dater de ce jour, M. Turgot et M. Necker furent ennemis jurés. Une commission prévôtale avait été instituée pour juger les pillards. Deux payèrent pour tous, un perruquier et un gazier : ils furent pendus à une potence de quarante pieds de haut.

L'émeute éteinte, Biron chansonné, le perruquier et le gazier pendus, on s'occupa de l'affaire importante à tout nouveau roi, du sacre, C'était une grande affaire que le sacre dans la situation où l'on se trouvait, c'est-à-dire avec un ministère philosophe et économiste.

En attendant que l'on dit que les rois tenaient leurs droits de la nation, on commençait à dire qu'ils les tenaient d'eux-mêmes; or, s'ils les tenaient d'eux-mêmes, à quoi bon cet hommage rendu à l'Église? Puis, après la question philosophique, comme nous avons dit, venait la question économiste : c'étaient à la fois des dépenses énormes et inutiles que celles que cette cérémonie allait occasionner : d'ailleurs il y avait dans cette cérémonie du sacre, disaient toujours les nouveaux conseillers, beaucoup de choses odieuses ou ridicules. Parmi les choses odieuses, était le serment d'exterminer les hérétiques; parmi les choses ridicules, était le roi couché à terre à côté de l'archevêque; enfin, les pairs portant les mains à la couronne du roi, comme si les pairs étaient aussi puissants en 1775 pour soutenir cette couronne qu'ils avaient donnée à Hugues Capet en 987.

Malheureusement, dans certaines circonstances, le roi avait cet entêtement sourd contre lequel il n'y a point à se rebeller : le roi déclara qu'il ne se croirait véritablement roi que lorsqu'il serait sacré.

Alors M. Turgot batailla pcur qu'au moins la cérémonie se fit à Paris. La cérémonie n'offrait-elle pas une majesté plus grande accomplie dans la capitale que dans ce coin de la France, incommode, éloigné? Mais ici Louis XVI fit encore une nouvelle objection: depuis Philippe-Auguste, tous les rois, excepté Henri IV, avaient été sacrés à Reims; il désirait donc, à cet endroit encore, ne faire aucune innovation.

Il fut done décidé que le roi serait sacré, et que ce sacre se ferait à Reims.

La dépense fut énorme tous les travaux faits à Reims furent exécutés sous les ordres des intendants des Menus, qui firent venir de Paris non-seulement les ouvriers, mais encore les matériaux,

La reine avait décidé qu'elle assisterait à la cérémonie, et comme la cérémonie devait être longue, il lui fut construit un appartement complet; si complet, dit l'Espion anglais dans sa correspondance, qu'il y avait jusqu'à une salle des gardes, un boudoir et des lieux à l'anglaise.

Toute la route, ponts et chaussées avaient été réparés à neuf : il est vrai que cette réparation s'était faite par corvées; or, dans quel moment exigeait-on ces corvées du peuple : au moment où ses travaux l'appelaient aux champs; aussi les malheureux travailleurs, qui mouraient de faim, demandaient-ils l'aumône à tous les voyageurs qui passaient.

A Soissons, on fut obligé d'abattre une porte et d'en construire une autre ; celle qui existait était trop basse pour le carrosse, qui avait dix-huit pieds de haut.

La couronne que l'archevêque de Reims devait poser sur la tête du roi avait été faite par le bijoutier Aubert, où l'on pouvait la voir exposée : elle portait le Régent et le Sacy, et était évaluée à dixhuit millions.

Ce fut cette couronne qui, par sa lourdeur sans doute, blessa le roi au moment où l'archevêque la lui posa sur la tête.

Voici la proclamation que la police fit crier dans les rues à ce sujet : « La cérémonie étant censée commencer au départ de Versailles, Sa Majesté en partira en grand appareil avec la reine, les princes ses frères, les princes du sang, les grands officiers de la couronne, les seigneurs et les dames de la cour, et les ministres.

«Sa Majesté sera reçue dans tous les lieux où elle passera au son des cloches, au bruit de l'artillerie, aux acclamations du peuple, et sera complimentée par les magistrats.

« M. le duc de Bourbon, gouverneur de Champagne, présentera à Sa Majesté les clés de la ville à son arrivée.

« Sa Majesté, après tout le cérémonial de son entrée et de sa marche, se mettra à genoux à la porte de l'église métropolitaine, et

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