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une entre toutes, ce fut la sienne. Cependant, l'influence que prit Marie-Antoinette sur lui fut toute morale.

Le désir de connaître la vérité était si grand chez Louis XVI, que le lendemain de la mort de son aïeul il fit mettre à la porte du château une boîte où chaque passant pouvait déposer sa prière ou consigner ses réclamations. Mais ce n'était point là l'affaire des ministres; ils encombrèrent la boîte d'épigrammes et de libelles; de sorte qu'au bout d'un mois, Louis XVI ne retirant que dégoût de cette correspondance anonyme, la boîte fut supprimée.

Nous avons dit que le titre qu'eût préféré le roi était celui de Louis le Sévère; mais le peuple ne fit pas droit à son vœu, et, dans son impatience d'être débarrassé de Louis XV, l'appela Louis le Désiré. Aussi à la mort du roi, le peuple crut-il avoir tout gagné, et entre autres expressions de son contentement grava-t-il le mot RESURREXIT sur le piédestal de la statue de Henri IV.

La chose fut rapportée au jeune roi, qu'elle rendit fort joyeux. -Oh! s'écria-t-il, le beau mot que celui-là, s'il était vrai! Tacite n'eût rien écrit de plus laconique et de si beau.

Malheureusement, quinze jours après, au-dessous du mot, on lisait ce distique :

Resurrexit, j'approuve fort ce mot;

Mais, pour y croire, il faut la poule au pot.

L'année suivante, comme la fameuse poule au pot ne venait pas, le mot latin changea de place, et passa du piédestal de Henri IV à celui de Louis XV. Louis XVI le sut; la réaction était navrante. Le roi se retira dans ses appartements, tout en fièvre et en pleurs, et ce jour-là on ne put le déterminer ni à dîner, ni à se promener, ni à souper.

Ce n'est pas sans raison que nous soulignons les mots dîner et souper; comme tous les Bourbons, Louis XVI mangeait énormément, et d'ordinaire les plus grandes douleurs n'avaient aucune influence sur son appétit. Au Dix Août, conduit à l'Assemblée nationale, où il allait chercher protection contre la colère du peuple, il demanda quelque chose à manger; on lui apporta du pain, un

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poulet et une bouteille de vin; il dévora le poulet jusqu'à la carcasse, mangea le pain jusqu'à la dernière miette, et but le vin jusqu'à la dernière goutte.

Le roi, nous l'avons dit, haïssait l'Autriche et M. de Choiseul; l'Autriche, qu'il regardait comme la cause de nos désastres politiques; M. de Choiseul, qu'il regardait comme l'empoisonneur de son père son mariage avec Marie-Antoinette se présenta donc à lui accompagné d'un certain sentiment de répugnance.

De son côté la jeune princesse, dès son entrée en France, fut frappée de pressentiments fatals, qui furent suivis de cruelles contrariétés que les femmes oublient moins facilement que de véritables malheurs.

La dauphine avait été élevée par sa mère pour être un jour reine de France. Un instant on avait eu l'idée de la faire épouser à Louis XV, lequc! avait eu la sagesse de la laisser à son petit-fils. A Vienne, elle avait d'avance connu nos modes, notre étiquette, notre cérémonial. C'était, à l'époque où elle apparut au peuple français, une charmante enfant de treize à quatorze ans, ayant une physionomie gracieuse, un teint éclatant, des couleurs vives, fraîches, solides, des traits réguliers et la taille svelte; seulement ses yeux, très-beaux, qui lançaient, selon l'état de son âme, ou les plus doux rayons ou les plus terribles éclairs, étaient sujets à des fluxions; sa bouche aussi avait une légère défectuosité qui d'ailleurs, chez les princes de la maison d'Autriche, était un titre de noblesse : la lèvre inférieure avançait, et faisait ce que les enfants appellent la lippe; au reste, d'un caractère caressant et enjoué; instruite, parlant le latin, l'allemand, le français et l'italien : ce qui n'avait pas empêché le prince Louis de Rohan, depuis cardinal, pendant son ambassade à Vienne, d'envoyer, dans une dépêche en chiffres adressée à Louis XV, un rendu-compte de la jeune princesse peu agréable, pour son double amour-propre physique et moral. Une indiscrétion mit une copie de cette lettre déchiffrée sous les yeux de la dauphine, qui ne la pardonna jamais à M. de Rohan, et qui dut à cette rancune une des aventures les plus désagréables de son règne l'aventure du collier. Marie-Thérèse, en envoyant sa fille en France, croyait avoir tout

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prévu, grandes et petites choses, et cependant, malgré sa connaissance de la cour de Versailles, elle commit la faute de faire demander diplomatiquement, par M. de Mercy, son ambassadeur, que mademoiselle de Lorraine, sa parente, et M. le prince de Lambesc prissent rang immédiatement après les princes du sang de la maison de Bourbon, dans les fêtes du mariage de la jeune archiduchesse avec le dauphin de France.

C'était une grande affaire que cette prétention; aussi Louis XV, qui ne se dissimulait pas la difficulté de la mener à bien, et qui cependant voulait plaire à sa bonne amie Marie-Thérèse et à sa petitefille Marie-Antoinette, écrivit-il aux princes du sang une lettre dans laquelle il priait au lieu de commander.

Les princes, qui n'eussent pas obéi au commandement, obéirent bien moins encore à la prière, et, opposant une résistance invincible au désir de Louis XV, se refusèrent à laisser danser mademoiselle de Lorraine immédiatement après les princesses.

Il résulta de cette demi-mesure du roi que tout le monde fut mẻcontent: princes français, princes étrangers; la dauphine surtout fut profondément blessée de ce qu'elle regardait comme une offense personnelle å sa maison.

Elle prit cette lettre du roi, qui se bornait à la prière et qui n'avait obtenu qu'un refus, écrivit au-dessous : Je m'en souviendrai, et l'enferma dans sa cassette particulière.

De pareils détails peuvent paraître puérils; mais quand les trônes penchent sur la pente rapide des révolutions, les moindres impulsions qui précipitent leur course doivent être inscrites par l'historien, afin d'être rendues visibles et de devenir un enseignement.

En effet, de ce premier échec à ses prétentions impériales date la haine de Marie-Antoinette pour les princes de la maison de France. La fille des Césars ne put pardonner à de simples duchesses de barrer le chemin, le jour même de son mariage, à ses proches parents à elle. Madame de Noailles eut beau lui répéter vingt fois, avec la plus respectueuse révérence : « Attesse, c'est l'étiquette,» madame de Noailles n'y gagna que le sobriquet de Madamé l'Étiquette, que la dauphine lui dorina et que lui maintint la cour.

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