Page images
PDF
EPUB

adoptera sans modification. Il est à peine question, dans cette notice, de quelques particularités de la vie de M. Legouvé; on n'y trouve ni le lieu, ni l'année de sa naissance (il était de Lyon), ni même celle de sa mort. En disant qu'il se retira de la plaidoirie de bonne heure, il semble qu'il aurait fallu mar juer la cause de sa retraite. Elle fut la suite d'un désagrément qu'on n'aurait pas dû lui donner. Il plaidait à la grand'chambre, et le roi de Danemarck assistait à l'audience; une phrase un peu équivoque sur les priviléges des ambassadeurs, glissée dans son exorde, le fit interrompre; on appela une autre cause, dans laquelle Gerbier avait un rôle ; celui-ci eut donc l'honneur de représenter le Barreau français devant le monarque. Legouvé ne se consola peut-etre jamais de l'espèce d'affront qu'il avait cru recevoir dans cette occasion. M. La Cretelle aurait pu ne pas passer sous silence la tragédie d'Attilie, qui n'est point, à beaucoup près, une pièce méprisable, ni pour le sujet, ni pour la conduite, et où il y a des vers qu'aucun même de nos meilleurs poëtes n'aurait désavoués. Quoique tout ce que l'on trouve dans cette notice, sur les raisons du bonheur dont eût dû jouir M. Legouvé, du côté de son épouse, de son fils et de sa fortune, soit exact à la lettre, on peut douter qu'il ait été heureux. Il était doué d'une extrême sensibilité, et cette qualité de l'âme a cela de particulier, qu'elle s'exagère les peines et s'en crée d'imaginaires, quand le sort écarte de nous les motifs d'un chagrin réel. M. Legouvé ne savait pas hair, ce qui lui fait honneur; mais il était

I.

en outre ami zélé, ce qui lui fait plus d'honneur encore. Au fait, l'intérêt qui s'attache toujours aux noms connus ne permettra pas qu'on lise sans plaisir cette notice, toute imparfaite qu'elle est sous certains rapports.

Le discours sur les inconvéniens de la multiplicité des lois, destiné pour la rentrée d'un parlement de province, et la dissertation sur le ministère public, annoncent dans l'écrivain de grandes et belles connaissances, et un noble amour pour le bien de son pays. Il a dû voir, avec satisfaction, les vœux exprimés dans son discours, remplis par la publication du Code Napoléon. Après avoir donné une idée du ministère public parmi nous, il soutient avec raison qu'on peut le récuser; il fallait ajouter, et le prendre à partie. Il serait à souhaiter que ceux qui sont chargés de ses imposantes fonctions, beaucoup trop souvent exercées, pussent lire et se pénétrer de l'esprit de la dissertation de M. La Cretelle.

Nous ne sommes point surpris de ce que le mémoire pour les deux juifs de Metz, obtint les applaudissemens du Barreau et du public; mais nous le serions, s'il avait obtenu ceux des cliens.

Le mémoire pour la dame D. contre son mari, celui pour le testament mystique, peuvent être utiles aux jeunes gens qui se destinent au Barreau, ou qui suivent déjà cette carrière.

Celui au nom du tuteur des enfans du juif P..., n'a pas le même avantage. Un juif qui plaide dans un tribunal français pour faire prononcer le divorce,

entre lui et la femme qu'il a épousée, selon le rit de sa nation, n'est pas une de ces causes qui se présentent souvent. Le juif perdit; mais est-il bien certain qu'en consultant les lois de Moyse, il ne dût pas gagner?

Le mémoire pour une jeune actrice, accusée, par une rumeur de coulisse, d'avoir empoisonné sa sœur, n'a qu'un défaut ; c'est qu'il ne fallait pas le publier. Le mémoire sur la propriété des mines, porte sur une supposition subversive de l'adage : « Que le pro» priétaire d'un terrain l'est du fonds et du très>> fonds. >> Au reste, il ne semble pas avoir d'objet ; car, dès que vous assujettissez celui qui découvre la mine à payer, chose juste, le maître du sol à sa volonté, tout se réduit à un marché plus ou moins cher.

L'auteur se proposait de refaire son travail sur les Conventions. Nous l'engageons sincèrement à s'en occuper; l'ébauche qu'il en a tracée est digne d'être achevée.

Le 2o. tome comprend deux mémoires; l'un, contre la nouvelle compagnie des Indes, et l'autre, pour un certain comte de..... (1), mis à Charenton sur les sollicitations de son épouse, de sa fille et de son gendre, par suite de son évasion du sein de sa famille et d'une lettre où il affirmait au moins un mensonge. Au moment où nous sommes, l'un et l'autre ont perdu

(1) Celui-ci a deux supplémens, dans un second mémoire et dans une réponse apologétique de M. La C.

tout ce qu'ils eurent alors de piquant. Dans le second et ses appendices, il y a des longueurs, des disparates, une contention visible pour arriver à l'effet que l'on atteint toujours moins, à mesure que les efforts que l'on fait en courant après se manifestent davantage.

Les notes historiques qui terminent le volume n'en sont pas la partie la moins curieuse. L'auteur qui, en débutant, fait la satire de la modestie, et le panégyrique de la vanité littéraire, y demande avec tant de bonhomie aux lecteurs, la permission de mettre son amour-propre à l'aise, sur son talent et sur ses écrits, qu'il y aurait de l'humeur à la lui refuser. Aussi, la supposant accordée, ne se gêne-t-il plus. Il donne la liste, le motif de ses ouvrages, les compare, les apprécie, passe en revue les causes singulières qui ont occupé le public de son temps, et les hommes qui les ont traitées : Servan, l'abbé Morellet, M. Necker, Linguet, Beaumarchais, Voltaire, Lally-Tolendal, Dupaty, M. Bergasse : chacun est classé, chacun a son coup de pinceau ; et M. L. C., soit en face, soit de profil, ne sort pas du tableau; c'est le laudis immensa cupido de Virgile.

Il nous a paru qu'il y avait dans ce compte rendu, des erreurs et des omissions qu'il est assez peu important de relever. D'ailleurs, dans la censure comme dans les éloges, l'auteur met un ton de franchise tel qu'on n'est pas même tenté de soupçonner sa bonne foi. Alors qu'a-t-on de plus à lui demander? S'il a vu ce qu'il rapporte, et s'il n'a vu que ce qu'il rapporte;

s'il a senti ce qu'il dit avoir senti; lui proposera-t-on de changer ses organes, de refondre son cœur ?

En général, nous trouvons dans les idées de M. L. C. je ne sais quoi de vague, qui passe dans son expression, où quelquefois le sens, qui va se cacher derrière les mots, demande qu'on le devine. L'ambition des formes lui fait un peu négliger le fond; ce qu'un autre aurait tranché, il le dénoue. Or, tout cela tient à une manière qui peut se réformer. Nous avons aussi rencontré un assez bon nombre de locutions hasardées et au moins hétéroclites, comme « des évé> nemens qui refusent les moyens de s'absorber dans » des ouvrages; la philosophie d'un siècle qui défaille » à une de ses plus belles tâches; un homme éloquent » qui impose sa pensée à tout un peuple; un individu » de ce peuple qui se sent pressé de jeter au dehors » l'agitation qui le consume; des coupables prêts à » tomber dans la haine publique, etc., etc. » Ces observations, que nous soumettons à l'auteur luimême, à qui nous croyons les devoir, nous autorisent à dire que, malgré quelques taches, on peut profiter à la lecture de son livre, où il y a d'excellentes choses. Cette prétention à la gloire même, que peut-être il affiche trop, n'est pas blâmable quand elle est justifiée, et ici on aimera à voir comment elle l'est.

F***.

« PreviousContinue »