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BIBLIOTHÈQUE

DU BARREAU

ET DES ÉCOLES DE DROIT.

PREMIÈRE PARTIE.

Œuvres de M. LA CRETELLE aîné, ci-devant avocat au Parlement, membre de l'Institut national de France.

OUVRAGES JUDICIAIRES (1).

L'AUTEUR qui s'est fait, dans la république des lettres, un nom dont le choix de l'Institut national vient de sanctionner la célébrité, mérite bien que nous débutions, dans ce journal, par l'examen de son ouvrage.

Il est aisé sans doute de se former un tribunal, de s'ériger en juge, et de peser dans la balance de la critique, le talent des écrivains ; mais ce qui n'est pas si facile, c'est de tenir cette balance d'une main sûre, de ne laisser glisser dans les bassins ni prévention, ni humeur, ni envie d'amuser le lecteur aux

(1) 2 vol. in-8°.; prix, 10 fr., et 13 fr. 50 c. par la poste. Chez Duminil-Lesueur, libraire, rue de la Harpe, no. 78.

dépens de la production; et de n'y mettre, enfin, que ce que la main de l'impartialité attentive peut avoir recueilli de beautés ou d'imperfections en analisant.

La plupart des journalistes ne songent pas assez que c'est au public qu'il leur est ordonné d'indiquer les beautés, et que c'est pour l'auteur qu'ils signalent les imperfections; ils aiment mieux, en agissant dans un sens contraire, amuser la malignité de l'un, et affliger l'amour-propre de l'autre.

Bayle lui-même, ce docte Bayle qu'on leur propose pour modèle, ne s'est pas toujours soustrait à l'empire de cette causticité qui semble s'insinuer dans l'âme de presque tous les écrivains de ce genre. Notre bon La Fontaine nous servira de garant sur ce point :

Bayle est, dit-on, fort vif, et s'il peut embrasser
L'occasion d'un trait piquant et satirique,

Il la saisit, Dieu sait ! en homme adroit et fin,

Tout faiseur de journaux doit tribut au malin.

(Lettre à M. Simon.)

Quant à nous, pénétrés de la vérité de l'autre maxime, nous espérons qu'on trouvera que nous l'avons sévèrement pratiquée.

<< S'il se pouvait, dit dans sa préface M. La Cretelle, » en annonçant trois nouveaux volumes sur la Poli»tique, qu'en ajoutant deux volumes d'ouvrages > judiciaires à trois volumes de philosophie, cha

> cun de ces recueils parût avoir quelque chose du » mérite qui doit lui être propre; s'il se pouvait » qu'en ayant voulu, d'après de beaux exemples, > appliquer l'esprit philosophique à l'étude des lois, » et le talent littéraire aux objets du Barreau, je » n'eusse pas méconnu les rapports et les règles justes » et heureuses de cette union, je pourrais me flatter » de n'être pas resté tout-à-fait au dessous de mes

>> vœux.

» Je désirerais qu'il me fût donné de contribuer à » déprévenir les gens du monde, de l'idée que les >> discussions sur les lois n'offrent rien qui puisse >> attacher leur esprit.

» Je désirerais concourir à persuader aux gens » de lettres, etc.

» Je désirerais rappeler aux hommes du Bar>> reau, etc.

» Le plus cher de mes vœux serait surtout de » mériter l'attention studieuse des élèves de nos » Ecoles de Droit, etc. >>

Et dans sa préface de l'Esprit des Lois, Montesquieu avait dit : « Si je pouvais faire en sorte que > tout le monde eût de nouvelles raisons pour aimer > ses devoirs, son prince, sa patrie, ses lois, etc., » me croirais le plus heureux des mortels. >>

je

« Si je pouvais faire en sorte que ceux qui com› mandent augmentassent leurs connaissances sur ce » qu'ils doivent prescrire, et que ceux qui obéissent » trouvassent un nouveau plaisir à obéir, je me croi» rais le plus heureux des mortels. »

« Je me croirais le plus heureux des mortels si je »pouvais, etc. >>

En se calquant sur Montesquieu, M. de La Cretelle a fort bien choisi, et il ne pouvait rien faire de mieux que de commencer sa préface comme Montesquieu a terminé la sienne.

Des conseils à un jeune avocat sur l'éloquence judiciaire, où, d'abord, on discute si l'éloquence convient au barreau, viennent à la suite de la préface.

Cette importante question, traitée avec intérêt et tout le développement dont elle est susceptible, est résolue pour l'affirmative. L'auteur, qui ne serait pas éloigné de bannir l'éloquence des tribunaux chez un peuple simple et de mœurs patriarchales, prétend que, dans notre état de civilisation actuel, il faut opter entre la chicane et l'éloquence ; et il donne la préférence à celle-ci. Il dicte ensuite à l'avocat novice des règles pour réussir. Il doit se proportionner à son sujet, bien étudier sa cause, éviter tout écart, songer que, pour se faire mieux comprendre, il faut se faire écouter avec plaisir; être toujours soi, n'employer jamais de faux, ni même de faibles moyens ; se rendre maître de sa matière ; raisonner plus encore que citer; éviter les ornemens déplacés autant que la sécheresse; employer une gravité qui n'épouvante point les grâces; se défendre de l'emportement et des déclamations effrontées. Mais faut-il parler d'abondance, ou apprendre par cœur son plaidoyer? Démosthènes et Cicéron, ont suivi cette dernière méthode. En général, nos avocats improvisent; le ta

bleau de l'effet qu'ils produisent, est tracé de main de maître.

Naturellement, celui d'un discours travaillé, écrit et lu, vient lui servir de pendant. Cette espèce d'éloquence, dit-il, étonne; mais elle satisfait peut-être davantage, De la comparaison qu'il en fait avec l'autre, naît l'idée d'un moyen terme : ce serait d'écrire son plaidoyer, de le savoir assez bien pour pouvoir, de temps en temps, se passer de son cahier, y ajouter ou y retrancher, selon les occurrences.

De l'éloquence, M. La Cretelle passe à la jurisprudence, à la manière de l'étudier, aux hommes qui en ont écrit, qu'il relègue généralement dans la classe des gens médiocres. Ne pensez jamais, dit-il, qu'on puisse être jurisconsulte sans philosophie, ni orateur sans littérature.

Il représente, d'une manière énergique et touchante, le sort d'un avocat vétéran dans sa retraite. « C'est là que l'infortuné reçoit des consolations, » l'ignorant des conseils, l'opprimé des secours ; que » la chicane et l'iniquité sont toujours dévoilées et » proscrites; que la connaissance des hommes s'unit » à celle des lois pour étouffer les desseins funestes et » désarmer les passions; que l'homme obstiné et >> l'homme dur s'étonnent quelquefois d'avoir fait des » sacrifices, l'un à la raison, l'autre à l'humanité; » et que des ennemis arrivent avec des paroles de >> vengeance, et se donnent des paroles de paix, etc. » Son dernier conseil à son élève est de conserver toujours une sorte de respect pour le mérite même de ses

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