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Macdonald. Arrivé à Taurogen, il conclut, avec le corps russe qui le poursuivait, un arrangement par lequel il entra dans ses rangs [30 déc.]. Macdonald, avec cinq à six mille Français, eut à peine le temps de repasser le Niemen. Alors Murat quitta à la hâte Koenigsberg, Elbing, Marienberg: nos soldats se culbutèrent en désordre sur la Vistule, et les Russes profitèrent des immenses ressources que nous abandonnions. Le roi de Prusse protesta contre la défection de son général, et ordonna la levée d'un nouveau contingent, en déclarant qu'il persistait dans l'alliance française; mais en même temps il s'en alla à Breslau à la rencontre des Russes, et appela aux armes toute la population virile de ses États. C'était, en réalité, donner à la Prusse le signal de l'insurrection contre les Français: aussi l'agitation fut-elle si grande, que Murat, perdant la tête, laissa vingt mille hommes dans les places de la Vistule, et précipita sa retraite jusqu'à Posen. Là il abandonna le commandement au prince Eugène, pour aller sauver, disait-il, son royaume de Naples [1813, 16 janv.]. Les Français se jetèrent derrière l'Oder; Macdonald laissa dans Dantzig les débris de plusieurs corps, qui formèrent une armée de trente mille hommes de toutes nations et de toutes armes. Les Russes franchirent la Vistule [18 janv.]. Eugène prit d'une main ferme le commandement de l'armée, réduite à dix-sept mille hommes: il déploya la plus grande activité, tira de ses derrières des armes, des chevaux, des munitions, approvisionna les places de l'Oder, pressa les renforts qui commençaient à arriver sur l'Elbe, et parvint à tenir les Russes en respect. Mais deux nouvelles défections rendirent ses efforts inutiles. Le corps de Bulow, que le roi de Prusse rassemblait vers Stettin, pour remplacer celui d'York, traita avec Wittgenstein, et livra le passage de l'Oder. D'un autre côté, Schwartzemberg abandonna Varsovie, se retira dans la Gallicie et fit une trêve avec les Russes [22 janv.] pendant que Reynier et les Saxons se retiraient sur Kalisch. « L'Autriche semblait nous faire grâce, écrivait notre ambassadeur à Vienne, en hésitant à se déclarer contre nous. » Alors Eugène, débordé sur ses deux flancs, quitta Posen [12 févr.], laissa des garnisons dans Stettin, Custrin et Glogau, et arriva à Berlin. Il trouva le général Grenier avec dix-huit mille hommes venus d'Italie. Mais déjà les Cosaques se montraient devant cette ville, et la Prusse était dans la plus grande agitation. Alors Eugène évacua Berlin

[6 mars], laissa garnison à Spandau, et arriva sur l'Elbe. Il y trouva les noyaux de trois corps d'armée commandés par Lauriston, Victor et Macdonald, outre celui de Reynier qui avait marché de Kalisch par Glogau à Dresde; ses forces s'élevaient à quarante mille hommes. Il s'arrêta, le centre à Leipzig, la gauche à Magdebourg, la droite à Dresde, et attendit des renforts. La retraite était terminée [9 mars].

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§ I. NAPOLÉON A Paris. CONSPIRATION DE MALLET. APPRÊTS DE GUERRE. - Napoléon arriva à Paris vingt-quatre heures après que son vingt-neuvième bulletin y eut répandu la consternation [1812, 10 décembre]. Il se mit au travail avec une activité, une vigueur d'esprit, une force de pensée qui semblaient plus grandes que jamais; et il annonça « que, dans le courant de février, unė réserve de trois cent mille hommes viendrait se réunir à la grande armée, et que la campagne prochaine s'ouvrirait avec des forces doubles de celles qui avaient combattu la campagne dernière. » Le sénat lui accorda cent mille hommes de garde nationale, cent mille hommes pris sur les conscriptions de 1809 à 1812, et cent cinquante mille hommes de la conscription de 1814. Le corps législatif fut convoqué pour régler les finances [1813, 14 février]; et il pourvut au déficit des deux années précédentes et aux besoins extraordinaires de l'année actuelle en décrétant la vente des biens-fonds appartenant aux communes, et dont la valeur était de 370 millions. Les communes reçurent en échange des inscriptions de rente sur le grand-livre.

Ces sacrifices furent faits avec résignation et sans murmure; la campagne de Russie n'avait pas affaibli la puissance de l'empereur, quoique l'opinion publique fît peser sur lui toute la responsabilité de ce grand désastre, quoiqu'elle eût réprouvé vivement qu'il eût abandonné son armée : la machine administrative était si parfaitement établie, qu'elle n'en avait éprouvé aucune perturbation; de toutes parts arrivaient des adresses pleines de dévouement, où les habitants de Rome et de Hambourg, comme ceux de Lyon et de Paris, déclarèrent à l'empereur qu'ils étaient

» résolus à tous les sacrifices pour qu'il achevât la grande œuvre qui lui avait été confiée par la Providence. » Cependant un événement étrange avait révélé la faiblesse du gouvernement impérial et démontré qu'il n'était que la dictature d'un grand homme. A l'époque où commençait la retraite de Moscou, un général républicain, Mallet, détenu pour complot politique, conçut le projet audacieux de renverser seul le gouvernement; tout son plan reposait sur ce mot: L'empereur est mort. Avec un faux sénatus-consulte, de fausses lettres de service [1812, 16 oct.], il se fit suivre par deux bataillons de la garnison de Paris, s'empara des postes, du Trésor, de l'Hôtel de ville, mit en prison le ministre de la police Savary, le préfet de police Pasquier, et les remplaça par deux aides de camp de Moreau. Il n'échoua qu'à l'état-major de la place, où il fallut employer la force contre le général Hullin, et il fut arrêté. Traduit devant une commission militaire, il fut condamné et fusillé avec treize autres personnes dont tout le crime était d'avoir trop facilement obéi à ce conspirateur audacieux.

Napoléon fut effrayé de ce coup de main : il y avait, dans la plate attitude des fonctionnaires, la docilité machinale des troupes, l'indifférence des citoyens, la résignation de tout le monde, la plus terrible leçon pour le gouvernement, une désolante révélation de l'état secret de la France, et l'explication de la révolution de 1814. « Au premier mot de ma mort, dit-il, sur l'ordre d'un inconnu, des officiers mènent leurs régiments forcer les prisons, se saisir des premières autorités! Un concierge enferme les ministres sous les guichets ! Un préfet de la capitale, à la voix de quelques soldats, se prête à faire arranger sa grande salle d'apparat pour je ne sais quelle assemblée de factieux, tandis que l'impératrice est là, le roi de Rome, mes ministres et tous les grands pouvoirs de l'État! Un homme est-il donc tout ici? les institutions, les serments, rien? >>

Il chercha par tous les moyens à s'assurer la faveur populaire : il parcourut les faubourgs, visita les ateliers, s'entretint avec les ouvriers; il fut accueilli avec enthousiasme par le peuple, qui ne variait pas dans son admiration pour lui, et le regardait toujours comme le symbole de la grandeur de la France (1); il fit continuer

:

(1) Ma popularité est immense, incalculable, disait-il au conseil d'État car, quo iqu'on veuille dire, partout le peuple m'aime et m'estime; son gros bon sens

les grands travaux d'art et d'utilité commencés depuis dix ans, et s'occupa d'améliorations intérieures; il présenta au corps législatif un magnifique exposé de la situation de l'empire, duquel il résultait qu'en douze ans un milliard avait été dépensé pour travaux publics (1). Enfin il chercha à mettre un terme aux querelles religieuses qui avaient tourné tout le clergé contre lui et indisposé une grande partie de la population. Il alla à Fontainebleau, ou le pape avait été transféré en 1812, et conclut avec lui un concordat sur les bases établies par le concile de Paris [1813, 25 janvier]. Il fut convenu que Pie VII résiderait à Avignon ; et l'empereur déclara qu'il n'avait traité avec lui que comme chef de l'Église, et sans rien préjuger sur les États romains. Le pontife fut rendu à la liberté, et les cardinaux revinrent auprès de lui; mais la papauté se trouva entièrement dans la dépendance du représentant de la révolution. Alors Pie VII se repentit et envoya à l'empereur une rétractation, où il disait que sa conscience s'opposait à l'exécution de ce concordat, «< signé inconsidérément et par fragilité humaine.» Le concordat était publié; Napoléon regarda cette rétractation comme non avenue; le pape resta à Fontainebleau, et l'opposition du clergé devint de plus en plus menaçante.

Pendant ce temps les apprêts de guerre continuaient: en trois mois six cents canons, deux mille caissons, soixante-dix compagnies de canonniers et six régiments d'artillerie avaient été envoyés sur l'Elbe; les cadres de cent bataillons, quatre régiments de la garde et deux régiments de cavalerie avaient été tirés d'Espagne; la gendarmerie fournissait trois mille officiers et sous-officiers pour reformer la cavalerie. L'empereur obtint encore du sénat quatre-vingt mille hommes de garde nationale, quatre-vingt-dix mille hommes de la conscription de 1814, destinés à la défense des frontières du Midi; enfin dix mille gardes d'honneur, sorte d'otages demandés aux familles nobles, l'emporte sur la malveillance des salons et la métaphysique des niais. Il me suivrait en opposition de vous tous. C'est qu'il ne connaît que moi; c'est par moi qu'il jouit sans crainte de tout ce qu'il a acquis; c'est par moi qu'il voit ses frères. ses fils, indistinctement avancés, décorés, enrichis; c'est par moi qu'il voit ses bras facilement et toujours employés, ses sueurs accompagnées de quelques jouissances.» (Las-Cases, t. v, p. 345.)

(1) Palais impériaux, 62 millions; fortifications, 144; ports, 117; routes, 227; pouts, 31; canaux et desséchements, 123; travaux de Paris, 102; édifices publics des départements, 149.

qui devaieni s'habiller, s'équiper et se monter à leurs frais. Deux cent mille hommes se dirigeaient sur l'Elbe, cent mille allaient les suivre; la confédération du Rhin préparait ses contingents; enfin l'on comptait que l'Autriche allait doubler son corps auxiliaire.

§ II. APPRÊTS DE LA COALITION. ALLIANCE DE LA PRUSSE ET DE LA RUSSIE.-DISPOSITIONS DE L'AUTRICHE. La coalition faisait aussi ses apprêts pour la grande lutte qui semblait devoir être la dernière : l'Angleterre resserra son alliance avec la Russie; elle fit un traité avec la Suède, par lequel elle prit à sa solde trente mille hommes que devait commander Bernadotte; elle jeta des proclamations en Allemagne, et soudoya les socićtés secrètes; elle somma le roi de Prusse d'entrer dans la coalition, en le menaçant d'établir un gouvernement provisoire dans ses États; elle sollicita l'Autriche de se venger de ses défaites, en lui offrant l'Italie, en lui assurant « que l'Allemagne était prête à se soulever contre la France, que la France était elle-même à la veille d'une grande révolution. (1) » Des résolutions de la Prusse et de l'Autriche dépendait le succès de la lutte.

La Prusse, pour gagner du temps, avait proposé une trêve entre la Russie et la France, et offert même sa médiation. Napoléon la rejeta. Alors Frédéric-Guillaume signa secrètement avec Alexandre [1813, 22 février] un traité d'alliance « pour rendre l'indépendance à l'Europe et rétablir la Prusse dans ses limites de 1806: » la Russie mettait sur pied cent cinquante mille hommes, et là Prusse quatre-vingt mille; elles ne devaient pas faire de paix séparée; la Russie s'engageait à faire obtenir à la Prusse les subsides de l'Angleterre. La Prusse n'en continua pas moins à négocier avec la France sur les bases de l'alliance, et tout à coup elle lui déclara la guerre [17 mars]. Deux jours après, Alexandre et Frédéric conclurent la convention de Breslau, par laquelle tous les princes allemands étaient appelés à concourir à l'affranchissement de la patrie, sous peine d'être privés de leurs États; la confédération du Rhin fut déclarée dissoute; un conseil fut créé pour administrer au profit des alliés les provinces conquises, et organiser la levée en masse dans les États de la confédération; ordre fut donné au landsturm de

(1) Dépêches de l'ambassadeur de France à Vienne.

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