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quarante-cinq furent « mis en liberté par jugement du peuple » (ce sont les termes du registre des écrous, qui existe encore); trente-deux furent « condamnés à mort par jugement du peuple et exécutés sur-le-champ. » En outre, vingt-sept prêtres furent massacrés après qu'on leureut simplement demandé le serment, qu'ils refusèrent. Les condamnés étaient poussés de la salle du tribunal dans la cour, où ils étaient hachés à coups de sabres et de piques, au milieu des cris furieux d'une multitude de spectateurs. Les acquittés étaient embrassés par les sanglants exécuteurs au cri de: Vive la nation! et reconduits chez eux. L'un des membres de la commune, Billaud-Varennes, marchant sur les cadavres, criait aux meurtriers : « Vous sauvez la patrie! braves citoyens, continuez votre ouvrage. » Et il leur fit distribuer du vin et leur promit 24 livres à chacun « pour son travail. »

Le massacre continua pendant les trois jours suivants avec une sorte de régularité, au Châtelet, à la Force, aux Bernardins, à Bicêtre. A la Force, sur trois cent soixante-quinze prisonniers, il y eut cent soixante-sept condamnés. C'était Hébert, membre de la commune et rédacteur du journal le plus infâme, le Père Duchéne, qui présidait l'affreux tribunal, et c'est là que périt la princesse de Lamballe, la malheureuse amie de Marie-Antoinette: son cadavre fut déchiré en lambeaux, et sa tête, promenée dans Paris, fut portée jusque autour du Temple. Pétion courut' à cette prison et essaya vainement d'arrêter le massacre : « Les hommes qui jugeaient, dit-il, et les hommes qui exécutaient, avaient la même sécurité que si la loi les eût appelés à remplir' ces fonctions; ils me vantaient leur justice, leur attention à distinguer les innocents des coupables, les services qu'ils avaient rendus; ils demandaient à être payés du temps qu'ils avaient passé! »

Le nombre des victimes fut, selon un historien royaliste, de mille quatre-vingt-douze. Il n'y eut pas que des détenus politiques qui périrent, il y eut aussi des criminels ordinaires : ainsi, au Châtelet, cent quatre-vingt-neuf périrent, quarantequatre furent mis en liberté. De même, « on se transporta à Bicètre, dit un journal, avec des pièces de canon, parce que le bruit courut qu'il y avait des armes : on procéda à l'épurement de cette maison de force avec le même ordre qu'on avait observé dans celles de Paris. Les prisonniers pour dettes furent élargis; beaucoup de citoyens, que leur misère avait relégués

là, ne coururent aucun danger; mais tout le reste tomba sous les coups de sabre, de pique, de massue du peuple-Hercule nettoyant les étables du roi Augias. Il y eut beaucoup de monde de

tué (1). »

Pendant ces exécutions, Paris était dans la stupeur; mais pas une main, dans une ville de cinq cent mille habitants, ne se leva contre cinq à six cents assassins! La garde nationale, déjà désorganisée par Santerre, était embarrassée d'ordres contradictoires, en partie occupée au Champ-de-Mars, en partie complice des massacres. L'Assemblée, terrifiée, envoya à l'Abbaye une députation qui fut repoussée avec des menaces, et elle se tint dans un lâche silence. Roland supplia Pétion d'interposer son autorité, mais Pétion fut partout désobéi; il somma Santerre de requérir la garde nationale, Santerre refusa; il rendit la commune responsable des massacres, le comité de surveillance lança contre lui un mandat d'arrêt qui aurait été exécuté sans l'opposition de Danton. Danton, qui détestait comme homme ce qu'il avait conseillé comme révolutionnaire, « couvrait sa pitié sous des rugissements, et dérobait à droite et à gauche autant de victimes qu'il lui était possible (2). »

Le massacre ne cessa que le 6 : les prisons étaient vides. La commune avoua le crime en payant les exécuteurs (3), et le comité de surveillance écrivit à toutes les communes de France une circulaire où l'on lisait : « Prévenue que des hordes barbares s'avançaient contre elle, la commune de Paris se hâte d'informer ses frères de tous les départements qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple, actes de justice qui lui ont paru indispensables pour retenir par la terreur les légions de traîtres renfermées dans ses murs au moment où il allait marcher à l'ennemi; et, sans doute, la nation, après la longue suite de trahisons qui l'a conduite sur les bords de l'abîme, s'empressera d'adopter ce moyen si utile et si nécessaire, et tous les Français se diront comme les Parisiens: Nous marchons à l'ennemi, et nous ne

(1) Révolutions de Paris, no 165.

(2) Mém. de Garat. Hist. parlem., t. xvIII, p. 448.

(3)

Mandat de quarante-huit livres au profit de..... pour prix du temps qu'ils ont mis à l'expédition des prêtres de Saint-Firmin, pendant deux jours, suivant réquisition faite par la section des Sans-Culottes qui les a mis à l'ouvrage. »

laissons pas derrière nous des brigands pour égorger nos femmes et nos enfants (1). »

L'horrible conseil ne fut écouté que dans cinq villes : à Reims il y eut huit victimes; à Meaux quatorze; à Lyon onze; à Orléans trois. Un décret de l'Assemblée avait ordonné le transport à Saumur des individus traduits devant la haute cour d'Orléans : quinze cents Marseillais et volontaires allèrent les chercher, mais pour les conduire à Paris, et, arrivés à Étampes, ils se détournèrent, dit-on, par des ordres secrets, sur Versailles [9 septembre]. La municipalité de cette ville, sur le bruit qui se répandit du projet d'un massacre, résolut de loger les prisonniers hors des murs, dans le bâtiment de la ménagerie, sur la route de Saint-Cyr; mais le cortége, venu de Jouy, et ayant traversé Versailles, fut arrêté à la grille de l'Orangerie par le peuple et l'escorte, qui fermèrent cette grille. Alors le maire Richaud fit descendre le cortége par la rue de l'Orangerie, pour mener les prisonniers à l'Hôtel de ville; mais à peine la première voiture était-elle arrivée à la rue Satory, que les volontaires se jetèrent sur les prisonniers et les massacrèrent au nombre de quarante-six sept s'échappèrent. Parmi les victimes étaient le ministre de Lessart et le duc de Brissac. De là les assassins se portèrent aux prisons et tuèrent vingt-trois individus détenus pour crimes ordinaires.

§ V. EXCÈS DE LA COMMUNE. Après ces horribles journées, la commune fut plus que jamais maîtresse de Paris, de l'Assemblée, de toute la France, et l'anarchie fut à son comble. Elle envoya des commissaires dans les départements pour exciter les municipalités à suivre son exemple; elle domina les élections à la Convention, et fit nommer à Paris Robespierre, Danton, Marat, Desmoulins, Panis, Sergent, Billaud-Varennes, Legendre, le duc d'Orléans, qui se faisait appeler Philippe-Egalité, etc.; elle favorisa tous les désordres et se livra à tous les excès. Ses membres, surtout ceux du comité de surveillance, dont les vols sont attestés (2), dévastèrent les propriétés nationales, dilapidèrent les fonds publics, et contribuèrent, dit-on, au pillage du

(1) Signé Duplain, Panis, Sergent, Lenfant, Marat, Dufort, Jourdeuil.

(2) Par un arrêté de la commune du 10 mai 1793, qui autorise des poursuites contre eux pour bris de scellés, violations, dilapidations de dépôts, fausses déclarations et autres infidélités. »

Garde-Meuble, dont le trésor disparut en grande partie, sans que les auteurs de ce crime aient été découverts. Ils s'emparèrent des richesses des églises, du mobilier des émigrés, des dépouilles des victimes de septembre; ils refusèrent de rendre des comptes à aucune autorité. La démocratie la plus hideuse disposa de la vie et des biens des citoyens. Les prisons se remplirent de quatre à cinq cents suspects. Les bandits ordinaires. eurent libre carrière, et l'on en vit, dans les promenades, arrachant les bijoux des femmes, pour en faire, disaient-ils, don à la patrie. Plus de sûreté individuelle, plus de force publique. La garde nationale, recomposée par un décret de l'Assemblée, sous le nom de sections armées, était entièrement désorganisée; tous les citoyens riches et honnêtes l'avaient abandonnée : il n'y avait plus que des compagnies de piques.

un

Roland, devant tant de désordres, succombait à la peine : il dévoilait courageusement tous les excès de la commune, il osait parler contre les massacres des prisons, il faisait entendre le premier cri des départements contre le despotisme de Paris : « La Convention, disait-il, ira s'établir au delà de la Loire si la capitale n'offre pas à ses membres sûreté et liberté. »>

Les Girondins se ranimèrent pour secouer le joug de « ces brigands revêtus d'écharpes municipales. » Vergniaud appela les massacres des prisons une boucherie de chair humaine. «<Les Parisiens, dit-il, ne sont plus esclaves des tyrans couronnés; mais ils le sont des hommes les plus vils, des plus détestables scélérats. Il est temps de briser ces chaînes honteuses, d'écraser cette nouvelle tyrannie... Périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire si elle épargne un crime qui imprimerait une tache ineffaçable au nom français, si sa vigueur n'apprend aux nations de l'Europe que, malgré les calomnies dont on cherche à flétrir la France, il est encore, et au sein même de l'anarchie momentanée où des brigands nous ont plongés, il est encore dans notre patrie quelques vertus publiques, et qu'on y respecte l'humanité ! » L'Assemblée défendit d'obéir aux commissaires de la commune; elle les rendit responsables sur leur tête de la sûreté des prisonniers; elle ordonna à tous les citoyens de résister par la force à toute visite domiciliaire. Tout cela ne fit qu'augmenter l'anarchie sans rendre à l'Assemblée son pouvoir; elle fut même obligée, ses membres étant menacés d'assassinat à leur sortie de fonctions, de mettre leur vie sous la garde de

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la nation. La commune continua ses excès et ses tyrannies, et l'on n'eut plus d'espoir que dans la Convention.

§ VI. CAMPAGNE de Dumouriez dans l'Argonne.

DE VALMY. RETRAITE DES PRUSSIENS.
CONQUÊTE DE LA Savoie et de NICE.

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CANONNADE

PRISE DE MAYENCE. Cependant Verdun s'était

rendu malgré le gouverneur Beaurepaire, qui, désespéré de la lâcheté de la garnison, se brûla la cervelle. Mais le duc de Brunswick mettait toujours dans sa marche la même lenteur, la même indécision; il n'approuvait pas le plan d'invasion; il trouvait la France autrement disposée que ne le disaient les émigrés; il était imbu des idées méthodiques de la guerre de Sept-Ans; et quand, après Verdun, il n'avait plus d'obstacles à redouter jusqu'à Paris, il s'arrêta, s'étendit le long de la Meuse, et perdit huit jours.

A la nouvelle de la prise de Longwy, Dumouriez, abandonnant son plan d'invasion de la Belgique, accourut à Sedan, où il trouva l'armée de La Fayette désorganisée, pleine d'inquiétude, regrettant son général, et détestant celui qui le remplaçait. Il assembla un conseil de guerre : tous les généraux furent d'avis de reculer derrière la Marne, d'y ramener les armées du Nord et de l'Est, et de s'y retrancher en attendant des renforts. Ce ne fut pas l'avis de Dumouriez, qui, en examinant sur la carte les hauteurs de l'Argonne couvertes de bois, coupées de marais et de ruisseaux, ouvertes seulement par cinq défilés, jugea qu'elles pouvaient devenir les Thermopyles de la France (1), et résolut d'y prévenir les ennemis, qui s'arrêtaient si absurdement sur la Meuse. Mais les Prussiens étaient postés à deux lieues à peine de l'entrée de ces défilés, pendant que Dumouriez, qui se trouvait alors à l'extrémité septentrionale de l'Argonne, avait douze lieues à faire pour gagner les défilés des Islettes et de Grand-Pré, lesquels ouvraient, le premier la route de Châlons, le deuxième la route de Reims. Cependant il se mit en marche [31 août], et, au lieu de passer derrière l'Argonne, cé qui aurait dévoilé son plan à l'ennemi, il osa passer entre l'Argonne et la Meuse, devant les Prussiens et sur un terrain occupé par leurs premiers postes. Dillon, qui commandait l'avant-garde, forte de huit mille hommes, fit réussir cette manœuvre téméraire: il poussa vivement sur Stenay, rejeta l'en

(1) Voy. ma Géographie militaire, p. 144 de la 4 édition.

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