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nemi derrière la Meuse, et, poursuivant rapidement sa marche, arriva aux Islettes, occupa le défilé et garnit le passage secondaire de la Chalade. Dumouriez suivait Dillon avec quinze mille hommes et s'arrêta à Grand-Pré [4 sept.], où il se retrancha fortement entre l'Aire et l'Aisne, en garnissant le passage secondaire de la Croix-aux-Bois. Enfin quatre mille hommes appelés de l'armée du Nord et dix-huit cents gardes nationaux de Reims occupèrent le défilé septentrional du Chêne-Populeux. Ainsi Dumouriez tenait tous les passages de l'Argonne avec moins de trente mille hommes, dont moitié au centre, huit mille à droite et six mille à gauche. De plus, il fit ordonner à Kellermann de venir avec vingt-deux mille hommes, par Bar-le-Duc et Ligny, opérer sur le flanc des Prussiens et se joindre à lui vers Sainte-Menehould; il commanda à Beurnonville de se rendre à Rhétel avec seize mille hommes, et de là, s'il le fallait, à Grand-Pré. Enfin, il fit concentrer dans les camps de Châlons et de Reims et, en arrière, dans celui de Meaux, tous les renforts sortis de Paris et qui étaient poussés par Servan avec la plus intelligente activité. Cent mille hommes se trouvaient donc échelonnés de l'Argonne à la capitale. Les bataillons de volontaires partisans commençaient à arriver; l'armée était pleine d'ardeur; Dumouriez avait gagné, par sa fermeté et son audace, la confiance des soldats.

Les Prussiens, voyant la faute qu'ils avaient faite en laissant occuper l'Argonne par toute une armée, se mirent à attaquer les défilés et furent partout repoussés [10 septembre]. Mais, trompé par ces démonstrations qui menaçaient sa gauche, Dumouriez dégarnit la Croix-aux-Bois, qu'il jugeait très-secondaire; aussitôt les ennemis occupèrent ce défilé, et firent échouer tous les efforts des Français pour le reprendre [13 sept.]. Cette manœuvre des Prussiens était décisive : le corps qui gardait le Chêne-Populeux étant attaqué de front et se voyant coupé de Grand-Pré, se retira par Attigny et Snippe sur Châlons; l'Argonne se trouva franchie, et Dumouriez, avec quinze mille hommes, allait être tourné au Nord par vingt-cinq mille Autrichiens, attaqué de front par quarante mille Prussiens, enfermé entre deux rivières et forcé de se rendre. Dans ce grand danger, il garda son sang-iroid et ce çut le plan le plus bardi: il ne voulait pas abandonner un terrain si favorable à la défensive pour se retirer derrière la Marne, en plaine, dans un pays

où il ne pourrait résister aux masses disciplinées de l'ennemi ; il résolut de laisser les Prussiens s'emparer de la route de Châlons, mais de se placer derrière eux, d'occuper leurs communications, de les enchaîner, pour ainsi dire, dans leur élan vers la capitale. Profitant du retard que mettait l'ennemi à sortir de la Croixaux-Bois pour tourner sa position, il décampe pendant la nuit [10 septembre], traverse l'Aisne, arrive à Autry, et, sans s'inquiéter des coureurs prussiens qui jettent la terreur dans son arrière-garde, il remonte la rivière jusqu'à Sainte-Menehould; puis il prend position devant la route de Châlons, la droite appuyée à l'Aisne, la gauche à des étangs, s'adossant à la ville et au corps de Dillon, auquel il ordonne de tenir dans les Islettes jusqu'à la dernière extrémité. Dans cette position extrordinaire où il fait face à Paris, en laissant toute liberté à l'ennemi de venir se placer devant lui et par conséquent de faire face au Rhin, il voit arriver Beurnonville, auquel il a donné l'ordre de le joindre par Châlons, et il attend Kellermann, dont la mai che est très-lente, mais qui doit lui former une armée de soixantedix mille hommes; de plus deux camps, de dix mille hommes chacun, s'établissent sur la Suippe et devant Châlons, et ils se renforcent continuellement des volontaires de Paris.

Cependant les Prussiens avaient passé l'Aisne à Vouziers, remonté la rivière, occupé la route de Châlons; mais, au lieu de se porter sur cette ville, ils avaient fait face à Dumouriez, le croyant tourné, comptant le forcer à mettre bas les armes, et ils étaient résolus à lui livrer bataille, pour l'empêcher, disaientils, de « sortir du piége. » Mais les Français n'avaient aucunement l'envie de s'ouvrir la route de Châlons; d'ailleurs, il leur restait celle de Vitry, par laquelle Kellermann arriva le 19. Des le lendemain, une violente canonnade s'engagea entre les deux armées et sans résultat [20 sept.]. Alors le duc de Brunswick dirigea trois colonnes d'attaque contre le corps de Kellermann posté au moulin de Valmy. Nos jeunes soldats regardaient ces vieilles troupes avec indécision, lorsque Kellermann leur ordonna de inarcher à l'ennemi la baionnette en avant; et, se mettant à leur tête: « Vive la nation! » s'écria-t-il. Toute l'armée s'ébranla en répétant ce cri avec enthousiasme : les Prussiens s'arrêtèrent et le duc de Brunswick les fit rentrer dans leurs positions. La révolution, qui n'était, au dire des émigrés, qu'une cohue de savetiers et une anarchic sans nom, s'était

montrée à la coalition jeune, ardente, aussi bien armée que sagement disposée : « elle fut jugée, et ce chaos jusque-là ridicule n'apparut plus que comme un terrible élan d'énergie. »

La canonnade insignifiante de Valmy, qui coûta de part et d'autre huit à neuf cents hommes, eut pour la France tout l'effet d'une grande victoire. Le camp français était plein de joie, d'assurance et d'audace; il avait des vivres, il bravait la mauvaise saison, il attendait des renforts. « J'ai toujours l'avantage de la position, écrivait Dumouriez, soit que les ennemis marchent en avant, soit qu'ils tentent une retraite, soit qu'ils veuillent risquer une bataille. » L'armée prussienne était, au contraire, pleine d'incertitude et de tristesse; elle piétinait dans une boue argileuse; elle manquait entièrement de vivres; elle était ravagée par les maladies; elle avait perdu déjà vingt mille hommes. Le duc de Brunswick voyait tout le pays occupé et battu par les coureurs français, des camps de volontaires qui se formaient partout, Paris en révolution et ne reculant devant aucun excès, enfin Thionville qui venait de forcer les Impériaux à décamper; il ne pouvait ni rester où il était ni aller plus loin: il se décida donc à la retraite. Le roi de prusse y était d'ailleurs résolu, à cause des événements qui se passaient dans le Nord, où les Russes avaient envahi la Pologne pour y renverser la constitution de 1791, de concert avec l'Autriche, qui y envoya ses meilleures troupes: il se voyait la dupe de l'empereur, et ne pensait plus qu'à prendre sa part de la Pologne.

Les Prussiens décampèrent, repassèrent les défilés de l'Argonne, évacuèrent Verdun et Longwy, et sortirent de France 1er oct.]. Leur marche fut très-lente et très-faiblement inquiétée. Dumouriez ne songeait plus qu'à conquérir les PaysBas: il laissa le soin de la poursuite à Kellermann, qui était en mauvaise intelligence avec lui; enfin l'on croit qu'il avait conclu avec l'ennemi une convention secrète d'évacuation, qui fut ratifiée par le pouvoir exécutif et les commissaires de l'Assemblée nationale (1).

La facilité de retraite laissée aux Prussiens fut une grande faute; car, à cette époque, l'armée d'Alsace ayant obtenu d'éclatants succès, il eût été possible de leur fermer le retour sur le Rhin. En effet, les Impériaux ayant dégarni ce fleuve pour

(1) Mém. de Ilardemberg, t. 1, p. 483

renforcer l'armée qui assiégeait Thionville, Custine, qui commandait l'aile gauche de l'armée d'Alsace, prit l'offensive, s'empara sans obstacle de Worms et de Spire [21 oct.], et, bientôt après, de la grande place de Mayence, où il avait des intelligences. Les Prussiens craignirent qu'il ne descendît jusqu'à Coblentz, seul pont qu'ils eussent sur le Rhin, et ils se hâtèrent d'y arriver; mais Custine ne songeait nullement à eux : il prit Francfort, et courut sur le Mein pour révolutionner l'Allemagne, au risque de forcer la diète germanique à se déclarer ennemie. Dans le même temps, les hostilités avaient commencé aux deux extrémités de la ligne d'opérations des alliés, dans les Pays-Bas et sur les Alpes. - Dans les Pays-Bas, les Autrichiens, après avoir mis les Français en déroute au camp de Maulde [24 septembre], prirent position devant Lille; mais, au lieu d'assiéger cette ville régulièrement, ils la bombardèrent pendant douze jours et brûlèrent sept cents maisons. La défense héroïque des habitants et la nouvelle de la marche de Dumouriez sur les Pays-Bas forcèrent l'ennemi, après cette barbarie inutile, à repasser la frontière [8 oct.]. Sur les Alpes, Montesquiou, avec vingt mille hommes, envahit la Savoie [23 sept.], pays tout français de langue et de position, qui l'accueillit avec enthousiasme. En même temps, Anselme, avec six mille hommes, quelques vaisseaux et un million fourni par Marseille, entra dans le comté de Nice [28 sept.], en faisant croire aux Piémontais que sa troupe était l'avant-garde d'une armée de quarante mille hommes. Tout s'enfuit à son approche; Nice, le fort Montalban, Villefranche se rendirent avec d'immenses munitions, cent canons, des vaisseaux de guerre, etc.

La conquête de Nice et de la Savoie, la résistance de Lille, la prise de Mayence, complétèrent la glorieuse campagne de Dumouriez et jetèrent la stupéfaction dans toute l'Europe. La révolution se présenta à elle sous une nouvelle face et trouva partout de nombreux admirateurs; l'émigration fut désespérée; la France, pleine de la confiance la plus belliqueuse, sentit, pour la première fois, toute sa force; elle oublia ses maux, ne regarda plus que comme passagère l'anarchie présente, et mit tout son espoir dans la Convention nationale, qui s'était assemblée le lendemain même de la bataille de Valmy.

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§ I. SITUATION DES PARTIS.

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LA GIRONDE, LA MONTAGNE, LA Paris avait, depuis trois ans, gouverné la révolution

PLAINE. et envoyé au reste de la France son histoire et ses opinions toutes faites. Le reste de la France, tant que la révolution se maintint dans les voies de 1789, avait béni la courageuse initiative de la capitale; il avait accepté avec transport son influence, il avait secondé son mouvement de tous ses efforts; mais les départements, surtout ceux du Midi, empreints de leur esprit d'opposition éternelle à ceux du Nord, les départements, dont la constitution de 91 avait satisfait tous les vœux, et qui voyaient mal les dangers extérieurs de la révolution, commencèrent, au 10 août, à s'inquiéter de l'ardeur révolutionnaire de Paris; ils furent épouvantés de l'anarchie des quarante jours; ils s'indignèrent du despotisme sanguinaire que la commune

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