L'ou § I. LE PEUPLE A SEUL LA DIRECTION DE LA RÉVOLUTION. verture des états généraux se fit en grande pompe à Versailles, dans la salle des Menus-Plaisirs (1). Elle excita une ivresse générale, des transports d'enthousiasme, un attendrissement << dont le tableau ravissant, enchanteur, disent les contemporains, ne peut se retracer. » La joie brillait dans tous les yeux; toutes les mains s'unissaient; tous les cœurs battaient des plus généreux sentiments; il n'y avait plus de place pour les discordes et les haines; on ne voyait devant soi qu'un avenir immense de bonheur, de liberté et de gloire; on rêvait les plus magnifiques destinées pour la France : la révolution semblait (1) Située sur l'avenue de Paris, au coin de la rue des Chantiers. Le bâtiment n'existe plus. si facile à faire avec un peuple éclairé et sensible, des classes de citoyens qui paraissaient disposées à tous les sacrifices, un roi qui ouvrait l'assemblée par ces mots : « Tout ce qu'on peut attendre du plus tendre intérêt au bonheur public, tout ce qu'on peut demander à un souverain, le premier ami de ses peuples, vous pouvez, vous devez l'espérer de mes sentiments! >> Mais une révolution qui devait bouleverser radicalement un ordre social assis depuis huit siècles, remuer hommes et choses, religion et richesses, institutions et propriétés, changer même les passions, l'esprit, le caractère de la nation, une telle révolution ne pouvait être qu'une lutte, et la lutte fut la plus terrible dont parle l'histoire, parce que la direction en fut abandonnée entièrement au peuple. En effet, cette royauté que nous avons vue presque constamment, depuis le douzième siècle, inspirée si profondément du sentiment national, qu'elle a mérité le surnom glorieux de « Providence visible de la France, » cette royauté qui avait tant travaillé à amener les temps de la démocratie par sa politique de nivellement social et d'unité monarchique, se trouva tout à coup, quand ces temps furent arrivés, inerte, aveugle, et, pour ainsi dire, hébétée; elle ne sut prendre en rien l'initiative, et se laissa continuellement traîner à la remorque de l'opinion et des événements. C'est ainsi que nous l'avons vue forcée de renvoyer Calonne et Brienne, de rappeler Necker, de convoquer les états généraux, de donner la double représentation au tiers. Quand Louis XVI ouvrit les états, on s'attendait à lui voir énoncer largement et sans arrière-pensée les grandes concessions qui serviraient de base à la constitution nouvelle du pays; en présence des classes privilégiées qui devaient nécessairement résister, des communes qui devaient nécessairement envahir, c'était à la couronne à trancher dans le vif: « Quelques hommes même, dit un journal royaliste, pensaient qu'elle devait abdiquer son pouvoir devant la nation assemblée, pour le recevoir de sa libre reconnaissance. » Mais le roi, inspiré par la faction dont le comte d'Artois était le chef, ne prononça que des paroles de vague bienveillance, et ses ministres ne parlèrent que de la situation du trésor. Le fait seul de la convocation des états était une révolution; le gouvernement ne parut pas s'en douter: les députés n'apparaissaient à ses yeux que comme des contribuables et non des législateurs; la crise était pour lui toute dans les finances, non dans les institutions. Il s'ensuivit que la direction des états généraux fut livrée aux passions des partis, que la résistance fut plus violente parce qu'elle croyait la cour d'accord avec elle, que le mouvement fut plus hardi parce qu'il croyait la cour contre lui, et qu'enfin le peuple, devant cette inertie de la royauté qu'il taxait de mauvaise foi, le peuple prit seul l'initiative de la révolution. § II. DISPUTE POUR LA VÉRIFICATION DES POUVOIRS. — LE TIERS ÉTAT SE DÉCLARE ASSEMBLÉE NATIONALE. Le gouvernement, en donnant la double représentation au tiers, n'avait rien prononcé sur la délibération par tête, qui semblait la conséquence de cette double représentation: il désirait même la délibération par tête pour les questions de finances, afin de vaincre la résistance des privilégiés et la délibération par ordre pour les questions politiques, afin d'empêcher les envahissements du tiers: solution trop complexe pour être acceptée par personne. Aussi, dès le premier jour et quand les âmes étaient encore pleines de bienveillance, la lutte commença à ce sujet, mais non pas directement: ce fut à l'occasion de la vérification des pouvoirs des députés, question tout accessoire et de formes, qui impliquait pourtant celle de la délibération par tête ou par ordre. Les membres du tiers état, qui occupaient, à cause de leur nombre, la salle des séances générales, firent savoir aux députés de la noblesse et du clergé, qui occupaient deux salles voisines, qu'ils les attendaient pour procéder en commun à la vérification des pouvoirs [1789, 6 mai]. La noblesse répondit que, les trois ordres formant trois assemblées distinctes, chacun d'eux devait vérifier séparément les pouvoirs de ses députés; en effet, elle se mit à l'œuvre, et aussitôt après se déclara constituée. Le clergé fit une réponse semblable, mais sans procéder à la vérification; et il proposa des conférences entre les commissaires des trois ordres pour lever la difficulté. Ces conférences furent acceptées; et là les deux premiers ordres déclarèrent qu'ils renonçaient à leurs priviléges en matière d'impôts, mais qu'ils refusaient entièrement la délibération par tête. C'était le comité du comte d'Artois et de la reine qui dirigeait et excitait ces résistances, dans l'espoir d'annuler dès l'abord les états généraux en y jetant la dissension. Les conférences furent rompues. La noblesse persista dans la vérification séparée, et décréta que « la délibération par ordre et la faculté d'empêcher, que les ordres ont tous divisé ment, sont constitutives de la monarchie. » Le clergé était disposé à prendre une résolution semblable, mais il reçut une députation solennelle des communes qui « l'invitaient, au nom du Dieu de paix et dans l'intérêt national, à se réunir au tiers pour aviser aux moyens d'opérer la concorde si nécessaire au salut de la chose publique [27 mai]; » alors il se remit à délibérer et il penchait vers la réunion, lorsque le roi fit rouvrir les conférences entre les commissaires des trois ordres, en proposant un plan de conciliation. Le clergé adopta ce plan; la noblesse le rejeta; le tiers persista dans son système d'inertie, et refusa de prendre aucune mesure qui pût le faire considérer comme étant constitué: conduite admirable, qu'on ne pouvait attendre d'hommes si neufs dans la vie politique, et d'autant plus courageuse que les opinions révolutionnaires n'avaient pas encore la sanction matérielle de la force. La cour commença à prendre l'alarme; Paris était dans une vive agitation et accusait l'aristocratie d'une conspiration pour faire échouer l'assemblée des états; la disette augmentait; des bandes de gens affamés, qu'on appelait brigands, parcouraient les campagnes, en pillant les fermes et les châteaux; la bourgeoisie commençait à se liguer pour protéger les propriétés et soutenir ses députés. Le moment était décisif pour le tiers état s'il faiblissait une seule fois, il était perdu; il fallait qu'il s'emparât violemment du pouvoir législatif et franchît résolument le pas révolutionnaire. Alors, et sur la proposition de Syeyès, député de Paris, qui démontra aux communes qu'elles ne pouvaient rester plus longtemps dans l'inaction sans trahir leurs devoirs, il fut décidé que « les deux ordres seraient invités, tant individuellement que collectivement, à se réunir au tiers, pour assister, concourir et se soumettre à la vérification commune des pouvoirs [12 juin]. » Cette invitation ayant été faite et une adresse ayant été envoyée au roi pour expliquer la résolution de l'assemblée, on commença la vérification des pouvoirs, tant des absents que des présents. Alors trois curés du Poitou vinrent se réunir au fiers; le lendemain il en arriva six autres, et le peuple vit commencer sa victoire. La vérification étant faite, l'assemblée, sur le point de se dé clarer constituée, recula devant la dénomination d'états généraux qui la rejetait dans un passé odieux et était devenue tout à fait fausse alors, et sur la proposition de Syeyès, elle reconnut « qu'elle était déjà composée de représentants envoyés direc |