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comptaient parmi les plus vils criminels, se donnaient dans la colonie des airs de nobles cavaliers. Lorsqu'ils voyageaient, ils se faisaient accompagner par un train nombreux de domestiques, et au lieu de se servir de chevaux et de mules, dont ils ne manquaient pas, ils forçaient les naturels à les porter sur leurs épaul s dans des espèces de litières, tandis que d'autres les suivaient en portant des parasols de feuilles de palmier au-dessus de leurs têtes, et des éventails pour les rafraichir. Las Casas affirme qu'il a vu le dos et les épaules des Indiens tout déchirés et saignant après une longue

course. »

Mais leurs prouesses dans les chasses aux Indiens dépassent tout ce qu'on peut imaginer.

Ils égorgeaient le peuple comme un troupeau de moutons dans un parc, et pariaient à qui couperait le mieux un homme en deux d'un coup de taille, ou qui enlèverait le plus adroitement ses entrailles. Ils arrachaient les enfants du sein de leurs mères, et, les prenant par une jambe, ils leur écrasaient la tête sur la pierre, ou les plongeaient dans le ruisseau le plus voisin pour les noyer, en leur disant : « C'est pour vous rafraîchir. »

a Ils en couvraient d'autres de poix, les suspendaient avec des cordes et y mettaient le feu pour les voir périr dans cet affreux tourment. Ils coupaient les mains à ceux qu'ils ne tuaient pas, et les insultaient en leur disant : « Allez maintenant porter des lettres à ceux qui ont fui dans les bois et dans les montagnes. »

D

Ils en arrivèrent à faire moins de cas de la vie d'un Indien que de celle d'un insecte qu'on écrase en marchant. Un chasseur s'aperçoit au milieu des bois que ses chiens ont faim; il s'approche d'un jeune Indien qui l'accompagnait, lui coupe les bras, et les leur donne à manger (1). »

Cependant Colomb, de retour en Espagne, fut rendu à la liberté, et les récits qui parvinrent sur le gouvernement de Bovadilla prouvèrent que l'amiral ne devait pas porter la responsabilité des cruelles souffrances infligées aux Indiens.

(1) Id., p. 66.

Par une réparation tardive des outrages qu'il avait fait subir à l'illustre Génois, Bovadilla fut rappelé, et l'on envoya pour le remplacer don Nicolas de Ovando, commandeur de l'ordre d'Alcantara, avec ordre de mettre fin à l'esclavage des naturels. Bovadilla s'embarque avec Roldano. Mais les vaisseaux, assaillis par une tempête au sortir de la rade, furent engloutis avec tous ceux qu'ils portaient.

Arrivé a Saint-Domingue en 1502, Ovando assembla les caciques, et leur annonça que le roi et la reine les prenaient sous leur protection spéciale, eux et leurs peuples. Ils ne devaient désormais être obligés à payer le tribut que comme les autres sujets de la couronne.

A peine furent-ils déclarés libres, que les Indiens, qui ne comprenaient la liberté que comme garantie du repos, refusèrent de travailler. Ovando écrit à son gouvernement qu'il ne perçoit plus de tributs; que les Indiens étant paresseux et imprévoyants, on ne peut les em pêcher de s'abandonner au vice qu'en les occupant. Un décret royal l'autorise, en 1502, de faire travailler les naturels aux mines et aux travaux d'utilité publique, en les employant toutefois comme ouvriers à gages.'

Aussitôt les corvées, les repartiamentos recommencent. Chaque Espagnol reçoit un certain nombre de naturels, sous condition de payer leur travail. Mais leur salaire n'était qu'une misérable déception. Ils ne recevaient pas même de quoi suffire à leur nourriture, tandis que, accablés de travaux excessifs, ils tombaient souvent mourants de fatigue et de faim.

Si l'un d'eux, épuisé, pliait sous le poids des fardeaux, les Espagnols lui donnaient de violents coups sur les dents avec le pommeau de leurs épées, et mille autres avec les pieds, les poings et les bâtons (1).

Contre des maux infinis, les victimes n'avaient aucun recours le gouverneur avait une prime sur les repartiamentos, et n'avait garde de supprimer des abus qui étaient une source de bénéfices.

Les insurrections éclatent, et donnent de nouveaux protits aux colons,

(1) OEuvres de Las-Casas.

autorisés à réduire à l'esclavage les prisonniers de guerre. Quelques Espagnols cependant portent la peine de leur férocité des partis détachés sont surpris et égorgés. Mais bientôt les Indiens, cernés de toutes parts, poursuivis sans relâche par d'infatigables meurtriers, consentent à déposer les armes et à reprendre les corvées.

Cependant, dans une des provinces, nommée Xaragua, la sœur du cacique, femme d'une grande beauté, et d'une intelligence que les Indiens considéraient comme surnaturelle, avait pris sur les peuples un ascendant qui favorisait encore sa haine contre l'étranger. Elle composait des hymnes que les insulaires chantaient dans leurs solennités; et quoiqu'il n'en reste rien, il est à présumer que ces poésies nationales retraçaient les infortunes d'un peuple opprimé, et maudissaient l'étranger qui avait apporté le malheur sur ces rives autrefois si paisibles. Cette femme extraordinaire s'appelait Anacoana.

Ovando fut informé que dans cette partie de l'île les Indiens se rassemblaient en grand nombre, et méditaient une nouvelle insurrection. Aussitôt, sous prétexte de faire une visite d'amitié au cacique, il se met en route avec trois cents fantassins et soixante-dix cavaliers.

Soit que la nouvelle qu'on lui avait donnée ne fût pas fondée, soit que les Indiens jugeassent à propos de dissimuler, Ovando fut reçu avec de grandes démonstrations de joie, et les principaux chefs vinrent lui rendre hommage. De son côté, le gouverneur paraît enchanté de la réception qui lui est faite, et invite les insulaires à assister à une joute de cavaliers. Un grand nombre accourt pour contempler ce spectacle si nouveau pour eux, et lorsqu'ils sont réunis en rangs serrés, Ovando paraît sur une plateforme, et touche la croix d'Alcantara brodée sur son habit. A ce signal, les Espagnols se précipitent au milieu de la foule, et font des Indiens un horrible carnage. Quatre-vingts chefs sont brûlés vifs dans la demeure du cacique; Anacoana est saisie, emmenée à Isabella, et pendue comme coupable d'avoir voulu attenter aux droits du roi d'Espagne. Les massacres se

poursuivent pendant plusieurs jours dans toute la province de Xaragua: et lorsqu'elle est dépeuplée, Ovando'y fonde une ville qu'il appela Santa Maria de la verdadora paz (Sainte-Marie de la vraie paix ) (1).

En effet, après cet effroyable massacre, trois années se passèrent sans que la tranquillité fût sérieusement troublée. D'autres villes s'élevèrent, et à force de décimer les Indiens, quelques travaux s'accomplirent. Mais, en 1506, l'excès du malheur pousse encore les naturels à la révolte, et ils tombent de nouveau par milliers. Ces infortunés se débattaient dans un cercle de misères, sans que rien pût les en faire sortir. La paix était meurtrière comme la guerre ; la guerre inutile comme la paix. Chaque effort les plongeait plus profondément dans l'abîme de maux qui devait les dévorer jusqu'au dernier.

Ramenés encore une fois au travail, on les enchaînait deux à deux; on les mutilait pour la moindre faute, on les déchirait à coups de fouet. Accablés par tant de maux, beaucoup d'entre eux recouraient au suicide. Des familles entières se pendaient dans leurs cabanes ou dans les cavernes où ils se réfugiaient. Douze années ne s'étaient pas écoulées depuis la découverte de l'île, et déjà près d'un million de ses primitifs habitants avait succombé à la férocité des conquérants (2).

Les Espagnols eux-mêmes furent effrayés de cette rapide mortalité qui moissonnait leurs travailleurs. Ils ne se relâchèrent pourtant en rien de leurs rigueurs, mais ils cherchèrent des remplaçants à leurs victimes en allant enlever les habitants des îles voisines. Auprès de quelques tribus, ils agirent par la persuasion et par de trompeuses promesses de bien-être. « Venez, leur di<< saient-ils, dans le pays où nous som«mes établis; vous n'aurez rien à dési« rer dans ce séjour délicieux, où vous « verrez la Divinité face à face et où a vous trouverez les ombres de vos an« cêtres. » Séduites par cette bienveillante invitation, plusieurs tribus des différentes îles de l'archipel se rendirent avec empressement à Saint-Domingue, (1) Las-Casas et Schoelcher. (2) Schoelcher, t., p. 72.

ANTILLES.

où elles ne rencontrèrent que l'esclava-
ge, les supplices et le désespoir.

Cependant don Diego Colomb, le fils
du célèbre navigateur, sollicitait, après
la mort de son père, le gouvernement
de Saint-Domingue. Il l'obtint enfin
avec le titre d'amiral, et vint en 1509
remplacer Ovando.

Le nouveau gouverneur tenta des
projets de réforme, et voulut adoucir
les abus des repartiamentos; mais les
turbulents colons firent entendre de
si audacieuses réclamations, qu'il fut
obligé de céder, et de prendre sa part des
bénéfices de ces cruelles exploitations.
Toute la durée du gouvernement de
Diégo'se passa en luttes perpétuelles et
en efforts infructueux : il ne put ni amé-
liorer le sort des indigènes, ni assurer
la prospérité de la colonie. Son honnête
impuissance ne lui valut que des accu-
sations; et après plusieurs années de
vaines tentatives, les plaintes unanimes
des colons le firent rappeler en Espa-
gne (1523).

Il fut remplacé par Roderigo Albu-
querque, homme plus cruel encore que
tous ses devanciers. Les persécutions
et les massacres continuèrent avec une
si effrayante énergie, que le nombre
des naturels se trouva bientôt réduit à
moins de quinze mille. On assure qu'au
moment de la découverte l'île comptait
trois millions d'habitants!

Cependant une voix généreuse s'était élevée en faveur des Indiens. Barthé lemy Las-Casas avait été témoin de leurs maux, et, touché de compassion, il consacra sa vie à la défense de ces infortunés. Ses écrits, ses sollicitaarrachètions, ses actives démarches, rent à l'inertie des souverains quelques édits de soulagement. Mais de hauts personnages possédaient des domaines dans le nouveau-monde; et le système des repartiamentos leur était trop favorable pour que les plaintes religieuses de Las-Casas eussent quel que efficacité. Pour sauver ses protégés, l'ami des Indiens eut alors recours à un singulier expédient. Il sollicita pour les Espagnols des Indes la permission de faire la traite des nègres, afin que leur service dans les établissements ruraux et dans les mines permit de rendre moirs dur celui des naturels.

Singulière aberration d'une charité incomplete! L'amour exclusif de LasCasas pour une race l'appelle à en sacrifier une autre; et parce qu'il a fait un échange de victimes, son cœur compatissant s'applaudit.

Ajoutons cependant, pour excuser un peu cette étrange logique, que l'idée première de cette substitution n'appartient pas à Las-Casas. Déjà, en 1511, une cédule royale ordonnait de transporter aux îles des nègres de la Guinée, attendu, y est-il dit « qu'un nègre fait plus de travail que quatre Indiens. »> Ici du moins la substitution est motivée. Mais peu après, la traite des nègres est excusée par les pitoyables arguments d'une compassion exclusive. De nouveaux ordres relatifs au même objet, datés de 1512 et 1513, sont motivés « sur les représentations faites par les religieux de Saint-François au sujet du malheureux état où les Indiens étaient réduits, et pour améliorer leur sort. » Or la proposition de Las-Casas fut faite s l'inien 1517. Mais, quoiqu'il n'eut pas tiative de cette cruelle charité, ses instances eurent pour effet de régulariser une idée jusque-là peu appliquée.

Il est à remarquer, du reste, que ce fut une cruauté inutile. Las-Casas ne sauva pas la race indienne, qui à Saint-Domingue périt tout entière. Ses imprévoyantes sympathies ne firent que préparer des successeurs aux victimes qui excitaient ses pleurs. Bientôt, en effet, la férocité des Espagnols de Saint-Domingue allait manquer d'aliments. Au moment où Las-Casas écrivait, il ne restait plus, d'après son propre témoignage, en 1542, que deux cents indigènes dans l'île. La race nègre venait donc bien à propos combler le vide.

Il est constant que les efforts de LasCasas eurent une grande influence sur l'extension de la traite; elle s'organisa d'une manière régulière. Une licence d'introduction de quatre mille nègres de la Guinée fut accordée. Il était temps; la race indigène avait disparu.

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contemporains sur les pays mystérieux de l'or et de la soie avaient fait place à des idées plus sensées. D'abord tout le monde s'y était précipité; puis personne ne voulait y aller. Enfin l'on y retourna avec des vues conformes à la véritable nature des choses. Sans s'occuper davantage de monceaux d'or et de pierreries, l'esprit d'entreprise se dirigea vers la culture d'une terre féconde; et en renonçant à l'espoir des richesses fabuleuses, on put créer enfin des richesses réelles.

Le système des repartiamentos, si funeste pour les naturels, assurait cependant les développements de la colonie, qui avait toujours des travailleurs à discrétion. Les émigrants accoururent de nouveau, et en quelques années s'élevèrent dix-sept villes ou villages, dont plusieurs subsistent encore. Les plus considérables étaient San-Domingo et Santiago.

L'exploitation des mines cessa d'être la seule préoccupation. Des plantations furent établies, et des récoltes abondantes de cacao, de gingembre, de coton, d'indigo et de tabac encourageaient les spéculateurs.

L'éducation des bestiaux offrait des ressources non moins lucratives. Ils s'étaient tellement multipliés sous cet heureux climat, qu'en 1535, quarante ans après l'introduction des premières vaches, on faisait des chasses de trois à cinq cents bêtes à cornes, et que l'on chargeait de cuirs des navires entiers (1).

La canne à sucre, introduite en 1506, et cultivée en grand seulement en 1510, avait si bien réussi, qu'en 1518 on comptait dans l'île quarante établissements à sucre avec des moulins à eau ou à chevaux. Le nombre s'en accrut rapide ment, et la production du sucre dépassa bientôt la consommation de l'île et de la métropole.

La prompte extermination des naturels mit fin à cette prospérité. Lorsqu'il fallut les remplacer par des nègres, les colons furent moins empressés d'avoir des travailleurs qu'il fallait acheter. D'ailleurs la métropole, entièrement occupée de ses riches possessions du

(1) Schoelcher.

Mexique et du Pérou, négligeait une colonie qui ne comptait presque pour rien dans ses vastes domaines. SanDomingo, la ville splendide, qui ne cédait en rien aux plus belles cites du continent, fut prise et ruinée, en 1586, par l'Anglais sir Francis Drake. Plus tard, un tremblement de terre l'acheva.

Au dix-septième siècle, l'Espagne fut obligée d'envoyer dans la colonie, devenue improductive, des fonds annuels pour solder les employés et les troupes. Cette belle contrée n'était plus qu'une possession onéreuse.

Pendant que Espanola dépérissait lentement, d'autres colons s'établissaient au nord-ouest de l'île. Une période nouvelle commence pour le pays. CHAPITRE III.

Les boucaniers.

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Les flibustiers, el les engagés,

Les premiers établissements des Français à Saint-Domingue se liant entièrement aux entreprises singulières de ces hardis aventuriers connus sous le nom de flibustiers et de boucaniers, il n'est pas sans importance de retracer sommairement leur histoire. Nous y retrouverons d'ailleurs l'origine des colonies européennes dans les autres îles de l'archipel.

Les heureuses découvertes des Espagnols, tant aux Antilles que sur les vastes continents des deux Amériques, en frappant l'Europe d'étonnement et d'admiration, avaient réveillé partout l'esprit d'entreprise, et excité jusqu'à l'enthousiasme le goût des explorations lointaines, d'où chacun espérait revenir chargé de richesses et de renommée.

Les gouvernements se mêlaient peu à, ce mouvement général, soit à cause des difficultés intérieures que chacun avait à combattre, soit à cause des dépenses qui pouvaient rester sans compensation par l'incertitude des résultats. Mais si une politique prudente arrêtait les chefs des États, nulle difficulté ne faisait obstacle à l'avidité des coureurs de fortune, et le commerce, qui tendait à se développer, envoyait sur toutes les mers d'audacieux capitaines, cherchant partout des terres à explorer, des sauvages à combattre et des denrées nouvelles à exploiter.

Cependant les Espagnols surveillaient avec une inquiétude jalouse les côtes de leurs domaines nouveaux; et une bulle du pape Alexandre VI leur ayant concédé la propriété exclusive des deux Amériques, ils prétendirent en écarter tous les autres peuples, et en conséquence traitaient en corsaires tous les bâtiments qu'ils rencontraient entre les deux tropiques. Leur puissante marine et le rôle important qu'ils jouaient alors sur le continent européen, ne permettaient pas aux gouvernements de protester contre cette tyrannie. Mais les armateurs des ports de la France et de l'Angleterre, ne tenant compte ni de la bulle du pape, ni des prétentions espagnoles, envoyaient continuellement vers ces riches régions des vaisseaux armés qui ́enlevaient les convois espagnols, pillaient les côtes, incendiaient les villes, et ne revenaient jamais sans être chargés de dépouilles. Traités en pirates, quand ils étaient pris, ces hardis marins acceptaient franchement le rôle qu'on leur faisait, commettant des excès épouvantables partout où ils débarquaient, méprisant fes lois des nations, et ne se souciant guère que les Espagnols fussent en paix ou en guerre avec les pays d'où ils venaient, mais ne voyant en eux que de riches voyageurs bons à dépouiller, et de vaillants ennemis profitables à combattre.

C'était surtout dans les mers des Antilles que les flibustiers signalaient leurs exploits. Tout occupés de leurs riches possessions du Pérou, les Espagnols avaient négligé de s'établir dans les petites Antilles; ils ne conservaient de colonies que dans les quatre grandes îles de l'archipel. Cachés avec leurs petits bâtiments au fond des anses, derrière les sinuosités des rivages, les flibustiers fondaient subitement sur les navires, les enlevaient à l'abordage, et revenaient à terre partager leur butin. Souvent, avec de méchantes barques non pontées, ils attaquaient les plus grands vaisseaux de guerre. La petitesse même de leurs bâtiments, et l'art avec lequel ils les manoeuvraient, les dérobaient à l'artillerie du vaisseau. D'ailleurs, ils faisaient bien vite taire le canon. Tireurs de premier ordre, ils ajustaient les sabords, tuaient les ca

nonniers, et, s'approchant rapidement, grimpaient à l'abordage, et, par l'excès même de leur témérité, faisaient déposer les armes à l'ennemi étonné. Plus d'une fois leur premier acte, au moment de l'abordage, fut de courir aux poudres et de menacer de faire sauter le vaisseau si on ne se rendait. Les Espagnols, malgré leur active surveillance, malgré la force et le nombre de leurs vaisseaux, étaient sans cesse harcelés par des ennemis que multipliaient les récits exagérés des pirates heureux et les joies sauvages d'une existence aventureuse. La vie errante avait tant de charmes pour les flibustiers, qu'ils restèrent longtemps sans songer à former aucun établissement durable, au milieu de ces îles qui leur servaient de retraite passagère.

Mais, en l'année 1625, d'Esnambuc, cadet de Normandie, parti de Dieppe, se dirigea vers les Antilles pour aller s'enrichir de quelques prises espagnoles. Il montait un brigantin armé de quatre pièces de canon, avec un équipage de quarante hommes déterminés. Arrivé aux Caïmans, entre Cuba et la Jamaïque, il fut attaqué par un vaisseau espagnol portant trente-cinq canons, et se défendit avec tant d'opiniâtreté pendant trois heures, que l'ennemi fut contraint de se retirer après avoir perdu la moitié de son équipage. Mais le brigantin, fort maltraité, pouvait à peine tenir la mer. Dix hommes de l'équipage étaient tués; la plupart des survivants étaient couverts de blessures. D'Esnambuc se retira à l'île Saint-Christophe pour y soigner ses blessés, et, jugeant bien que pour le succès de ses entreprises futures, il était utile d'avoir un lieu de retraite fixe, il résolut de s'y établir.

En y débarquant, il y trouva plusieurs Français qui s'y étaient réfugiés en différentes occasions, et qui vivaient en bonne intelligence avec les Caraïbes. Ils se joignirent volontiers à lui, l'acceptèrent pour leur chef, et grossirent la petite colonie.

Par un hasard singulier, le même jour que d'Esnambuc abordait à Saint-Christophe, des flibustiers anglais, qui avaient aussi été maltraités par les Espagnols, débarquaient sur un autre point de l'ile, sous la conduite de leur capitaine, War

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