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ner. Les corsaires des deux nations, accoutumés à combattre ensemble contre l'ennemi commun, se traitèrent en frères, et chacun fit son établissement dans des quartiers séparés. Du reste, nulle idée d'agriculture, de commerce et de conquête, ne pouvait troubler leur bonne harmonie. Tout ce qu'ils voulaient, était un lieu de retraite, un point de ralliement où ils pourraient établir quelques radoubs, et dresser quelques cabanes. Les naturels du pays les faissèrent paisiblement s'établir sur la côte, sans leur disputer quelques lambeaux d'un sol dont la production dépassait leurs besoins; et ils disaient à ces aventuriers: « Il faut que chez vous la terre soit mauvaise, ou que vous en ayez bien peu, pour en venir chercher si loin, et à travers tant de périls (1). »

Mais bientôt les Caraïbes se méfièrent de ce dangereux voisinage, et demandè rent assistance à leurs compatriotes des îles voisines pour se délivrer des étrangers. Les flibustiers en furent informés, prévinrent les Caraïbes en les attaquant, et les deux colonies réunies repoussèrent avec un grand carnage trois à quatre mille Caraïbes accourant à l'appel qui leur avait été fait.

Après un séjour de quelques mois, d'Esnambuc et Warner s'embarquèrent chacun de leur côté pour aller, l'un à Paris, l'autre à Londres, solliciter pour la colonie naissante la protection de leur gouvernement. L'un et l'autre avaient maintenant le désir de développer un établissement qu'ils n'avaient d'abord considéré que comme provisoire.

D'Esnambuc avait chargé son brigantin d'excellent tabac, de plusieurs denrées du pays et des dépouilles des Caraïbes. Le bon parti qu'il tira de ses marchandises, le bel équipage dans lequel il se présenta à Paris, les récits merveilleux qu'il faisait de la beauté des îles, l'entourerent d'admirateurs et de gens disposés à le suivre.

Le cardinal de Richelieu, toujours disposé à favoriser les projets qui pouvaient agrandir la puissance de la France, accueillit favorablement le flibustier. Par les soins du ministre tout-puissant, il se forma une compagnie pour l'exploi

(1) Le Père Dutertre, Histoire générale des Antillés. Placide Justin, Histoire d'Haïti.

tation de la colonie. Elle fut appelée Compagnie des îles; elle eut seule le privilége de commerce dans ces parages. Le fonds social était de quarante-cinq mille livres. Richelieu souscrivit personnellement pour dix mille. Parmi les clauses de la commission qui investit d'Esnambuc du commandement, il est stipulé que nul parmi les travailleurs destinés à la colonie, ne sera admis à s'embarquer s'il ne s'engage à rester pendant trois ans au service de la compagnie. Ces travailleurs furent appelés les engagés. Nous verrons plus tard quelle était leur condition.

Le retour de d'Esnambuc ne fut pas heureux; le mauvais temps le retint si longtemps en mer, que les privations et les maladies décimèrent son équipage, et il put à peine débarquer quelques hommes agonisants.

Warner, de son côté, était revenu, mais avec des équipages mieux nourris et plus nombreux. Aussi, la colonie anglaise se développa-t-elle avec bien plus de rapidité que celle des Français.

Cependant, le bon accord se maintenait entre les deux gouverneurs, et ils firent entre eux le partage de l'île, fixant les limites respectives des deux colonies, et se promettant mutuel appui en cas d'attaque des Caraïbes ou des Espagnols.

Dans les premiers temps, chacun respecta les conventions faites; mais la misérable condition des Français enhardissait leurs voisins, dont la prospérité allait toujours croissant, à empiéter sur leur territoire. Déjà les Anglais, dont la colonie se développait considérablement, avaient pu former un nouvel établissement sur l'île de Nièves, voisine de celle de Saint-Christophe.

Les Français étaient en trop petit nombre pour empêcher les usurpations. D'Esnambuc se rendit lui-même en France, pour solliciter de la compagnie de nouveaux secours pécuniaires, et du cardinal de Richelieu, des renforts en hommes et en armes, pour repousser les entreprises de ses voisins. Il obtint l'un et l'autre.

Six grands navires furent équipés, et confiés au commandement du chef d'escadre de Cussac. A peine arrivé, il attaque dix navires anglais qui se trouvait dans la rade, en prend trois, en

fait échouer trois autres, et met le reste en fuite.

Les Anglais, épouvantés, restèrent dans leurs limites, et après avoir fourni la colonie d'hommes et de provisions, de Cussac alla fonder un établissement dans l'ile Saint-Eustache.

Cependant, les Espagnols, qui avaient déjà eu tant à souffrir des flibustiers, ne les virent pas sans inquiétude pren dre des demeures fixes dans les Antilles. L'amiral don Frédéric de Tolède, que la cour de Madrid envoyait, en 1630, au Brésil avec une puissante flotte, destinée à combattre les Hollandais, eut ordre d'exterminer, en passant, les pirates de Saint-Christophe.

Les forces réunies des flibustiers français et anglais ne suffirent pas pour repousser une aussi formidable attaque. Beaucoup furent tués, surtout parmi les Français; les autres se sauvèrent sur les îles voisines, à Saint-Martin, à Montserrat, à l'Anguille, à Saint-Barthélemy et à Antigoa. Les Anglais, qui avaient lâché pied au commencement du combat, capitulèrent. La moitié d'entre eux fut renvoyée en Angleterre sur les vaisseaux espagnols; l'autre moitié promit d'évacuer l'île à la première occasion mais, une fois les Espagnols partis, ils oublièrent leurs promesses. De leur côté, les Français revinrent des différentes îles où ils étaient réfugiés, et reprirent possession de leur territoire à Saint-Christophe, non toutefois sans être obligés de livrer quelques combats aux Anglais, qui s'étaient emparés de leurs terres. L'Espagne, occupée d'intérêts plus graves, ne les inquiéta plus d'une manière sérieuse.

Dès lors, les deux colonies prospérèrent, malgré de continuelles querelles. L'activité des deux nations se portait d'ailleurs au dehors, et chacun de son côté fit des établissements dans les îles du vent, pourchassant les Caraïbes et les forçant de se réfugier d'île en île.

Quelquefois aussi, les Français et les Anglais se servaient des Caraïbes comme auxiliaires dans les combats qu'ils se livraient entre eux. De longues et nombreuses hostilités signalaient leurs établissements dans les différentes îles qu'ils se disputaient, sans que les métropoles des deux nations intervinssent,

2e Livraison. (ANTILLES.)

soit dans leurs querelles, soit dans leurs transactions.

Fatiguées enfin de ces luttes interminables, qui compromettaient sans cesse leurs colonies naissantes, les deux parties belligérantes firent d'elles-mêmes, en 1660, une convention, qui assurait à chacune d'elles les possessions que leur avaient données, ou leurs armes, ou leur industrie, et qui fixait d'une manière définitive les colonies qui devaient appartenir soit à la France, soit à l'Angleterre.

Furent considérées comme propriétés françaises, la Guadeloupe, la Martinique, la Grenade, et quelques autres localités moins importantes; les Anglais conservèrent la Barbade, Nièves, Antigoa, Montserrat et quelques îles de peu de valeur. Saint-Christophe resta commun aux deux nations. Les Caraïbes se concentrèrent à La Dominique et à Saint-Vincent. Leur population n'excédait pas alors six mille hommes (1).

La convention faite par les flibustiers fut acceptée, au moins tacitement, par les métropoles. Elle eut pour effet de mettre fin aux dissensions, et de donner de la stabilité aux colonies, qui désormais ne prirent les armes que pour se mêler aux guerres générales de leurs gouvernements d'outre-mer.

Les colonies anglaises étaient généralement en bien meilleur état que les françaises. Celles-ci, à mesure qu'elles se formaient, s'adressaient à la compagnie des iles pour en avoir des secours; le cardinal de Richelieu faisait délivrer de nouvelles chartes, et de la sorte tout le groupe des Antilles françaises se trouvait soumis au régime de la compagnie.

L'unité de direction était sans doute un avantage; mais beaucoup des premiers colons, accoutumés à une vie indépendante, accoutumés surtout à tirer de leurs marchandises le meilleur parti possible, ne pouvaient s'accommoder des priviléges exclusifs accordés à la compagnie. Celle-ci se réservait seule le droit de commercer avec eux. Mais ce ne fut d'abord qu'un droit illusoire; les vaisseaux hollandais qui parcouraient l'archipel faisaient aux colons des conditions meilleures, leur amenant des vi

(1) M. Placide Justin, 16.

2

vres en abondance, des esclaves nègres et de l'argent; de sorte que le tabac, le roucou, le coton et le petun, que la compagnie attendait sans cesse au Havre selon les conventions, n'y venaient qu'en petite quantité; car ils étaient presque toujours enlevés d'avance par les commerçants hollandais. Les seigneurs de la compagnie se plaignirent, et obtinrent du roi une déclaration par laquelle il était défendu à tous les capitaines de navires qui allaient en Amérique de traiter d'aucune marchandise dans l'île Saint-Christophe sans le consentement de la compagnie. Ils firent en même temps saisir les marchandises dans les ports et emprisonner plusieurs colons que la nécessité de leurs affaires avait fait venir en France (1634).

Les colons, offensés de ces mesures violentes, résolurent de ne plus rien envoyer en France, mais de faire transporter en Hollande toutes leurs marchandises sans exception; ce qu'ils firent avec tant d'opiniâtreté, que les seigneurs de la compagnie durent se relâcher de leur rigueur.

La compagnie se rétablit sur de nouvelles bases en 1635. C'est en cette année que se fondèrent les premiers établissements à la Guadeloupe et à la Martinique. Ces nouvelles possessions, ainsi que celles qui pourraient échoir par la suite aux Français, furent comprises dans l'acte de concession qui fut signé dans l'hôtel du cardinal de Richelieu.

Il est à remarquer que cet acte accorde à la compagnie, non-seulement le privilége d'exploitation et le monopole du commerce, mais la propriété souveraine des îles. Voici les termes de l'article VI:

« Et pour aucunement les indemniser << de la dépense qu'ils ont ci-devant faite, « et qu'il leur conviendra faire à l'avenir, « Sadite Majesté accordera, s'il lui plaît, << à perpétuité auxdits associés, et autres <«< qui pourront s'associer avec eux, « leurs hoirs, successeurs et ayant-cause, « la propriété desdites îles en toute ins<«<tance et seigneurie, les terres, rivières, ports, havres, fleuves, étangs, «iles, mêmement les mines et minières, « pour jouir desdites mines conformé

<< ne s'en réservera que le ressort, la foi « et hommage, qui lui sera fait et à ses « successeurs, rois de France, par l'un << desdits associés au nom de tous, à «< chacune mutation de roi, et la provi<<sion de la justice souveraine, en choi«sissant les juges, qui lui seront nom« més et présentés par lesdits associés, lorsqu'il sera besoin d'y en établir (1).

Le rétablissement de la compagnie pouvait bien donner quelque consistance aux colonies, en leur assurant de puissants protecteurs; mais il ne rendait pas la liberté commerciale, si chère et si profitable aux flibustiers devenus planteurs. Les gouverneurs reçurent ordre de maintenir sévèrement les droits de la compagnie. Quelques habitants se révol tèrent et furent punis; d'autres abandonnèrent des lieux où régnait la contrainte, et allèrent bâtir des cabanes sur la côte septentrionale d'Española, où recommença pour eux une vie de sauvage indépendance.

Cette côte servait déjà d'asile à plusieurs colons français qui s'y étaient réfugiés en 1630, lorsque don Francisco de Tolède s'était emparé de Saint-Christophe.

Les nouveaux venus furent bien accueillis par leurs anciens camarades, et les occupations qu'ils y trouverent convenaient parfaitement à leur tempérament et à leurs goûts. En effet, l'unique occupation de ces hommes était la chasse aux boeufs sauvages, qui s'étaient, ainsi que nous l'avons dit, prodigieusement multipliés dans l'ile. Ils en ramassaient les cuirs et en faisaient sécher la viande à la fumée. De la leur vint le nom de boucaniers, parce que les Caraï bes appelaient boucans les lieux où ils faisaient ainsi fumer la chair de leurs prisonniers.

Mais le voisinage des Espagnols, jusque-là seuls maîtres de l'ile, rendait leur établissement précaire : ils songèrent donc à s'assurer un lieu de retraite. La Tortue, petite île située à deux lieues au nord, leur présentait un abri convenable, soit pour se fortifier contre l'ennemi, soit pour y recevoir les navires

(1) Contrat du rétablissement de la compa

«ment aux ordonnances; et du surplus gnie des iles de l'Amerique, avec les articles

« des choses dessus dites Sadite Majesté

accordés par Sa Majesté aux seigneurs associés. P. Dutertre, t. I, p. 48.

qui venaient acheter leurs cuirs. Ils enlevèrent une garnison de vingt-cinq Espagnols qui gardaient l'île, y bâtirent un fort, et y élevèrent des demeures solides. Ils se trouvèrent ainsi maîtres absolus d'un territoire de huit lieues de long sur deux de large, avec des plaines fertiles, des montagnes couvertes de bois précieux, et une rade excellente.

Cette heureuse position attira bientôt à la Tortue une foule d'aventuriers. Les uns se livrèrent à la culture du tabac, et formèrent ce qu'on appelait les habitants; les autres allèrent en course, et devinrent les plus fameux des flibustiers; d'autres enfin continuèrent leur métier de boucaniers, demeurant toujours sur la côte d'Española, apportant leurs cuirs aux navires hollandais, et leurs viandes salées aux habitants. De plus, ils s'engageaient à fournir les flibustiers de viande toutes les fois qu'ils reviendraient de course. Il y avait une association d'intérêts entre les trois classes de cette étrange population. Il n'est pas hors de propos de faire connaître les mœurs de ces Français à demi sauvages, qui devaient jeter les fondements de la belle colonie de Saint-Domingue.

Les boucaniers étaient sans femmes et sans famille. Chasseurs intrépides, guerriers déterminés, tireurs d'une adresse surprenante, ils passaient leur vie au milieu des bois, où la chasse leur assurait une nourriture abondante et un commerce lucratif.

Pour tout vêtement ils avaient une chemise et un caleçon de grosse toile, souvent teinte du sang des animaux qu'ils tuaient à la chasse, marchant les jambes nues et les pieds à peine enfermés dans des souliers d'une peau séchée au soleil. Un fond de vieux chapeau ou un bonnet de drap, auquel ils adaptaient une visière, formait leur coiffure; une courroie en forme de ceinture supportait un sabre et plusieurs couteaux, et sur leurs épaules se balançait un fusil d'excellente fabrique, qu'ils faisaient toujours venir de France, et qu'ils entretenaient avec un soin luxueux. A leurs côtés courait une meute de vingt-cinq à trente chiens. Il faut ajouter à leur accoutrement une calebasse pleine de poudre et une petite tente de toile fine, facile à tordre et roulée autour d'eux en bandoulière; car

une fois dans les bois, ils couchaient où ils se trouvaient.

Lorsqu'ils étaient ainsi équipés, ils s'adjoignaient un matelot, c'est-à-dire un associé, et tout devenait commun entre eux, dangers et profits. Si l'un des deux mourait, tous les biens de la communauté, poudre, balles, fusil et cuirs, appartenaient au matelot survivant.

A la suite des chasseurs marchaient un ou plusieurs valets, appelés des engagés, dont c'est ici le lieu de parler.

Nous avons vu que dans la commission accordée à d'Esnambuc, il est parlé de travailleurs qui devaient s'engager pour servir la compagnie pendant trois ans. Plusieurs ouvriers de divers états, des chirurgiens même, qui se persuadaient qu'on les destinait à aller exercer leur profession dans les colonies, se laissèrent entraîner par de belles promesses. Mais une fois leur consentement donné, la compagnie les considérait comme des hommes qui lui appartenaient corps et âme; et lorsqu'ils arrivaient aux colonies, ses agents les vendaient pour trois ans aux planteurs, moyennant trente ou quarante écus par tête. Is devenaient ainsi de véritables esclaves, soumis à la brutalité des aventuriers de la colonie et condamnés aux plus rudes corvées. Roués de coups, accablés de fatigues sous un climat meurtrier, ils succombaient souvent avant d'avoir atteint la troisième année qui devait les rendre à la liberté.

Il arriva même que les maîtres voulurent prolonger l'esclavage au delà des trois ans stipulés; et en 1632 l'établissement de Saint-Christophe courut de grands dangers, parce que les engagés qui avaient fini leur temps prirent les armes et se montrèrent disposés à attaquer leurs maîtres. D'Esnambuc ne put apaiser le différend qu'en faisant droi à leurs réclamations.

Cependant lorsque l'on connut em France la triste condition des engagés, il devint plus difficile de trouver des hommes de bonne volonté. Les agents de la compagnie s'en allaient donc dans les carrefours et sur les places raccoler les vagabonds, les enivraient, et leur taisaient consentir un engagement dont il n'y avait plus à se dédire.

2.

On peut lire dans le père Dutertrc (1) l'extrait d'un contrat entre la compagnie et les marchands de Dieppe pour la fourniture de ces esclaves blancs dans l'établissement de la Guadeloupe. En voici les deux premiers articles : « Les marchands promettent:

« 1° De faire passer à leurs frais deux mille cinq cents Français catholiques, pendant six années, non compris les femmes et les enfants. Cinquante femmes seront comptées pour hommes; outre celles que le sieur de l'Olive (2) devait faire passer, et celles que la compagnie y aura fait passer.

2o Les dits deux mille cinq cents hommes seront obligés trois ans. »

Les boucaniers, qui ne cessaient pas achetèrent de fréquenter les autres îles, ainsi des engagés, et les occupèrent à apprêter et à porter leurs cuirs. C'était pour les nouveaux débarqués un rude métier car lorsque le matin on donnait à un homme un cuir pesant cent ou cent vingt livres, à porter l'espace de trois ou quatre lieues à travers des bois et des halliers pleins d'épines et de ronces, où l'on était souvent plus de deux heures à faire un quart de lieue, il fallait une force peu commune ou une grande habitude pour résister à ce travail. Il est vrai que le boucanier lui-même donnait l'exemple; car il ne quittait jamais la chasse qu'il n'eût chargé tous ses valets de chacun un cuir et que lui-même en portât un aussi. Mais il était endurci aux fatigues, et sa force même le rendait sans pitié pour les engagés, auxquels il appliquait de vigoureux coups de bâton pour soutenir leurs pas chancelants. Un de ces malheureux auquel son maître faisait porter ses cuirs au bord de la mer, en choisissant toujours le dimanche pour cette occupation, représenta au boucanier que ce jour était un jour de repos, et que Dieu même avait dit : « Tu travailleras six jours, et le septième tu te reposeras. »> -« Et moi, reprit le boucanier, je dis : Six jours tu tueras les taureaux pour les écorcher, et le septième tu en porteras les cuirs au bord de la mer. » Et il cou

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ronna l'argument par une grêle de coups de bâton (1).

Cependant les engagés au service des boucaniers finissaient par s'habituer à ces travaux, et prenaient goût à la vie errante des bois. Plusieurs d'entre eux, à l'expiration de leur engagement, se faisaient boucaniers, et devenaient les matelots de leurs maîtres. D'autres couraient la mer, et quelques-uns sont devenus des flibustiers renommés.

Les engagés des planteurs étaient bien autrement misérables que ceux des boucaniers. Un auteur que nous venons de citer (2), et qui avait été lui-même engage, croyant aller exercer aux Indes sa profession de chirurgien, a transmis à ce sujet des détails curieux.

Voici, dit-il, de la manière que ces misérables engagés sont traités : le matin sitôt que le jour commence à paraître, M. le commandeur siffle, afin que tous ses gens viennent au travail, qui consiste à abattre du bois, ou à cultiver le tabac. Il est là avec un certain une liane; si bâton, qu'on nomme derrière lui, ou quelqu'un regarde qu'il soit un moment sans agir, il frappe dessus, ni plus ni moins qu'un maître de galère sur des forçats; et, malades ou non, il faut qu'ils travaillent : j'en ai vu battre à un point, qu'ils n'en sont jamais relevés. On les met dans un trou que l'on fait à un coin de l'habitation, et on n'en parle point davantage.

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Citons encore les faits suivants, racontés par le même auteur.

« Un habitant de Saint-Christophe, nommé Belle-Tête, qui était de Dieppe, faisait gloire d'assommer un engagé qui ne travaillait pas à son gré. J'ai entendu dire à un de ses parents mêmes, que ce Belle-Tête a assommé plus de trois cents engagés, et disait après qu'ils étaient morts de paresse. »

« Il y avait un autre habitant de la Guadeloupe, fort riche, dont le père, resté en France, était si pauvre, qu'il fut obligé de s'engager pour aller aux Indes, et par je ne sais quel destin s'adressa à un marchand qui avait reçu de l'argent de l'habitant dont j'ai parlé,

(1) Histoire des Aventuriers qui se sont signalés dans les mers des Indes, par Alexandre Õexmelin. Paris, 1713.

(2) Oexmelin.

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