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ont, dit-il, plusieurs espèces de bateaux avec lesquels ils abordent dans les îles voisines, où ils dévastent et pillent tout ce qu'ils peuvent rencontrer. Ils ne different des autres insulaires que par leur coiffure, laissant croître leurs cheveux à la manière des femmes; ils se servent d'arcs et de javelots faits avec des roseaux, auxquels ils adaptent, à la partie la plus grosse, un dard aigu. Ils se nourrissent de chair humaine. Aussi sont-ils regardés comme les plus cruels des Indiens, et inspirent-ils la plus grande terreur aux peuplades voisines. Quant à moi, je ne les crois pas plus redoutables que les autres (1). »

Les bons Haitiens, fiers de la force de leurs nouveaux alliés, se crurent désormais protégés contre les incursions des Caraïbes, et lorsque Colomb manifesta son désir d'établir un fort au sud de l'ile, les insulaires accueillirent sa proposition avec joie, et s'empressèrent de l'aider dans ses travaux de construction. Grâce à leur active cooperation, le fort fut achevé en dix jours. Colomb l'appela La Natividad. Il l'arma de canons, y plaça trente-neuf hommes avec des provisions pour un an, et fit voile pour l'Espagne. Le 15 mars 1493, il entrait dans le port de Lisbonne.

La relation de ses voyages causa dans la péninsule un enthousiasme universel. Colomb était parti avec l'idée de découvrir l'extrémité orientale des Indes, le pays de l'or, des perles et des aromates, et il était revenu avec la persuasion qu'il avait touché le contient si longtemps rêvé par lui. La facilité avec laquelle les insulaires échangeaient l'or contre des verreries et des morceaux d'assiettes cassées, le confirma dans ses croyances. Aussi ne craignit-il pas à son retour de promettre au roi d'Espagne de mettre à sa disposition des richesses de toute nature. « Je m'engage, écrit-il à Raphaël Sanxis, à fournir à S. M., aidé de ses secours les plus faibles, autant d'or qu'elle pourra en avoir besoin, autant d'aromates, de cotons, de gommes ( qu'on ne récolte qu'en Chine), autant d'aloès et d'esclaves propres au service de la marine qu'elle pourra l'exiger, de la rhubarbe, et d'autres pro

(1) Id.

ductions précieuses que les soldats laissés dans l'île ont trouvées ou pourront trouver par la suite. » Ces derniers mots semblent prouver que Colomb promettait des trésors quelque peu imaginaires, mais que dans ses illusions exagérées il croyait bien rencontrer. Il est bien évident qu'il n'avait pas vu de rhubarbe dans l'archipel américain, puisque toutes les espèces de cette plante sont originaires de l'Asie; mais il l'annonce par conjecture, croyant avoir atteint les régions inconnues de l'A-ie.

Le navigateur génois devait trouver bien des gens prêts à partager ses espérances et ses illusions. De nobles Castillans se joignirent à lui, et s'embarquèrent à leurs frais, s'imaginant aller conquérir le trône et les trésors du grand sultan de l'Inde. Quinze cents hommes d'équipage conduisaient la flotte; et bientôt il aborda aux rives d'Española. Mais il cherche en vain le fort qu'il y avait construit, et les hommes qu'il y avait laissés. Des cendres et des ruines, des cad ivres mutilés, des vêtements en lambeaux, lui révèlent la destruction totale de la cotonie. Le cacique Guarionex, toujours bienveillant pour les étrangers, lui raconte la cause de ces malheurs.

A peine Colomb était-il parti, que les Espagnols, abusant de leur supériorité, avaient soumis les Indiens aux plus cruelles vexations, les obligeant à leur apporter sans cesse de l'or, enlevant leurs femmes et leurs filies, détruisant leurs cabanes. Les Indiens, soulevés, avaient profité de la division qui s'était introduite parmi leurs persecuteurs, étaient venus attaquer à l'improviste le fort désarmé, l'avaient incendié, tuant les Espagnols jusqu'au dernier, malgré les efforts du cacique lui-même, qui avait été dangereusement blessé en voulant secourir quelques victimes.

Colomb, comprenant combien il était important de vivre en bonne intelligence avec les indigènes, s'attacha par de bons procédés à faire renaître la confiance parmi eux, et il y parvint promptement avec l'aide de Guarionex.

Reconnaissant alors que l'emplacement de la Natividad n'était pas favorable à ses projets de colonisation, il se dirigea vers l'est, auprès d'une baie qui,

par sa position, lui paraissait importante, et y fonda une ville qu'il nomma Isabella. En même temps, il fit partir deux capitaines, l'un pour reconnaître les mines de Cibao, et l'autre pour aller en Espagne annoncer les nouvelles découvertes et réclamer de nouveaux secours.

Mais, pendant qu'il s'occupait avec activité des travaux de la nouvelle ville, il tomba malade. Profitant de cette cir constance, un certain Bernard de Pise songea à s'emparer des cinq navires qui étaient restés en rade, pour s'en retourner en Espagne; car déjà le découragement s'était emparé de la petite colonie. Les nobles espagnols, qui ne s'étaient embarqués que pour recueillir de la gloire et de l'or, voyaient disparaître successivement leurs beaux rêves, et murmuraient hautement contre le Gé

nois, qui les avait jetés sur cette plage

brûlante.

Cependant l'amiral, informé des desseins de Bernard de Pise, le fit arrêter, l'envoya prisonnier en Espagne, et punit les autres séditieux. Ce n'était que le commencement des tribulations que devait lui occasionner la jalousie de ses nobles rivaux.

Sur ces entrefaites, ayant reçu un échantillon de l'or des riches mines de l'intérieur, il alla lui-même les visiter, escorté par des troupes à pied et à cheval, qui ajoutaient encore aux idées que s'étaient faites les insulaires de la merveilleuse puissance de leurs hôtes. Arrivé aux mines, il y fit ouvrir des galeries, construire un fort destiné à protéger les travaux, et y laissa un nombre suffisant d'ouvriers pour continuer l'exploitation.

De retour à Isabella, il trouva la colonie dans l'état le plus désastreux. Les Espagnols n'étaient pas encore accoutumés aux vivres du pays, et n'avaient pu se résoudre à cultiver des grains la famine était imminente. La mort sévissait déjà; le climat avait la plus funeste influence sur ces nouveaux debarqués; les ouvriers industrieux avaient succombé les premiers à l'excès des fatigues, et les nobles, pour qui le nom seul du travail était une humiliation, refusaient de renoncer aux prérogatives de l'oisiveté. Le mécontentement

était au comble, et les plaintes allaient jusqu'aux menaces.

L'amiral ne se laissa pas intimider; mais, puisant une énergie nouvelle dans les difficultés de sa position, il ne tint aucun compte des distinctions sociales créées dans un autre monde, et obligea sans exce tion tout le monde au travail. Les fiers hidalgos se virent con lamnés à ouvrir la terre de leurs mains, ou à construire eux-mêmes leurs maisons de bois. Cette sage détermination fut une source de querelles et d'accusations, auxquelles Colomb devait succomber.

Cependant chacun à l'envi s'efforçait d'extorquer de l'or aux malheureux insulaires; quelques troupes, qui parcouraient le pays à la recherche des richesses tant promises, se livrèrent aux plus odieux excès. Pour la seconde fois, la

timidité naturelle des Indiens disparut:

toutes les tribus de l'île réunirent leurs forces, excepté celle du cacique Guarionex, qui seul s'obstina à rester fidèle aux Espagnols.

Les privations, la débauche et les travaux, sous les feux d'un soleil presque vertical, avaient réduit à deux cent trente combattants les troupes dont pouvait disposer l'amiral. Avec cette poignée d'hommes, il se trouva en face de cent mille Indiens; mais les terribles feux de l'artillerie, les élans rapides de vingt chevaux qu'il avait dans ses rangs, frappent de terreur les malheureux indigenes, et cette masse compacte est dispersée après un carnage affreux.

Cependant Colomb, engagé par des promesses imprudentes, avait besoin d'envoyer de l'or à la cour d'Espagne, pour déjouer les projets de ses ennemis qui déjà l'accusaient hautement. Il profita donc de cette victoire pour imposer aux Indiens un tribut régulier. Chaque naturel au-dessus de quatorze ans fut contraint d'apporter tous les trois mois une petite sonnette de Flandre pleine de poudre d'or. Dans les endroits éloigués des mines, la capitation fut de vingt-cinq livres de coton par trimestre. Pour payer cet énorme tribut, il fallait travailler les Indiens ne purent s'y résoudre; ils abandonnèrent leurs demeures, autrefois si paisibles; ils cherchèrent au fond des bois, sur le sommet escarpé des montagnes, ou dans les pro

fondeurs des cavernes un abri contre la rapacité des étrangers. Mais ceux-ci ne les y laissèrent pas en repos; ils leur firent la chasse comme à des bêtes fauves, dressèrent des chiens pour découvrir leur piste, les firent déchirer par ces animaux ou les contraignirent à un travail forcé, qui faisait rapidement périr ces malheureux habitués à une vie de repos et d'insouciance.

La résistance inerte des insulaires, leur fuite, leur dispersion dans les bois et les montagnes, privaient Colomb de l'or qui devait soutenir son crédit en Europe. Il voulut remplacer cette richesse par une autre, et envoya en Europe des vaisseaux chargés d'esclaves. Ceux-ci étaient, il est vrai, des Caraïbes pris dans les îles du vent; mais une nouvelle cargaison de cinq cents esclaves fut envoyée l'année suivante : tous appartenaient à la race de ces bons Indiens qui avaient accueilli les Espagnols avec une si naïve hospitalité. Il est triste de penser que Colomb, obligé d'envoyer une marchandise quelconque pour satisfaire les exigences d'une cour avare, ne trouvait rien de mieux que ce bétail humain. «< Pour procurer à mes souverains, écrivait-il, un profit immédiat, et les indemniser des dépenses que la naissante colonie fait peser sur le trésor royal, j'envoie ces Indiens, qui pourront être vendus à Séville. »

Cependant ses détracteurs proclamaient à bon droit qu'il ne tenait aucune de ses promesses, et Ferdinand, désabusé, trouvait que les découvertes de l'amiral génois, loin d'être un profit pour la couronne, lui étaient onéreuses.

D'un autre côté, les rapports qu'on faisait sur la détresse de la colonie, empêchaient qu'elle ne se recrutât de nouveaux émigrants. L'enthousiasme était passé, et l'île ne recevait guère que des hommes perdus de mœurs qui n'avaient plus de ressources dans leur patrie. Ces colons, qui n'avaient pu se plier aux règles de la civilisation, s'étonnaient que l'amiral voulut les soumettre à une discipline sévère. Ils l'accusaient de tyrannie et de projets ambitieux, et leurs plaintes répétées à la cour d'Espagne y rencontrèrent des échos complaisants. Christophe fut informé qu'on venait d'envoyer un agent

ministériel, nommé Aguado, pour surveiller sa conduite.

Colomb reçut d'abord avec courage et dignité l'envoyé de la cour; mais, s'apercevant bientôt que sa présence réveillait toutes les plaintes des hommes qu'il avait forcés à l'obéissance, et que l'anarchie menaçait de renverser sa colonie naissante, il résolut de retourner en Espagne pour faire face à ses ennemis.

Son frère dou Barthélemy, qui était venu le joindre, fut nommé par lui adelantado (lieutenant-gouverneur ); il le chargea, avant de partir, de faire construire une forteresse à l'embouchure de l'Ozama, au sud-est de l'île. Cet emplacement le rapprochait des mines, que son imagination remplissait toujours de trésors inépuisables. Le nouveau fort fut nommé San-Domingo, et fut l'origine de la ville qui devint le siége principal de la colonie, et qui devait plus tard donner son nom à toute l'île.

Le départ de l'amiral fut le signal de nouveaux désordres parmi les colons, de nouvelles persécutions contre les Indiens. Christophe, malgré son énergie, gouvernait avec peine les aventuriers qui étaient venus chercher fortune dans ces terres lointaines; mais don Barthélemy n'avait ni la même autorité ni la même fermeté. Bientôt les murmures éclatèrent avec audace; des complots s'ourdirent; des révoltes se préparèrent. A la tête des mécontents était un nommé Roldano, auquel Colomb, en partant, avait donné la charge d'alcade. Homme plein d'astuce et d'énergie perverse, il excitait les mauvaises passions des colons indisciplinés, dépeignant tous les actes de répression de l'adelantado comme des actes de tyrannie, l'accusant d'avarice et de dureté, et semant partout des calomnies, qui n'étaient que trop facilement accueillies par des gens impatients de toute autorité.

Par ces moyens perfides, Roldano eut bientôt repris une influence telle, que l'adelantado conservait à peine quelques partisans: les querelles étaient incessantes, souvent meurtrières; la discorde en permanence empêchait toute culture, tout commerce. Cette misérable poignée d'hommes, divisée en factions, n'avait d'énergie que pour le mal.

ANTILLES.

Les pauvres insulaires ne tardèrent pas à s'apercevoir qu'aucun frein ne retenait plus leurs tyrans déchaînés. La chasse aux Indiens recommença avec une ardeur féroce. Les aboiements des limiers venaient les relancer dans toutes leurs retraites. Poursuivis, traqués, déchirés par ces animaux furieux, il n'y avait plus de bois assez sombres, de cavernes assez profondes, pour les sauver de l'esclavage ou de la mort. Car ce n'était pas seulement pour les utiliser comme bêtes de somme que les Espagnols leur donnaient la chasse; c'était aussi par passe-temps et pour occuper leurs loisirs. Quelques-uns, comme pour s'exciter à la cruauté par les traditions impitoyables d'un siècle superstitieux, firent vœu de massacrer chaque jour douze Indiens en l'honneur des douze apôtres.

Voilà quels étaient les exploits des colons livrés à eux-mêmes. Malheureusement, le représentant de l'autorité, sans être aussi inutilement cruel, ne respectait pas davantage les droits ni les personnes des indigènes. Plus le commandement de l'adelantado était menacé dans la colonie, plus il avait besoin de se faire bien venir dans la métropole; et pour cela il n'avait d'autre moyen que d'y envoyer des richesses mal acquises ou des marchandises représentant des richesses, c'est-à-dire des esclaves. Trois cents Indiens avec trois caciques envoyés par lui, arrivèrent à Cadix en octobre 1496. Le commandant de ce convoi écrivit qu'il avait à bord une forte quantité de barres d'or.

En outre, don Barthélemy, dominé par le fanatisme violent de son époque, fit brûler plusieurs Indiens comme sacriléges, parce qu'ils avaient brisé des images catholiques. Tous ces actes de cruauté accumulés avaient mis le comble à l'irritation des indigènes. Partout où ils se sentaient assez forts pour résister, de formidables soulèvements menaçaient les dominateurs.

Pendant que les Espagnols compromettaient par des excès de toutes sortes la colonie naissante, Colomb sollicitait en vain l'expédition de nouveaux renforts. Personne ne voulait le suivre : la réaction contre ses projets était aussi exagérée que l'avait été l'enthousiasme au bruit des premières découvertes. On

avait rêvé la terre promise, on ne par-
lait plus que de la terre maudite. Colomb,
treté des hommes à découvertes, per-
seul, attaché à son œuvre avec l'opinia-
sistait à chercher des coureurs d'aven-
tures, et eut enfin recours à un moyen
qui trahit à coup sûr le désespoir du
dération secondaire. A défaut d'hommes
génie, qui ne tient compte d'aucune consi-
de bonne volonté, il obtint que les prisons
lui fussent ouvertes pour y recruter des
compagnons, moyennant amnistie; et
il put enfin composer un nouveau ban
d'émigrés avec les éléments corrompus
qu'on livrait à son impatience.

Colomb trouvait peut-être son ex-
cuse dans la parcimonie d'un gouver-
nement méfiant; mais cette triste néces-
sité devait avoir les suites les plus fu-
nestes pour la colonie. Un établissement
déjà livré au désordre des passions les
au bien par le contact d'impuretés nou-
plus effrénées, ne pouvait être ramené
velles. Colomb emportait dans son vais-
seau
l'outre des tempêtes.

Lorsque, après de nouvelles découvertes que nous avons déjà signalées, l'amiral arriva devant Saint-Domingue, il trouva la colonie dans la plus grande confusion, les Indiens soulevés, l'aures abandonnées, la famine toujours torité aux mains de Roldano, les cultuimminente.

Soit qu'il ne voulût pas débuter par une guerre civile, soit qu'il ne se sentit pas assez fort pour soumettre les révoldano et ses complices. tés, il se vit obligé de traiter avec Rol

Parmi les clauses de la convention était stipulé « qu'il leur serait donné des faite pour les décider à s'embarquer, il esclaves. » Colomb était à chaque instant obligé de consacrer l'iniquité: la conservation de sa conquête était sa principale préoccupation. Une idée longtemps méêtre satisfaite en dépit de tous les sacriditée, et qui enfin s'est réalisée, veut fices. Dans l'accomplissement de son œuvre, le génie est toujours impitoyable.

Enhardis par les concessions, queltir. Christophe consentit avec eux un ques-uns des factieux refusaient de parnouveau traité par lequel il leur accordait à les cultiver. des terres, et des Indiens pour les aider

Cependant les nouveaux venus, ban

dits arrachés aux fers et à la mort, n'étaient pas plus que leurs devanciers disposés à la soumission. L'amiral eut dès l'abord à lutter contre tous les vices déchaînés, la débauche, la cruauté et la paresse, pour lui pire que tous les autres. Ces féroces émigrés ne se croyaient pas faits pour cultiver un sol brùlant, et s'en allaient avec les autres dans les bois et dans les montagnes chercher des Indiens comme animaux de labour. Colomb, en cherchant à réprimer leurs excès, ne faisait qu'exciter leur haine et aggraver ses difficultés. Il essaya done de régulariser, pour ainsi dire, la violence, en obligeant les caciques à fournir des corvées d'Indiens libres pour cultiver les terres des Espagnols. Ces corvees s'appelèrent repartiamentos, ou distributions. Chaque colon avait sa troupe de vassaux.

Ainsi, tous les maux d'une conquête violente s'appesantissaient sur les indigenes. Ceux qui restaient soumis, étaient condamnés au servage de la glèbe; ceux qui se révoltaient, étaient réduits en esclavage. Ces malheureux, inaccoutumés au travail, succombaient par milliers.

Colomb ne tarda pas à se repentir d'avoir conçu le projet de faire de quelques centaines de scélérats les fondateurs d'un empire. Roldano, artisan de désordres, avait bien plus d'influence sur eux que l'amiral, qui s'efforçait de les ramener à des habitudes réglées. Les intrigues recommencèrent; les complots se renouvelerent, et si Christophe, grâce à des mesures énergiques, put maintenir son autorité, il ne put empêcher que les plaintes et les réclamations de tous ces hommes, qui se disaient tyrannisés, ne fissent impression sur les ministres d'Espagne. Le commandeur don Francisco de Bovadilla fut envoyé aux Antilles avec le titre de gouverneur général des Indes. Sa mission était d'examiner l'état des colonies, de faire des enquêtes sur la conduite de Colomb, et de l'envoyer même en Espagne s'il le jugeait à propos.

Un écrivain, abolitioniste fervent, assure que la conduite cruelle de Colomb envers les Indiens fut la cause principale de sa disgrâce (1). Il est possible

(I) M. V. Schoelcher, Colonies étrangères et Haiti, t. I, p. 54.

que ce fut là un prétexte pour ses accusateurs; mais on ne saurait oublier que les colons ne portèrent plainte contre lui que parce qu'il s'opposait à leurs cruautés et à leurs rapines. Ce fut leur paresse qui le contraignit à imaginer les corvées; ce fut pour apaiser leurs continuelles révoltes qu'il leur accorda des esclaves. Avec de pareils compagnons, il aurait fallu être beaucoup plus cruel; il ne pouvait pas être plus humain. Car il l'était trop pour eux; et c'est ce qui le perdit.

Colomb, absent de Saint-Domingue au moment de l'arrivée de Bovadilla, apprit à son retour que sa maison était occupée par le nouveau gouverneur, que ses possessions étaient confisquées, ses écrits mis sous les scellés, qu'enfin son frère don Diego venait d'être transporté sur un navire et jeté dans les fers. Il se présente devant Bova dilla, se plaint des violences dont il est l'objet, signale l'inconduite des colons, les intrigues de Roldano. Pour toute réponse, il est enfermé dans un fort; son frère don Barthélemy, mandé à Saint-Domingue, est également emprisonné à son arrivée.

Bientôt Christophe, arraché violemment à cette colonie, objet constant de ses sollicitudes, est transporté sur un navire, mis aux fers avec l'adelantado, et envoyé en Espagne chargé d'accusations dictées par ses ennemis (1500).

Bovadilla, pompeusement envoyé pour apporter quelque soulagement aux souffrances des insulaires, dépassa bientôt tous les actes reprochés à Colomb. Il n'aurait pu faire autrement sans soulever les mêmes haines. A peine installé, il fait faire le dénombrement des insulaires, qu'il donne à titre d'esclaves aux colons, et redouble de rigueur envers les caciques pour les contraindre à fournir les hommes de corvée.

Avec les tyrannies officielles recommencent les persécutions individuelles, bien plus épouvantables.

On a peine à croire aux actes de froide cruauté par lesquels se signalaient les brigands déportés à Saint-Domingue. Nous emprunterons à ce sujet que ques citations àl'ouvrage de M. V. Schoelcher, qui lui-même raconte d'après Las Casas.

« Ces misérables, qui dans leur pays

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