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d'une quarantaine d'hommes. Le Rat, à la tête des siens, fondit sur eux, en tua un certain nombre et fit le reste prisonnier, en ayant soin de leur faire savoir qu'il agissait ainsi d'après les ordres d'Ononthio. Ceux-ci, fort étonnés, racontèrent qu'ils revenaient de Montréal, où ils avaient traité de la paix avec Ononthio lui-même. Alors le Rat, faisant le désespéré, commença à déclamer contre M. de Denonville, jurant qu'il se vengerait tôt ou tard de ce qu'on s'était servi de lui pour la plus horrible trahison qui eût jamais été faite. S'adressant ensuite à ses prisonniers, au nombre desquels se trouvait le principal ambassadeur envoyé au gouverneur général, il leur dit : « Allez, je vous délie, et vous renvoie chez vos gens, quoique les Hurons, mes frères, aient la guerre avec vous. Rappelez-vous que c'est le gouverneur des Français qui m'a fait faire une action si noire que je ne m'en consolerai jamais; j'espère bien que les cantons en tireront bientôt une juste vengeance. » Il n'en fallait pas tant pour persuader les Iroquois de la sincérité des paroles du Rat: sur-le-champ même ils l'assurèrent qu'au cas où il voudrait faire la paix avec les Iroquois pour son compte en particulier, les Cinq-Nations y consentiraient. Ce n'était pas encore assez pour l'artificieux Rat. Il avait perdu un homme dans le combat; il retint, ainsi que l'usage l'y autorisait, un des Iroquois destiné à prendre dans la tribu la place du Huron mort, et après avoir donné des fusils, de la poudre et des balles à ses nouveaux amis pour s'en retourner dans leur pays, il reprit de son côté la route de Michillimakinac. Aussitôt arrivé, il livra au commandant, qui ignorait encore la conclusion de la paix, et comme espion surpris rôdant autour de nos troupes, son pauvre prisonnier, qui fut incontinent jugé, condamné à être fusillé et exécuté malgré tout ce qu'il put dire pour rétablir la vérité. Le Rat à toutes ses récriminations, à toutes ses exclamations désespérées, répondait toujours avec un sang-froid imperturbable: Faites, faites; il radote. Ce meurtre eût été parfaitement inutile si les Iroquois avaient dû l'ignorer, et le Rat ne l'eût pas commis. A peine l'exécution était-elle faite que l'infernal Huron,

faisant venir un esclave iroquois qui le servait depuis longtemps, lui rendit la liberté, à condition qu'il retournerait dans son pays et y raconterait partout comment les Français avaient, malgré la paix jurée, méchamment mis à mort un pauvre prisonnier qui avait invoqué en vain la parole d'Ononthio. Cette ruse infernale réussit d'autant plus facilement, que les Iroquois étaient, en général, fort disposés à recommencer la guerre. Quelques-uns d'entre eux étaient cependant parvenus à faire adopter le parti d'envoyer une nouvelle députation à Montréal pour y avoir des explications au sujet des faits qui venaient de se passer; mais alors intervint le chevalier Andros, le successeur du colonel Duncan dans le commandement de la NouvelleYork. Si l'on avait compté à Québec sur une conduite moins hostile et plus loyale de la part de ce nouveau commandant, on fut bien vite détrompé : on eut bien vite la preuve que le personnage avait changé mais non pas les principes. Le chevalier fit défendre aux Iroquois de traiter de nouveau avec nous sans l'agrément de la Grande-Bretagne, qui les prenait définitivement sous sa sauvegarde; il écrivit en même temps à M. de Denonville pour lui rappeler que les Iroquois, étant sujets de l'Angleterre, n'avaient pas le droit de stipuler en leur propre nom, et que nous ne pouvions, quant à nous, espérer la paix qu'aux conditions précédemment posées par le colonel Duncan. Ce dernier outrage combla la mesure. M. de Denonville et les autres autorités de la colonie se réunirent, et décidèrent que M. de Callière partirait immédiatement pour la France, afin d'exposer au ministre les raisons de toute nature qui nous mettaient dans la nécessité de déclarer la guerre à l'Angleterre au sujet de la Nouvelle-York, d'où elle ne cessait de troubler notre colonie. M. de Callière partit, présenta au ministre le mémoire qu'il avait rédigé d'après les vues de M. de Denonville, et fit approuver le projet de la conquête de la Nouvelle-York. Toutefois, ce ne fut ni à M. de Denonville, ni à lui, que l'exécution de ce projet fut confiée, mais à M. de Frontenac, qui, dit-on, promit, avant de partir, d'être plus retenu que la première fois au sujet du clergé. Pendant que

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ces choses se passaient en France, les Iroquois,au nombre de quinze cents,opérèrent une descente dans l'île de Montréal (25 août 1689); surprirent, pendant la nuit, le quartier de la Chine, à trois lieues de Montréal; y mirent tout à feu et à sang; y commirent de telles atrocités, que le récit en paraît incroyable. De là, ils s'avancèrent jusqu'à une lieue de Montréal, dévastant tout sur leur pas sage et faisant partout des prisonniers, aussitôt destinés aux plus affreux supplices. M. de Denonville, enfermé dans Montréal, était hors d'état de repousser cette horde; il lui fallut attendre que, suffisamment repue de carnage, elle eût repris le chemin de ses cantons; cela n'eut lieu

que vers le milieu du mois d'octobre, et M. de Frontenac débarqua sur cette terre désolée le 22 novembre suivant (1689).

Le retour de cet officier général était une veritable révolution. Le vieux parti canadien le reçut avec froideur, mais deja ce parti était en minorité. Le fréquent échange de communications qui s'étaient établies dans les dernières années entre la France et le Canada, les officiers qui avaient conduit dans les colonies les nombreux renforts qu'on y avait successivement envoyés, mille autres causes enfin avaient amené dans le pays une population nouvelle, qui n'avait pas autant de motifs que l'ancienne pour se souvenir des services incontestables rendus jadis par le clergé et se soumettre à ses prétentions administratives, malheureusement un peu exigeantes et tracass ères. Cependant l'etat fâcheux auquel les fautes commises successivement par MM. de la Barre et de Denonville avaient réduit la colouie fit que M. de Frontenac, revu avec bonheur par la majeure partie des habitants, ne dut pas s'apercevoir que l'enthou. siasme et la confiance n'étaient pas unanimes. On dit qu'avant de partir il avait fait de magnifiques promesses à Louis XIV, et que le pieux maréchal de Bellefont s'était même porté garant de sa meilleure conduite à l'égard, notamment, des jésuites: cela peut être; mais les mémoires laissés par les écrivains de cette compagnie donneraient à penser que, dans ce cas, il tarda peu à manquer à sa parole.

Le ministère avait approuvé l'expédi tion contre la Nouvelle-York, conseillee par M. de Denonville; mais il avait eu le tort de substituer au plan d'opérations dressé par M. de Callière, avec une parfaite connaissance des lieux et une admirable entente du caractère des sauvages amis et ennemis et des Canadiens français, un autre plan, d'après lequel les Anglais auraient été atta qués à la fois et par terre et par mer. M de Frontenac, obligé de se soumettre à des instructions beaucoup trop minutieusement détaillées, avait perdu pres de trois mois à rallier, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, la petite flotte, moitié militaire et moitié marchande, dont on avait entravé sa course. M. de Callière, qui aurait dé le précéder de plusieurs semaines à Québec, n'avait pu y aborder qu'en même temps que lui, et tous les deux en étaient aussitôt partiş pour Montréal, en apprenant les désastres qui venaient de fondre sur cette île. La saison était trop avancée pour qu'il fût possible de penser à rien tenter cette année contre la Nouvelle-York. M. de Frontenac s'occupa à faire relever à Catarocouy le fort qui portait son nom, et dont M. de Denonville avait ordonné la démolition. M. de Calliere, de son côté, combina et soumit au ministère un nouveau plan de campagne. Le ministère, qui avait d'ailleurs une grande et juste confiance en l'habileté de cet officier, approuva en principe tout ce qu'il proposait; mais quant à l'exécution, il annonça qu'elle ne pourrait avoir lieu si les forces de la mere patrie devaient y être employées. La guerre, en effet, était déclarée en Europe entre la France et l'Angleterre, et, malgré le traite de neutralité s gué par ces deux puissances pour leurs Ossessions en Amérique, il était prudent que la France, avant d'attaquer sa rivale sur les côtes eloignées de l'océan Atlantique, avisât au moyen de se défendre contre elle sur les côtes de la Bretagne et de la Normandie. Pendant ce temps, les Anglais, qui avaient été instruits de nos projets, avaient fait leurs diligences afin de nous devancer, et entrèrent en campagne avant nous. Ils avaient pourtant essuyé en dernier lieu un échec fâcheux pour leurs armes. Une des tri

bus abénaquises établies dans leur voisinage, et avec qui ils n'avaient pu parvenir à entretenir des relations amicales, était tombée à l'improviste sur l'une de leurs places, et s'en était emparée. Cette circonstance fut l'une des causes du parti que M. de Callière adopta plus tard, et qui aurait eu les plus favorables consequences si les successeurs de cet homme du plus haut mérite avaient su y persister. Les Iroquois étaient nos ennemis militaires, si l'on peut ainsi dire; mais, au fond, ils nous préféraient de beaucoup aux Anglais. S'ils se souvenaient toujours que Champlain avait combattu contre eux avec les Hurons, ils estimaient en nous cette soudaineté de résolution, cette vivacité d'action, ce quelque chose d'indéfinissable qui, dans l'ancien comme dans le nouveau monde, font que nous avons des ennemis ardents, non pas irréconciliables. Les Anglais ne présentent ni ces qualités ni les défauts de ces qualités; aussi les nations sauvages, comme les nations civilisées, ont-elles été quelquefois leurs alliées et jamais leurs amies. Les prisonniers faits autrefois par M. de la Barre, et que M. de Denonville s'était engagé à rendre, étaient revenus de France avec M. de Frontenac, qui, pendant la traversée les avait comblés de soins et de prévenances. Cet officier général résolut de se servir d'eux comme d'agents pacificateurs, et leur donna la liberté, à la seule condition de retourner dans leurs cantons respectifs et d'y annoncer ce qu'ils avaient vu à la cour du grand roi. Les Anglais nous laissèrent agir sur ce point comme nous l'entendions: ils savaient tirer avantage de tout, et principalement des fautes que notre étourderie, ou plutôt notre inexpérience des grandes affaires publiques, ne manquait pas de nous faire commettre dès qu'il ne s'agissait plus uniquement de combattre et de combattre en jouant le rôle brillant et plus facile d'assaillants. La ruse employée par le Rat avait eu, d'ailleurs, tout le succès que s'en était promis ce chef huron. Les Iroquois, persuadés que M. de Denonville avait, en effet, voulu faire assassiner leurs ambassadeurs au moment même où ceux-ci venaient de signer la paix avec nous, ne

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pouvaient nous pardonner cette perfidie. M. de Frontenac fit la triste expérience de la vivacité de leur ressentiment à ce sujet. Ce gouverneur général, pensant que nos plus redoutables ennemis n'étaient plus les indigènes, mais les Anglais, résolut de tenter à son tour la voie des négociations auprès des Iroquois eux-mêmes. Nous laisserons parler La Hontan, qui eut le bonheur de prévoir la mauvaise issue de cette tentative et la prudence de refuser de se charger d'une mission dont il annonçait l'inuti lité. Le chevalier Do, dit-il, fut choisi pour cette funeste ambassade, et un certain Colin, interprète de la langue iroquoise, avec deux jeunes Canadiens, l'accompagnèrent en ce malheureux voyage, qu'ils firent en canot. Dès qu'ils parurent à la vue du village des Onnontagués, on les vint honorer d'une salve de coups de bâtons; on les y conduisit avec la même cérémonie. Les anciens, s'étant aussitôt assemblés, jugèrent à propos de les renvoyer avec une réponse favorable, pendant qu'ils engageraient quelques Agniers de les aller attendre sur le fleuve, au passage des cataractes, où ils en tueraient deux, renverraient un à Québec, et ramèneraient le quatrième à leur village, où il se trouverait des Anglais qui le fusilleraient; c'est-à-dire qu'ils voulaient en agir comme le Rat avait fait à l'égard de leurs ambassadeurs; tant il est vrai que cette action leur tint au cœur! Ce projet allait être exécuté, s'il ne se fût trouvé chez ces barbares des gens de la Nouvelle-York, qui étaient venus exprès pour les animer contre nous. Ils surent si bien s'emparer de ces esprits, déjà portés d'eux-mêmes à la vengeance, qu'une troupe de ces jeunes barbares brula tout vifs nos ambassadeurs, à la réserve du chevalier Do, qu'ils amenèrent pieds et poings liés à Boston (Nouvelle-Angleterre, à l'est de la Nouvelle-York) pour tirer des lumières et des. connaissances de l'état de nos colonies et de nos forces. » Cet événement ne fut connu à Montréal qu'au bout de deux mois, et pendant ce temps nous avions eu également fort peu de suc-. cès militaires. M. de Frontenac reconnut alors que la défensive à laquelle nous avaient forcés les Anglais ne nous

en

était pas favorable. Il prit une détermination qui, en tout autre lieu et avec un tout autre homme, eût été d'une rare imprudence au lieu de se défendre contre les Anglais, il les laissa s'avancer sur notre territoire, et, les tournant, il courut attaquer, en arrière, leurs postes, qu'il enleva pour la plupart. Ces petits succès, fort insignifiants par euxmêmes, n'auraient pas suffi à sauver le Canada sans un de ces secours providentiels qui dérangent les plans les mieux conçus.

D'après celui arrêté par le chevalier Andros, un corps de trois mille Anglais et Iroquois devait marcher sur Montréal pendant qu'une flotte anglaise assiégerait Québec; nos forces, ainsi divisées, ne pourraient suffire à la défense de chacun de ces points importants, et soit que Montréal succombât la première, soit que ce fût Québec, le sort de l'une de ces villes décidait nécessairement du sort de l'autre. La petite vérole se mit parmi les Indiens; ceux qui n'y succombèrent pas s'enfuirent, et pour comble de bonheur pour nous, les Anglais agirent de telle sorte, en cette circonstance, avec les Iroquois, qu'ils se brouillèrent avec eux. Ainsi fut dispersée l'armée qui, dirigée contre Montréal, devait seconder les opérations de l'amiral Phibs devant Québec. M. de Frontenac ignorait le danger auquel il venait d'échapper, lorsqu'à la nouvelle du mouvement de Phibs il se hâta d'accourir à Québec et de s'y enfermer avec tout ce qu'il put rassembler d'hommes en état de porter les armes. Le 16 octobre 1690 trente-quatre bâtiments de différentes grandeurs vinrent mouiller devant cette ville, qui fut sommée de se rendre. M. de Frontenac répondit en homme de cœur, et le parlementaire renvoyé le feu s'ouvrit de part et d'autre avec une égale vigueur. Le siége dura sept jours : c'était beaucoup pour des assiégés et pour des assiégeants qui ne disposaient de grandes ressources ni les uns ni les autres. Le 23 octobre l'amiral Phibs s'éloigna, laissant en notre pouvoir l'artillerie qu'il avait débarquée. La joie fut grande à Québec, et d'autant plus grande que trois nouvelles vinrent, à peu d'intervalle, redonner du courage et de la con

fiance à nos compatriotes: Tourville avait battu les flottes anglaise et hollandaise réunies dans la Manche; les Anglais de la Nouvelle-York et de la Nouvelle-Angleterre étaient de moins en moins en bonne intelligence avec les Iroquois, et enfin de nouvelles troupes arrivaient de France. De cette époque jusqu'à la fin de 1698 la colonie fut sans celle tracassée par les Anglais et par les Iroquois, tantôt réunis, tantôt séparés, tantôt alliés, tantôt ennemis; elle ne fut cependant jamais sérieusement menacée. Un nombre infini de petites rencontres, de petites victoires, de petites paix et de petites perfidies se ressemblant presque toutes, serait aussi fastidieux à lire que difficile à raconter sans tomber dans d'inutiles répétitions. Le 28 novembre le comte de Frontenac mourut de maladie dans la soixante-dixhuitième année de son âge, a chéri de plusieurs, dit Charlevoix, estimé de tous, et avec la gloire d'avoir, sans presque aucun secours de France, soutenu, augmenté même, une colonie ouverte et attaquée de toutes parts, et qu'il avait trouvée sur le penchant de sa ruine. >>

Trois lettres, échangées entre M. de Frontenac et le chevalier Bellomont, successeur du chevalier Andros dans le commandement de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-York réunies, résument parfaitement l'état dans lequel se trouvait le Canada en 1698, par rapport à ses envahissants voisins et par rapport aux indigènes, venus à bout de se faire respecter, grâce aux conflits de deux puissances à chacune desquelles ils n'eussent pu résister:

«Le roi m'ayant fait l'honneur de me nommer gouverneur de plusieurs de ses provinces en Amérique,et entre autres de celle de la Nouvelle-York, j'ai jugé, en même temps que je vous fais mes compliments, de vous faire aussi part du traité dont je vous envoie les articles et qui a été conclu entre le roi (Guillaume) et les confédérés, et le roi trèschrétien (Louis XIV). La paix a été publiée à Londres au mois d'octobre dernier (1697), peu de temps avant mon départ d'Angleterre. J'envoie cette lettre par MM. Schwiller et Dellius... Ces messieurs vous ramèneront tous les pri

sonniers français qui se sont trouvés entre les mains des Anglais de cette province. Pour ce qui est de ceux qui sont prisonniers avec nos Indiens, j'enverrai ordre qu'on les mette en liberté... Je ne doute pas, monsieur, que, de votre côté, vous n'ordonniez aussi de relâcher tous les sujets, tant chrétiens qu'indiens, de S. M. Britannique que l'on a fait prisonniers chez vous pendant la guerre. Ainsi seront rétablies, de part et d'autre, la bonne entente et la réciprocité de bons offices, qui sont les fruits ordinaires de la paix, etc. » Dans la seconde, écrite trois mois plus tard, le chevalier disait :

« Je ne fais que d'arriver des frontières, où... j'ai eu une conférence avec nos cinq nations d'Indiens que vous appelez Iroquois. Ils m'ont prié, avec de grandes instances, de leur continuer la protection du roi mon maître..., et se sont plaints des outrages que leur ont faits vos Français et vos Indiens du Canada au préjudice du traité de paix (allégué dans la première lettre), dans lequel ils se croyaient compris..... Ils m'ont aussi annoncé que vos gens ont pris ou enlevé quatre-vingt-quatorze des leurs, depuis la publication de cette paix cela me surprend d'autant plus qu'on a toujours considéré les Iroquois comme étant sujets de la Grande-Bretagne, prétention qu'on pourrait, au besoin, appuyer sur des preuves authentiques et irréfutables..... Le roi mon maître a, Dieu merci, le cœur trop grand pour renoncer à son droit; quant å moi, j'ai ses intérêts trop à cœur pour laisser faire à vos gens la moindre insulte à nos Indiens, et surtout pour souffrir qu'ils les traitent en ennemis. Je leur ai, en conséquence, donné ordre d'être sur leurs gardes, et, au cas où ils seraient attaqués, de faire main basse sur tout, sur les Français comme sur les Indiens. Je leur ai fourni tous les secours dont ils avaient besoin pour cela... Pour vous faire voir le peu d'état que nos cinq nations d'Indiens font de vos jésuites et autres missionnaires, je vous préviens qu'elles m'ont prié instamment de les autoriser à les chasser de chez elles, me remontrant qu'elles en étaient opprimées; elles m'ont en même temps conjuré de leur envoyer

des ministres protestants... Je le leur ai promis; vous avez donc bien fait de défendre à vos missionnaires de s'en mê ler davantage... Les Indiens veulent bien remettre entre mes mains tous les prisonniers qu'ils ont faits sur vous pendant la guerre, et dont le nombre s'élève à plus de cent, mais c'est à condition que je leur garantisse que de votre côté, vous relâcherez tous ceux de leurs gens que vous retenez... On me mande de la Nouvelle-Angleterre que les vôtres ont tué deux Anglais..., pendant que ces pauvres gens faisaient leur moisson sans armes, se croyant en sûreté à cause de la paix... On dit aussi que vous don nez à vos alliés (les Abénaquis) cinquante écus par chevelure.. Avant-hier, deux Onnontagués sont venus encore m'avertir que vous avez envoyé deux révoltés de leur nation pour dire aux cantons supérieurs que s'ils n'étaient pas rendus en Canada avant quarantecinq jours vous entreriez dans leur pays à la tête d'une armée pour les y contraindre par la force. Je vous avertis que, de mon côté, j'envoie aujourd'hui mon lieutenant-gouverneur avec des troupes réglées, pour s'opposer aux hostilités que vous entreprendriez.

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M. de Frontenac avait répondu en ces termes à la dernière et la plus importante de ces lettres:

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Je n'aurais pas été si longtemps sans envoyer savoir de vos nouvelles.... si les vaisseaux que j'attendais de France fussent plus tôt arrivés ici... Les dépêches que j'ai reçues de la cour m'ont appris, comme, de votre côté, vous avez dû le savoir, que les rois nos maîtres avaient résolu de nommer, chacun de leur part, des commissaires pour régler les limites des pays sur lesquels devaient s'étendre leur domination en ces contrées. Ainsi, monsieur, il me semble qu'avant de le prendre sur le ton que vous faites, vous auriez dû attendre la décision que les commissaires en auront faite... Vous cherchez des prétextes pour donner atteinte aux traités... Pour moi, en voulant obliger les Iroquois à exécuter la parole qu'ils m'ont donnée avant qu'on pût savoir que la paix était faite entre les deux couronnes, paix pour laquelle ils m'ont donné des otages, je ne fais que suivre la route que

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