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en effet l'objet d'une constante sollicitude; et dans ces derniers temps les voyages d'un naturaliste spécial, M. Voznessensky, n'ont eu d'autre but, dit-on, que de mieux faire connaître une région qui rappelle déjà les efforts de tant de géographes distingués. Cet explorateur avait rassemblé des 1845 des collections d'un haut intérêt, et ne sentait pas son zèle se ralentir.

Au point de vue commercial, il ne faut pas oublier qu'il y a peu d'années encore douze bâtiments, dont la capa cité s'élevait à mille cinq cent cinq tonneaux, étaient employés dans ces parages (1) par la marine russe, et que ce nombre de navires a dû s'accroître.

Il y a juste trente ans que le mode d'administration adopté par la Compagnie russo-américaine, a reçu une profonde modification. Avant 1818 les promichléniks employés à la chasse et même au commerce dans ces parages étaients admis à la part. De graves inconvénients ayant montré le vice radical de ce mode d'exploitation, un changement complet a eu lieu sous l'administration du capitaine Haguemeister, et tous les employés reçoivent aujourd'hui des appointements, outre les approvisionnements nécessaires à la vie. Par suite de ces nouveaux arrangements avec la Compagnie, toute espèce de commerce leur est interdit. En s'engageant à servir durant sept ans, leurs gages peuvent s'élever depuis trois cent cinquante jusqu'à quatre cent cinquante roubles par an y compris la ration (2). Le gouverneur doit toujours être choisi dans la marine impériale: ce poste a été rempli jusqu'à présent par des officiers d'un mérite reconnu; et il est vrai de dire que pour avoir la faculté de désigner des hommes vraiment dignes

(1) Voyez un article intéressant des Nouvelles Annales des Voyages, année 1846, il est dù à M. Yermolof.

(2)« Dans le cours de douze années, depuis 1818 jusqu'en 1830, il est venu dans la colonie cinq cents soixante-seize Russes, qui étaient endettés pour 307,650 roubles; et il en est revenu quatre cents onze avec un capital de 248,000 roubles; et la dette de ceux qui restaient encore au service, au nombre de plus de quatre cents, ne s'élevait pas au delà de 150,000 roubles. On dit qu'auparavant très peu d'entre eux étaient en état de retourner dans leurs foyers avec quelques épargnes.

du commandement, un article des priviléges accordés à la Compagnie assimile ce fonctionnaire, quant aux prérogatives, à l'officier supérieur qui administre la Sibérie. Les agents employés dans l'Amérique Russe y passent ordinairement de trois à cinq ans. Une organisation militaire d'une extrême régularité préside à toutes les parties du service dans cette lointaigerésidence. Non-seulement les officiers de marine vont toujours en uniforme, mais la diane, les gardes, les rondes et la retraite s'exécutent, dit M. Lutké, d'après les règlements et avec une sorte de solennité. Un voyageur plus récent, M. de Mofras, témoigne de l'urbanité qui contraste avec ces habitudes militaires, et il est curieux sans doute de voir nos romanciers et nos poëtes dramatiques contribuant à adoucir dans ces régions désolées un séjour qu'impose le service militaire (1).

La Compagnie a vu des changements notables s'opérer dans son mode de transaction depuis qu'elle est organisée. Ils tiennent en partie aux changements qu'ont amenés des chasses plus fréquentes dans certaines localités. Nous ne sommes plus au temps où l'on se voyait contraint à détruire sept cent mille peaux avariées pour diverses causes et que l'on n'avait pu faire passer dans la circulation. Le nombre des loutres a prodigieusement diminué, et M. Lutké n'hésite pas à dire que peu après les premières années de l'établissement des Russes dans ces contrées « une mauvaise économie tarit bientôt entièrement ou affaiblit beaucoup ces sources. » Il n'en est pas de même des produits abondants que fournissent les morses, et durant les années très-heureuses on se procure encore une quantité de dents suffisante pour établir des avantages

assurés

(2). Sans négliger l'origine

(1) Pour avoir une idée précise des progrès qui se sont opérés dans cet établissement, il suffit de jeter un coup d'œil sur la Relation de Vancouver, qui date deja de 1794. A cette époque le mets le plus délicat que l'on pût offrir au célèbre navigateur, dans une hutte sale et enfumée, consistait en quelques baies pilées dans de l'huile de baleine.

(2) On se procure aussi dans l'Amérique Russe des dents de mammouth en petite quantité. Il n'est pas très-rare de rencontrer des squelettes de ces animaux réduits en partie

première de ses bénéfices, la Compagnie à su se créer d'autres ressources commerciales; elle éprouve quelque dommage, dit-on, de la concurrence qui lui a été faite par les navires étrangers, à partir de l'année 1821, époque à laquelle un navire parti de Cronstadt vint tenter la fortune dans ces parages. Le plus grand préjudice qu'elle reçoive neanmoins resulte de l'importation considérable d'armes à feu faite annuellement par les navires américains dans les parages qu'habitent les Kaloches, qui ont abandonné insensiblement l'usage de leurs anciennes armes pour se servir du fusil.

Le commerce principal de la Compagnie se faisait naguère avec la Califor

à l'état fossile. Voyez Lutké. On trouve de précieux renseignements sur l'ivoire fossile dans Wrangell.

nie; elle expédiait « du drap et autres étoffes en laine, de la toile de toutes sortes, des indiennes, des percales, des nankins, du fer et de l'acier et toute espèce d'objets et d'instruments fabriqués de ces métaux; du plomb, du cuivre, des ustensiles de verre et de faïence, des cordages, du thé, du café, du sucre, des chapeaux en poil de castor ou faits de racines par les Kaloches. » La Compagnie recevait en échange du froment, de l'orge, des pois, des fèves, du suif, du bœuf, de la viande séchée et salée; une quantité considérable de bétail vivant. Sous l'administration des ÉtatsUnis ces transactions ne peuvent qu'augmenter, et nous touchons peutêtre a une époque où l'établissement de l'île de Sithka cessera d'être une factorerie florissante pour prendre le titre de cité.

ILE DE QUADRA ET VANCOUVER

(NOUTKA),

ILES DE LA REINE CHARLOTTE.

ILE DE QUADRA ET VANCOUVER.

Un voyageur célèbre a fait observer dans ces derniers temps l'identité frappante qui existe entre l'idiome parlé sur les rives de la Colombia et celui qui est en usage dans cette île de Noutka, à laquelle les géographes imposent les noms désormais unis de deux habiles navigateurs, en conservant le premier à un point seulement. Ce seul fait, si digne d'observation, suffirait pour nous engager à revenir sur nos pas et à consacrer quelques pagos à cette région isolée, qui devra être un jour l'objet d'un examen tout particulier, puisqu'elle est réservée peut-être à nous révéler certaines origines et qu'elle renferme sans aucun doute de précieuses traditions.

En effet ces Indiens, désignés improprement par Balbi sous le nom de Quakach (1), ou Ouakich, qui savent édifier de grands villages, qui ont adopté une division du temps analogue à celle des Mexicains, auxquels on a reconnu une habileté surprenante dans la sculpture ornementale de leurs pirogues et de leurs habitations, ces Indiens, dis-je, ne sauraient être confondus avec quelquesuns des sauvages dont nous avons énu

(1) Ce mot, répété à plusieurs reprises, acceuillit le capitaine Cook lorsqu'il aborda sur ces rivages; il parait signifier ami. On ne peut donc l'imposer à une population entiere pour la désigner géographiquement.

méré seulement les tribus, parce que, dans leur abrutissement, ils denieuraient sans souvenirs, en même temps que leur mode grossier d'existence ne présentait nul intérêt.

Balbi fait observer que les habitants de Noutka, dirigés par la pensée qui dominait jadis les hommes du nord, lorsqu'ils gravaient leurs sagas, en caractères runiques, sur leur boucliers, se transmettent encore certains événements mémorables (une chasse heureuse, une pêche abondante) en tracant deux ou trois lignes d'une forme particulière sur la coiffure conique dont ils font usage. Ce renseignement est bien incomplet sans doute; mais si on le rapproche des documents qui nous ont été fournis par Cook, George Vancouver, Galiano, Valdès et D. Francisco de la Bodega y Quadra, il suffit pour assigner à cette population d'Indiens, appartenant, dit-on, à la race de Tchinouks, une supériorité incontestable sur les autres aborigenes de la côte. L'île de Noutka fut découverte en juin 1774, par don Juan Perez, commandant la corvette le Santiago. Parvenu au parallèle du 55° degré, ce navigateur espagnol aperçut une pointe de terre qu'il désigna sous le nom de Santa-Margarita ; elle appartenait à la partie nord de l'île de Langara, qui fait partie du groupe des îles Charlotte; puis il arriva

par les 49° 50′ à une autre île, qu'il désigna sous le nom de San Lorenzo, et qui se trouvait être en réalité la terre qui nous occupe (1). Cook était donc réellement dans l'erreur lorsqu'il supposait que la découverte de cette terre ne pouvait lui être contestée. Quoi qu'il en soit, l'habile marin eut bien certainement l'honneur d'en donner une idée exacte, et son troisième voyage renferme à ce sujet des détails qu'on chercherait vainement ailleurs. Grâce à des dessins qui n'ont qu'un tort, celui de manquer de naïveté, Cook fit connaître le premier ces vastes habitations des insulaires, qui leur assignent un degré de civilisation qu'on ne s'attendait guère à trouver sans doute sur ces rivages inexplorés.

L'île de Quadra (2), qui n'a pas moins de deux cent cinquante milles géographiques du sud-est au nord-ouest, sur soixante-treize milles dans sa plus grande largeur, comme on peut le voir sur la carte de Wilkes, l'île de Quadra occupait bien peu les puissances de l'Europe; lorsque les fourrures variées et nombreuses que l'on pouvait y recueillir excitèrent l'intérêt d'un spéculateur. John Meares, dont le navire avait été frété à Macao, et qui naviguait sous pavillon portugais, vint à Noutka et acheta de l'un des chefs le territoire entier,

(1) Voyez à ce sujet un précieux manuscrit de la bibliothèque du dépôt de la marine; il est intitulé: Comento de la navigacion y descu brimientos hechos en dos viages de ordem de S. M. en la costa septentrional de California, desde la latitud de 21 grados 30 minutos, en que se halla el departemento y puerto de S. Blas, por D. Juan Francesco de la Bodega, capitan de navio de la Real Armada. Ce pré

cieux volume, que nous n'avons vu cité nulle part, se trouve sous le n° 12984. Nous regrettons de n'avoir pu en faire un plus fréquent usage. Nous signalerons aussi comme faisant partie de cette bibliothèque si riche en relations de voyages un autre manuscrit, plus pré

cieux encore, puisqu'il signale des découvertes faites au seizième siècle dans ces régions, dont l'histoire est si peu connue. L'auteur semble

être F. Est. de Perca. Il est intitulé Relacion de

la jornada que a esta tierra del nuevo Mexico hicieron los benditos padres que primero en ella entraron. G. 407. Nous indiquerons égalementMiguel Costanso: Diario historico de los viages de mar y tierra hechos al norte de la California de orden del marques de Croix, etc.

(2) Le nom de Noutka est parfaitement inconnu aux indigènes. Celui qui s'en rapproche le plus est nutchi, qui signifie montagne. Le port de Noutka est appelé par les insulaires Yucuatl.

qui lui fut livré moyennant quelques feuilles de cuivre, et il en prit possession au nom de l'Angleterre (1). Il paraît néanmoins qu'il ne fonda aucun établissement régulier, et qu'il se contenta d'édifier une cabane sur le rivage, cabane qui n'existait même plus lorsque les Espagnols songèrent à prendre possession de l'île d'une manière plus régulière. En 1789 D. Estevan Joseph Martinez vint pour accomplir cette cérémonie, qui eut lieu le 5 mai, au milieu des acclamations de la population indienne, et à partir de ce moment, diton, l'Espagne se crut parfaitement en mesure d'exposer ses droits de propriété aux autres puissances de l'Europe. Sous l'empire de cette idée l'année 1790 est signalée par un acte d'autorité dont les résultats peuvent avoir les conséquences les plus graves. Le capitaine anglais Colnett, commandant l'Argonaute, vient à Noutka, et, après y avoir joui d'une trompeuse hospitalité, se voit tout à coup saisi et constitué prisonnier à bord du navire espagnol la Princesa. Cet acte arbitraire est suivi d'un fait plus grave encore: une chaloupe se transporte à bord de l'Argonaute, et fait arborer le pavillon espagnol à la place du pavillon anglais. Transporté d'abord comme prisonnier à Saint-Blas avec seize hommes d'équipage, sujets de la Grande-Bretagne, le capitaine Colnett y est traité avec distinction, mais ne parvient pas cependant à obtenir justice entière. Plus tard ses réclamations motivent une longue négociation diplomatique, dont le résultat paraît être d'abord une rupture entre les deux couronnes et qui se termine par le traité de l'Escurial.

Avant que l'infatigable Vancouver visite à trois reprises différentes cette île, dont les destinées politiques ont changé si subitement, les Espagnols utilisent plus fructueusement pour la science qu'on ne l'a eru parfois leur séjour dans ces parages, et l'introduction trop peu consultée du voyage de Galiano et

(1) Si l'on accepte le témoignage de Francisco de la Bodega y Quadra, dont Vancouver lui-même vante la probité, dès l'année 1775 les Espagnols auraient pris possession de la côte où se trouve l'ile jusqu'à 2o au-dessous vers le sud et 6o plus haut vers le nord.

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