Page images
PDF
EPUB

Or nous insistons sur ce double rapport, car il explique bien des faits. Au temps où don Antonio de Mendoça gouvernait la Nouvelle-Espagne, à l'époque même où de si grands dégoûts abreuvaient Cortez, les traditions de l'Indien se combinaient avec celles du moine, et lorsqu'une expédition nouvelle eut été enfin résolue, ce fut au successeur de Nuño de Guzman dans le gouvernement de Culiacan que l'on s'adressa pour la diriger. Francisco Vasquez de Coronado, auquel nous allons voir remplir le rôle principal dans cette audacieuse entreprise, était un brillant gentilhomme, réunissant les qualités exigées alors d'un conquistador; il avait en outre épousé une jeune dame d'une beauté singulière, fille d'un personnage auquel sa position donnait un certain crédit : son beau père, Alonso d'Estrada, était, disait-on, fils naturel de Ferdinand le Catholique; et par cette espèce d'alliance avec la famille royale Vasquez de Coronado avait acquis de bonne heure une de ces positions qui devaient le conduire aux emplois éminents: il avait eu aussi les premières confidences de Fray Marcos de Niza (1); il fut choisi par le vice-roi pour aller conquérir les sept villes, tandis que Fray Marcos reçut officieusement le titre de guide. Cha

[merged small][ocr errors]

(1) Durant sa première expédition à la recherche de Cibora ou de Cibola; F. Marcos de Niza était accompagné par trois autres franciscains et par un noir que les chroniques désignent sous le nom d'Estevan, et quelquefois d'Estevanillo, comme s'ils faisaient allusion par ce diminutif à la joyeuse insouciance de son caractère; le noir, gêné dans ses entreprises, que ne réglaient pas toujours les strictes règles de la morale; le noir, dis-je, laissa là ses dévots compagnons, et se porta en avant; il pénétra jusqu'à la ville de Cibola, mais là finit son audacieuse pérégrination. Grand ravisseur de femmes indiennes, grand collecteur surtout de turquoises magnifiques, il se vanta aux chefs de ses relations avec les hommes blancs et du crédit dont il jouissait parmi eux. Mais la couleur de sa peau lui devint fatale, et les Indiens, tout naifs qu'ils étaient, ne voulurent jamais croire qu'il fut du pays de ces hommes blancs dont les exploits terribles avaient retenti jusque dans leurs contrées lointaines; ils l'emprisonnèrent, le sacrifièrent impitoyablement, s'emparèrent des femmes esclaves qu'il emmenait avec lui, et De laissèrent échapper que de jeunes Indiens qui allérent joindre les religieux, et les affrayèrent tellement par leurs récits, qu'ils déterminèrent leur retour.

[ocr errors]

cun individuellement fit ses préparatifs et se livra à ces splendides espérances, qui s'appuyaient, il faut en convenir, sur un passé plein de grands souvenirs.

Fort heureusement pour l'accroissement ultérieur de la géographie, le Mexique était gouverné alors par un homme que ses démêlés avec Cortez ne sauraient empêcher d'être considéré comme un habile administrateur. D. Antonio de Mendoça décida qu'une expédition navale combinerait ses efforts avec celle qui entreprenait cette difficile exploration, et le commandement en fut donné au capitaine Alarcon, qui avait déjà fait ses preuves de bravoure et d'habileté.

L'expédition par terre ne se composait que de trois cents hommes, mais de trois cents hommes jeunes, aguerris, et de telle condition, dit Castañeda de Nagera, que le vice-roi eût voulu «< pouvoir donner à chacun d'eux une armée à commander. La ville de Compostelle, capitale de la Nouvelle-Galice, qui avait été fondée à cent dix lieues de Mexico, fut assignée comme lieu de rendez-vous général, et ce fut là que Francisco Vasquez de Coronado en prit le commandement en présence du vice-roi.

Malgré tout ce qu'elle eut d'incidents inattendus, de rencontres étranges, d'épisodes intéressants, nous ne prétendons pas suivre dans sa marche aventureuse cette petite armée, qui se dirigea d'abord sur Culiacan: il suffira de dire que Vasquez de Coronado, arrivé à Chichilticale, sur les confins du désert, se sentit saisi d'une indicible tristesse, et que là, en présence d'une maison en ruine et sans toit, qui composait à peu près le seul établissement du pays, il commença à douter des rêves dorés des Indiens, si fréquemment répétés par lui dans la capitale du Mexique. Il poursuivit néanmoins sa route; mais le découragement qu'il ressentit ne peut se dépeindre lorsqu'il fut parvenu au pied du rocher aride sur la cime duquel s'élevait Cibola;... on aura, en effet, une idée de cette prétendue cité indienne lorsqu'on saura que bien peu d'années après le voyage de Coronado un témoin oculaire pouvait écrire « Ce village est si peu considérable, qu'il y a des fermes dans la Nouvelle-Espagne qui ont meilleure

:

apparence; il peut contenir deux cents guerriers; les maisons ont trois ou quatre étages; elles sont petites, peu spacieuses, et n'ont pas de cours. Une seule cour sert à tout un quartier. >>

Comptant bien plus sur la force de la position que sur les ouvrages qui défendaient leur ville, les Indiens s'étaient réunis en grand nombre dans Cibola; mais ils furent chargés aux cris de San-Jago par les Espagnols, et se virent bientôt culbutés; le général, atteint d'une pierre, pensa périr dans cette attaque. Toutefois Cibola resta au pouvoir des Castillans. Vasquez de Coronado demeura dans cette triste résidence; mais l'expédition dirigée par Tristan d'Arellano poursuivit ses recherches vers les régions de l'intérieur, et ce fut alors que fut fondée la ville de Sonora; Melchior Diaz en fut nominé le gouverneur avec quatre-vingts hommes d'élite, puis l'armée se replia sur Cibola. Melchior Diaz était un chef entreprenant, énergique, comme les premiers temps de la conquête en virent surgir un si grand nombre. A la tête de vingt-cinq hommes il poussa en avant, et cela sans guide; car Fray Marcos de Niza était déjà retourné sur ses pas, emportant les malédictions de l'armée. En effet, ces édifices couverts d'or et chargés de pierreries, dont le moine avait parlé sur la foi des Indiens, semblaient devoir être relégués désormais parmi les merveilles mensongères dont on était bercé chaque jour à la Nouvelle Espagne, et le naïf historien, qui nous a dit d'abord les sermons enthousiastes de Fray Marcos, se prend à craindre charitablement pour le salut du pauvre Franciscain, en rapportant les imprecations vomies contre lui par tant de chrétiens. « Dieu veuille, s'écrie-t-il, Dieu veuille qu'il ne lui en arrive rien de fâcheux dans une autre vie (1). »

Qu'il fût poussé par ces rêves, qu'il fût conduit par sa valeur naturelle, Melchior Diaz avança toujours; il arriva enfin à une rivière qui portait alors le nom de Rio-del-Tizon (2); et sur les rives de ce beau fleuve, qui n'a pas moins de

(1) Voy. la relation de Pedro de Castañeda de Nagera, collection de Ternaux-Compans

(2) Le Rio del Tizon est sans doute le Colorado.

deux lieues de large à son embouchure, «il apprit, dit Nagera, que l'on avait vu les vaisseaux à trois journées de là... Quand il fut arrivé à l'endroit qu'on lui avait indiqué, et qui était sur le bord du fleuve, à quinze lieues de son embou chure, il trouva un arbre sur lequel était écrit: Alarcon est venu jusqu'ici; il y a des lettres au pied de cel arbre. Ils creusèrent la terre et trouvèrent les lettres, qui leur apprirent qu'Alarcon, après avoir attendu dans cet endroit pendant un certain temps, était retourné à la Nouvelle-Espagne ; qu'il n'avait pu aller plus avant parce que cette mer était un golfe, qu'elle tournait autour de l'ile du Marquis, qu'on avait appelée l'île de Californie; et que la Californie n'était pas une île, mais une poiute de terre qui formait ce golfe (1). »

Ainsi fut résolu par un navigateur du seizième siècle ce problème géogra phique; mais le secret devait être si bien gardé sur cette découverte que près de deux siècles après la plus grande incertitude régnait sur la véritable configuration de la Californie, et que Wood Rogers, comme on l'a fait remarquer, doutait en 1716 si cette vaste région était une île ou si elle faisait partie du continent. Il est juste de dire cependant que l'exploration d'Alarcon (2) nefit que confirmer les faits déjà constatés par un autre navigateur espagnol. Fernando de Ulloa, rentré à Acapulco vers la fin de mai 1540, avait pénétré au fond de la mer Vermeille; il s'était déjà assuré que les deux côtes se réunissaient, et avait démontré par conséquent l'existence de la presqu'île (3).

Si les faits importants n'étaient pas si multipliés, il serait sans doute curieux de suivre vers les régions du nordest Francisco Vasquez Coronado et ses lieutenants; il serait intéressant de comparer la relation toujours exagé

(1) On voit par cette phrase de quelle importance peut être en geographie l'examen des vieilles relations. Celle qui nous la fournit faisait partie des papiers du célebre Nuñoz.

(2) Voy. Duflot de Mofras, Exploration de Oregon et de la Californie, t. 1, p. 95. « Ces

diverses reconnaissances furent exécutées avec tant de soin et d'habileté que la carte de Californie dressée en 1541 ne diffère presque pas de celles levées de nos jours. »

(3) Hernando de Alarcon mit à la voile le 9 mai 1540.

rée de Fray Marcos de Niza, même en présence des objets, avec les faits réels tels que sait les raconter simplement un soldat, chroniqueur sincère. On verrait que tout ne devait pas être rejeté dans ce que les Indiens rapportaient des royaumes de Cibora, de Marata, d'Abacus, de Totontcac et même de Qui vira. Ces maisons ayant de cinq à six étages, et qui étaient quelquefois fortifiées, ces vêtements que l'on compare à ceux des Bohémiens d'Espagne, ces ceintures garnies de turquoises, dont il est fait si fréquemment mention, ces perles que les conquérants remarquent avec surprise au front des Indiennes, et ces ornements d'or qu'elles suspendent à leurs oreilles et à leur nez, tout cela indiquait un certain degré d'industrie, une civilisation rapprochée jusques à certain point de celle qu'on observait dans les villes lointaines du Mexique. Quels que fussent les résultats d'une conquête aventureuse, les richesses que nous venons d'énumérer étaient loin de compenser les dépenses faites par le vice-roi: tout était désappointement cruel pour les Espagnols, tout se réunissait d'ailleurs pour augmenter le découragement de leur chef, impatient de jouir enûn d'une vie paisible et de revoir sa jeune épouse. Une circonstance fortuite, parfaitement d'accord avec ! l'esprit du temps, vint hater enfin le dénoûment de ce drame, où tant de bravoure personnelle avait été mis en jeu. Vasquez de Coronado avait poussé jusqu'à ces régions, où l'imagination de ses hardis soldats fondait un second empire, plus merveilleux peut-être que celui des sept villes, lorsqu'au retour de Quivira, ce capitaine général fut jeté en bas de son cheval, à la suite d'une joute militaire. Blessé à la tête et transporté dans sa tente, le décourage. ment s'empara de son esprit. Un theme astrologique, qui lui prédisait la puissance et la mort dans un pays inconnu, revint à son souvenir, et détermina sa résolution. On était en 1543; il y avait par conséquent trois ans qu'il errait dans le désert; tout à coup il se dirigea sur Culiacan, mais deconsidéré, mais ne sachant conserver aucun pouvoir sur sa petite armée indisciplinée, et n'ayant pas pu garder plus d'une centaine d'hom

mes sous son commandement (1). Il se rendit à Mexico, et D. Antonio de Mendoça voulut bien lui donner une décharge des obligations que la cédule royale lui imposait si cela eut lieu toutefois, ce fut par une sorte de condescendance. Quelque temps après ce chef inhabile fut privé de son titre de gouverneur de la Nouvelle-Galice. Ainsi finit l'expédition si curieuse et si peu connue de Francisco Vasquez de Coronado, et l'intrépide soldat qui nous en a transmis les détails a pu dire sans être taxe de malveillance : « S'il avait moins pensé à la fortune qu'il laissait à la NouvelleEspagne qu'à la responsabilité qui pesait sur lui et à l'honneur qu'il avait de conduire tant de gentilshommes sous sa banniere, l'expédition eût autrement tourné.... Ce chef ne sut conserver ni son commandement ni son gouvernement (2). »

Nous ne dirons rien ici de l'expédition maritime de Juan Rodriguez Cabrillo, qui eut lieu en 1542; nous n'insisterons pas sur celles de Bartholome Ferrelo et du vice-roi Velasco, qui produisirent leurs résultats en 1543 et en 1564; nous passerons aussi rapidement sur celle des flibustiers anglais, commandés par John Oxenham, en 1575 ; mais nous insisterons davantage sur le voyage de l'aventureux sir Francis Drake. L'audacieux amiral parvint dans le port de los Reyes en 1579; et, malgré les découvertes incontestables des Espagnols, ce fut à partir de cette époque, que les Anglais imposèrent au pays le nom de

(1) De l'aveu même de Coronado, il avait emmené cent cinquante cavaliers et deux cents

fantassins, archers ou arquebusiers Voy. sa lettre imprimée comme appendice à la suite de la relation de Castañeda de Nagera.

(2) Il n'est pas sans intérêt pour l'histoire de savoir quel avait été le sort antérieur de cet explorateur malheureux. Or nous apprenons par une lettre en date du to décembre 1537 qu'il se trouvait trois ans avant l'expédition, et malgré son mariage, dans un état bien voisin de la pauvreté. Par cette lettre officielle D Antonio de Mendoça, comte de Tendilla et premier viceroi du Mexique, demande pour lui quelques graces fort legitimes au sujet de ses biens qui étaient séquestres, et il prend de là occasion pour vanter ses talents. Vasquez de Coronado avait été employé vers cette époque par le mėme vice-roi contre une insurrection de noirs et d'Indiens, que des mesures énergiques avaient fait échouer: il jouissait, on le voit, d'une certaine réputation de bravoure.

Nouvelle Albion; les raisons alléguées par le narrateur de l'expédition pour motiver cette espèce d'usurpation sont assez curieuses : « Il l'appela ainsi, dit-il, pour deux causes, la première parce qu'il est le premier qui en a fait la découverte; et la seconde parce qu'elle a beaucoup de ressemblance à nostre Angleterre, estant fort belle le long de la coste de la mer. A cest effect, et pour mémoire de ce passage, il a faict graver sur une lame de cuivre le nom, le pourtraict et les armes de notre dicte royne, et l'a fait attacher et clouer contre un pilier de pierre, pour ce spécialement basty et érigé dans nostre fort: il y a aussi fait mettre son nom et le jour auquel nous y sommes arrivés, et dont le roy et ses subjets nous ont fait paroistre qu'ils faisoient grand estime (1). » Voilà bien, on le voit, une prise de possession en formes; cependant la vice-royauté de Mexico se sentait si peu disposée à admettre de telles prétentions, qu'en l'année 1581 elle renouvelait par terre l'aventureuse expédition de Coronado, afin de prendre possession plus complète de la Californie, et que cette entreprise était confiée à un homme d'une tout autre énergie que son prédécesseur. D. Juan d'Oñate, noble chevalier biscayen, partit en compagnie de son fils D. Chrístoval, et du mestre de camp Vicente de Zaldivar; il est juste d'accoler aux noms de ces trois héros celui d'un poëte, Juan de Villagra, l'auteur de cette curieuse chronique versifiée, où l'historien peut puiser de si utiles renseigne ments et quelquefois de si nobles descriptions (2). Les rêves touchant Cibola et Quivira s'étaient renouvelés; ils s'évanouirent de nouveau devant d'intrépides explorateurs. Cependant la géographie intérieure de la Californie y gagna; car, après avoir bravé des luttes périlleuses, et qui eussent peut-être lassé tout autre que lui, D. Juan d'Oñate « partit avec trente hommes pour explorer la mer du Sud du côté de la Californie; il donna à un excellent port le nom de la Conversion de Saint-Paul, car pour d'aussi grandes âmes le repos

(1) Voyage de l'illustre seigneur François Drake, p. 6.

(2) Historia del nuevo Mexico. Alcala, 1610.

n'est que l'emploi de leur talent les maux qu'il souffrit pendant huit mois que dura cette expédition furent extrêmes.... Enfin il retourna à son camp, et il fonda une ville avec le seul secours des Espagnols (1). » Nous n'ajouterons qu'un fait à ce passage, c'est qu'une indigne persécution fut l'unique récompense de tant d'efforts.

On le voit incontestablement par le récit de ces diverses tentatives, l'importance de cette position n'échappait pas à l'administration coloniale de l'Espagne. L'un des marins les plus expérimentés qu'elle eût alors était un Grec; elle l'employa à de nouvelles recherches dans ces parages. Apostolos Valeriano, bien plus connu sous le nom de Juan de Fuca, partit en 1592 d'Acapulco, commandant une caravelle et une pinasse. Il avait pour mission de découvrir un passage entre l'océan Atlantique et l'océan Pacifique. On a acquis la certitude que si tout n'est pas apocryphe dans la relation qu'il publia à Venise en 1596, les étranges exagérations dont il se rendit coupable devaient nécessairement jeter du doute sur quelques vérités géographiques; et depuis une célèbre expédition entreprise sur de vagues données prouva tout le tort qui peut résulter d'une odieuse supercherie (2).

Trois ans plus tard D. Luiz de Velasco reçut encore l'ordre précis de faire examiner les côtes de la Californie. On sentait dès lors l'immense avantage que présentait ce point important pour le commerce des Philippines. Cette fois, le navire d'exploration partit des îles mêmes qui devaient trouver un avantage réel dans cette reconnaissance géographique; le pilote Sebastian Rodriguez Cermenon arriva bien au port de SanFrancisco, mais son navire y périt : une portion de l'équipage se sauva néanmoins, et plus tard Francisco de Bolanos,

(1) Recueil de pièces relatives à la conquête du Mexique, publié par Ternaux-Compans, p. 449.

(2) Le consciencieux Warden dit avec raison que tout n'est pas à rejeter dans les détails géographiques fournis par Fuca sur un prétendu détroit. « Cette entrée, située par latitude nord à 48 degrés et demi, a été reconnue par le capitaine anglais Duncan en 1787, l'année d'après par le capitaine Meares, et enfin par le capitaine Vancouver. Quant à la communication entre les deux Océans, elle n'existe nulle part.»>

qui en faisait partie, put rendre d'importants services; il guida comme pilote la seconde expédition du navigateur célèbre auquel on dut à cette époque la reconnaissance la plus profitable qu'on eût faite le long des côtes de cet immense pays. Nous touchons en effet à une période vraiment décisive pour l'histoire de ces contrées, dont la géographie, on le voit, resta si longtemps enveloppée de mystères. Ici nous laisserons parler l'un des historiens les plus célèbres du dix-septième siècle, persuadé que rien ne saurait remplacer la naïveté si précise des renseignements publiés par Torquemada.

:

EXPÉDITION DE VISCAÏNO. « En l'année 1596, sous le gouvernement du comte de Monterey, vint un ordre de S. M. pour que l'on allât à la découverte des terres et des ports des Californies, touchant lesquels nombre de renseignements circulaient, annonçant qu'il y avait en ces mers grande quantité de perles (ce voyage, le marquis del Valle l'avait fait auparavant). La commission fut remise au capitaine Sébastien Viscaïno, homme de bon jugement, bon soldat et chef pratique en choses semblables il réunit son monde pour l'expédition et sous l'autorité du vice-roi. Il demanda aux pères Fray Pedro de Pila, alors commissaire de la NouvelleEspagne, et Fray Estevan de Alçua, provincial de cette province du saint Evangile, qu'en raison de la dévotion qu'il portait à l'ordre, et parce que les frères de S. François étaient les premiers apôtres de ce pays, on lui donnât quatre religieux destinés à l'accompagner et à peupler les îles et terres de la Californie; on le lui concéda, et furent nommés le P. Fray Francisco de Balda, en qualité de commissaire, Fray Diego Perdomo, frère Nicolas de Saravia, prêtre, et enfin Christoval Lopez, frère lai. » On le voit, l'idée des missions remonte jusqu'aux dernières années du seizième siècle. Viscaïno partit d'Acapulco avec trois navires; et après avoir pénétré dans le golfe de la Californie, se dirigea au nord-ouest jusqu'à ce qu'il eût atteint le port de San-Sébastien. Là il fut abandonné par quelques-uns des siens; mais après avoir traversé le golfe il prit possession des terres au

nom de la couronne d'Espagne, et ne rencontra aucune opposition de la part des Indiens. Viscaino arriva ensuite au port de la Vera-Cruz, où Cortez avait fait jadis ses premiers essais de colonisation; il le nomma Bahia de la Paz, en raison de l'accueil bienveillant que lui firent les Indiens. Mais ayant quitté ce mouillage, qui ne lui offrait pas des ressources suffisantes pour y maintenir sa colonie naissante, il alla reconnaître la côte septentrionale du golfe. Là il rencontra une peuplade belliqueuse, se composant d'environ cinq cent guerriers; l'attaque de ces sauvages ne pouvait être prévue: elle coûta dixneuf hommes à l'expédition. Cruellement frappé d'une telle perte, peu satisfait d'ailleurs de l'aspect du pays, Viscaïno fit voile pour la Nouvelle-Espagne, et l'année 1596 le retrouve à Mexico.

Ce premier voyage de l'habile marin n'est que le prélude de la grande expédition qui doit lui assigner dans l'histoire de ces contrées une renommée durable. Philippe III songeait à inaugurer son règne par quelque entreprise remarquable, lorsqu'une relation oubliée fut trouvée, dit-on, par lui, au milieu des papiers de son père. Elle contenait sur la Californie un de ces documents erronés qui avaient déjà enflammé tant d'imaginations; c'était toujours le fameux passage de la mer du nord conduisant dans la mer du sud; puis une grande ville peuplée d'habitants civilisés, que l'on avait eu le temps d'observer à peine, mais qui devait infailliblement fournir d'immenses richesses à la couronne. Le roi des Espagnes et des Indes résolut de satisfaire tout à la fois un sentiment de curiosité géographique fort louable et d'établir sur des bases solides les idées politiques préconçues touchant le commerce des îles orientales avec une partie de ses vastes États d'outremer. C'était en 1600 l'expédition une fois combinée, Sébastien Viscaïno fut choisi pour en avoir la direction; on embarqua des religieux zélés, des marins habiles, des troupes aguerries; on fit plus, deux cosmographes expérimentés, le capitaine Gaspar de Alarcon et le capitaine Geronimo Martin, furent adjoints au commandant pour relever géographiquement les côtes. La flottille

« PreviousContinue »