Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Antagonisme politique et religieux entre la Pologne et la Russie. Le principe d'intolérance base du droit public européen.

Les premiers missionnaires chrétiens qui ont pénétré dans les provinces russes et polonaises, vers l'an 867, ont été envoyés par saint Ignace, patriarche de Constantinople. Leurs travaux apostoliques venaient de commencer, lorsque Photius, premier fondateur du schisme grec, succéda à saint Ignace. De là cette prétention des Russes à faire

remonter leur schisme jusqu'au temps de Photius. Mais l'erreur est manifeste: ce patriarche mourut en 891, et ses successeurs étaient rentrés dans la communion romaine lorsque la grande duchesse Olga vint à Constantinople, en 955, pour se faire instruire dans la religion chrétienne. Baptisée sous le nom d'Hélène, en mémoire de la mère du grand Constantin, elle rentra en Russie en 956. «Sem« blable, dit Nestor, à l'étoile du matin qui an<«< nonce la lumière du jour, elle fut le précurseur « de la foi chrétienne dans sa patrie, et éleva « à Kiow, en l'honneur de saint Nicolas, une église « qui, plus tard, eut le rang de métropole.» Enfin, Wladimir le Grand acheva, de 980 à 1014, ce que la duchesse Hélène avait commencé, et effaça les dernières traces du paganisme en Russie. Or, c'est en 1054 seulement, environ un demi-siècle après cette conversion, que Cérularius renouvela, à Constantinople, le schisme qui s'y était éteint après la mort de Photius.

Il est permis de conclure de ces faits que, si l'Eglise russe veut être considérée comme la fille de l'Eglise grecque, cela doit s'entendre de l'Eglise encore fidèle à la communion romaine, et non de l'église schismatique, qui n'existait pas encore à l'époque de la destruction du paganisme en Russie.

On peut ajouter que, quatre siècles plus tard, le schisme n'avait pas encore pénétré dans les provinces moscovites. En effet, Nicéphore, métropolitain de Kiow, tenta inutilement, vers

l'an 1106, d'introduire en Russie le schisme grec: il ne put jamais vaincre la résistance que le peuple et le clergé lui opposèrent. Ce fut seulement vers le milieu du xv° siècle, que Photias parvint à établir le schisme oriental dans le diocèse de Moscou.

Toutefois cet évêque infidèle ne put entraîner dans sa rébellion le synode de Kiow, qui le déposa et lui donna pour successeur l'illustre Grégoire Zemblack.

A dater de cette époque, une scission profonde s'établit entre les provinces moscovites et les provinces polonaises: celles-ci deviennent le foyer du catholicisme, tandis que celles-là deviennent l'asile du schisme grec. C'est en vain que Grégoire Zemblack, envoyé à Constantinople par les souverains de Pologne et de Lithuanie, parvient à ramener l'empereur Paléologue à la communion romaine; c'est en vain qu'en 1418, au nom même de cet empereur et à la tête de vingt évêques grecs, ce métropolitain souscrit, dans le concile de Constance, l'acte d'union des Églises latine et grecque l'Eglise de Moscou persiste dans sa rébellion.

C'est en vain que, quelques années après, le successeur de Zemblack, l'éloquent Isidore, vient à Florence avec l'empereur lui-même, signer un nouveau traité d'union, et recevoir le chapeau de cardinal des mains du Souverain-Pontife. Le grand duc de Russie refuse de ratifier les engagements souscrits au concile de Florence par l'Église de

Constantinople, et maintient dans ses états le schisme que Photias y avait introduit. Désormais, la croix latine est gravée sur l'étendard de la Pologne, et la croix grecque sur l'étendard russe; l'antagonisme national prend un caractère de plus en plus religieux; les intérêts de la patrie et du culte s'identifient et se confondent dans la lutte des deux nations; enfin les conquêtes politiques deviennent des conquêtes religieuses, et le prosélytisme se réalise par la violence, au lieu de se réaliser par la persuasion; tendance barbare! source funeste de conversions soudaines dans lesquelles, depuis ce jour, les vaincus se sont laissé entraîner par leurs pasteurs infidèles, comme des troupeaux d'esclaves à la suite des triomphateurs. Au commencement du vr° siècle, Ivan le Glorieux enlève Smolensk à la Pologne, et arrache la métropole de Kiow à la communion catholique, pour l'entraîner dans le schisme grec! Sous les règnes de deux princes faibles, Sigismond Ier et Sigismond-Auguste, les portes de la Pologne s'ouvrent au schisme que les Russes lui apportent d'Orient, et à l'hérésie que Genève, Vittemberg et Iéna lui envoient d'Occident. Par une réaction de la victoire, la main puissante et ferme d'Etienne Bathory oppose une digue à ces envahissements, et restaure la religion catholique en Pologne. En 1595 enfin, la métropole de Moscou ayant été transformée en patriarchat par les intrigues du fameux Boris Godunow, la métropole de Kiow, humiliée de la suprématie

moscovite, revient à la communion romaine avec les évêchés de Leopal et de Przemysl, et cimente du même coup son union politique et religieuse avec la Pologne. Il n'y a peut-être pas une page de l'histoire de ce temps où ne se révèle cette communauté de succès et de revers entre la cause catholique et la cause polonaise.

Mais c'est surtout pendant les derniers jours de la Pologne que se manifeste cette solidarité de la religion et de la nationalité; c'est alors que l'on découvre comment la philosophie du xvi® siècle, en attaquant la religion catholique, est venue servir d'instrument à l'ambition de la Prusse et de la Russie, et comment la Pologne a été frappée des mêmes coups que l'on portait à son culte. Arrê– tons-nous donc quelques moments sur cette époque de crises et de convulsions, dont on n'a pas encore dévoilé tous les mystères.

Vers le milieu du xvi° siècle, lorsque les cabinets de Saint-Pétersbourg et de Berlin méditaient leurs projets de partage, le principe d'une religion dominante et exclusive était admis en Pologne.

Le culte de l'État y jouissait de nombreux priviléges; la plénitude des droits de citoyen était réservée à ses adhérents, et les dissidents étaient soumis à un régime exceptionnel.

Mais cet état de choses, cette intolérance de fait n'était particulière ni à la Pologne ni à son culte. Sans doute, l'Eglise catholique professait elle-même le principe d'intolérance; mais c'était, comme

« PreviousContinue »